Marie-Louise Dugès/Aloïs Delacoux : Différence entre versions
De SiefarWikiFr
(Page créée avec « [97] '''LACHAPELLE (MARIE-LOUISE DUGÈS, veuve)'''. Le nom de cette femme illustre figure en trop beaux caractères dans les annales de la science pour que l’histoire de no… ») |
(Aucune différence)
|
Version actuelle en date du 6 novembre 2011 à 17:37
[97] LACHAPELLE (MARIE-LOUISE DUGÈS, veuve). Le nom de cette femme illustre figure en trop beaux caractères dans les annales de la science pour que l’histoire de notre époque ne s’en empare point pour le léguer à la postérité. La carrière de madame Lachapelle n’est pas seulement remarquable par le savoir éminent et le mérite dont elle a donné tant de preuves éclatantes; cette carrière a encore été rehaussée par une foule de vertus et de qualités privées qui rarement accompagnent les grandes réputations. Nous voudrions qu’il nous fût permis de donner ici un tableau complet de la vie de madame Lachapelle, mais le plan que nous nous sommes tracé ne permet que d’en offrir un portrait.
Marie-Louise Dugès naquit à Paris, le 1er janvier 1769. Son père, Louis Dugès, y exerçait la profession d’officier de santé; sa mère, Marie Jonet, était sage-femme jurée au Châtelet, et ayant été nommée, en 1775, sage-femme en chef de l’Hôtel-Dieu, elle s’y établit, et en remplit les fonctions avec des talens, un zèle, une activité, qui la firent distinguer et lui méritèrent une pension qui lui fut accordée par brevet du roi Louis XVI. Élevée avec soin sous les yeux de sa mère, qui dirigea en partie son éducation, instruite par ses leçons et formée à ses exemples, mademoiselle Louise Dugès, douée des plus heureuses dispositions, montra de très-bonne heure un goût décidé pour l’étude; en grandissant elle acquit, presque sans s’en apercevoir, toutes les connaissances théoriques et pratiques qui constituent l’art des accouchemens. Mariée à vingt-trois ans, en 1792, avec M. Lachapelle, chirurgien chargé du service de l’hôpital Saint-Louis, et veuve en 1795, madame Lachapelle, qui n’avait point quitté l’Hôtel-Dieu, se consacra entièrement aux devoirs de son pénible état, par-[98]tagea tous les travaux de sa mère dont elle ne s’était jamais séparée, la remplaça souvent dans la pratique, dans ses leçons, et mérita bientôt d’être nommée son adjointe.
En 1793, lorsqu’on s’occupa à réformer les graves et nombreux abus qui existaient dans les établissemens publics destinés aux pauvres et aux malades, et qu’on voulut consacrer un local aux femmes enceintes et en couches, besoin reconnu depuis long-temps, madame Lachapelle, dont le zèle et les lumières étaient déjà connus, fut consultée sur cet objet avec plusieurs médecins éclairés de la capitale. Plus tard, en 1795, elle fut spécialement chargée de diriger, de surveiller tous les détails du nouvel établissement qui, formé dans le local ci-devant de Port-Royal, prit le nom d’hospice de la Maternité, et depuis celui de Maison d’accouchemens. Cet établissement fut organisé tel qu’il est aujourd’ui [sic]. Madame Lachapelle avait reconnu que le mode d’enseignement suivi précédemment à l’Hôtel-Dieu était insuffisant pour former de bonnes sages-femmes; elle s’occupa dès-lors à exécuter le plan qu’elle avait conçu, plan qui fut adopté par le ministre Chaptal et mis à exécution; et, par un réglement, l’organisation de la nouvelle école fut fixée. Baudelocque, nommé professeur au même établissement, trouva dans madame Lachapelle, pour qui il avait l’estime et la considération la plus grande, un auxiliaire précieux pour l’instruction. Sous ces deux maîtres, l’institution à la Maternité prit toute la solidité, l’importance qu’on pouvait désirer, et la nouvelle école acquit une célébrité digne des deux illustres professeurs qui la dirigeaient.
