Charlotte d'Albret/Hilarion de Coste
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[I,401] CHARLOTE D'ALBRET (1), DUCHESSE DE VALENTINOIS.
CETTE Princesse que nos Historiens remarquent avoir esté richement ornée des graces d'esprit et de corps, doit avoir son Eloge avec les autres Heroïnes de ces derniers temps. Elle estoit la seconde fille d'Alain sire d'Albret, Comte de Dreux, de Gavre, de Penthevre, et de Perigord, Vicomte de Limoges, et de Tartas, Captal de Buch, et de Françoise de Brosse, de la Maison de Bretagne sa femme (2). Elle eut pour freres Jean d'Albret Roy de Navarre, Prince de Bearn, à cause de Caterine de Foix sa femme, (de laquelle il eut entre autres enfans Henry d'Albret Roy de Navarre, ayeul maternel du Roy Henry le Grand) Amanieu d'Albret Cardinal, Evéque de Pampelonne, Pierre et Gabriel d'Albret decedez en jeunesse, et pour soeurs Anne d'Albret, espouse de Charles de Croy Comte de Cimay, et Isabelle mariée à Jean de Foix Comte de Candale.
Le Roy Louys XII. estant parvenu à la Couronne, desirant de plaire au Pape Alexandre VI. maria la tres belle et tres sage Princesse Charlote d'Albret sa cousine à Cesar Borgia (3), [402] fils naturel d'Alexandre, lequel il avoit eu devant qu'estre Cardinal. Car le Pape Alexandre avoit grandement obligé Louys XII. luy donnant pour la separation de son premier mariage avec Jeanne de France, des Commissaires favorables, Philippe Cardinal de Luxembourg, Louys d'Amboise Evéque d'Alby, et Fernand Ferard Evéque de Septe, lesquels aprés avoir ouy les parties, et fait de grandes inquisitions en faveur de Louys, donnerent sentence à Amboise, par laquelle il fut separé de Jeanne.
Depuis ce temps-là Alexandre et Louys furent de bonne intelligence: et lors Cesar Borgia, qui nagueres avoit quitté le Chapeau de Cardinal, et l'Archevéché de Valence en Espagne, pour faire profession des armes, vint à la Cour de France, où Louys le receut avec beaucoup d'honneur, tant à cause qu'il apporta le Chapeau à George d'Amboise Archevéque de Rouen, premier Ministre de sa Majesté, qu'à raison qu'il fit luy-mesme la recherche de Charlote d'Albret sa parente, qu'il épousa au grand contentement du Roy, lequel outre la dot constituée par Alain d'Albret pere de Charlote, en faveur de ce mariage, donna à Borgia la ville de Valence en Daufiné, erigée en Duché à vie seulement: et deslors Borgia prit le titre de Duc de Valentinois, avec cette devise, AUT CAESAR, AUT NIHIL, c'est à dire, ou Cesar, ou rien, marque de l'ambition dereglée de ce Prince là, qui merite plustost d'estre estimé un monstre, qu'un homme, pour ses vices et ses qualitez brutales: aussi fut-il l'objet de la haine de Dieu et des hommes, et fut tué miserablement dans la Navarre, aprés avoir commis une infinité de maux en Espagne et en Italie, principalement au sac de Capoue. On luy dressa cet epitaphe sur le sujet de sa devise;
Borgia Caesar eram, fastis et nomine Caesar,
Aut nihil, aut Caesar dixit: utrumque fuit.
Le voicy en nostre langue;
Cesar de Borgia j'estois vivant sur terre,
Et non content du nom de ce foudre de guerre,
Qui fit trembler sous soy ce globe terrien,
Je pris audacieux la superbe devise,
Et le Ciel se riant de ma vaine entreprise,
[403] Fit que je fus Cesar, et que je ne fus rien.
Encor cet infortuné Prince est louable de ce qu'il quitta l'Espagne pour venir secourir le Roy Henry son beaufrere, et l'ayder à recouvrer son Royaume de Navarre.
