Anne-Louise Morin du Ménil/Fortunée Briquet
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BEAUMONT, (Anne-Louise Morin du Menil, Dame Élie de) née à Caen, en 1729. Les qualités du coeur et de l'esprit furent son apanage. Elle unissait beaucoup de douceur à une gaieté charmante, qu'elle dut sans doute aux actions de bienfaisance qui remplirent le cours de sa vie. Le ciel lui départit
Le talent d'embellir les plus petites choses,
Et, sur ce qui déplaît, l'art de semer les roses.
L'on ne sortait point de sa conversation, sans se trouver plus d'esprit qu'on ne croyait en avoir.
Elle avait trente ans, lorsqu'elle épousa M. Élie de Beaumont. Il était sans fortune, et rien alors ne présageait la célébrité qu'il a depuis obtenue. On raconte une anecdote qui peut donner une idée du caractère de Madame Élie de Beaumont. Elle était presque sans dot; car, d'après la coutume de Normandie, son frère enlevait les deux tiers des biens de sa famille. Quelques mois avant son mariage, ce frère mourut: alors ses parens voulurent la contraindre à renoncer à l'établissement projeté; mais ce fut en vain. Elle persista dans sa résolution, en disant: que M.Élie de Beaumont l'ayant choisie tandis qu'elle avait peu de fortune, elle était charmée d'en avoir une plus considérable à lui offrir.
En 1777, elle participa avec son époux à l'institution de la Fête des Bonnes-Gens, qu'ils créèrent à Canon, en Normandie. Quoiqu'ils fussent parmi leurs vassaux, quand cette fête se célébrait, ils oubliaient leur dignité, pour ne s'occuper que de celle de la vertu. Madame Elie de Beaumont mourut à Paris le 12 janvier 1783.
Elle ne mettait jamais son nom à ses ouvrages. On ignore le motif qui l'a portée à se couvrir du voile de l'anonyme: cependant, on se plaît à croire qu'elle y a été déterminée, plutôt par un excès de modestie, que par le préjugé qui condamne les femmes à ne point écrire. Cette conduite lui a dérobé une partie de la reconnaissance que lui devait le monde littéraire. Sa gaieté lui suggérait quelquefois des im-promptu pleins de sel et de finesse. La délicatesse et le goût caractérisent les chansons qu'elle a composées. On ne pourra juger par le quatrain suivant:
Si de Rubens imitant la magie,
La toile eut pu s'animer sous mes doigts,
Quel beau portrait j'aurais fait de ma vie!
Je l'aurais peinte ainsi que je la vois.
M. Elie de Beaumont se fit peindre, tenant dans sa main un papier sur lequel sont écrits les vers qu'on vient de citer.
Il suffirait, pour la gloire de Madame Elie de Beaumont, d'avoir composé les Lettres du marquis de Roselle, 1764, 2 vol. in-12. Il a paru plusieurs éditions de ce roman. Le sujet a le mérite d'être fondé sur la vérité. L'auteur n'a point voulu qu'un fait, destiné à n'être pas connu, et dont cependant la publicité pouvait être utile à la société, restât caché dans l'ombre du mystère. Cette estimable production respire la morale la plus pure. En joignant à la lettre 136 de ce roman, les Lettres de Madame de Maintenon à Madame la duchesse de Bourgogne, et les Avis d'une Mère à sa Fille, par Madame de Lambert, on aurait un Traité complet sur la conduite que doit tenir une femme. En 1765, M.Desfontaines donna au Public les Lettres de Sophie et du chevalier de ***, pour servir de supplément aux Lettres du marquis de Roselle, deux parties in-12.
Madame de Tencin n'avait écrit que les deux premières parties du roman historique, intitulé: Anecdotes de la cour et du règne d'Édouard II, roi d'Angleterre, 1776, 3 parties in-12. Ses héritiers chargèrent Madame Elie de Beaumont de le finir. Elle le termina sans avoir aucuns renseignemens sur le plan de Madame de Tencin, et sans autres matériaux que l'Histoire d'Angleterre. Cet ouvrage offre des situations intéressantes, des pensées fines et délicates, et le style, à quelques négligences près, est facile et naturel. Madame Elie de Beaumont a si bien saisi la manière d'écrire de Madame de Tencin, que, sans l'avertissement de l'éditeur, on ne soupçonnerait pas que deux personnes ont eu part à ce roman.
Le mérite littéraire de Madame Élie de Beaumont était si bien établi, que le public prétendit qu'elle travaillait aux ouvrages de son époux. Ce qui donna lieu à cette conjecture, avait l'apparence de la vérité: on rapporte en effet, qu'après sa mort, on ne trouva plus le même feu dans les ouvrages de cet avocat célèbre.
Cependant une personne, M. Serain (1), qui a demeuré quinze ans avec Madame Elie de Beaumont, assure qu'elle n'avait jamais eu connaissance des Mémoires de son époux qu'après leur impression; et que si, dans les dernières années de la vie de M. Elie de Beaumont, ses écrits avaient moins de mérite, il faut l'attribuer à la multitude de ses affaires, qui ne lui permettaient pas de relire ses productions, car ordinairement il suivait ce précepte de l'Horace Français:
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez:
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
(1) P. E. Serain, auteur de plusieurs ouvrages, entr'autres, de la Bibliothèque du Père de Famille.