Pour apprécier toute l’étendue des services que madame Lachapelle a rendus à cet établissement, il faut la considérer dans l’exercice de ses fonctions. Comme institutrice, [99] personne ne réunit plus heureusement le savoir, la méthode et la précision, qualités qui rendirent ses leçons si fructueuses. Madame Lachapelle s’énonçait d’une manière simple et facile, parcourait successivement tous les points du sujet qu’elle avait annoncé, insistait plus ou moins suivant le degré d’importance de la question proposée. Sachant que les préceptes les plus simples, les explications les plus précises ne frappent point également tous les auditeurs, elle avait soin de les répéter, de les présenter sous une forme différente, de les rendre sensibles aux yeux par des manoeuvres sur le mannequin, et d’en augmenter l’intérêt par le récit de quelques-uns des cas que les élèves avaient déjà eu occasion de remarquer dans les exercices cliniques. Aucun moyen d’instruction n’était négligé par l’illustre maîtresse pour graver profondément les préceptes de l’art dans l’esprit de ses jeunes disciples. Tous les accouchemens contre nature devenaient pour madame Lachapelle le texte d’une improvisation lumineuse; après avoir exposé le fait avec toutes ses circonstances, elle faisait connaître les motifs qui avaient déterminé le procédé opératoire et les attentions qu’on doit apporter avant et pendant l’execution. C’est avec de telles leçons cliniques que cette célèbre institutrice a formé un si grand nombre d’élèves, qui aujourd’hui honorent autant sa mémoire qu’elles l’ont chérie de son vivant. Faisant marcher de front l’étude avec l’observation, par celle-ci elle eut bientôt rectifié les travers de certaines spéculations scientifiques tout-à-fait imaginaires. Une théorie, quelque simple qu’elle puisse être, bien souvent est au-dessus de la portée de jeunes personnes qui n’apportent dans l’étude des accouchemens qu’une éducation fort imparfaite, comme la plupart des élèves envoyées de province. À l’égard [100] de celles-ci, madame Lachapelle avait plutôt en vue de former des sages-femmes d’assistance passive que de secours actifs dans les cas graves. Apportant dans l’enseignement et dans les démonstrations autant de patience que de bonté, c’est à l’aide de ces qualités qu’elle s’attachait ses élèves; qu’elle savait faire aimer l’étude aux unes, décider la vocation des autres, et aplanir les difficultés que la plupart d’entre elles rencontrent au début de la carrière. Développer les conceptions, féconder les plus obtuses, les disposer et les façonner à l’intelligence de l’art des accouchemens, fut un talent que posséda à un degré supérieur cette habile institutrice. Sinon toujours avec succès, du moins avec fruit pour la multitude, elle enseignait d’abord l’art d’observer, de reconnaître la disposition, la direction, la tendance des efforts de la nature; les cas où il faut se borner à attendre ou à l’aider dans le sens de ses efforts; ceux dans lesquels il faut agir et changer les dispositions qui se présentent pour de plus favorables: triples indications qui, dans l’exercice de l’obstétrique, doivent toujours être présentes à l’esprit de celle qui opère. Si nous suivons madame Lachapelle dans sa pratique, nous aurons encore à louer ses attentions dans tous les cas, sa dextérité dans ceux qui nécessitent des manoeuvres particulières. Tous ceux, juges dans cette matière, qui l’ont vue procéder, ont admiré sa dextérité, son adresse, et surtout la haute portée de son intelligence dans les circonstances graves et embarrassantes. Possédant au plus haut degré la philosophie de son art, madame Lachapelle, avant de commencer une manoeuvre, avait toujours soin d’en prévenir la femme et de lui en faire sentir la nécessité, les avantages, et d’éloigner de son esprit la crainte et l’inquiétude. S’agissait-il de l’application du forceps qu’elle employait si rarement, elle [101] ne manquait jamais de faire voir l’instrument à la femme, et de lui expliquer à peu près son usage et sa façon d’agir.
Il ne suffit point d’avoir à sa disposition tous les élémens pratiques d’une science pour édifier et construire un corps de doctrine solide; il faut encore savoir les recueillir, les juger sous leur véritable point de vue, prendre chacun pour ce qu’il vaut, les rapprocher, les comparer, en former un tableau d’après lequel on puisse établir d’une manière sûre et précise leurs rapports, et de leur ensemble déduire les cas fondamentaux qui se présentent dans la carrière des accouchemens. De cette manière de procéder, il découle une source féconde de préceptes qui, d’un côté, tendent à détruire les abus, les préventions, les méthodes routinières; d’un autre côté, concourent à la perfection de l’art, moins en ajoutant qu’en modifiant les doctrines jugées, reçues et accréditées même, et tournent au profit de l’humanité.
