Madeleine Luillier/Hilarion de Coste
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[II,222] MAGDELAINE LUILLIER, DAME DE SAINTE BEUVE (1), Fondatrice des Reverendes Ursulines à Paris.
MADEMOISELLE de sainte Beuve estoit tres-noble, tant du costé de son pere que de celuy de sa mere; car elle estoit fille de Jean Luillier Seigneur de Boullencour, de Chanssenay, et Angeville, President des Comptes; et de sa seconde femme Renée Nicolai, fille d'Aimar Nicolai, et d'Anne Baillet, issue de celle de Montmorency.
La Maison des Luilliers est l'une des plus nobles et des plus anciennes de Paris. Elle a donné à l'Eglise Jean Luillier 87. Evéque de Meaux, Docteur et Proviseur de la Maison de Sorbonne, qui fut aussi grand Aumosnier de France: au Conseil plusieurs Maistres des Requestes; au Parlement un Procureur general, et plusieurs Conseillers; à la Chambre des Comptes quatre Presidens; et à la Cour des Aydes un premier President. Elle a esté alliée par mariage, non seulement aux premieres et plus anciennes Maisons de la ville capitale, mais aussi à plusieurs et illustres Maisons de ce Royaume.
Celle de Nicolai (2) n'est pas moins noble et ancienne, et a cet avantage sur plusieurs autres illustres Maisons, que ceux de cette famille ont il y a plus de six vingts ans dignement exercé la charge de Premier President en la Chambre des Comptes de Paris; marque signalée, autant du bon-heur que du merite de ces illustres personnages Jean, Aymar, Antoine, Jean, et Antoine (qui s'en acquite maintenant avec honneur:) laquelle est passée par eux comme par une succession legitime.
[223] Elle avoit tant de parens, tant de freres et de soeurs, tant de neveux et de nieces, soit du costé paternel, soit du maternel, qui avoient l'un et l'autre esté mariez plusieurs fois, que je serois trop long si je les voulois rapporter; car Monsieur son pere avoit épousé en premieres noces Anne Hennequin, fille de Michel Hennequin sieur de Cury et de Caterine Gobaille (3): et sa mere Renée Nicolai, Dreux Hennequin premier President de la Chambre des Comptes à Paris: c'est pourquoy je nommeray seulement icy ses freres et ses soeurs.
Elle eut pour soeurs germaines Gabrielle Luillier, femme de François de Marseilly sieur de Maisons, Maistre des Comptes, et Renée Luillier, femme de Jean l'Allemant sieur de Marmagne Grand Audiencier de France.
Elle eut pour freres et soeurs paternelles Eustache Luillier President des Comptes, mort à marier; Nicolas Luillier sieur de Saint Mesmin Lieutenant Civil, puis President des Comptes, qui épousa Charlote de Livre: Marie Luillier femme de Louys Preud'homme sieur de Fontenay en Brie, Tresorier de l'Epargne: Jeanne Luillier, femme d'Antoine Nicolai premier President de la Chambre des Comptes: et Caterine Luillier épousa Thibault Nicolai sieur de Bournonville Conseiller de la Cour, puis N. de Saint André sieur de Montbrun President des Enquestes: puis Thibault Baillet sieur de Tresmes Bailly du Palais.
Elle eut pour freres uterins Antoine Hennequin (4) sieur d'Assy et de Chansenay President aux Requestes: Oudart Hennequin sieur de Chantereines Maistre des Comptes: René Sieur de Sermoises Maistre des Requestes: Aymar Hennequin Evéque de Rennes: Nicolas sieur du Fay, Maistre d'Hostel du Roy: Hierôme Hennequin Evéque de Soissons: Jean sieur de Mannevre Tresorier de France à Soissons, qui n'a point esté marié. Et pour soeurs uterines Anne Hennequin, femme de Monsieur le President de Hacqueville, mere de feu Monsieur le President d'Ozenbray, et de feu Monsieur l'Evéque de Soissons: Marie Hennequin, femme de Jean Courtin (5) sieur de Rosay, qui est decedé Doyen des Conseillers du Parlement, (dont elle a trois fils Maistres des Re-[224]questes, un Chevalier de Malte, et Madame la Marquise de Bauve): et Jeanne Hennequin Religieuse à Fonteine.
