Louise de Savoie/Hilarion de Coste : Différence entre versions
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PHILIPPE Comte de Bresse, ou de Baugé en Bresse, puis Duc de Savoye, cinquiéme fils de Louys Duc de Savoye, et d'Anne de Cypre, ou de Luzignan, fille de Jean III. Roy de Cypre, fut marié deux fois. Il épousa en premiere noces Marguerite de Bourbon, fille de Charles I. du nom Duc de Bourbonnois, et d'Agnes de Bourgongne; et en secondes Claude de Brosse, dite de Bretagne, de la Maison de Penthevre. Ce Prince eut six enfans, un fils naturel, qui fut René legitimé de Savoye, Comte de Villars, qui [158] épousa Anne Comtesse de Tende, de la Maison de Lascaris, duquel sont issus les Marquis de Villars, les Comtes de Tende et de Sommerive, et plusieurs Dames alliées aux Maisons de Lorraine, de Luxembourg, de Montmorency, de Batarnay, et Desprez: du second lit il eut deux fils, et une fille; Charles III. du nom, Duc de Savoye, surnommé le Bon, qui épousa Beatrix, fille d'Emanuel Roy de Portugal. Les Ducs de Savoye sont descendus de ce Prince. Philippe de Savoye, Comte de Genevois, Duc de Nemours, marié à Charlotte d'Orleans, de la Maison de Longueville; de luy sont issus les Ducs de Nemours. La fille fut Phileberte, femme de Julien de Medicis, dit le Magnifique, frere du Pape Leon X. Du premier lit il eut un fils, et une fille; le fils fut Philebert, dit le Beau, Duc de Savoye, mort sans enfans de ses deux femmes Ioland-Louyse de Savoye, et Marguerite d'Austriche; la fille a esté Louyse de Savoye, femme de Charles de Valois ou d'Orleans Comte d'Angoulesme, et mere de nostre grand Roy François.<br /> | PHILIPPE Comte de Bresse, ou de Baugé en Bresse, puis Duc de Savoye, cinquiéme fils de Louys Duc de Savoye, et d'Anne de Cypre, ou de Luzignan, fille de Jean III. Roy de Cypre, fut marié deux fois. Il épousa en premiere noces Marguerite de Bourbon, fille de Charles I. du nom Duc de Bourbonnois, et d'Agnes de Bourgongne; et en secondes Claude de Brosse, dite de Bretagne, de la Maison de Penthevre. Ce Prince eut six enfans, un fils naturel, qui fut René legitimé de Savoye, Comte de Villars, qui [158] épousa Anne Comtesse de Tende, de la Maison de Lascaris, duquel sont issus les Marquis de Villars, les Comtes de Tende et de Sommerive, et plusieurs Dames alliées aux Maisons de Lorraine, de Luxembourg, de Montmorency, de Batarnay, et Desprez: du second lit il eut deux fils, et une fille; Charles III. du nom, Duc de Savoye, surnommé le Bon, qui épousa Beatrix, fille d'Emanuel Roy de Portugal. Les Ducs de Savoye sont descendus de ce Prince. Philippe de Savoye, Comte de Genevois, Duc de Nemours, marié à Charlotte d'Orleans, de la Maison de Longueville; de luy sont issus les Ducs de Nemours. La fille fut Phileberte, femme de Julien de Medicis, dit le Magnifique, frere du Pape Leon X. Du premier lit il eut un fils, et une fille; le fils fut Philebert, dit le Beau, Duc de Savoye, mort sans enfans de ses deux femmes Ioland-Louyse de Savoye, et Marguerite d'Austriche; la fille a esté Louyse de Savoye, femme de Charles de Valois ou d'Orleans Comte d'Angoulesme, et mere de nostre grand Roy François.<br /> | ||
J'ay creu qu'il estoit necessaire au commencement de la vie de cette grande Princesse, mere et ayeule de nos Roys, de m'arrester à décrire sa genealogie, à cause que cela servira grandement pour l'esclaircissement de quelques points et particularitez, dont je seray necessairement contraint de parler sur la fin de son Eloge.<br /> | J'ay creu qu'il estoit necessaire au commencement de la vie de cette grande Princesse, mere et ayeule de nos Roys, de m'arrester à décrire sa genealogie, à cause que cela servira grandement pour l'esclaircissement de quelques points et particularitez, dont je seray necessairement contraint de parler sur la fin de son Eloge.<br /> | ||
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(16) Milan, d'argent, à la Bisse ou Givre d'azur, lissant de gueules, que l'on dit autrement, au Serpent d'azur, qui engloutit un enfant de gueules. | (16) Milan, d'argent, à la Bisse ou Givre d'azur, lissant de gueules, que l'on dit autrement, au Serpent d'azur, qui engloutit un enfant de gueules. | ||
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[II,157] LOUYSE DE SAVOYE, DUCHESSE D'ANGOULESME (1), et d'Anjou, Comtesse du Maine.
