Charlotte de Montmorency/Hilarion de Coste
De SiefarWikiFr
''''[I,381] CHARLOTE DE MONTMORENCY, DUCHESSE D'ANGOULESME (1), et Comtesse d'Auvergne.
CETTE Princesse estoit la fille aisnée d'Henry Duc de Montmorency Pair, Mareschal, depuis Connestable de France, et d'Antoinette de la Marc sa premiere femme; Maisons si anciennes et si illustres, qu'elles tiennent les premiers rangs, et meritent les premiers honneurs entre celles de France et d'Alemagne, et desquelles la valeur et la pieté ne sont incogneues qu'à ceux qui n'ont point d'oreilles, ou qui les bouchent pour n'entendre pas la verité, ou qui n'ont jamais leu, ny ouy parler des actions vertueuses et genereuses des Heros et des Heroïnes de ces tres-illustres et tres-anciennes Maisons.
[382] Le Poëte Vandosmois a chanté veritablement de la premiere, qu'elle estoit
Maison tres-illustre en la France,
Qui de tout temps vertueuse florit,
Tousjours porté les lauriers sur le front.
Et la premiere honora JESUS-CHRIST.
Montmorency (2) cette race est nommée,
En faits de guerre et de paix renommée,
Noble d'ayeux et bisayeux, qui ont
Et plus bas (3),
Cette race est sur toutes la plus belle,
Race heroïque et antique, laquelle
Heureusement l'Empire des François (4).
De fils en fils (guerriers victorieux)
A son renom eslevé jusqu'aux Cieux,
Grosse d'honneurs, et de noms memorables,
Concevant seule Amiraux, Connestables,
Grands Mareschaux, et mille dignitez:
Dont les hauteurs, honneurs, authoritez,
Comme à foison communes en leur race,
(Ne cedant point aux plus grandes de place)
Ont gouverné prochaine de nos Rois,
L'autre n'a pas esté moins en honneur dans l'Alemagne, où les Princes de cette Maison ont possedé les Comtez de la Marck (5) et d'Aremberg, et ont mis leurs noms entre ceux qui pour leur valeur vivront eternellement, et aussi pour avoir pris alliance avec les plus illustres Princes de l'Empire, entre autres les Ducs de Juliers (6) et de Cleves; de laquelle estoit le grand Cardinal Everard de la Marck Evéque et Prince de Liege, duquel le nom est en veneration, non seulement parmy les Liegeois, mais aussi parmy les Flamans. Elle a aussi respandu ses branches en ce Royaume, où les Seigneurs de cette Maison là ont esté Mareschaux de France, et ont porté les titres de Ducs de Bouillon, de Princes de Sedan et de Jamets, et de Comtes de Maulevrier et de Brenne.
De ces deux Maisons, Dieu composa une belle alliance d'Henry de Montmorency (lors seulement Seigneur de Danville) 2. fils d'Anne Connestable de France, et de Mag-[383]delaine de Savoye, avec Antoinette de la Marck, fille aisnée de Robert IV. Duc de Bouillon, Prince de Sedan et de Jamets, et Mareschal de France, et de Françoise de Brezé (7), fille aisnée de Louys de Brezé, Comte de Maulevrier, Seigneur d'Anet, Gouverneur et grand Seneschal de Normandie, et de Diane de Poitiers Duchesse de Valentinois.
J'ay appris par la lecture des poësies Latines de Jean d'Aurat Professeur du Roy en la langue Grecque dans l'Université de Paris, que tous les Princes et les Princesses de la Cour d'Henry II. excepté Claude Duc d'Aumale, et Gaspar de Colligny Amiral de France, assisterent aux noces de ce Seigneur de la Maison de Montmorency, et de cette Dame de la Maison de la Marck: Car ce Poëte Royal fait chanter par un jeune garçon et une fille les perfections et les merites des assistans, au livre 2. de ses Eclogues (8).
Durant les premieres années de ce mariage là, Henry Seigneur de Danville eut quelque refroidissement pour Antoinette de la Marck son épouse, quoy qu'elle fust fort belle et fort sage, tant il estoit charmé de la beauté, des vertus et des merites de Marie Reine d'Escosse, et douairiere de France, laquelle il croyoit avoir de l'inclination pour luy, et qu'il esperoit épouser.