Tout en satisfaisant à l’empressement et au voeu général, en publiant les fruits de ces mêmes observations, nous regrettons cependant, en les mettant en ordre, que l’auteur de la Pratique des Accouchemens se soit trop attachée aux spéculations de l’habile maître. Madame Lachapelle, en raison de sa grande expérience, eût rendu un service immense aux personnes de sa profession, en réduisant son ouvrage, ainsi que l’indique le titre, aux connaissances rigoureuses de l’art des accouchemens. Trop souvent, à l’exemple de Baudelocque, l’auteur de la Pratique des Accouchemens a écrit pour les esprits très-versés dans la science. S’il fallait connaître rigoureusement, avec madame Lachapelle et son devancier, la multiplicité des positions dans lesquelles le foetus peut se présenter, ce serait le plus petit nombre des femmes qui serait apte à [102] l’intelligence de l’art des accouchemens dans tous ses détails.
Dans ses leçons orales, madame Lachapelle faisait cependant ressortir les inconvéniens de multiplier les élémens d’une science; ce qui a surtout celui de surcharger inutilement la mémoire des élèves, et de leur faire voir ou attendre dans la pratique des choses qui n’ont jamais existé; par cela même, elles peuvent être trompées dans leur diagnostic, et, qui pis est, dans leurs procédés opératoires, jusqu’au temps du moins où l’expérience leur a appris à distinguer le certain de l’hypothétique. À tous égards cependant nous devons à madame Lachapelle un traité complet sur l’art qu’elle a exercé avec tant de distinction. Cet ouvrage, dont la première partie seulement était publiée lorsque la mort l’a frappée, a été achevé et publié par les soins de M. Dugès, son neveu, que le savoir et le mérite ont placé de si bonne heure à l’apogée de la gloire médicale. Le grand nombre d’exemples choisis et d’observations particulières, tirés de sa pratique, et dans lesquels on saisit avec la plus grande facilité toutes les circonstances concomitantes du cas exposé, les changemens successifs qui ont été déterminés par la nature ou les procédés de l’art, forment un véritable cours clinique, d’autant plus précieux et instructif, qu’on y trouve exactement les faits tels que la nature les offre. Les ouvrages de madame Lachapelle sont remarquables surtout par les preuves d’une prudence consommée, de la circonspection la plus grande à observer la tendance, la direction des efforts de la nature. Les préceptes les plus sages, les plus importans, toujours fondés sur l’expérience, viennent résumer les considérations dans lesquelles l’auteur se montre aussi savant que positif. Au poste honorable qu’occupa pendant vingt-cinq ans ma-[103]dame Lachapelle, l’instruction ne fut pour elle que la moitié de la tâche qu’elle avait acceptée.