Cette bonne naissance n'estoit que la moindre qualité qui fust en elle; d'autant que l'esclat et la splendeur de ses vertus la surpassoient de beaucoup. Tout le cours de sa vie a esté irreprochable, comme sçavent ceux qui l'ont connue; car elle estoit sobre, chaste, pieuse, affable, debonnaire, liberale, religieuse, et craignant Dieu.
Elle épousa à l'aage de 18. ans Monsieur Claude le Roux (6) sieur de sainte Beuve, Conseiller du Roy en sa Cour de Parlement, issu de la noble Maison des le Roux de Rouen, qui a donné plusieurs Conseillers et Presidens au Parlement de Normandie, entre autres Messieurs de Bouteroude et de Saint Aubin: elle ne demeura en mariage que deux ou trois ans.
Aprés la mort de son mary, dont le corps estoit encor sur la paille, elle prit une forte resolution de ne se marier jamais, qu'elle a bien gardée, quoy que plusieurs grands et avantageux partis se soient presentez pour l'épouser.
Elle retourna avec sa mere Madame de Boulancour, qui estoit l'une des plus sages et des plus vertueuses de son temps, et cette jeune veuve sa fille estoit douée d'une rare beauté, accompagnée d'une grande sagesse. Sa bonne mere l'avoit si bien élevée à toutes sortes de vertus, qu'elle ne l'avoit pas laissé tomber dans les vices ordinaires de la jeunesse, comme est le mensonge; aussi souvent on luy a ouy dire qu'il ne luy estoit jamais eschappé qu'un mensonge, dont sa mere l'ayant corrigée elle n'y estoit plus retournée. Elle desiroit cette mesme candeur et nayveté avec celles qu'elle frequentoit; et c'estoit ce qu'elle recommandoit le plus aux Meres Ursulines, qu'elles enseignassent aux jeunes filles sur toutes choses d'aymer la verité, et de haïr le mensonge; et mesme elle n'aymoit pas les paroles exaggerantes, et desiroit que l'on dist les choses comme elles estoient, et reprenoit les servantes et autres qui la conversoient familierement quand elles en disoient.
Quant à son esprit et à son jugement, il estoit des meilleurs qui se peuvent trouver, aussi estoit-elle souvent con-[225]sultée des hommes doctes et de grande vertu, et estimée des plus grands personnages de son temps, tant Religieux que seculiers; et aussi de la pluspart des Princesses qui l'avoient d'ordinaire en leur compagnie, parce qu'elle les portoit aux oeuvres de pieté et de charité; ce qui n'empeschoit pas neantmoins qu'elle ne receust avec douceur et cordialité les pauvres qui s'adressoient à elle pour estre secourus en leurs necessitez, ou qui la prioient de les assister en la recommandation de leurs procés; elle ne les éconduisoit jamais, et écrivoit fort librement en leur faveur, et lors qu'ils avoient besoin de son assistance, tant pour l'ame que pour le corps, elle y apportoit toutes sortes de remedes qu'elle pouvoit, soit par elle, ou par autruy; elle a mesme souvent contribué à la conversion des Heretiques, se servant en cette rencontre du Reverend Pere Jean Gontery, de la Compagnie de JESUS, et de Dom Raymond de Saint Bernard de l'Ordre des Feuillans.
Cette charitable Demoiselle n'a pas seulement reussi heureusement pour la conversion des errans, mais aussi pour le salut de plusieurs personnes qui estoient en tres-mauvais estat.
Quelques Religieux ne pouvant pas perseverer en l'austerité de leurs Regles, et garder assez exactement les constitutions de leurs Ordres, eurent recours à elle pour ménager leurs sorties avec leurs Superieures, et avoir leurs dispenses de Rome; ce qu'elle fit avec une grande prudence et une adresse incroyable, en sorte qu'elle en vint à bout, et les laissa en bon chemin.