Il ne manqua pas de la suivre quand elle se retira en son Royaume, où il demeura quelques mois contre le gré du Connestable son pere, et de Magdelaine de Savoye sa mere, qui souvent luy écrivirent pour le faire revenir en France, et quitter les amours qu'il avoit pour la Reine d'Escosse, qui estoit née sous cette malheureuse constellation, qu'elle avoit autant d'amans que de spectateurs; car elle paroissoit entre les autres Princesses et les Dames de son siecle, comme un soleil entre les astres. Tous les Princes et les premiers Seigneurs de la Chrestienté n'avoient point une plus grande passion que d'acquerir ce riche thresor, qui estoit l'objet et la jalousie de mille recherchans. Innocente beauté, qui comme le Roy des planetes donnoit ce qu'elle n'avoit pas: toute de glace pour la pluspart de ces gens là, elle jettoit des feux et des flammes dans leur coeur. Enfin Henry de Montmorency se voyant avec un sensible desplaisir, contraint d'obeïr [384] au commandement de son pere, prit congé de la Reine d'Escosse avec François de Lorraine Grand Prieur de France, oncle maternel de cette tres-belle Princesse, et passerent tous deux par l'Angleterre, pour le desir qu'ils avoient de voir la Reine Elizabet, son Royaume et sa Cour, où ils receurent beaucoup d'honneur, comme aussi tous les Seigneurs et les Gentils-hommes François qui les accompagnoient (9).
Le Seigneur de Danville partant d'Escosse laissa un Gentil-homme de bonne Maison, et petit fils d'un grand Heros, auquel il donna charge de demeurer prés de la Reine Marie, pour le conserver tousjours en la bonne grace de cette Princesse, de laquelle il estoit passionnément amoureux, et qu'il avoit tousjours esperance d'épouser dés qu'il auroit fait rompre son mariage avec sa femme Antoinette de la Marc: mais le Gentil-homme se comporta si mal en Escosse, comme rapporte au long le President de Thou, au livre 29. de son Histoire, que non seulement il perdit l'occasion de servir son Maistre, mais il encourut l'indignation de cette Reine là, qui luy fit trancher la teste pour sa temerité.
Henry de Montmorency Seigneur de Danville, ayant appris que Marie Reine d'Escosse estoit mariée à un jeune Prince de sa Maison, et la disgrace qu'avoit receu le Gentil-homme en cette Cour là par son indiscretion et sa folie; quitta tous les desseins qu'il avoit de retourner en Escosse, et mit toutes ses affections à Antoinette de la Marc sa femme, Dame fort discrete et sage, et qui luy rendit de notables services en Languedoc, quand ses ennemis le voulurent faire prendre prisonnier, à mesme temps que les Mareschaux de Montmorency, et de Cossé furent mis dans la Bastille par les ordres du Roy Charles IX. ou de la Reine Caterine sa mere; celuy-cy estant son proche parent, et celuy-là son aisné. Elle le servit aussi fort fidelement au commencement du regne d'Henry III. quand il prit le Chasteau du Pouzin sur le Rosne en Vivarais, et surprit Aiguemortes en Languedoc, par une saucisse qui fut cousue par cette Dame là, afin que le dessein fust plus secret.
Le Mareschal de Danville eut trois enfans de cette genereuse Heroïne (10), sçavoir un fils Hercule de Montmorency [385] Comte d'Ossemont, qui mourut sans avoir esté marié, aprés avoir rendu des preuves de son courage et de sa fidelité au service des Rois Henry III. et IV. et deux filles, Charlote et Marguerite de Montmorency, lesquelles furent recherchées en mariage par plusieurs Princes et Seigneurs de ce Royaume, tant pour leur beauté, que pour leur noblesse et richesse, leur pere estant Duc de Montmorency et Pair de France, aprés le decés de son frere aisné François Duc de Montmorency aussi Pair et Mareschal de France, qui n'avoit point laissé d'enfans de sa femme Diane Duchesse d'Angoulesme.
