Élisabeth d'Autriche/Hilarion de Coste
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I,547] ELIZABET D'AUSTRICHE (1), REYNE DE FRANCE.
JE commenceray les Vies et les Eloges des Elizabets ou Isabelles par cette Reyne Tres-Chrestienne et Tres-Catholique, femme du Roy Charles IX. de glorieuse memoire, fille de l'Empereur Maximilien II. soeur des Empereurs Rodolfe II. et Mathias, et tante de Philippe III. Roy d'Espagne pere de nostre Reyne, qui a mené une vie digne du Ciel, sans offenser la divine Majesté, ainsi que nous avons remarqué de la Reyne Claude; car la main de Dieu n'est point racourcie, et la saison des Saints n'est pas passée, et les grands exemples ne se voyent pas seulement dans les vieilles Histoires. Le Cardinal Bellarmin avoit sujet d'appeller le 16. siecle, le siecle des Saints. Il nous a appris qu'il s'en trouve de toutes conditions, qu'ils ne sont pas tous au desert, qu'il s'en peut trouver à la Cour et dans le Louvre; et que les grandes, et les nobles parties du [548] Monde, sont aussi capables de vertu et de sainteté, que les petites et les basses: Pourquoy en seroient-elles incapables? Dieu n'est-il pas le Dieu des montagnes, aussi bien que le Dieu des vallées? n'y avoit-il pas de l'or autour du Sanctuaire? n'y avoit-il pas de la pourpre et des pierreries? JESUS-CHRIST n'a t-il point souffert à la teste, et pour la justification des testes couronnées? Les Roys et les Reynes doivent estre vertueux, et se sanctifier aussi bien que les plus petits de leurs Royaumes. Elizabet d'Austriche Reine de France leur en a donné un exemple qui ne reçoit point de contredit. Celuy qui mit les fondemens de Sion sur les montagnes, voulut que la majesté et la noblesse servissent de baze à l'ouvrage qu'il avoit à faire en elle. Il voulut qu'elle nâquist tres-hautement, et d'une Maison qui a donné treize Empereurs à l'Allemagne, un Roy à l'Angleterre, cinq Roys à l'Espagne, des Roys à la Hongrie et à la Boheme, et qu'elle entrast en une autre plus élevée, plus ancienne, et plus auguste, et qu'elle portast le diadéme des Lys, et le titre de Reyne du premier Royaume du monde, afin que sa lumiere fust regardée de plus loin; que ses bien-faits s'estendissent à plus de personnes; et que ses vertus éclatassent davantage.
La pieté, la douceur, la pureté, et les autres vertus d'Elizabet d'Austriche Reyne de France, m'obligent aussi de commencer les Eloges des Elizabets ou Isabelles illustres de ces derniers temps par cette Princesse que nostre Roy Charles IX. son mary appelloit sa Sainte, pour ses perfections et ses merites, et louoit Dieu et le remercioit tous les jours, pour luy avoir fait la faveur de luy donner pour femme la plus vertueuse, et la plus sage Princesse de l'Europe; sa vie a esté digne du Ciel. L'envie et la médisance ont beau regarder cette tres-vertueuse Reyne; de quelque costé qu'elles la regardent, dans les Cours de France et de l'Empire, dans les Cabinets, dans les Hospitaux, et dans les Monasteres, soit en la condition de fille, soit en celle de femme, soit en celle de veuve, elles ne trouveront que de la pieté: sa vie toute sainte n'a point laissé de tache à sa memoire.
Cette lumiere de nos jours vid la lumiere du jour le 5. de Juin 1554. à Vienne en Austriche, au grand contente-[549]ment de l'Empereur Maximilien II. son pere, qui témoigna bien de la joye à la naissance de cette tres-vertueuse Heroïne, qui fut soigneusement élevée à la vertu et à la pieté par sa mere l'Imperatrice Marie tres-sage Princesse, avec ses autres soeurs, entre autres Anne Reyne d'Espagne, 4. femme de Philippe II. (de laquelle j'ay écrit l'Eloge dans les Annes illustres) et Marguerite Religieuse au Monastere des Deschaussées de Madrid. L'on ne parloit non seulement dans la Cour de l'Empereur son pere, mais aussi par la Boheme, l'Austriche, la Hongrie, et l'Allemagne, que des vertus de cette Princesse, digne fille d'une si bon Prince (qui a esté appellé pour sa douceur et sa bonté comme Tite, les delices du monde) le Ciel l'ayant couronnée Reyne des Vertus avant qu'elle portast la Couronne de Reyne de France. La renommée ayant publié ses vertus par toutes les Cours de l'Europe, le Roy Charles IX. Prince prudent et avisé pour son jeune aage, ayant ouy parler des perfections et des vertus de cette Princesse, 2. fille de l'Empereur Maximilien, l'envoya demander en mariage à son pere, par deux Seigneurs qui estoient ses plus confidens, et dignes d'une Ambassade si celebre et si honorable (2). L'un estoit Albert de Gondy lors Comte de Raiz (qu'il honora l'an 1573. d'un baston de Mareschal de France) l'un des plus accomplis et des plus prudens Courtisans de son temps, qui gagna les bonnes graces de ce jeune Monarque son maistre, sans encourir la haine du peuple, qui posseda sa personne sans l'assieger, et que la fidelité de ses services rendoit si asseuré de l'affection de son Prince, qu'il n'empescha jamais personne de l'aborder: Ceux qui ont veu la vieille Cour sçavent qu'il laissoit à tous les Princes, et à tous les Grands la liberté de l'entretenir, et sçachant bien qu'il possedoit son coeur, il ne craignoit point de leur abandonner son oreille: Aussi sa faveur fut sans envie, parce qu'elle estoit sans violence, et elle dura non seulement pendant le regne de son Maistre, mais aussi de son frere et successeur, qui le crea Duc et Pair de France. Il a esté sans flaterie l'image d'un parfait Ministre, pour s'estre conduit avec tant de prudence en un temps [550] où l'heresie avoit divisé toute la France, qu'il n'eut point d'autres ennemis que ceux de l'Estat, duquel la puissance ne fut jamais fatale à aucun, et jamais ne voulut nuire à personne, quoy qu'il pust beaucoup dans cet Empire des Lys sous le regne de Charles, duquel ayant aimé la personne et l'Estat, on peut dire qu'il occupa seul auprés de sa Majesté les deux places que Craterus et qu'Ephestion occupoient auprés d'Alexandre. L'autre estoit Nicolas de Neufville Seigneur de Villeroy, dont le nom est celebre par tout le monde, pour avoir exercé fidelement la charge de Secretaire d'Estat, non seulement sous le Roy Charles son Maistre; mais aussi sous Henry III. et IV. et Louys XIII. Ces Seigneurs ayant obtenu ce qu'ils desiroient du bon Maximilien en faveur du Roy leur Maistre, ils firent sçavoir à sa Majesté la volonté de l'Empereur.