Louise Bourgeois/Aloïs Delacoux
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[44] BOURGEOIS (LOUISE dite BOURSIER), maîtresse sage-femme jurée de la ville de Paris, accoucheuse de Marie de Médicis, seconde femme de Henri IV; née à Paris en 1580, de parens honnêtes et aisés. Ayant reçu une meilleure éducation que celle que recevaient les jeunes personnes de la bourgeoisie d’alors, Louise Boursier fut recherchée par cela même par un chirurgien (Surgean) des armées, et l’épousa. Après des revers de fortune causés par les dissensions politiques et les guerres civiles qui précédèrent l’avènement d’Henri IV au trône de France, et déjà avancée en âge, Louise Bourgeois se décida à apprendre l’art de sage-femme, moins par vocation que d’après les conseils d’une matrone qui lui dit: «Que si elle eût su lire et écrire comme elle, elle eût fait des merveilles.»
Louise Bourgeois vainquit toutes les répugnances que lui avait fait naître l’idée de porter des enfans au baptême, comme elle l’avoue, et se résigna en faveur de sa famille, ainsi qu’elle le dit: «Me treuvant embarquée dans un menage, chargée d’enfans, accablée de guerre et de perte de biens, la sage Phanerote, mère de ce grand philosophe Socrate, prit pitié de moy, me consola et conseilla d’embrasser les sciences, me représentant que toutes choses concouroient à bien pour moy, la croyant; que à cause d’elle, dont je serois fille adoptive, tous les disciples de son fils Socrate me seroyent favorables; que mon mary qui exerçoit les oeuvres manuelles de chirurgie me guideroit.» Son mari lui ayant donné les [45] premières notions en anatomie, elle se mit à étudier dans Paré, et devint bientôt aussi capable que la plupart des sages-femmes et accoucheurs d’alors. De petites gens à autres, elle parvint en peu de temps à être employée grandement, et pratiqua pendant cinq ans avant d’être reçue jurée. Le mérite porte toujours ombrage, et ce ne fut point sans difficultés qu’elle obtint ses grades. Le jury de réception se composait d’un médecin, de deux chirurgiens et de deux sages-femmes. Pour démontrer que dans tous les temps la jalousie et l’envie furent l’apanage d’une profession qui devrait être toute de charité chrétienne et d’humanité, laissons parler Louise Bourgeois de toutes les tribulations qui lui furent suscitées par les examinatrices. «Les deux sages-femmes étoient la dame Dupuis et la dame Peronne; elles me donnèrent jour pour aller les trouver ensemble, elles m’interrogèrent de quelle vocation étoit mon mary, ce que sachant, elles ne vouloient pas me recevoir, au moins madame Dupuis, qui disoit à l’autre: ‘Par Dieu, ma compagne, le coeur ne me dit rien de bon pour nous! Puisqu’elle est femme d’un Surgean, elle s’entend avec ces médecins comme coupeurs de bourses en foire; il ne nous faut recevoir que des femmes d’artisans qui n’entendent rien à nos affaires.’ Elle me disoit (la dame Dupuis) que mon mary me devoit nourrir sans rien faire.»
Après sa réception, Louise Bourgeois continua à pratiquer, et successivement passa des classes inférieures à la bourgeoisie, parvint jusqu’aux princesses, et fut choisie par la reine même pour l’assister dans ses premières couches, et l’aida, en moins de neuf ans, à mettre six enfans au monde. Ce ne fut point sans peine qu’elle parvint à l’honneur d’accoucher la reine, puisque déjà la dame Dupuis avait été choisie et agréée [46] par le roi pour remplir ses hautes fonctions. Ce fut à madame Conchini, depuis l’infortunée maréchale d’Ancre, que Louise Bourgeois dut cette faveur. Tout prouve en effet qu’elle était digne de remplir les nobles fonctions qui lui furent confiées; car elle montra, à la naissance du Dauphin, autant de fermeté, de présence d’esprit et de caractère que d’habileté. Nous regrettons de ne pouvoir rapporter ici toutes les circonstances de cet événement qu’elle fait connaître dans la deuxième partie de son ouvrage, qui a pour titre: Observations diverses sur la stérilité, perte de fruit, fécondité, accouchement, et maladies des femmes et enfans nouveau-nés.