Le Roy Henry III. écrivit plusieurs lettres aux mois de Septembre et d'Octobre de l'an 1588. à Henry Duc de Montmorency, par lesquelles l'on voit que ce Monarque là vouloit marier son neveu Charles de Valois (lors Grand Prieur de France) avec Charlote de Montmorency, la fille aisnée de ce Duc de Montmorency, et Antoine-Scipion Duc de Joyeuse, avec Marguerite, la fille puisnée de ce mesme Duc (qui est à present Madame la Duchesse douairiere de Ventadour) pour le desir qu'il avoit de faire une estroite alliance entre ceux de sa Maison, avec celles de Montmorency et de Joyeuse. Ce Prince écrivit aussi en méme temps à Rome au Cardinal de Joyeuse, Protecteur de France en cette Cour là, afin d'obtenir la dispense du Pape Sixte V. pour le voeu qu'avoit fait son neveu en l'Ordre de saint Jean de Jerusalem ou de Malte: mais les troubles qui survindrent à la fin de cette méme année, et au commencement de la suivante, durant lesquelles moururent la Reyne Caterine, et le Roy Henry III. firent differer les ceremonies du mariage de Charles de Valois Comte d'Auvergne et de Lauraguais, avec Charlote de Montmorency, qui n'a esté celebré que deux ans aprés le decés lamentable d'Henry III. le 6. de May de l'an 1591. à Pezenas, que la dispense fut obtenue, comme ont remarqué André du Chesne, et les sieurs de sainte Marthe, ceux-cy dans leur Histoire de la Maison de France, et celuy-là dans celle de Montmorency; desquels j'ay appris que Charlote de Montmorency porta en dot la Comté d'Alais, au lieu de la somme de cent cinquante mille escus qui luy avoit estépromise.
[386] Henry Duc de Montmorency fit celebrer les solemnitez des noces de Charles de Valois Comte d'Auvergne, et de Charlote sa fille aisnée avec des pompes grandes et magnifiques, où plusieurs des premiers Seigneurs et Dames de Languedoc assisterent, tant pour obliger le Gouverneur de cette Province là qui y avoit un grand pouvoir et authorité, que pour avoir le contentement de voir et d'admirer les beautez de ces jeunes mariez. Car Charles Comte d'Auvergne, de Clermont, et de Lauraguais (à present Duc d'Angoulesme) auquel nos Historiens ont donné ces veritables Eloges de Prince genereux, d'esprit sublime et d'excellent Capitaine, estoit l'un des plus beaux et des plus vaillans Princes de son temps, ayant rendu de signalez services au Roy Henry le Grand, aux batailles d'Arques et d'Ivry. En celle là il défit avec ces Chevaux legers cent hommes d'armes, et mit en déroute trois mille hommes de pié qui venoient loger à Martinglise: il en demeura quatre ou cinq cens sur la place, et 17. Capitaines furent faits prisonniers (11). Le President de Thou remarque le zele qu'il avoit de venger la mort du Roy Henry III. son oncle quand il tua Sagonne. Car ce Seigneur de la Maison de la Bourdaisiere, l'un des plus accomplis de son temps, et Maistre de Camp de la Cavalerie legere de Charles Duc de Mayenne ou de la Ligue, l'ayant attaqué avec cinq cens chevaux, il fut vivement repoussé par ce genereux Prince, et tué d'un coup de pistolet. Un Cavalier (12) qui estoit present à ce combat a remarqué que ce Gentil-homme de valeur, et agreable en tout ce qu'il faisoit, receut ce coup de pistolet dans le haut de la cuisse, de la main du Comte, et tombant de ce coup là dans un fossé, se cassa la nuque du col, et mourut. En cette-cy il n'acquit pas moins de gloire; car ceux qui se sont trouvez à cette bataille donnée prés d'Ivry, le 14. de Mars 1590. sçavent que Charles Duc de Mayenne ayant mis son armée en bataille sur une ligne, et le Roy Henry IV. ayant fait de méme, sa Majesté gagna la victoire, parce que son canon tira trois volées avant que l'ennemy fist aucune descharge (13). Le Mareschal d'Aumont qui fermoit la bataille à costé gauche, chargea tout ce qu'il rencontroit devant luy, et l'emporta sans qu'il y trouvast resistance. Le [387] brave Seigneur de Givry de la Maison d'Anglure chargea les Reistres par le flanc, et le Grand Prieur (qui est à present le Duc d'Angoulesme) les chargea par la teste, et leur fit tourner le dos; le Comte d'Egmont avecque toute la gendarmerie de Flandre, enfonça le Grand Prieur et le Baron de Biron qui le soustenoit, il perça toute l'armée jusques au canon, où le Grand Prieur ayant rallié la cavalerie legere, charge le Comte d'Egmont, le défait, et luy prend sept estendars, et un Gentil-homme nommé Sailly tue le Comte d'Egmont, duquel pour ravoir le corps les ennemis donnerent deux cens escus.