PHILIPPE Comte de Bresse, ou de Baugé en Bresse, puis Duc de Savoye, cinquiéme fils de Louys Duc de Savoye, et d'Anne de Cypre, ou de Luzignan, fille de Jean III. Roy de Cypre, fut marié deux fois. Il épousa en premiere noces Marguerite de Bourbon, fille de Charles I. du nom Duc de Bourbonnois, et d'Agnes de Bourgongne; et en secondes Claude de Brosse, dite de Bretagne, de la Maison de Penthevre. Ce Prince eut six enfans, un fils naturel, qui fut René legitimé de Savoye, Comte de Villars, qui [158] épousa Anne Comtesse de Tende, de la Maison de Lascaris, duquel sont issus les Marquis de Villars, les Comtes de Tende et de Sommerive, et plusieurs Dames alliées aux Maisons de Lorraine, de Luxembourg, de Montmorency, de Batarnay, et Desprez: du second lit il eut deux fils, et une fille; Charles III. du nom, Duc de Savoye, surnommé le Bon, qui épousa Beatrix, fille d'Emanuel Roy de Portugal. Les Ducs de Savoye sont descendus de ce Prince. Philippe de Savoye, Comte de Genevois, Duc de Nemours, marié à Charlotte d'Orleans, de la Maison de Longueville; de luy sont issus les Ducs de Nemours. La fille fut Phileberte, femme de Julien de Medicis, dit le Magnifique, frere du Pape Leon X. Du premier lit il eut un fils, et une fille; le fils fut Philebert, dit le Beau, Duc de Savoye, mort sans enfans de ses deux femmes Ioland-Louyse de Savoye, et Marguerite d'Austriche; la fille a esté Louyse de Savoye, femme de Charles de Valois ou d'Orleans Comte d'Angoulesme, et mere de nostre grand Roy François.
J'ay creu qu'il estoit necessaire au commencement de la vie de cette grande Princesse, mere et ayeule de nos Roys, de m'arrester à décrire sa genealogie, à cause que cela servira grandement pour l'esclaircissement de quelques points et particularitez, dont je seray necessairement contraint de parler sur la fin de son Eloge.
Louyse nâquit au Pont-din en Savoye l'an 1477 (2). Sa mere Marguerite de Bourbon Duchesse de Savoye, l'éleva avec un grand soin les premiers ans de sa vie. Cette bonne Princesse de la Maison de Bourbon estant ravie trop tost de ce monde, par une phtisie qui l'alla peu à peu minant et consumant. Louyse estant en aage d'estre mariée fut tant pour sa noblesse que pour sa vertu recherchée par plusieurs Princes, entre autres par Charles d'Orleans Comte d'Angoulesme, Prince du Royal sang de France, estant fils du Bienheureux Jean d'Orleans Comte d'Angoulesme, et de [159] Marguerite de Rohan (3), et petit fils de Louys de France Duc d'Orleans, fils puisné du Roy Charles V. dit le Sage. Charles Comte d'Angoulesme avoit tous les traits de visage semblables à ceux du Roy Charles son bisayeul, et fut aussi imitateur de ses vertus.