Une fois une fille s'estant voulu retirer du vice où elle se perdoit, elle eut recours à cette Dame qui luy tendit la main charitablement pour la relever, et afin de le faire entierement, elle tira de sa bourse huit cens escus pour la pourvoir; ce qu'elle fit avec tant de charité, que depuis elle a dit plusieurs fois qu'elle avoit receu une consolation sensible à secourir cette ame là, luy semblant que ces huit cens escus là luy avoient servy pour appliquer le Sang et les merites du Fils de Dieu, pour laver et sauver cette pauvre creature.
Son zele au salut des ames estoit si grand, qu'elle n'a [226] rien épargné pour le procurer: elle en a laissé deux marques memorables; l'une en l'establissement du Novitiat des Peres Jesuites au faux-bourg Saint Germain, qu'elle fit faire par l'un de ses cousins (7), à quoy elle employa aussi liberalement son industrie et ses moyens. L'on void maintenant l'Eglise de cette Maison de Probation de la Compagnie de JESUS, que Monsieur de Noyers Secretaire d'Estat a fait bastir d'une belle architecture à la Dorique, en l'honneur de Dieu et du grand saint François Xavier Apostre du Japon et des Indes.
L'autre a esté l'establissement des Meres Ursulines, tant du faux-bourg saint Jaques, et de sainte Avoye, qu'elle a fondées, que du Monastere de Saint Denys où elle a beaucoup contribué. Et pour avoir moyen de les assister et secourir, elle vendit ses chevaux, ses tapisseries, sa vaisselle d'argent, et tous ses autres meubles, pour en faire des ornemens d'Eglise. Elle se mit elle-mesme à travailler à toutes sortes d'ouvrages, tant pour parer ces Eglises là, que les autres qu'elle sçavoit n'estre pas bien ornées.
De plus voyant que l'impieté s'augmentoit en ce malheureux siecle, et que Dieu et ses Saints estoient grandement deshonorez; il luy vint une forte inspiration de trouver l'invention de les faire honorer par ses filles en quelque maniere particuliere, non seulement par l'instruction qu'elles donnent aux jeunes filles, mais aussi par quelque honneur particulier, qui fut d'amasser des reliques des Saints de toutes parts, et de les faire enchasser dignement, et les mettre dans une Chapelle dans l'enclos de leur Monastere, où elles les honoreroient selon leur pouvoir, tant les jours de leurs Festes, que par un particulier destiné pour en celebrer la Feste generale par un Office solemnel, et par d'autres devotions; ce qui a si bien reussi, qu'en effet ce lieu là leur est un azile en leurs necessitez, qui n'est jamais sans quelques Religieuses qui y prient. Sa devotion estoit si grande, qu'elle-mesme prenoit la peine d'enchasser ces Reliques, et les agencer avec un grand soin et respect. Je feray voir plus bas le déplaisir qu'elle recevoit quand elle sçavoit que l'on avoit profané ces saints lieux.
[227] Ce fut ce zele du salut des ames, qui luy fit porter une particuliere affection vers les Peres de la Compagnie de JESUS, et la Congregation des Meres Ursulines, à cause que l'Institut de ces deux Ordres est d'enseigner la jeunesse.