Charlote Comtesse d'Alais estoit douée de tant de perfections et de merites, qu'on ne sçavoit à qui donner la preeminence, ou à la douceur de ses moeurs, ou à la beauté de son visage, ou à la grace, ou à la majesté de son port, car elle avoit la taille riche, les cheveux blonds, le teint blanc et net, et le visage accomply de toutes les parties qui forment une parfaite beauté.
Charlote de Montmorency a eu de ce Prince Charles de Valois, fils naturel du Roy Charles IX. Comte d'Auvergne, Colonel general de la Cavalerie legere de France, et Duc d'Angoulesme et Comte de Ponthieu, aprés le decés de sa tante Diane legitimée de France, trois enfans, sçavoir;
Henry de Valois Comte de Lauraguais, Prince qui eut pour parrain le Roy Henry le Grand, et a rendu les derniers devoirs au Roy Henry III. ayant accompagné depuis Compiegne jusques à Saint Denys le corps de ce liberal Monarque, estant suivy du Duc d'Espernon, du grand Escuyer de Bellegarde (14), (à present Duc et Pair) du Seigneur de Liancour (15) premier Escuyer, et de plusieurs Seigneurs et Gentils-hommes, qui tous assisterent le 23. de Juin de l'an 1610. aux obseques, ausquelles le Cardinal de Joyeuse dit la grande Messe, où se trouverent Diane Duchesse d'Angoulesme, le premier President de Harlay, plusieurs Conseillers d'Estat, et grand nombre de Seigneurs de la Cour qui avoient receu des bienfaits de ce bon Prince, digne d'un meilleur siecle.
Louys Emmanuel de Valois, premierement Evéque et Comte d'Agde, puis Comte d'Alais, et Colonel general de [388] la Cavalerie legere de France aprés son frere puisné. Henry Duc de Montmorency Pair et Connestable de France son ayeul maternel a esté son parrain, la Reine Louyse veuve du Roy Henry III. de laquelle il porte les noms tres-augustes, sa marraine: François Evéque de Clermont, depuis Cardinal de la Rochefoucaud, Prelat de sainte vie, fit les ceremonies du Baptéme. Ce Prince vaillant et sçavant (16), qui a en recommendation la gloire des armes, et le lustre des lettres, qualitez qu'il a heritées des Princes de la Royale Maison d'Angoulesme ou de Valois, a esté honoré du Gouvernement de Provence par le feu Roy Louys XIII. pour recompense des services qu'il avoit rendus à sa Majesté en Piémont, à la Rochelle et en Lorraine, qu'il a continuez de rendre à ce juste Monarque, et au Roy Louys XIV. son fils, en cette belle Province, frontiere des plus puissans ennemis de cet Estat, où il a acquis bien de la gloire d'avoir fait parler François à Monaco, dit vulgairement Mourgues, place si importante sur la mer Mediterranée, ayant gagné au service du Roy, et fait quitter le party d'Espagne, et l'Ordre de la Toison d'or au Prince Honorat Grimaldi, Prince et Seigneur de Monaco, et Marquis de Campagna, que le Roy Louis XIII. a non seulement associé à ses Ordres; mais aussi honoré de la dignité de Duc et Pair de France. Mais parce que ce Prince est vivant, sa modestie ne me permet pas de m'estendre davantage sur ses merites qui le font honorer, non seulement des Champions de Mars, mais aussi des nourrissons d'Apollon et de Minerve; pource qu'il ne fait pas seulement profession de la valeur, mais aussi du sçavoir, estant tres-profond dans la connoissance des sciences, tirant l'exemple de ces excellens Genies qui en ont esté les restaurateurs et les peres, entre autres du grand Roy François, et du Roy Charles IX. son ayeul, ausquels les Muses seront à jamais redevables, pour avoir par une infinité de bien-faits caressé et obligé les hommes de lettres. Je puis dire sans flaterie qu'il a fait voir une constance invincible en la mort de trois enfans, Louis, Armand et François de Valois Comtes d'Auvergne, jeunes Princes de grande esperance, decedez tous trois à l'aage de cinq ou six ans, et qui le devoient faire renaistre à la poste-[389]rité, et continuer à la veue des hommes l'immortelle memoire de ces grands Monarques, qui tiroient leur nom de tant de signalez effets d'une incomparable valeur qui les rendoit recommandables. Il ne luy reste qu'une seule fille Mademoiselle d'Angoulesme Marie-Françoise de Valois, dont l'esprit penetre dans les sciences, jusques à se rendre capable dans la connoissance des plus sublimes, comme digne heritiere de la vertu des Princes et des Princesses ses ancestres, que l'on sçait avoir aymé avec passion les belles lettres, et chassé l'ignorance de la France, où devant leur regne c'estoit un crime d'appeller un homme sçavant.