Ce Prince ayant esté nourry jeune en la Cour du Roy Louys XI. avoit remarqué tant de vertus en la Reyne Charlotte, qu'il crût ne pouvoir faire un meilleur chois que dans la Maison de Savoye, qui avoit eu une si douce, si patiente, et si genereuse Princesse, et laquelle (comme dit fort bien un Ecrivain moderne (4) avoit ce bon-heur que d'estre en mesme temps alliée en plusieurs façons à la Royale Maison de France. Il avoit veu Charlotte de Savoye Reyne de France, et Ioland de France Duchesse de Savoye, et la mere de Louyse estoit, comme nous avons remarqué au commencement de cet Eloge, Princesse de la Maison de Bourbon, qui est une des branches de la famille Royale. Il voulut donc que ces trois alliances, et ces trois noeuds fussent fortifiez par un quatriéme.
Les noces de Charles et de Louyse furent celebrées à Paris au mois de Fevrier 1488. Dieu benit ce mariage d'une heureuse lignée, d'un fils, et d'une fille; desquels sont issus tous nos derniers Roys. Du fils, qui fut le grand Roy François, le Roy Henry II. son fils, et ses petits fils les Roys François II. Charles IX. et Henry III. tous de la Maison d'Angoulesme, à laquelle faute de masles a succedé celle de Bourbon-Vendosme. Le premier Prince des Bourbons qui est venu à la Couronne, comme le Chef de cette Race, estoit Henry Roy de Navarre, pere du Roy Louys XIII. et ayeul de nostre Roy Louys XIV. Henry eut pour mere Jeanne d'Albret Reyne de Navarre, fille de Marguerite de Valois ou d'Angoulesme, fille unique de Charles Comte d'Angoulesme, et de nostre Louyse de Savoye, et soeur du Roy François I.
Louyse ayant épousé le Comte d'Angoulesme, fut au Convent de JESUS MARIA du Plessis lés Tours, basty par les Roys Louys XI. et Charles VIII. trouver saint François de Paule (5), qui estoit en grande estime pour sa sainte vie, [160] et les miracles que Dieu faisoit par luy. Elle communiqua son desir à nostre glorieux Patriarche, et nostre grand Oncle, et le pria de se souvenir d'elle en ses prieres pour obtenir lignée; promettant qu'au cas que Dieu luy fist cette grace et cette faveur, elle feroit nommer François le fils que Dieu luy donneroit (6).
Quelque temps aprés retournant visiter ce saint Homme, il l'asseura de la part de Dieu qu'elle auroit deux enfans, une fille, et un fils; qu'il la prioit de les faire bien nourrir et instruire en la crainte de Dieu, d'autant que son fils seroit non seulement un tres-grand Prince, mais aussi Roy des François.
Quand saint François donna ces asseurances à la Comtesse Louyse, le Roy Charles VIII. regnoit en France, qui avoit des enfans, et Monsieur le Duc d'Orleans, qui depuis fut nostre Louys XII. estoit le premier Prince du Sang, Charles Comte d'Angoulesme, mary de Louyse, n'estant que fils de Jean Comte d'Angoulesme, frere puisné de Charles Duc d'Orleans, de Valois, et de Milan, pere de Louys XII.
