Didon

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Didon
Didon-Sacchi-Caen.jpg
Biographie
Naissance IXe siècle av. J.C.
Région d'origine Tyr
Langues phénicien
Dénomination(s) Dido
Didon
Elissa
Elyssa
Elisa
Activités
Domaines de notoriété Fondatrice et reine de Carthage, amante d’Enée




Sources antiques principales

Dans l’Antiquité coexistent deux versions de la légende de Didon. La première, dite « historique », rapportée par l’historien grec Timée (IIIe s. av. J.C.) et reprise par Trogue Pompée dans ses Historiae Philippicae à l’époque d’Auguste, nous est connue par l’Épitomé qu’en a réalisé Justin au début du IIIe siècle (XVIII, 4-6). Elissa, surnommée Didon, « l’errante », princesse phénicienne et fille du roi de Tyr, a fui son pays après l’assassinat de son mari Acerbas par son frère Pygmalion. Débarquée sur les côtes de l'actuelle Tunisie vers 814 av. J.-C., elle achète une parcelle de terre pouvant être contenue dans une peau de bœuf, ruse qui lui permet, en mettant bout à bout les lanières de la peau découpée, de délimiter le terrain de Carthage. Exigée en mariage par le prince indigène Hiarbas, qui menace la cité, elle se suicide sur un bûcher pour rester fidèle à la mémoire de son époux. La deuxième version, « poétique », de sa légende, est celle qu’en donne Virgile, qui métamorphose dans l’Énéide (I, IV et VI) cette figure de souveraine exemplaire en la faisant tomber amoureuse du Troyen Enée, naufragé sur les côtes libyennes. Devenue l’amante du héros, Didon se donne la mort au départ de celui-ci pour l’Italie sur l’ordre des dieux, par désespoir amoureux et par remords d'avoir été infidèle à son époux Sychée. En mourant, cette femme aux vertus viriles (d’après Servius, In Aeneidos commentarius, IV, 36, Didon signifierait virago en langue punique), appelle les Carthaginois à la venger, annonçant les guerres puniques.


Article de Sandra Provini, 2014

Le chant IV de l’Énéide a été lu très tôt de façon autonome. Ovide en propose, dans la septième de ses Héroïdes, une réécriture qui fait de l’épistolière une amoureuse blessée et gomme sa dimension historico-politique. Dans l’Antiquité tardive, Augustin témoigne de l’engouement suscité à Rome par ce roman d’amour (Confessions, I, 13, 21), s’accusant d’avoir pleuré sur Didon, morte pour avoir aimé Énée. Mais le récit virgilien n’a pas fait oublier la version « historique », reprise par Tertullien puis par Jérôme qui font de l’héroïne, pudica et univira, un modèle de fidélité conjugale à l’appui de leur condamnation du remariage.

Au Moyen Âge, tandis que le Roman d’Eneas (c. 1160), adaptation de l’Énéide, renchérit avec Ovide sur la description des ravages de la passion dans le cœur de Didon, Boccace, dans le De mulieribus claris (1361-1362), montre en celle-ci une veuve exemplaire, modèle de constance, de chasteté et de vertu. Christine de Pizan associe la version de Boccace à celle de Virgile dans la Cité des dames (1405) pour faire de Didon un exemple des vertus de prudence, comme femme politique pleine de discernement (I, 46), et de droiture, comme amante loyale d’Énée (II, 55). Par ailleurs, dans les commentaires allégoriques de l’Énéide, Didon devient une figure de la libido, le désir auquel est confronté l’homme dans son itinéraire de formation (Fulgence, Expositio Virgilianae continentiae, fin Ve-début VIe s.) ou contre lequel lutte l’âme humaine (Commentum super sex libros Eneidos Virgilii, XIIe s., attribué à Bernard Silvestre). Dans ses Disputationes camaldulenses (c. 1472), l’humaniste italien Cristoforo Landino souligne le double statut de Didon, à la fois reine et amoureuse, et opère la synthèse des deux images de la Phénicienne : si Didon est vertueuse et décidée à résister à l’amour, sa volonté se révèle impuissante face aux attraits de la voluptas.

La Renaissance hérite de cette tradition multiple. Le De mulieribus claris, imprimé en français dès 1493, nourrit les nombreuses Vies de femmes illustres durant la « querelle des femmes » au XVIe siècle. En 1552, Du Bellay constitue un « dossier Didon » qui réunit ses traductions du chant IV de l’Énéide, de l’Héroïde d’Ovide et d’une épigramme attribuée à Ausone consacrée à la reine chaste de la tradition (IVe s. ap. J.C.), pour rétablir « la verité de l’hystoire de Didon » et « reparer son honneur ». Par ailleurs, le commentaire de Landino, en soulignant l’incompatibilité du rôle politique et du statut d’amante de la Didon de Virgile, personnage tragique dominé par sa passion, ouvre la voie à de nombreuses réécritures du chant IV de l’Énéide sous forme de tragédie ou de tragédie lyrique : du XVIe au XXe siècle, on compte une quinzaine d’adaptations scéniques en France, et des dizaines d’autres en Europe. Didon se sacrifiant de Jodelle (c. 1553) place pour la première fois le personnage de Virgile sur la scène française, en lui attribuant un sentiment de culpabilité qui fait sa grandeur tragique. Les pièces ultérieures (Scudéry, 1637 ; Lefranc de Pompignan, 1734) remettent au premier plan son statut de souveraine, pour proposer une réflexion politique sur les responsabilités du monarque et son devoir de maîtrise de soi. Le traitement du personnage dans les réécritures burlesques du chant IV de L’Énéide, sous la plume de Furetière (1648) ou de Scarron (1649), fait aussi écho aux préoccupations politiques du temps, la Didon de Scarron passant pour une caricature d’Anne d’Autriche dans le contexte de la Fronde. Si la Didon virgilienne a ainsi largement supplanté la Didon « historique », le souvenir de celle-ci subsiste cependant au XVIIe siècle, comme en témoigne La vraye Didon ou La Didon chaste de Boisrobert (1643) qui élimine Énée pour représenter la confrontation de Didon, fidèle à Sychée, avec Iarbas.