François de Valois Comte d'Alais, Colonel general de la Cavalerie legere de France, jeune Prince, beau et vaillant, que Diane legitimée de France, Duchesse d'Angoulesme sa grand tante et sa marraine avoit institué son heritier, qui avoit donné des preuves de son courage au siege de Soissons, és guerres de Piémont l'an 1617. et au voyage d'Alemagne, quand Monseigneur le Duc d'Angoulesme y fut envoyé par le Roy Louis XIII. Ambassadeur extraordinaire. Il est mort à Pezenas en Languedoc, où il servoit ce grand Monarque contre les Religionnaires rebelles, le 19. de Septembre de l'an 1622. d'une maladie causée de la fatigue au siege de Montpellier, au grand regret de sa Majesté, et des François, 4. mois aprés avoir épousé Louyse-Henriette de la Chastre (17), fille unique et heritiere de Louys de la Chastre, Baron de la Maison-Fort, premier Mareschal de France, et d'Isabelle d'Estampes, soeur d'Eleonor d'Estampes, Archevéque et Duc de Reims, premier Pair de France, et d'Achilles Cardinal de Valençay (18). Il a receu les honneurs de la sepulture dans l'Eglise Cathedrale de Nostre-Dame d'Agde, et son coeur dans la Chapelle d'Angoulesme, en l'Eglise des Minimes de la Place Royale.
Le Roy Henry le Grand fit l'honneur à cette Princesse Charlote de Montmorency, de la prier d'aller à Marseille recevoir la Reine Marie de Florence sa femme, et assista aux entrées que fit sa Majesté dans Avignon, et les villes de Provence et de Daufiné. Elle a eu le contentement de voir le Duc son mary employé au service de ce grand Monarque, [390] et du Roy Louys XIII. son fils et successeur qui l'envoya l'an 1620. en Allemagne son Ambassadeur extraordinaire vers l'Empereur Ferdinand II. et les Princes du Saint Empire, avec Philippe de Bethune Comte de Selles, et Charles de Laubespine, Seigneur de Preaux; d'où estant de retour il servit sa Majesté durant les sieges de Montauban et de la Rochelle, et en Lorraine, comme il avoit servy le Roy son pere durant les guerres de la Ligue: mais il tire sa plus grande gloire des services qu'il rendit au grand Henry à la bataille de Fontaine Françoise, le 30. de Juin de l'an 1595.
Le Roy partant de Dijon vint disner à Lus, d'où il sortit avec telle precipitation, que la Cavalerie legere, en nombre de quatre cens chevaux armez, et autant d'arquebuziers à cheval, estant logée au village de Pratolin, sa Majesté passa le bourg de Fontaine Françoise avant que ladite Cavalerie y fust arrivée: De sorte que le Mareschal de Biron estant passé avec deux escadrons de Cavalerie, l'un commandé par le Baron de Lus, et l'autre par le Mareschal, il rencontre l'armée entiere d'Espagne, commandée par le Connestable de Castille, et les troupes Françoises de la Ligue par le Duc de Mayenne en nombre de dix mille hommes de pié, et deux mil cinq cens chevaux, conduits par le sieur de Villers Houdan, et qui chargent le Mareschal de Biron, et le contraignent de ceder à la force, le blessent à la teste, et renversent deux escadrons, dont l'un estoit commandé par le Roy, et l'autre par le Comte de Thorigny. Sa Majesté soustient la charge de la Cavalerie ennemie avec une valeur nompareille, et un extréme hazard de sa personne, et repousse les ennemis: mais à la seconde charge, quoy qu'il fust abandonné de quelques-uns, toutesfois il demeure ferme devant les ennemis, qui voyans arriver le Comte d'Auvergne (à present Duc d'Angoulesme) avec les quatre cens chevaux, croyent que toute l'armée venoit, ce qui les obligea à se retirer, et le Roy fut secouru si à propos qu'il dit au Comte qu'il l'avoit sauvé, et luy commandant de se mettre à la teste de son bataillon, il charge si adroitement l'escadron des ennemis le plus avancé, qu'il oblige le reste à quitter l'eminence qui est entre Fontaine-Françoise et saint Seine, proche d'un petit [391] Chasteau. Le Comte d'Auvergne y eut un cheval tué sous luy que le Roy luy avoit donné: la nuit separa le combat, le Roy se retira à Dijon, et le Comte d'Auvergne logea à Fontaine-Françoise.