L’ouvrage de Louise Bourgeois, dont il y a plusieurs éditions, parle de diverses espèces d’accouchemens terminés de la manière dont l’enfant se présente. Ce qu’elle dit des fausses couches prouve une grande sagacité; les signes de la grossesse y sont exposés avec beaucoup de précision; enfin, cet ouvrage est écrit avec une franchise et une ingénuité qui ne permettent pas de douter que l’auteur n’y ait mis tout ce qu’on pouvait savoir de son temps.
La plus grande obligation qu’ait l’art des accouchemens à Louise Bourgeois, c’est d’avoir enseigné à remédier aux pertes qui arrivent sur la fin de la grossesse et qui sont causées par le décollement de quelques points du placenta; c’est à elle qu’on est redevable de cette découverte. Il est étonnant que la multitude d’écrivains qui ont paru depuis Bourgeois ne lui aient point fait honneur de cette découverte. Il semble pourtant que ce qu’elle a dit à ce sujet valait bien la peine qu’on en parlât. «Quand une femme, dit-elle, chap.V, a une perte de sang démesurée sur sa grossesse, dont elle [47] tombe en défaillance, il faut venir à l’extraction de l’enfant avec les mains. Cela fut fait en la femme d’un conseiller de la cour du parlement, laquelle étoit grosse de six mois. Son enfant vécut deux jours. Elle a porté d’autres enfans depuis; les médecins recongnurent que si on eût différé une heure, la mère et l’enfant étoient morts; moi, congnoissant que le flux de sang n’est entretenu que par la grossesse, l’ayant vu cesser aussitôt que la femme a été accouchée, je mis cette pratique en avant, laquelle j’ai congnue trop tard, à mon gré, pour la conservation de madame d’Aubray, madame la duchesse de Montbazon, etc.»
Louise Bourgeois ne possédait pas seulement toutes les connaissances qu’on avait droit d’exiger des personnes qui exerçaient l’art des accouchemens, mais encore la littérature ne lui était pas étrangère. Sans être poète, elle a placé à la tête de son livre quelques pièces de vers dans le genre marotique, qu’on lit avec plaisir, de même que tout son livre. Rien de plus touchant, de plus moral que l’instruction à sa fille, qui se destinait aussi à la profession de sage-femme. Qu’il nous suffise de rapporter quelques-uns des préceptes que renferme cette instruction véritablement curieuse sous le rapport des principes et de la diction. «Je vous dirai donc que toute personne de jugement ne doit ignorer ce qui est bon... Je vous exhorte de vous rendre soigneuse de tout ce qui est du vostre... Je vous dirai, afin que vous suiviez mes préceptes, que vous êtes enfant de famille..., que le corps entier de la médecine est dans nostre maison... Apprenez jusqu’au dernier jour de vostre vie, et pour ce faire facilement, il faut une grande humilité, car les personnes orgueilleuses ne gagnent pas le coeur de ceux qui savent des secrets... Je vous dirai que ce que vous [48] avez entrepris est de merveilleuse importance, et qu’en cet art il y a deux chemins à tenir, l’un pour se sauver, l’autre pour se damner. Celles qui ont faict le mal et ceux qui en cherchent le damnable remède sont cruellement méchans; mais c’est toute autre méchanceté à celles qui, n’étant aucunement engagées dans cette affaire, pour de l’argent tuent le corps et l’ame d’un enfant. Lorsque vous serez appelée en une maison, fussent les plus pauvres gens du monde, servez-les de mesme affection que si vous en deviez recevoir grande récompense... Je vous dirai encore, ma fille, qu’il ne faut point vous estonner de voir mépriser l’état de sage-femme, ny que cela vous refroidisse d’en rechercher les perfections, lesquelles sont incompréhensibles à celles qui les méprisent, ny ne vous estonner si vous voyés en cet estat des personnes si indignes du nostre; cela n’amoindrit le savoir ny l’honneur de celles qui le méritent. Cela vient que ceux qui les reçoyvent pour de l’argent, sont comme les hostelliers de village qui attachent des asnes et des rosses avec de bons chevaux... Ne vous estonnez jamais de rien si quelque chose ne va pas bien, car l’épouvante trouble les sens... Il se trouve bien peu de femmes qui affectionnent leurs sages-femmes comme elles faisoient le temps passé, que quand les sages-femmes mouroient, elles en menoient grand deuil; maintenant plusieurs s’en servent comme d’une femme de vendange... Vous irez en des maisons où il se trouve des personnes qui fournissent à la maîtresse de la maison des lunettes qui font voir ce qui n’est point, prenés-y bien garde, cela ne vous coûte rien qu’un peu de soin.»