Louyse de Savoye reconneut que la prophetie de ce fidele serviteur de Dieu estoit veritable; car elle eut deux enfans, François et Marguerite. François n'avoit que seize mois, Marguerite trois ans, quand Charles Comte d'Angoulesme son mary mourut fort Chrestiennement à Chasteau-neuf en Angoumois, aprés avoir receu avec une grande ferveur et devotion tous les Sacremens, lequel elle fit enterrer à Angoulesme, auprés du Comte Jean son pere, avec les honneurs deus à un Prince de sa Maison, comme remarque Jean de Saint Gelais Seigneur de Monlieu (7), qui loue cette Princesse pour n'avoir jamais bougé de la chambre du Comte son mary, pendant qu'il fut malade, et l'avoir servy tousjours nuit et jour comme une tres-humble et tres-simple servante: aussi elle l'avoit grandement affectionné, n'ayant, selon le fidele témoignage du mesme Autheur, eu ensemble une seule parole fascheuse, mais ayant vescu en tres-grande amitié et tres-bonne intelligence. On pouvoit dire de ce mariage ce qu'on disoit de celuy de [161] Hierôme et de Camille, de la Maison des Pallavicins, qu'il estoit l'image des plus accomplis, et qui se pouvoit dire sans espines, et encore plus parfait que l'autre, ayant esté beny de Dieu d'une heureuse lignée, conforme aux benedictions que Dieu promet en l'Escriture aux gens de bien, et qui le servent en amour et en crainte.
Quand Louyse de Savoye Comtesse d'Angoulesme demeura veuve du Comte Charles son mary, chargée de deux petits enfans, elle n'estoit aagée que de 18. ans. Ce coup inopiné, pareil à un foudre qui frappe en esclairant, surmonta et estonna ce grand courage, qui avoit assez de pieté pour supporter un tel accident, mais non pas assez de vigueur pour soustenir un assaut si brusque et si violent: c'est pourquoy elle demeura fort triste, et j'avoue qu'ayant leu les Autheurs qui ont escrit les Histoires des Royales Maisons d'Orleans et d'Angoulesme, il faut confesser avec eux qu'on ne sçauroit exprimer le déplaisir que receut cette Princesse quand la mort luy enleva son cher mary en la fleur de son aage, d'autant que les paroles l'amoindriroient plûtost que de le representer, et l'offenseroient au lieu de l'exprimer. La douleur qui se peut dire, ne se peut dire douleur; les petits déplaisirs donnent place à la plainte, mais les grands accablent l'esprit, et l'assoupissent. C'est pourquoy les anciens ont estimé que l'insensibilité et le silence estoient les seules couleurs qui pouvoient bien dépeindre une juste et incomparable affliction. Tous les serviteurs et domestiques du Comte Charles et de la Comtesse Louyse furent saisis de douleur et de regret à la mort de leur maistre, auquel nostre Roy Charles VIII. donna ce bel Eloge, quand il sceut les nouvelles de son decés: Qu'il avoit perdu l'un des hommes de bien qui fust entre les Princes de son Sang.
Dieu qui ne delaisse jamais les veuves et les orfelins, estant leur Pere et leur Protecteur, ayda et protegea Madame d'Angoulesme aux tristes jours de sa viduité. Le Duc d'Orleans (8), cousin germain de ses enfans leur ayant servy de pere. Ce bon Prince estant parvenu à la Couronne, les fit nourrir et eslever comme ses propres enfans: il fiança Claude de France sa fille aisnée à François Comte d'Angoules-[162]me, et aprés le decés de la Reyne Anne de Bretagne sa femme, Princesse absolue en ses volontez, qui n'aymoit pas Louyse, il fit celebrer les noces de François et de Claude. Il maria Marguerite à Charles Duc d'Alençon, Prince de la Maison de France, qui ne cedoit qu'à François Duc de Valois, et Comte d'Angoulesme: car les Maisons d'Anjou et de Bourgongne estant tombées par des filles en des Maisons étrangeres, celle d'Alençon estoit la plus proche de la Couronne, aprés celles d'Orleans et d'Angoulesme.
Quelques mois aprés que François Comte d'Angoulesme fils de Louyse eut épousé Claude de France, fille aisnée de Louys XII. ce bon Roy mourut à Paris sans laisser des fils, auquel Monsieur d'Angoulesme succeda, non comme gendre, mais comme le premier Prince du Sang et l'heritier apparent de la Couronne.