La valeur de ce Prince, mary de Charlote de Montmorency, m'a obligé à cette longue digression dans l'Eloge de cette Princesse, en laquelle la nature et la grace s'estoient donné le deffi à qui se monstreroit plus liberale envers elle. La nature luy avoit donné une rare beauté, comme j'ay rapporté cy-dessus: elle estoit accompagnée d'un si heureux temperament, que depuis les dernieres années de sa vie, et la perte du Duc de Montmorency son frere, elle n'avoit jamais eu qu'une santé tres-parfaite. Elle estoit d'une complexion sanguine, et si doucement grave, qu'elle gagnoit le coeur de tous ceux qui avoient l'honneur de sa conversation, et les maintenoit dans un certain respect, accompagné d'une douce affection: il n'y avoit rien d'austere en son naturel, mais une tendresse à faire du bien à tous ceux qui avoient recours à sa bonté, qu'il est à naistre personne qui soit sortie d'auprés d'elle avec mescontentement. Ces perfections de nature sont de purs dons de Dieu, qui proviennent de la liberalité de sa divine Providence, et d'un certain temperament d'humeurs; mais elles sont d'autant plus rares qu'elles sont relevées par celles, lesquelles outre la grace et la liberalité de Dieu, demandent nostre cooperation, autrement elles sont comme un estuy couvert de perles, mais qui garde une meschante lame toute mangée de rouille. Cette bonne Princesse a sceu tellement relever ces traits de nature, qu'elle a bien fait paroistre que la beauté et la bonne grace de son corps n'estoient que de petits rayons fort obscurs de celle de son ame.
Sa devotion estoit sans fard. Elle n'eust pas laissé passer un jour sans ouir la Messe. Elle communioit tous les premiers Dimanches des mois, et toutes les Festes solemnelles. Elle redoubloit ses ferveurs les jours de la Mere de Dieu, à laquelle elle avoit une particuliere devotion. L'amour vers la Vierge est un des plus grands dons de Dieu. Chacun doit estre soigneux de s'en rendre digne, et doit desirer d'estre à [392] la sainte Vierge, pour appartenir à JESUS-CHRIST. Cette vertueuse Princesse (issue de la premiere Maison Chrestienne de l'ancienne Gaule, convertie à la Foy par saint Denys nostre premier Evéque, ou selon les autres du plus noble Gentil-homme François qui fut baptisé aprés le Roy Clovis, par saint Remy Archevéque de Reims, et l'Apostre des François) taschoit de bien s'acquiter de ce devoir là. Ses plus intimes entre tous les Saints aprés Nostre-Dame, estoient son Ange Gardien, saint Denys, saint Martin, saint Remy, saint Louys Roy de France, saint Charles le Grand, saint Charles Borromée, saint François de Paule, saint Isidore, sainte Terese, sainte Claire, et ces deux Princes Jean de Valois Comte d'Angoulesme, et Pierre Cardinal de Luxembourg; Celuy-là petit fils du Roy Charles V. l'ayeul du Roy François I. et le Chef de la Royale Maison d'Angoulesme, qui a donné cinq Rois à la France, un à l'Angleterre, à l'Escosse et à l'Irlande, et un à la Pologne (19); une Reine à la Castille ou à l'Espagne, et deux à la Navarre; celui-cy le Patron de la ville d'Avignon: desquels la memoire est venerable pour la sainteté de leur vie, et les miracles que Dieu a fait à leurs tombeaux qui leur ont acquis le nom de Bien-heureuxpar la voix publique. Et aussi cette fidelle servante de Dieu la tres-devote Princesse Jeanne de France de Valois, Fondatrice de l'Ordre des dix Vertus de la Vierge, de laquelle elle honoroit singulierement la memoire.