La sage et vertueuse Princesse Charlote d'Albret n'eut pas peu à souffrir avec Cesar Borgia son mary, pour ses mauvaises moeurs et deportemens, lequel ne pût (estant en France) avoir que le seul titre de Duc de Valentinois, à raison de quoy le Roy luy donna une pension de vingt mille francs, avec une Compagnie de cent hommes d'armes entretenue, et les terres et Seigneuries d'Issoudun, et de la Motte Feuilly.
Elle eut de luy une seule fille nommée Louyse Borgia, laquelle Cesar Duc de Valentinois estant allé avec nos François aux guerres d'Italie, elle nourrit et esleva avec un grand soin, digne d'une bonne et prudente mere: aussi Louyse fut en son temps une Dame fort honneste et vertueuse, heritiere des perfections, comme des biens, de Charlote d'Albret sa mere. Que si le dire du Poëte est veritable,
La fille volontiers suit le train de sa mere.
Je n'ignore pas que la pluspart par ce commun Proverbe entendent que les filles issues d'une mere perdue et desbauchée, se prostituent plus facilement; car de trouver des filles chastes sorties d'une mere impudique, c'est un spectacle quasi aussi rare, comme si les chardons portoient des lys: et je le tiens encore plus veritable, que les filles d'une sage et chaste mere, suivent la trace des vertus de leurs meres, et ne se laissent non seulement seduire, mais mesme cajoler, estans trop amoureuses de l'honneur et de la gloire, pour l'estre d'un infame plaisir. Louyse Borgia retint des moeurs et des humeurs de sa mere, Dame aussi chaste, honneste et debonnaire, que le Duc de Valentinois son pere estoit perdu, meschant, et cruel. Et pour ses vertus, Louys Seigneur de la Tremoille, Prince de Talmont, Vicomte de Thouars, tres-fidelle serviteur de nos Monarques, dit le Chevalier sans reproche, estant veuf de Gabriele de Bourbon, de la premiere Maison de Montpensier, la prit pour sa 2. femme, lequel estant decedé à la funeste journée de Pavie, sans laisser des enfans de Louise, elle se remaria avec Philippe de Bourbon, duquel elle eut [404] trois fils et une fille; de l'aisné sont issus les Comtes de Buffet, et Barons de Chaslus. C'est assez parlé de la fille, il faut que je loue les perfections et les merites de la mere, puisque cet Eloge est consacré à sa memoire.
Charlote d'Albret Duchesse de Valentinois a esté sans flaterie une des plus devotes, des plus pieuses, et plus vertueuses Princesses de son temps: Ses delices estoient de vivre et conferer avec les Dames qui faisoient profession de la solide vertu, et de la vraye pieté. Ce fut pour sa devotion que Jeanne de France, cette sainte Princesse, fille et soeur de nos Rois, laquelle aprés avoir esté repudiée par le Roy Louys XII. (qui luy bailla le Duché de Berry, Chastillon sur Indre en Touraine, et Chasteauneuf sur Loire, pour son entretenement durant sa vie) quitta avec la Royauté toutes les vanitez du monde, pour embrasser l'humilité Chrestienne, vaquer à la contemplation, et instituer un Ordre de filles en l'honneur de la sainte Vierge Mere de Dieu, aima Charlote Duchesse de Valentinois, qui faisant son sejour ordinaire à la Mothe Feuilly prés la Chastre en Berry, ou à Issouldun, alloit souvent à Bourges voir et visiter la Reine Jeanne, pour apprendre et recevoir quelque bonne instruction et consolation spirituelle de cette sainte Princesse, Fondatrice de l'Ordre et Convent de l'Annonciade ou des dix Vertus de Nostre Dame, qui pour sa vie sainte, et les continuels miracles que Dieu a faits par son intercession, est appellée Bien-heureuse par l'acclamation publique des peuples, tant François qu'Etrangers.
