Louise Élisabeth Nicole de La Rochefoucauld
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Louise Élisabeth Nicole de La Rochefoucauld | ||
Titre(s) | duchesse d'Enville | |
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Conjoint(s) | Jean-Baptiste de la Rochefoucauld (1707-1746) | |
Dénomination(s) | Madame d'Enville | |
Biographie | ||
Date de naissance | 1716 | |
Date de décès | 1797 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice d'Alison Vermelle, 2019
Née à Paris le 29 septembre 1716, Louise Élisabeth Nicole de La Rochefoucauld est la fille d’Élisabeth de Toiras et d’Alexandre de la Rochefoucauld, grand maître de la garde-robe du roi. Après le décès des deux garçons de sa fratrie, emportés par la variole (1718 et 1721), elle grandit aux côtés de ses sœurs cadettes, Marie et Adélaïde. Son père veille personnellement sur son instruction et l’initie à la littérature et aux sciences. À 15 ans, elle fait l’objet d’un mariage arrangé avec son oncle, Gui de la Rochefoucauld, le défaut d’héritier mâle imposant que seul un homme né La Rochefoucauld puisse recevoir le titre ducal. Cependant, lorsque la vérole emporte le futur époux avant la cérémonie, elle est promise à un cousin : Jean-Baptiste de La Rochefoucauld, duc d’Enville, ancien lieutenant général des galères à Marseille. Le mariage a lieu le 28 février 1732. Trois enfants naissent de cette union : Élisabeth (1740), Louis-Alexandre (1743) et Adélaïde-Émilie (1745). En 1745, tandis que la guerre de Succession d’Autriche fait rage, Jean-Baptiste de La Rochefoucauld prend le commandement d’une flotte chargée de reprendre possession de Louisbourg et de Port-Royal. Il meurt d’une crise d’apoplexie le 27 septembre 1746, à peine arrivé en Acadie.
Mme d’Enville vit alors aux côtés de son père, en exil depuis 1744, au château de la Roche-Guyon. À sa mort, en 1762, elle se charge de l’administration du patrimoine foncier dont elle hérite. Elle partage ainsi son temps entre l’hôtel particulier familial, rue de Seine à Paris, et ses terres de La Roche-Guyon, Verteuil et La Rochefoucauld. Sur les conseils de Turgot, alors intendant de la généralité de Limoges (1761-1774), dont dépend le duché de la Rochefoucauld, elle s’intéresse à la physiocratie. La Roche-Guyon devient un véritable champ d’expériences. La duchesse y introduit notamment prairies artificielles, trèfles, luzernes, sainfoin, y fait fabriquer du « pain économique » et cultiver la pomme de terre afin de lutter contre les crises frumentaires. À La Roche-Guyon et à Paris, Mme d’Enville tient un salon où se réunissent philosophes, hommes de lettres, savants et penseurs politiques. Turgot, Condorcet, l’abbé Mably ou encore l’abbé Morellet sont parmi ses invités. Elle fréquente en outre Julie de Lespinasse, Mme Blondel et sa sœur, Mme Douet mais aussi Malesherbes. Ce dernier lui fournit jusqu’à la Révolution, de nombreuses graines et arbres exotiques, contribuant ainsi, comme Hubert Robert ou Jean-Marie Morel, à l’aménagement du parc de La Roche-Guyon. Dès 1762, Mme d’Enville se passionne pour la Suisse où elle se rend afin d’y faire inoculer ses filles par Tronchin. Elle y retourne en 1763, 1765 et 1778. À Genève, elle tient un cercle, recevant des intellectuels et scientifiques parmi lesquels Charles Bonnet, Horace Benedict de Saussure, et George-Louis Le Sage. Surtout, elle se lie avec le pasteur Paul-Claude Moultou, son correspondant intime dès 1762.
Très proche de son fils, Mme d’Enville mise sur ses relations scientifiques pour parfaire l’éducation de son héritier (élu en 1781 à l’Académie des Sciences). Elle-même prend des leçons de mathématiques avec Legendre en 1763 et constitue une collection de minéraux. Grande lectrice, elle échange également des ouvrages avec Turgot et aime tout particulièrement Rousseau.