Elle a fait paroistre sa pieté et son zele à la vraye Religion, donnant des places dans sa ville et Comté d'Alais aux Capucins, et aux Urselines, qu'elle y avoit mis pour servir de boulevars contre l'heresie et l'impieté, qui y avoient causé de grands maux tandis que les Religionnaires en estoient les maistres durant la revolte et les guerres des Huguenots de Languedoc et des Sevenes: les Peres Capucins ayant assisté et consolé les Catholiques par leurs predications, et ramené au giron de l'Eglise plusieurs devoyez: et les filles de Sainte Ursule ayant instruit à la pieté, et aux bonnes moeurs les jeunes filles de ce pays là.
Comme elle aimoit et honoroit les filles qui ont pour l'amour du Sauveur quitté les grandeurs de la terre, et les [393] plaisirs du monde pour se renfermer dans les Cloistres, elle procura proche de son Hostel d'Angoulesme à Paris, l'establissement de ces deux Monasteres, le premier celuy des Annonciades celestes que fonda la Marquise de Verneuil, soeur uterine de Monseigneur le Duc d'Angoulesme son mary, et l'autre des Cordelieres, auquel elle a laissé des marques de sa pieuse liberalité.
L'on dit pour l'ordinaire qu'il faut estre grand pour s'abaisser, et que l'humilité est la vertu des grands, car il semble que l'exercice en est interdit aux petits, qui estans bas d'eux-mesmes ne peuvent pas s'abaisser davantage; c'est aussi d'autant que ces grands coeurs apprehendans vivement la beauté de la vertu, s'y adonnent puissamment. Je ne croy pas avoir jamais cogneu personne plus humble que cette vertueuse Princesse, ny qui traitast plus familierement avec toute sorte de personnes: Elle avoit une douceur qui charmoit les coeurs de tous, et la faisoit honorer par ceux qui approchoient de sa personne.
Entre plusieurs vertus qui ont orné la vie de cette Princesse, il n'y en a point qui ait plus éclaté que sa patience: celle-cy l'a rendue recommandable. Bien que toutes les vertus soient necessaires aux Chrestiens, et que comme autant de pierres precieuses, elles composent la Couronne de gloire qu'ils doivent porter dans le Ciel; neantmoins il semble que la patience leur soit plus utile que les autres, qu'elle acheve l'ouvrage de leur sanctification, et que les détachant de toutes choses (entre autres des honneurs de la Cour, et des plaisirs du monde) elle les unisse plus estroitement à JESUS-CHRIST. Ceux qui ont leu l'Histoire sainte, n'ignorent pas que toute la vie des Chrestiens, s'ils vivent selon l'Evangile, n'est qu'une perpetuelle souffrance, durant laquelle Nostre Seigneur exerce leur patience. Tous les plus saints ont desiré de souffrir, ils ont étably leur felicité dans les afflictions, et sçachant bien que la Croix a merité pour nous la gloire, ils n'ont pas voulu aller à la gloire que par la Croix. Celle dont je fais l'Eloge a tousjours marché dans cette voye, et je puis dire que sa vie n'a esté qu'une longue et penible souffrance. Elle a veu deux fois Monsieur son mary prisonnier à la Bastille, l'une quel-[394]ques mois, et l'autre douze années entieres, auquel durant cette detention elle a rendu des assistances continuelles et des services assidus, fideles témoins de son affection cordiale, et qui ne se peuvent pas imaginer que par ces vertueuses femmes qui ayment veritablement leurs maris. Elle a perdu deux enfans qui estoient de grande esperance, et fort accomplis. Elle a veu mourir son frere le brave mais infortuné Henry II. du nom, Duc de Montmorency, les delices de la Cour, et le foudre de la guerre, dont les generositez et les courtoisies charmoient les hommes dans les armées qu'il commanda glorieusement et sur mer et sur terre.