La Maternité, comme école et comme hospice, subit de nombreux changemens sous la direction de cette femme illustre. Par ses soins, bientôt cet asile de la misère et de l’infortune devint ce qu’il est aujourd’hui. La Maternité fut pour ainsi dire la dotation et le patrimoine de madame Lachapelle, qui n’usait de son autorité et de son crédit que pour appeler sur cet établissement toutes les améliorations dont il était susceptible. De la part de tant d’infortunées, que la dissolution, la misère y reléguaient chaque jour, on n’entendit jamais que la voix de la reconnaissance en retour des soins et des consolations que prodiguait, sans préférence et sans autre distinction que la nécessité, celle que ses talens et sa réputation auraient pu placer au sein des séductions et des jouissances du monde. Madame Lachapelle ne se plaisait que parmi ses enfans, et regardait comme faisant partie de sa famille toutes celles qui avaient besoin de ses lumières tutélaires. Constamment occupée dans son domaine, elle ne le quittait que lorsqu’elle était sûre que son absence ne serait point aperçue, et quand son ministère était impérieusement réclamé au-dehors. Aussi considérée dans le monde que respectée et aimée dans son hospice, madame Lachapelle avait su gagner tous les coeurs par sa douceur et sa bonté; aussi ne la nommait-on partout que la bonne madame Lachapelle. Ses élèves étaient toujours sûres de trouver en elle aussi bien une amie qu’une institutrice patiente dans l’instruction jusqu’à la complaisance. Ces qualités, à la disposition de qui les réclamait, ne lui faisaient cependant rien perdre de son autorité ni de sa grande influence. Entourée de respect et de considération, sachant obtenir sans commander, [104] personne ne sut aussi bien qu’elle mettre d’accord ses obligations comme supérieure avec les devoirs de ses élèves. Ses observations étaient autant de conseils, et ses réprimandes autant d’avis qui ne laissaient jamais de regrets. Les unes et les autres, aussi justes que profitables, appelaient plutôt la reconnaissance que le ressentiment. À l’égard des pauvres femmes confiées à ses soins, ses paroles étaient toutes de consolation. Jugeant parfaitement que, quels que soient les soins reçus dans un hospice, ils ne peuvent dédommager des sollicitudes domestiques ni de l’entourage d’une famille, et que l’isolement aggrave les souffrances; à cette absence de consolations, madame Lachapelle savait suppléer par des prévenances délicates et des attentions soutenues, et ici les ressources de son esprit secondaient merveilleusement les dispositions de son coeur. Un tact fin et délicat lui permettait de juger sur les empreintes de la physionomie des sentimens de l’ame, et d’y répondre toujours selon le voeu des malades.
Dans le monde, madame Lachapelle se faisait distinguer autant par sa conversation pleine d’agrément, et remarquable surtout par une touche d’originalité qu’elle tenait tout-à-fait de la nature, que par la grâce et la simplicité de ses manières. Modeste quelquefois jusqu’à l’humilité, elle cherchait plutôt à s’instruire qu’à se faire remarquer. La modestie chez madame Lachapelle était telle, qu’aux yeux même de ceux qui ne connaissaient point son coeur, elle pouvait passer pour de l’affectation. Son savoir et son habileté ne se déployaient jamais que dans les circonstances opportunes, et lorsqu’ils devaient être efficaces dans leur application. Quoique douée d’une grande sensibilité, son ame ne se laissa jamais subjuguer, même passagèrement, par cet enivrement d’amour-[105]propre si naturel, surtout aux femmes de quelque supériorité.
À une époque fameuse, où la réputation de madame Lachapelle était européenne, elle balança celle de l’illustre Dubois pour assister Marie-Louise, et l’aider à donner un héritier à la couronne de l’empire français, et à cet effet elle eut plusieurs conférence [sic] avec les personnes les plus influentes à la cour. En ne la préférant point à son compétiteur et à son ami, on n’a fait qu’obéir aux usages du siècle qui, depuis longtemps, imposent aux princesses un accoucheur plutôt qu’une sage-femme.
Les travaux et les méditations ont contribué puissamment, nous n’en doutons point, à abréger la carrière de madame Lachapelle, morte à cinquante-deux ans. Une maladie cruelle, au-dessus encore des ressources de l’art, maladie organique de l’estomac, s’est manifestée long-temps avant la terminaison fâcheuse. Douée d’un grand courage, madame Lachapelle, quoique souffrante, n’interrompit ni ses leçons ni ses occupations; elle cachait même soigneusement ses douleurs aux personnes qui l’entouraient pour mieux continuer ses travaux et l’exercice de ses fonctions. Cependant le mal faisait sensiblement des progrès, qui la ravirent à ses amis, à la science et à l’humanité, le 4 octobre 1821. Cette perte fut sentie, non-seulement par toutes les personnes attachées à l’établissement, mais par toutes celles qui avaient connu madame Lachapelle. Elle causa également de vifs regrets à tous les hommes de l’art qui en désirent sincèrement les progrès, et qui savaient combien celle dont ils déploraient la perte pouvait y contribuer.
Indépendamment des discours qui furent prononcés sur sa tombe, avec l’accent de la douleur la plus profonde, M. De La Bonardière paya, au nom du conseil général des hôpitaux, [106] un tribut de regrets à la mémoire de cette femme de bien, à la distribution des prix de l’école d’accouchement, de même que l’illustre professeur Chaussier.