François estant aagé de vingt ans, qui estoit le plus beau, le plus agreable, et le plus adroit Prince de l'Univers, ayant succedé à la Couronne, et aux belles qualitez du Roy son beau-pere et cousin, donna à Louyse de Savoye sa mere le Duché d'Anjou, le Comté du Maine, et erigea en Duché en sa faveur le Comté d'Angoulesme, et allant faire la guerre en Italie aux Sforces, qui luy detenoient son Duché de Milan, l'establit Regente en ce Royaume, de laquelle charge Louyse s'acquitta dignement. Le Roy François s'étant rendu maistre du Milanois, y laissa pour Gouverneur Charles Duc de Bourbon et Connestable de France, auquel il l'osta trop legerement pour le donner à Odet de Foix, Seigneur de Lautrec. Le Connestable estant de retour en France, ses trois enfans moururent, leur decés fut suivy de celuy de leur mere Suzanne Duchesse de Bourbon femme du Connestable.
L'ample succession de la Duchesse de Bourbonnois et d'Auvergne, fut pretendue par Louyse de Savoye Duchesse d'Anjou et d'Angoulesme, comme plus proche, et cousine germaine de Suzanne: Louyse voyant que Charles de Bourbon Connestable de France estoit l'un des plus vaillans, et des plus beaux Princes du monde (je ne veux point en cet Eloge de Louyse parler de la valeur, et des autres [163] qualitez de ce Prince de la Royale Maison de Bourbon, puis qu'elles sont si connues, que les ignorer c'est estre privé de toute connoissance) elle desira de s'allier par mariage avec luy, afin que les Duchez et les Seigneuries que ce Prince possedoit, jointes à celles dont elle jouissoit pour ses deniers dotaux et son douaire, Charles de Bourbon, comme le plus vaillant, fut aussi le plus grand Seigneur terrien de France, aprés le Roy son fils.
Ce Prince mal conseillé refusa l'alliance de Louyse, sous pretexte qu'elle estoit plus aagée que luy qui n'avoit que trente-deux ans: mais ce refus luy cousta bien cher; car Louyse, par l'avis d'Antoine du Prat Chancelier de France, qui depuis fut Cardinal et Legat en ce Royaume, intenta procés contre Charles en la Cour de Parlement, pour raison de la succession de la plus grande part des biens de la Maison de Bourbon. Cette cause memorable fut plaidée par les plus celebres Avocats de la Cour, Montholon (9) (qui depuis fut President et Garde des Seaux) plaida pour Charles de Bourbon; Poyet (10) (qui a esté Chancelier de France) pour Louyse de Savoye, et Liset Avocat general (qui pour son integrité a esté honoré de la charge de premier President) pour le Roy. La Cour donna un Arrest en faveur de Louyse au prejudice du Connestable, qui fasché de cet affront, s'oublia tant de son devoir, que de se soustraire de l'obeissance du Roy son legitime Seigneur et Prince naturel, et par desespoir se rangea du party de l'Empereur Charles V. au grand malheur de la France; car François passant pour la seconde fois les Alpes, laissa Louyse sa mere encore Regente. Le Roy ne fut pas heureux en ce second voyage comme il avoit esté au premier. Ce Prince trop courageux, aprés avoir fait un merveilleux progrés en Lombardie, et jettant desja les yeux sur le Royaume de Naples, où il avoit envoyé une partie de ses gens sous la conduite du Duc d'Albanie, assiegea Pavie, où l'armée Imperiale se presentant pour faire lever le siege se donna la funeste bataille, en laquelle le Roy se presenta trop avant en la meslée, il fut pris prisonnier, et de là mené à Madrid en Espagne. Un Ecrivain Italien (11) dit que nostre Louyse sa mere [164] luy avoit conseillé de ne pas faire ce second voyage en Italie.