Comme Dieu a créé dans le Ciel les Ordres des Anges, pour rendre un hommage perpetuel à ses grandeurs et à ses perfections divines par l'estat de leur estre, et par leurs élevations beatifiques, ainsi que les Seraphins adorent son Amour, les Cherubins sa splendeur eternelle, les Thrônes son repos: aussi JESUS-CHRIST a estably divers Ordres de saintes ames en la terre, qui sont les Anges de son humanité sacrée, pour honorer ses grandeurs et ses abaissemens, ses Mysteres; et les differens estats de sa vie; c'est pourquoy nous en voyons quelques-uns dediez à la vie solitaire et retirée de JESUS, comme les Religieux de saint Romuald et de saint Bruno, qui ont choisi la meilleure part avec Magdelaine: d'autres à sa vie conversante et laborieuse qui le servent en ses membres avec Marthe; de ce nombre sont entre les autres les Religieux et les Religieuses qui servent les malades, les Hospitaliers de Saint Jean de Hierusalem, les Religieux du bienheureux Jean de Dieu, les Filles de la Charité et de la Misericorde: Les uns marchent par la voye de sa royale pauvreté, comme tous les enfans de saint François d'Assize: D'autres bruslent du saint zele qu'il a eu du salut de nos ames, comme les Peres Dominicains, Barnabites, Theatins, Jesuites, Sommasques, et plusieurs Clercs Reguliers: D'autres le suivent par les traces de son humilité, de sa charité, et de ses autres vertus et dispositions interieures, comme les Religieux de saint Basile, de saint Augustin, de saint Benoist, de saint Hierôme, et de sainte Brigitte: Les autres par les exercices et les rigueurs de la penitence, comme les Chartreux, les Cisterciens, les Carmes deschaussez, et les Minimes; Et les autres par l'amour qu'il portoit aux petits enfans en les embrassant et les appellant à soy, comme font toutes les Congregations qui instruisent la jeunesse; par exemple les Jesuites, les Prestres de l'Oratoire de JESUS, de la Doctrine Chrestienne, les Escholes pieuses, les Ursulines, les Filles de la Congregation [228] de Nostre-Dame. Or c'est JESUS-CHRIST, qui par les differentes actions, et les differens mysteres de sa vie, met les differences dans les ames et dans les Ordres: Cette bonne Demoiselle avoit une particuliere affection pour les familles Religieuses, qui à l'exemple du Sauveur enseignent le Catechisme, et leur apprennent à vivre Chrestiennement; c'est pourquoy elle fonda ces Seminaires de pieté.
Elle portoit un grand honneur aux reliques des Saints, comme j'ay fait voir cy-dessus, et aussi aux lieux où elles estoient gardées. Elle n'avoit pas seulement du respect pour ces lieux où les os des Martyrs estoient conservez, mais aussi pour ceux qui estoient destinez à la priere. Estant arrivé une fois que le Jardinier avoit mis à seicher des grennes dans un Hermitage, fait sur le modele du Saint Sepulchre de Jerusalem; elle en fut fort affligée, et en pleura méme. Cela provenoit du respect qu'elle portoit à Dieu; qui faisoit aussi qu'elle respectoit fort les Predicateurs, et ne pouvoit souffrir que l'on dist, ce Predicateur ne presche point bien, disant que c'estoit la parole de Dieu qu'il falloit respecter.
Elle ne pouvoit souffrir que l'on parlast mal d'un Predicateur, ou que l'on appliquast mal à propos la sainte Ecriture; c'est pourquoy elle disoit à ceux qui commettoient ces fautes, Je vous prie n'usez plus de ces termes, cela n'est pas bien.
Elle avoit plusieurs devotions et oraisons jaculatoires, et quoy qu'elle fust fort retenue à les faire paroistre, neantmoins les Meres Ursulines ont eu la connoissance de quelques-unes.
Premierement elle avoit une devotion tres-singuliere au mystere de l'Incarnation; parce qu'en iceluy Dieu s'est fait homme, et la Vierge a esté Mere de Dieu; c'est pourquoy disant son Confiteor elle s'arrestoit sur ces paroles, semper Virgini, parce qu'elle prisoit beaucoup la virginité.
Elle avoit promis à Dieu aprés la Communion, qu'autant de fois qu'elle tireroit un grain d'un petit chapellet qu'elle portoit au bras où il n'y avoit que sept grains, elle [229] feroit l'un des sept actes suivans.
Le 1. d'adoration tres-profonde à Dieu pour tous ceux qui ne l'adorent point, soit par ignorance, soit par impuissance, soit par malice, ou par oubliance; et d'adoration du saint Sacrement en tous les lieux où il y a des Hosties consacrées sur la terre.
