Isabel de Casa Mayor/Philibert Riballier et Catherine Cosson

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[269] GODIN DES ODONOIS, (Grandmaison, épouse de M.) offre à son sexe un grand exemple du courage et de la fermeté dont il est capable. M. Godin, après avoir long-tems erré dans différens emplois, étoit enfin parvenu à former pour son compte un établissement à Cayenne. Sa femme qui, depuis vingt ans, étoit réduite à vivre séparée de lui, entreprend de l’aller joindre. Il lui falloit traverser des contrées qui ne sont point praticables pour les voitures, ni même pour aucune espece de bêtes de charge, et on ne peut y suppléer qu’en faisant porter les Naturels du pays, ordinairement gens très-infideles. Madame Godin engage le nombre d’hommes qui lui est nécessaire pour elle, deux de ses freres, un de ses neveux et un Médecin qui l’accompagnoient, avec plusieurs domestiques. A peine arrivés au premier village, tous ces Indiens qui avoient eu soin de se faire payer d’avance de leur voyage, disparoissent, et laissent la troupe dans le plus grand embarras. Deux Indiens de ce même village s’offrent de la conduire dans un canot qu’ils proposent de construire promptement. Elle se confie à eux, et en effet les deux premiers jours de navigation flattoient les voyageurs du succès de leur confiance; mais les deux Indiens disparoissent encore, et précisément dans des lieux déserts où il n’y avoit pas d’apparence de trouver ni secours ni refuge. Il ne restoit d’autre parti à prendre que de se rem-[270]barquer sans guide dans le même canot que ces misérables avoient abandonné. Il fallut s’y soumettre, et on se trouva le lendemain, sans accident, à portée d’aborder à une espece de port où se rencontra un Indien dans son canot. Quoique malade, il consentit de conduire la troupe consternée: l’espérance commençoit à renaître sous ce nouveau conducteur, lorsque tout-à-coup il tombe dans l’eau et se noie à la vue des infortunés qui n’attendoient que de là leur salut. Le canot, abandonné alors à gens qui ignoroient la manoeuvre, rencontra des obstacles et fut bientôt brisé, inondé et submergé; heureusement on étoit près de terre: toute la troupe s’y réfugia et s’y pratiqua un abri. Dans cette cruelle situation le Médecin offrit d’aller chercher du secours à un endroit qu’ils conjecturoient devoir être éloigné de six à sept jours de marche; il eut la précaution d’emporter avec lui ses effets et partit; mais ayant manqué à sa promesse après vingt-cinq jours d’une attente inutile, Madame Godin et ses freres, manquant absolument de tout, et sans cesse exposés aux injures de l’air et aux dangers des animaux féroces, perdirent patience. Ils construisirent un radeau comme ils le purent, et eurent la hardiesse de s’exposer dessus. Cette frêle ressource leur fut encore funeste: le radeau donna sur un écueil, et en tournant mit toute la troupe à la merci des eaux. Madame Godin plongea deux fois, et eut le bonheur d’être sauvée par un de ses freres. Après avoir tous gagné la terre, se voyant sans vivres et sans secours, ils formerent la résolution désespérée de côtoyer à pied la riviere. La [271] lassitude ne tarda pas d’épuiser leurs forces: les freres et le neveu de Madame Godin et ses domestiques furent tous également abattus; il n’y eut pas moyen d’avancer plus loin: des souffrances inouies, jointes à une inanition absolue, conduisirent successivement, en quatre jours de tems, tous ces malheureux au trépas; seule Madame Godin survécut à cette scene affreuse, dont il est plus aisé de sentir que de décrire toutes les horreurs. Après avoir, pendant deux fois vingt-quatre heures, lutté contre cette déplorable situation, ranimant tout son courage et le peu qui lui restoit de forces, elle reprend le projet de côtoyer à pied la riviere, ne prenant d’autre nourriture que les fruits et les racines qu’elle rencontroit; ses vêtemens tout en lambeaux, ses pieds et ses jambes déchirés et criblés par les épines, elle soutient pendant huit jours entiers les pénibles travaux de sa route, et rencontre deux Indiens qui, à sa vue, pénétrés d’une généreuse compassion, la retirent dans leur cabane, lui prodiguent tous les soins dont elle avoit besoin, et la conduisent à une habitation voisine. Elle a le bonheur d’y trouver des amis de son mari qui s’empressent de la recevoir chez eux, de lui procurer tous les moyens de se rétablir, et lui fournissent des commodités pour se rendre à Cayenne, où elle se réunit enfin à l’époux chéri qui étoit l’objet unique de sa malheureuse entreprise et des cruelles épreuves que son courage et sa fermeté venoient de subir.

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