On ne sçauroit exprimer par des paroles la douleur qui saisit la Regente Louyse, quand elle receut les mauvaises nouvelles de ce malheureux et funeste accident; et le petit mot de lettre, par lequel le Roy François luy manda: Madame, tout est perdu excepté l'honneur: elle demeura si estonnée, si confuse, et si affligée, qu'avant que proferer une parole, elle versa de ses yeux une infinité de larmes, et tira de sa bouche mille cuisants souspirs. Elle ne se laissa pas tellement posseder à la douleur, qu'elle ne pensast aux moyens de procurer la delivrance du Roy son fils, ayant écrit plusieurs fois à l'Empereur, et envoyé en Espagne l'Archevéque d'Ambrun, depuis Cardinal de Tournon, et le President de Selve, puis sa fille Marguerite, qui pour lors estoit veuve de Charles Duc d'Alençon, qu'elle fit embarquer à Aiguemorte, d'où elle arriva heureusement à Barcelone, et de là à Madrid, assister le Roy qui estoit malade, comme nous dirons en l'Eloge de cette Princesse: qui estant de retour en France elle vint trouver la Regente sa mere, à laquelle ayant fait entendre les dures conditions que l'Empereur demandoit, Louyse entra en la Ligue du Pape Clement VII. de Henry VIII. Roy d'Angleterre, des Venitiens, des Suisses, et des Florentins qui estoient unis et joints ensemble, pour s'opposer à ce torrent de prosperité de l'Empereur. Le Roy estant depuis de retour en France, Louyse Duchesse d'Angoulesme et d'Anjou alla à Cambray, où à son instance, et de Marguerite d'Austriche, tante de l'Empereur, belle-soeur de Louyse, estant veuve de Philebert Duc de Savoye, le traité de paix fut resolu entre le Roy et l'Empereur.
Peu de temps aprés Louyse de Savoye s'acheminant de Fontaine-bleau à Romorantin, elle deceda au lieu de Grez en Gastinois le 22. de Septembre 1531. et fut inhumée dans l'Eglise de Saint Denys en France; elle estoit aagée lors de son decés de 54. ans. Aprés sa mort fut mis en lumiere un recueil d'Epitaphes en langues Latine et Françoise, faits par plusieurs sçavans hommes, comme saint Gelais, Macrin, [165] Tusan, Borbonius, et autres qui luy donnerent pour louange principale, d'avoir procuré la liberté du Roy son fils, et la paix de la France: mais sur tous François Olivier (12), lors Chancelier d'Alençon, et depuis de France, personnage tres-digne de cette grande charge, qu'il a exercée sous nos Roys François I. Henry II. et François II. luy fit divers excellens epitaphes en vers Latins, en l'un desquels il dit, que les incomparables merites de cette Princesse avoient fait douter si la Savoye, ou la France, ou le monde luy estoient plus obligez.
Isto quiescens ALLOBROX sub marmore
LOISA patriae praecipuum decus suae,
Et Galliarum splendor ac mundi decus;
Nescitur illi patria plúsne debeat
Tellus, an orbis vastus, an ipsa Gallia.
Une Muse Parisienne l'a mis en nostre langue en faveur des Dames (13).
Louyse de Savoye est sous ce monument,
Comme elle fut des siens le supréme ornement,
La splendeur de la France, et la gloire du monde;
On doute qui doit plus à ses soins immortels,
Ou son propre pays, ou la machine ronde,
Ou la France qui croit luy devoir des Autels.
La Savoye, pour avoir l'honneur d'estre mere d'une si rare Princesse; la France, pour luy avoir donné un Roy François; le Monde, pour luy avoir fait voir le plus grand de ses Monarques: la Savoye, pour l'avoir maintenue par une incroyable sagesse contre les efforts des malins et envieux; la France, pour avoir ressenty deux fois les effets d'une tres-sage et moderée Regente; le Monde, pour luy avoir apporté une paix universelle: la Savoye, pour avoir singulierement aymé ses Princes; la France, pour avoir sceu mettre le clou à la roue du precipice, dans lequel elle s'alloit abysmer; le Monde, pour luy avoir sauvé son oeil, je dis le Royaume de France: la Savoye, la France, et le Monde conneu-[166]rent par sa mort combien ils devoient à sa vie: la premiere en la perdant se perdit; la seconde perdit sa paix, et le troisiéme son arbitre.