Le 2. de remerciment de tous les benefices que Dieu a conferez à toutes ses creatures, principalement en ce moment: et de ceux dont il n'a jamais esté remercié, et qu'il connoist luy seul.
Le 3. de contrition de tous les pechez, qui se sont jamais commis et se commettent contre Dieu, particulierement en cet instant là.
Le 4. d'offre de soy-mesme en toutes les manieres que Nostre Seigneur desire que ses creatures s'offrent à luy, et en l'union des offrandes de Nostre Seigneur.
Le 5. de priere pour toutes les necessitez de l'Eglise, principalement pour les ames en peché mortel, en l'agonie, et celles du Purgatoire.
Le 6. d'adoration d'hyperdulie à la sainte Vierge, et de congratulation de son integrité virginale, la voulant honorer pour tous les Heretiques et les mauvais Chrestiens qui la deshonorent.
Le 7. de congratulation aux Saints de leur bon-heur, et invocation de leur secours, desirant suppleer par cet acte au defaut des Heretiques et des mauvais Chrestiens.
Toutes les fois qu'elle recitoit son Ave Maria, elle appliquoit cette parole nunc, pour demander le secours de la sainte Vierge pour toutes les ames qui à cet instant là estoient en l'agonie.
Au Confiteor à ces mots semper Virgini, elle desiroit actuellement honorer la Mere de Dieu, pour tous les Heretiques qui nient sa virginité aprés l'enfantement.
Toutes les fois qu'elle se separoit d'avec le prochain aprés la conversation, elle frappoit sa poitrine, disant mea culpa.
Elle a asseuré aux Meres Ursulines en presence de toute la Communauté, qu'il n'y avoit pierre en tout le basti-[230]ment, qu'auparavant que la poser elle n'eût élevé son esprit à Dieu, et demandé, Mon Dieu comment vous plaist-il que cette pierre soit mise.
Elle a aussi asseuré qu'en tous les lieux du bastiment elle a fait particuliere priere à Dieu, et luy a demandé qu'il n'y fust jamais offensé, au moins mortellement.
Toutes les fois qu'elle passoit devant la Croix du Dortoir, elle s'agenouilloit tousjours pour la saluer, hormis les derniers mois de sa vie, à cause de son mal de pied; et quelques Religieuses luy ayans demandé ce qu'elle y faisoit, elle respondit, Je demande autant d'amour que sainte Magdelaine en avoit au pied de la Croix.
Elle avoit appris du Reverend Pere Gontery à dire sur les grains de son Chapelet, Confige cor meum Domine amore tuo, Seigneur transpercez mon coeur de vostre amour.
Lors qu'elle prenoit de l'eau beniste, elle disoit, Aqua benedicta sit mihi salus, protectio et vita, l'eau beniste me soit mon salut, ma protection, et ma vie.
Le soir lors que l'on luy apportoit de la chandelle, elle disoit, Lumen Christi sit in cordibus nostris, c'est à dire, la lumiere de JESUS-CHRIST soit en nos coeurs.
Aprés la pureté elle aymoit la modestie, qu'elle a fait tousjours paroistre en ses habits qui n'estoient que de laine, fort simples et propres. Sa modestie estoit si grande, qu'elle n'a jamais voulu permettre qu'on la tirast en portrait, disant que ce n'estoit que vanité.
Elle recommanda par son testament, qu'elle fust ensevelie par ses femmes de chambre, avec autant de bien-seance que l'on pourroit, et defendit que l'on l'ouvrist.
Bref toute sa vie s'est passée en pratiques, et exemples de vertus; et s'est exercée en toutes sortes d'oeuvres pieuses et charitables, aussi elle est morte plus riche en vertus qu'en biens du monde qu'elle avoit presque tous donnez auparavant, et pretendoit donner le reste si elle eust eu encore un mois ou deux de vie.