Cette instruction de Louise Bourgeois à sa fille est un système de conduite dicté par un esprit bien au-dessus du [49] vulgaire. C’est un tableau fidèle de sa profession, qui prouve évidemment qu’en fait de morale pratique, au XVIe siècle, le monde était ce qu’il est aujourd’hui. À part quelques formules bizarres et le conte de l’oie et de la chienne, le livre de Louise Bourgeois est instructif, plein d’intérêt, et une oeuvre de bonne foi. La dignité avec laquelle cette femme célèbre exerça sa profession, son savoir et son habileté, lui méritèrent tout ce que la société accorde aux personnes supérieures; à la ville comme à la cour elle fut honorée et estimée. En témoignage de reconnaissance, pour lui donner une marque de sa confiance et de son estime, la reine Marie de Médicis la décora du chaperon de velours. C’est la première accoucheuse qui obtint cet insigne honorifique; car les deux sages-femmes de Catherine de Médicis n’avaient porté que le collet de velours et la chaîne d’or. À la naissance de son sixième enfant, Henri IV fit une pension de trois cents écus à Louise Bourgeois et pourvut d’une charge chacun de ses deux fils.
Quelques sages-femmes, après avoir lu la deuxième livraison de ce Recueil, ont trouvé hors de propos que nous ayons parlé si longuement de Louise Bourgeois, de la première accoucheuse de son siècle; il en est même qui, sous le rapport du savoir, la mettent bien au-dessous des sages-femmes les plus vulgaires de notre époque. Ces réflexions de mauvais goût, qui dénotent autant d’ignorance que d’absurdité, ne sauraient appartenir aux personnes qui les ont exprimées; elles ont été insinuées, comme tant d’autres que nous ne relèverons point, par quelques-uns des antagonistes nés des sages-femmes, qui, depuis l’annonce et l’apparition de cette Biographie, n’ont rien épargné pour déprécier un [50] travail dont le but est de rehausser la seule profession dont les femmes soient en possession. Pour faire justice des réflexions qu’expriment quelques dupes à l’égard du livre de Louise Bourgeois, il suffira de placer ici comme preuve de la haute idée qu’on avait de son mérite, le sonnet qu’à l’intention de l’auteur composa un poëte de son temps, S. Hacquin:
Que n’ay-je maintenant ainsi que je desire,
D’un Desportes mignard le langage affecté,
Que ne suis-je un Ronsard, ou bien que n’ay-je esté
Sur le mont d’Helicon où Phoebus se retire;
Afin qu’ayant appris la façon de bien dire,
Plein de sainte fureur et de divinité,
Je peusse ce jourd’huy à toute éternité
Marier tes vertus aux chansons de ma lire.
Muses, modérez-vous, n’aspirez point si haut,
N’imitez point celui dont l’effroyable saut
Éternise son nom par une chute étrange.
Vous ne possédez rien digne de son autel;
Pour louer cette Dame et son oeuvre immortel,
Il faut l’esprit d’un Dieu et la plume d’un ange.
Le monde en général ne fut jamais trop généreux envers les sages-femmes; il fallait donc que Louise Bourgeois fût bien supérieure à celles de son temps pour mériter de telles louanges. Ce qui prouve qu’elle n’était point simplement une matrone habile, mais encore une femme lettrée, ce sont les diverses épîtres qui se trouvent en tête de ses livres, adressées à plusieurs grandes dames et à plusieurs médecins de son temps.