Elle fut aussi fort regretée par le Roy son fils, qui l'aimoit et l'honoroit grandement; quelques années aprés son decés ayant demandé à Charles Duc de Savoye, frere paternel de Louyse, le passage pour aller à Milan, ce Prince luy refusa, comme aussi de luy faire raison des droits successifs acquis à sa Majesté, comme heritier de cette Princesse sa mere. Tellement que le Savoyard se vid en peu de temps despouillé de ses Estats, mesme de sa forte ville de Turin, capitale de Piémont, où le Mareschal de Montejan, le Seigneur de Langey, le Prince de Melphe, et le Mareschal de Brissac ont esté Gouverneurs, sous les regnes de François I. et de Henry II. qui par le traité de la malheureuse paix de l'an 1559. la rendit à Emanuel-Philebert, fils du Duc Charles, comme nous dirons en l'Eloge de Marguerite de France Duchesse de Savoye.
Louyse de Savoye Duchesse d'Angoulesme et d'Anjou, a laissé plusieurs marques de sa pieuse liberalité en diverses Eglises de ce Royaume; entre autres à la sainte Baume en Provence: elle a basty et fondé avec le Roy son fils le Convent de JESUS MARIA des Minimes de Chastellerault; comme aussi l'aisle de l'Eglise de JESUS MARIA du Convent des Minimes du Plessis lés Tours, où j'ay veu ses armes aux verrieres, et à la clef des voûtes: elle fit plusieurs autres bien-faits à cette Maison là, pour les graces et les faveurs qu'elle avoit receues de Dieu, par l'entremise de saint François de Paule, qui a esté canonisé à la poursuite de cette grande Princesse, du Roy François I. son fils, et de la Reyne Claude, des Ducs d'Alençon, et de Bourbon. Elle poursuivit encore la Canonization de Jean Comte d'Angoulesme et de Perigord, surnommé le Bon. Antoine de la noble Maison d'Estain (14), lors Evéque d'Angoulesme, frere du Bien-heureux François d'Estain, Evéque de Rhodez, pour y parvenir fit une inquisition, et ouit un grand nombre de témoins sur la sainte vie, les bonnes moeurs, et les miracles de ce Prince, petit fils, et ayeul de nos Rois: Mais la mort de [167] Louyse estant survenue on ne travailla point à sa Canonization, le Roy François estant occupé à diverses guerres en France et en Italie.
Louyse Duchesse d'Angoulesme n'avoit point d'autre devise que celle de Charles Comte d'Angoulesme son mary, et du Roy François son fils, sçavoir la Salemandre, avec ces mots, NUTRISCO ET EXTINGUO, Je m'en nourris, et je l'esteins; par lesquels ces Princes et cette Princesse vouloient donner à entendre, qu'ils conservoient et maintenoient les gens de bien en ruinant les meschans, et les rebelles, la Salemandre estant le symbole de la constance. Aussi saint Gregoire de Nazianze, qu'on appelle le Theologien, témoigne que, comme cet animal se resjouit dans le feu, et esteint celuy qui consomme toutes choses; ainsi saint Basile et luy s'estoient resjouis dans le feu de la perfidie des Heretiques, qu'ils ont enfin supplantez. Nostre François le Grand, dont les eminentes vertus ont esté éprouvées par l'une et par l'autre fortune, et de qui les hommes de lettres ne doivent jamais parler sans eloge, fit peindre et graver és Chasteaux et Maisons Royales de Fontaine-bleau, de Saint Germain en Laye, de Chambort prés de Blois, de Boulongne ou Madrid prés Paris, de Folembray, et de Villers Col-de-Rets en Picardie, qu'il a fait bastir, sa Salemandre Royale, avec cette devise, NUTRISCO ET EXTINGUO; Il s'en trouve particulierement à Fontaine-bleau une tapisserie, avec ce distique;
Ursus atrox, aquilaeque leves, et tortilis anguis,
Cesserunt flammae jam Salamandra tuae.