Charlote Duchesse d'Angoulesme tomba malade en sa maison de Grosbois durant les chaleurs de l'Esté de l'an 1636. mais estant revenue en santé, elle retomba tost aprés à Paris dans son Hostel au mois d'Aoust, où elle passa de cette vie à l'autre, le 12. du mesme mois jour de sainte Claire, à deux heures aprés minuit, en presence de Messieurs de Ventadour ses neveux, l'aisné à present Chanoine de Nostre-Dame, et le plus jeune aujourd'huy Religieux de la Compagnie de JESUS: du Vicaire de Saint Paul: de deux Religieux Minimes, dont l'un estoit le feu Pere Claude le Juge; de ses Demoiselles, et de tous ses domestiques, aprés avoir receu tous les Sacremens, et celuy de Penitence par le Reverend Pere Olivier Chaillou Minime, en presence de Madame la Princesse sa soeur, de Mademoiselle de Bourbon (qui est maintenant Madame la Duchesse de Longueville) sa niece: de Madame la Comtesse d'Alais, sa belle-fille: de Madame la Duchesse douairiere de Ventadour, sa soeur: de Madame la Comtesse de Brienne; de plusieurs autres Dames et Seigneurs de la Cour, qui aprés son decés luy rendirent les derniers devoirs; comme aussi firent Mesdames la Comtesse de Soissons, la Duchesse de Longueville, la Comtesse de Saint Paul, et autres Princesses qui assisterent à ses obseques, quand elle receut les honneurs de la sepulture en l'Eglise des Minimes de la Place Royale où repose son corps dans la Chapelle de la Vierge et de Saint Louys, dite de Valois ou d'Angoulesme, où ces paroles sont gravées en une plaque de cuivre sur son cercueil.
[395] Cy gist tres-haute Princesse, Madame Charlote de Montmorency, Duchesse d'Angoulesme, épouse de tres-haut et puissant Prince Monseigneur Charles de Valois, Duc d'Angoulesme, Pair de France, decedée le 12. d'Aoust 1636. Dieu mette son ame en Paradis.
(1) Valois ou Angoulesme, d'azur, à trois fleurs de Lys d'or, deux en chef, et une en pointe, au baston raccourcy d'or, posé en bande.
(2) Montmorency, d'or, à la Croix de gueules, cantonnée de 16. alerions ou aigletes d'azur.
(3) Ronsard en l'epitaphe d'Anne de Montmorency Connestable de France.
(4) A. du Chesne le premier Historien de nostre siecle, a écrit l'Histoire Genealogique de cette tres-illustre Maison.
(5) La Marck, d'or, à la fasce eschiquetée d'argent et de gueules de trois traits.
(6) Juliers, d'or, au lyon de sable, denté et armé d'argent, lampassé de gueules.
(7) Brezé, d'azur, à l'escusson d'argent bordé de 2. filets, le 1. d'or, et le 2. d'azur à l'orle de 8. croisettes d'or, 3 en chef, 2 en fasce ou en flanc, et 3. en pointe.
(8) I. Auratus Poëta, et interpres Regius in nuptias Henrici Memorantii Danvillae, et Antonillae Bullonae Ducis filiae.
(9) Mauvisiere.
(10) André du Chesne.
(11) I. A. Thuanus. S. et L. de sainte Marthe. P. Mathieu. Du Pleix.
(12) Aubigné.
(13) I. de Serres. Du Haillan. Thuanus. J. B. le Grain.
(14) Bellegarde, blazonné en l'Eloge de la Reine Marguerite.
(15) Plesseys-Liancour, d'argent, à la Croix engreslée de gueules, chargée de cinq coquilles d'or.
(16) Il a pour femme Henriette de la Guiche, Princesse fort pieuse, de laquelle j'ay parlé en l'Eloge de Madame la Comtesse de la Guiche sa mere.
(17) Louyse-Henriette Comtesse d'Alais portoit écartelé de la Chastre, et de saint Amadour, blazonné aux Eloges des Heroines de cette Maison là.
(18) Estampes Valençay, d'azur à 2. girons d'or mis en chevron, au chef d'argent chargé de trois Couronnes de gueules.
(19) Les Rois François I. Henry II. François II. aussi d'Escosse, Charles IX. Henry III. aussi de Pologne.