Au XVIIIe siècle, la légende se teinte de couleurs sentimentales, Le Fuel de Méricourt mettant en scène une Didon heureuse (1776), titre qui sera aussi celui d’une nouvelle de Jules Lemaître, Felix Dido, Anna Felix (1905), qui voit Didon, remise de son chagrin, épouser Iarbas. Le même dénouement heureux avait été donné par Francesco Cavalli à la première mise en musique de l’épisode, La Didone (Venise, 1641). Une centaine d’œuvres lyriques ont suivi jusqu’aux Troyens de Berlioz (1863), en passant par Dido and Aeneas de Purcell (1689), la grande majorité d’entre elles reprenant le livret de Pietro Metastasio (Didone abbandonata, 1724).

Dans le domaine pictural enfin, c’est la version virgilienne qui a prévalu durant toute la période considérée. Selon l’inventaire établi par Michel Hano, sur quatre-vingts cycles et tableaux isolés consacrés aux amours de Didon et d’Enée, près du tiers illustre le suicide de l’héroïne.

Textes anciens concernant Didon

Boccace, Giovanni : Les femmes illustres (De mulieribus claris [1361-1362]), texte établi par Vittorio Zaccaria, traduction, introduction et notes de Jean-Yves Boriaud,  Paris, Les Belles Lettres, 2013.

Delmas, Christian (dir.): Didon à la scène (Scudéry, Boisrobert), Toulouse, Société de littératures classiques [Collection des rééditions de textes du xviie siècle], 1992.

Du Bellay, Joachim : « A Jean de Morel », Œuvres complètes, Tome III, 1551-1553, éd. de Marie Dominique Legrand, Michel Magnien, Daniel Ménager et Olivier Millet, Paris, Classiques Garnier, 2013.

Fulgence : Virgile dévoilé, traduit, présenté et annoté par Étienne Wolff, postface de Françoise Graziani, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009.

Jodelle, Étienne : Didon se sacrifiant, édition critique établie, présentée et annotée par Jean-Claude Ternaux, Paris, Champion [« Textes de la Renaissance » n° 62], 2002.

Landino, Cristoforo : Disputationes Camaldulenses, éd. Peter Lohe, Florence, G.C. Sansoni, 1980.

Ovide : Héroïdes, texte établi par Henri Bornecque et trad. par Marcel Prévost, Paris, Les Belles lettres, 1991.

Pizan, Christine de : La Città delle Donne, texte en moyen français de la Cité des dames [1405] établi par Earl Jeffrey Richards, trad. italienne de Patrizia Caraffi, Milan, Luni Editrice, 1997, rééd. 1998 et 2004 [Il s’agit de l’édition scientifique la plus récente] ; Le Livre de la Cité des dames, trad. et introd. par Éric Hicks et Thérèse Moreau, Paris, Stock, 1986, rééd. 1992.

Le Roman d’Eneas, éd. critique, trad., présentation et notes d'Aimé Petit,  Paris, Librairie générale française, 1997.

Silvestre, Bernard : Commentum super sex libros Eneidos Virgilii, éd. J. W. et E. F. Jones, Lincoln et Londres, University of Nebraska Press, 1977 (édition et traduction de Francine Mora et Sophie Albert à paraître aux Presses universitaires du Septentrion).

Virgile : Énéide, texte établi par Jacques Perret et traduit par Paul Veyne, Paris, Les Belles Lettres, 2013.


Bibliographie sélective

Berriot-Salvadore, Évelyne (dir.) : Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Actes de la journée d’études organisée le vendredi 10 janvier 2014 à l’Université de Montpellier III, à paraître.

Biet, Christian : « Énéide triomphante, Enéide travestie. Virgile au siècle classique », Europe, 1993, p. 130-144.

Clavier, Tatiana : « L’exemplarité de Didon dans les Vies de femmes illustres à la Renaissance », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, n° 30, 2009, p. 153-168.

Desmond, Marilynn : Reading Dido : Gender, Textuality, and the Medieval Æneid, Minneapolis-Londres, Minnesota U.P., 1994.

Lord, Mary Louise : « Dido as an Example of Chastity : The Influence of Example Literature », Harvard Library Bulletin, n° 17, 1969, p. 22-44 et p. 216-232.

Martin, René (dir.) : Énée et Didon. Naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, Paris, CNRS, 1990. Voir notamment les inventaires des œuvres littéraires, scéniques et cinématographiques, par René Martin, et des œuvres picturales, par Michel Hano, et les articles de Michel Hano, Michèle Ducos et Jean-Marie Poinsotte.

Monfrin, Jacques : « L’histoire de Didon et Énée au XVe siècle », Études littéraires sur le XVe siècle, Actes du Ve colloque international sur le moyen français, Milan 6-8 mai 1985, t. III, Milan, 1986, p. 161-197.

Ruff, Nancy : « Regina, meretrix and libido : The Medieval and Renaissance Dido », Acta Conventus neo-latini Hafniensis. Proceedings of the Eighth International Congress of Neo-Latin Studies, Copenhagen, 1991, dir. A. Moss et alii, Binghamton (N.Y.), Medieval and Renaissance texts and studies, 1994, p. 875-881.

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