L'Aigle, l'Ours, et le Serpent,
Ont cedé à ton feu ardent.
C'est à dire les Ours furieux, les Aigles legers, et le Serpent entors, ont desja cedé à tes flames, ô Salamandre Royale. Par l'Ours ce Prince entendoit le Duc de Savoye, à cause qu'en ce païs là s'y trouvent quantité d'Ours; par l'Aigle l'Empire (15), cet oiseau estant le symbole et les armes des Em-[168]pereurs; par le Serpent les Sforces, qui pretendoient au Duché de Milan, la ville et Duché de Milan ayant un Serpent à ses armes (16).
La Salemandre est une devise digne d'un Roy et d'une Princesse Chrestienne, et est le vray symbole d'un Chrestien, laquelle tirant des eaux où elle naist son extréme froideur, passe sa vie et la consomme dans les flames: car le vray fidele renaissant dans la fontaine du Baptéme, pour estre bien-heureux, doit passer et terminer ses jours dans les feux de la sainte Charité, selon ce dicton:
Dans l'eau je prens naissance,
Au feu mon entretien,
Telle est la ressemblance
Du fidele Chrestien.
Le Roy François I. prit aussi quelquesfois deux Salemandres pour tenants ou supports de ses armes, comme j'ay veu en nostre Convent d'Amboise: car encor que nos Roys ayent deux Anges pour supports, ils les ont quelquesfois changez: Charles VI. fit tenir ses armes par deux Cerfs volans, et Louys XII. par deux Heriçons ou Porc-espics. En l'Eloge de Marguerite Reyne de Navarre, fille de Louyse, je parleray encore en faveur de cette Duchesse d'Angoulesme.
(1) Angoulesme, d'azur, à 3. fleurs de lys d'or, 2. et 1. au lambel d'argent de 3. pendans, chacun chargé d'un croissant montant d'azur: D'autres disent de gueules.
Savoye, de gueules, à la Croix pleine d'argent.
Saxe, blazonné en l'Eloge de Marguerite de France Duchesse de Savoye.
Geneve, à cinq points d'échiquier d'or, équipolez à 4. points d'azur.
Chablais, d'argent, au lyon de sable, l'escu semé de billetes de mesme.
Aouste, de sable, au lyon d'argent, armé et lampassé de gueules.
Angrie, d'argent, à trois bouteroles d'espée de gueules, 1. et 2.
Les Princes de la Maison de Savoye portent cet escu d'Angrie, anté en pointe en forme de triangle, sous ceux de la haute et de la basse Saxe.
(2) Pingon.
(3) Rohan, de gueules, à neuf macles d'or, 3. 3. 3.
(4) P. Monod.
(5) Chappot et Victon, en la vie de saint François de Paule.
(6) D'Attichy, en l'Histoire de l'Ordre des Minimes.
(7) En la vie du Roy Louys XII.
(8) Orleans, d'azur, à trois fleurs de lys d'or, au lambel d'argent de trois pieces.
(9) Montholon, d'azur, à 3. estoiles d'argent en chef, et un belier de mesme en pointe.
(10) Poyet, d'azur, à trois colomnes d'or, écartelé de gueules, à un griffon d'or; estant Chancelier il porta un lyon au lieu du griffon.
(11) Guichardin.
(12) Olivier, d'azur, à six besans d'or, 3. 2. 1. au chef d'argent, chargé d'un lyon naissant de sable, armé et lampassé de gueules.
(13) G. Colletet.
(14) La Maison d'Estain porte de France, au chef d'or.
(15) L'Empire, d'or, à un Aigle esployé à deux testes de sable, couronné et membré de gueules.
(16) Milan, d'argent, à la Bisse ou Givre d'azur, lissant de gueules, que l'on dit autrement, au Serpent d'azur, qui engloutit un enfant de gueules.