Elle estoit si aumosniere, qu'un pauvre honteux luy ayant demandé l'aumosne, et n'ayant pas d'argent, elle luy donna un benestier d'argent qui luy estoit demeuré; [231] et pour avoir meilleur moyen de donner l'aumosne, et secourir les pauvres honteux et les malades, elle épargnoit tout ce qu'elle pouvoit en ses vestemens qu'elle faisoit elle mesme. Le plus grand contentement qu'elle avoit, c'estoit lors qu'elle s'éveilloit, et qu'elle sçavoit pouvoir donner quelque chose ce jour là.
Elle avoit une grande douceur, soit qu'elle parlast aux Grands ou aux petits, et particulierement aux gens de bien. Elle compatissoit aux souffrances d'autruy, lesquelles elle ne pouvoit pas voir souffrir sans y pourvoir tant de corps que d'esprit.
Son humilité luy faisoit tenir fort secretes toutes ses pratiques interieures; ce fut ce qui luy fit brusler une grande quantité de papiers, des bons sentimens que Dieu luy avoit communiqué, et que le Reverend Pere Jean Gontery son Directeur luy avoit fait mettre par écrit: et quoy que quelques Religieuses de ses Filles l'eussent importunée de leur en communiquer quelques-uns, elle ne le voulut pas, disant que cela luy pourroit estre sujet de tentation à l'heure de la mort; c'est pourquoy elle les brusla tous, deux ans avant que mourir.
Elle avoit une grande aversion de la médisance; c'est pourquoy elle ne hantoit que des personnes de grande vertu, entre autres Madame la Comtesse de Saint Paul, Mesdemoiselles de Longueville, et ses bonnes cousines et amies Magdelaine Boucher Dame de Breau, et Mademoiselle Acarie.
Ayant tousjours bien vécu, elle mourut aussi fort saintement le 29. d'Aoust à deux heures du matin de l'an 1630. Elle fut enterrée au milieu du Choeur de la belle et devote Eglise des Reverendes Meres Ursulines du faux-bourg saint Jaques, sous une tombe de marbre noir; il y a aussi un epitaphe de marbre noir dans l'Eglise du dehors.
Au milieu du Choeur des Religieuses repose le corps de tres-noble et tres-vertueuse Dame Magdelaine Luillier, fille de Monsieur le President Luillier, et de Dame Renée Nicolay, et femme de Monsieur de sainte Beuve Conseiller au Parlement, laquelle ayant passé trois ans en mariage, privée de son tres-cher espoux, aagée de [232] 22. ans, elle est demeurée en veuvage le reste de sa vie, qui n'a esté qu'un continuel exercice de pieté et de charité, attachée à la terre seulement de corps; mais sa conversation ordinaire estoit au Ciel, et ses plus agreables occupations estoient des choses de Dieu. Elle a de son vivant départy des biens à plusieurs maisons Religieuses, et les a employé liberalement en oeuvres de charité. Elle a fondé le Noviciat des Jesuites à Paris; a fait bastir et instituer ce present Monastere de Religieuses de sainte Ursule, et ayant perseveré jusques au dernier souspir en ces saintes actions, elle deceda le 29. Aoust 1630. aagée de 68. ans.
Les Religieuses de ce Monastere ont non sans larmes posé ce pieux monument à l'immortelle memoire de leur tres-chere et tres-honorée Fondatrice.
(1) Luillier, d'azur, à 3. coquilles d'or: quelques-uns mettent un lyon d'or, accompagné de trois coquilles de méme.
(2) Nicolai, d'azur, au levrier d'argent courant, accollé de gueules, bordé et bouclé d'or.
(3) Gobaille, d'azur, à la fasce chargée de trois hures de sanglier, de sable, accompagné de 3. molettes d'or, 2. en chef, et 1. en pointe.
(4) Hennequin, vairé d'or et d'azur, au chef de gueules, au lyon leopardé d'argent.
(5) Courtin, d'azur, à trois croissans montans d'or, 2. et 1.
(6) Le Roux, d'azur, au chevron d'or, accompagné de 3. testes de Leopard de mesme, 2. en chef, et 1. en pointe.
(7) Monsieur du Tillet.