Sur le plan politique, elle ose afficher ses idées libérales. Elle prend ainsi cause pour les protestants Calas et Sirven. En 1774, elle soutient Turgot auprès de son parent Maurepas et œuvre en faveur de son entrée au ministère, un parti pris qui lui vaut d’être l’une des cibles du pamphlet Les Trois Maries.
À partir de 1776, elle se lie avec Franklin et poursuit l’activité de son salon jusqu’à ce que la Révolution n’entraîne un repli sur la sphère familiale. En 1792, elle assiste, au retour d’un séjour aux eaux de Forges, à l’assassinat de son fils, tué d’un coup de pierre par un révolutionnaire. Emprisonnée avec sa belle-fille, Alexandrine de Rohan-Chabot, elle est libérée le 2 octobre 1794. Elle meurt à son domicile parisien le 31 mai 1797.
Mme d’Enville n’est jamais tombée dans l’oubli. La correspondance qu’elle a reçue fait l’objet d’études récentes valorisant cette aristocrate riche et influente qui a fait de La Roche-Guyon un important lieu de rayonnement des Lumières et qui a su tisser un réseau dense de relations européennes. On lui reconnaît également des facultés d’administratrice et d’éducatrice, mises à profit pour faire fructifier son patrimoine et redorer le blason familial, terni par la disgrâce de son père.
Oeuvres
- Correspondance de la duchesse d'Enville, éd. Michèle Crogiez et Élisabeth Badinter, Paris, Éditions de l’œil, 2016, 240 p.
Choix bibliographique
- Couffy, Annick (dir.), Curiositas humana est. Le château de la Roche-Guyon. Un salon scientifique au siècle des Lumières, s.l., Val-d’Oise Éditions, 1999, 140 p.
- Ruwet, Joseph (dir.), Lettres de Turgot à la duchesse d’Enville (1764-1764 et 1777-1780), Louvain/Leiden, Bibliothèque de l’Université/E. J. Brill, 1976, 236 p.
- Vermelle, Alison, « Malesherbes et ses belles amies, thèse de doctorat», Université Paris-Nanterre, 26 novembre 2016.
- Wick, Gabriel, Un paysage des Lumières : Le jardin anglais du château de la Roche-Guyon, Paris, Éditions ArtLys, 2014, 141 p.
Choix iconographique
- 1740 : Nattier Jean-Marc, « La belle source », gravure, collection privée.
- Non daté : Anonyme (Atelier de Nattier), Louise Elisabeth Nicole de La Rochefoucauld, duchesse d’Enville, collection privée -- Curiositas humana est, voir supra Choix bibliographique, p. 32.
- Non daté : Roslin Alexandre, La duchesse d’Enville, pastel, 42x37 cm, collection privée.
Jugements
- « (…) l’exemple d’une modestie, d’une simplicité, d’un oubli de toute espèce de prétention, que je ne vis jamais à cet âge que chez elle. » (Tronchin Théodore, lettre du 4 décembre 1765, collection Clerc de Landresse, citée dans Tyl Pierre, « Le salon de la duchesse d’Enville, un cénacle épris de sciences et de progrès », in Curiositas humana est, voir supra Choix bibliographique, p. 36).
- « Elle n’a pas les grands airs de nos grandes dames, elle a le ton assez animé, elle est un peu entichée de la philosophie moderne mais elle la pratique plus qu’elle ne la prêche. » (Du Deffand Marie, Lettre à Horace Walpole, 21 mars 1768, dans Du Deffand Marie, Lettres de la marquise du Deffand à Horace Walpole écrites dans les années 1759 à 1775, Paris, Treuttel et Würtz, vol. 1, p. 215-216).
- « C’est une dame d’un esprit et d’un mérite peu communs » (Franklin Benjamin, Mémoires sur la vie et les écrits de Benjamin Franklin [1785], Paris, Treuttel et Würtz, 1818, vol 2, p. 311).
- « C’est une femme parfaitement bonne, douée de cette simplicité que fait disparaître souvent l’orgueil familial ou la morgue du rang social. » (Young Arthur, Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, Paris, A. Colin, p. 262).
- « C’était madame la duchesse d’Enville, dont le caractère était encore plus noble que la race, et l’âme plus élevée que le rang. » (Boissy d’Anglas François-Antoine, Essai sur la vie, les écrits et les opinions de M. de Malesherbes, Treuttel et Würtz, 1819, vol. 1, p. 9).