Cette pieuse Dame eut pour Confesseur, et Directeur de ses exercices spirituels, le Reverend Pere Gilbert Nicolas, dit Gabriel Marie, Religieux de l'Ordre de saint François, personnage bien versé en la science des Saints, qui fut aussi Confesseur de ces deux devotes Princesses, la Reine Jeanne de France Duchesse de Berry, et Marguerite de Lorraine Duchesse d'Alençon, desquelles la memoire est en benediction. Le plus grand plaisir qu'elle recevoit, c'estoit quand quelqu'une de ses Demoiselles ou filles suivantes embrassoit la vie religieuse, et vouloit servir Dieu dans un Monastere. Elle assistoit à leur vesture et à leur profession, leur servant de mere et de mar-[405]raine, s'éjouissant d'avoir donné une nouvelle épouse à JESUS-CHRIST. Es registres ou archives du Convent des Annonciades de Bourges, on lit que la Duchesse de Valentinois assista à la reception d'une de ses filles d'honneur, nommée Anne d'Orval, fille de noble homme Jean d'Orval, et d'Isabeau de Moliter, et qu'elle estoit grandement affectionnée à l'avancement de l'Ordre de la sainte Vierge, estant parfaite imitatrice de la bienheureuse Jeanne.
Charlote d'Albret ayant vécu fort Chrestiennement, tomba malade en sa maison de la Mothe-Feuilly, où elle mourut l'onziéme du mois de Mars de l'an 1514. aprés avoir receu devotement les Sacremens necessaires aux malades. Par son testament elle éleut sa sepulture dans l'Eglise de l'Annonciade de Bourges, où elle fut inhumée devant le grand Autel, et sur sa tombe on lit cet epitaphe.
Cy gist le corps de tres-haute et puissante Dame Madame Charlote d'Albret, en son vivant veuve de tres-haut, et puissant Prince Dom Cesar de Borge Duc de Valentinois, Comte........... sieur d'Issoudun, et de la Mothe-Feuilly, laquelle trépassa à ladite Mothe, le onziéme de Mars 1514.
Les Religieuses de ce devot Monastere disent tous les ans le jour qu'elles celebrent l'Obit et l'Anniversaire de cette Princesse, cet Eloge Latin en son honneur et en sa memoire.
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L'illustre et genereuse Dame Madame Charlote d'Albret, en son vivant Duchesse de Valentinois, passa de cette vie à l'autre, laquelle douée de plusieurs graces, montra par son humilité et sa grande devotion, qu'elle avoit une confiance aux prieres de cette Communauté. Elle y laissa à sa mort plusieurs biens, y éleut sa sepulture, et a merité que tous les Samedis on prie Dieu pour le repos de son ame, és assemblées capitulaires. Elle deceda l'an de Nostre Seigneur 1513.
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Obiit illustris et generosa Domina Carola d'Albret, quondam inclita Ducissa de Valentinois, quae multis dotata gratiis sua humilitate etdevotioneingenti fiduciam habens precibus sanctae Communitatishujus,in sua morte plura bona relinquens, intus sepulturam eligens recommandari in capitulo diebus sabbatinis perpetuò promeruit. Defuncta anno Domini millesimo quingentesimo tertio decimo.
(1) Albret, escartelé au 1. et 4. d'azur à trois fleurs de lys d'or, qui est de France, au 2. et 3. de gueules, qui est d'Albret.
(2) Sainte-Marthe
(3) Borgia, d'or, à un boeuf: les autres disent à une vache passante de gueules, accornée de mesme, posée sur une terrasse de sinople en pointe, à la bordure d'azur, chargée de six ou sept flammes d'or: quelques-uns de cette Maison là ont pris des fleurs de lys au lieu de flammes. Alexandre VI. et autres ont porté party de Borgia, et de Lenzolia, qui est fascé d'or et de sable de six pieces.