Louise de Lorraine/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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[II,107] LOUYSE DE LORRAINE, REYNE DE FRANCE, et de Pologne (1).
LA Reyne Louyse merite, pour ses rares vertus, d'estre louée par tous les peuples de la terre, pour avoir esté durant sa vie le Temple de la vertu et de la pieté mesme, et digne femme du Roy Henry III. de glorieuse memoire.
Ses ancestres, sa naissance, sa vie, et sa mort la rendent également considerable. Si les avantages qu'elle a eus dans le monde ont contribué à sa gloire, nous pouvons dire que ses déplaisirs et ses adversitez ne l'ont pas moins fait. Et il semble que sa vertu eust esté moins connue, si elle eust esté moins exercée.
Son pere estoit Nicolas de Lorraine, Comte de Vaudemont, et depuis Duc de Mercueur en Auvergne, Prince qui avoit assez de vertu pour estre Grand, quand il fut né d'une Maison moins illustre et ancienne: car la force de son esprit, son courage et sa conduite estoient hors de pair en son temps. Ce Prince estoit le 2. fils d'Antoine Duc de [108] Lorraine, et de Renée de Bourbon, soeur de Charles dernier Duc de Bourbonnois, et Connestable de France.
Sa mere estoit Marguerite d'Egmond (2), la premiere femme de Nicolas Comte de Vaudemont, qui estoit fille unique de Jean II. Comte d'Egmond, Chevalier de la Toison d'or, et de Françoise de Luxembourg, Princesse de Gavere, et Comtesse de Fiennes; et soeur de Charles Comte d'Egmond, Chambellan de l'Empereur Charles V. et du brave Amoral Comte d'Egmond et Prince de Gavere, l'amour et les delices des peuples de Flandre.
Cette Heroïne estoit tres-noble, estant issue des tres-illustres Maisons de Lorraine, de Luxembourg, d'Egmond, ou de Gueldres, et de la Tres-Chrestienne et tres-auguste Maison de France, par la branche des Bourbons. Qui ignore la gloire de la Maison de Bourbon, est étranger au monde, et n'a point de commerce avec les hommes. La premiere Couronne de la Chrestienté, et qui porte son éclat par toute l'Europe, luy est écheue en partage, et la met hors de pair. Louyse nâquit à Nomeny l'an 1554. au grand contentement de ses parens le Comte et la Comtesse de Vaudemont, qui la firent incontinent baptiser au méme lieu, tant afin que cette Princesse ne fust pas privée du Sacrement qui ouvre la porte de la vie eternelle, qu'à cause de la maladie de la mere qui mourut en cette couche. Toussaints d'Hocedy Evéque et Comte de Toul fut son parrain, et Louyse d'Estamville Comtesse de Salim, Dame fort sage et vertueuse, fut sa marraine.
Nicolas de Lorraine Comte de Vaudemont et de Mercueur, se voyant veuf de Marguerite d'Egmond,d'Egmont, et sa fille orfeline de mere, pria la pieuse et charitable Comtesse de Salim de prendre le soin de l'education et de la nourriture de Louyse, et que comme elle l'avoit presentée à Dieu pour luy demander la vie de son ame, qu'elle luy conservast celle du corps, et voulust prendre la peine de donner ses avis et ses conseils pour la bien faire élever, et avoir l'oeil sur les servantes, et tous ceux qui demeuroient au service de l'enfant.
[109] Entre plusieurs femmes de qualité, le Comte de Vaudemont choisit la Demoiselle de Champy pour estre Gouvernante de Louyse, et pour commander à tout le reste de sa chambre. On dit qu'il suffit de connoistre l'ongle, par maniere de dire, pour juger de tout le corps; c'est pourquoy je ne m'arresteray pas à parler des vertus et des merites de cette sage Gouvernante, qui estoit en telle estime de probité entre les plus vertueuses Dames de Lorraine, que ce sage Prince le Duc Charles III. et la Duchesse Claude de France sa femme, la choisirent aussi pour estre Gouvernante de leurs enfans, aprés qu'elle eut élevé Louyse de Lorraine: qui estant aagée de deux ans, Dieu luy envoya Jeanne de Savoye, seconde femme de son pere Nicolas Comte de Vaudemont, pour sa troisiéme bonne mere, qui l'ayant tirée du tetin, l'advanca dans le train des deux vies de l'esprit et du corps en telle sorte, que non seulement la Lorraine, mais toute la Chrestienté admira une belle-mere (digne Princesse des Maisons de Savoye et d'Orleans-Longueville) affranchie du blasme de son nom, et une jeune belle-fille tres-vertueuse et tres-sage. Car le Comte de Vaudemont ayant épousé en secondes noces la soeur de Jaques Duc de Nemours et de Genevois, il fit venir de Nomeny à Nancy sa fille Louyse pour saluer cette seconde femme, qui ayant pitié de cette petite orfeline (laquelle luy fut presentée par la Comtesse de Salim qui la tenoit entre ses bras) fut tellement touchée de bonté et de tendresse pour cet enfant, qu'elle a tousjours esté l'amour et les delices de sa belle-mere Jeanne Comtesse de Vaudemont, tres-bonne Princesse, qui donna le démentir à ce Proverbe, qui pour l'ordinaire souvent est veritable, que jamais il n'y a de gain pour les enfans du premier lit, quand ils adjoustent le mot de Belle au mot de Mere, et que jamais les enfans delaissez par la premiere femme, ne s'engraissent des faveurs et des mignardises d'une seconde.
Jeanne de Savoye fit voir qu'elle aymoit cordialement son mary le Comte de Vaudemont, par l'amour qu'elle porta à Louyse de Lorraine, et le soin qu'elle prit de cet enfant, l'ayant nourrie comme si elle eust esté sa propre fille, et prit [110] elle-méme la charge de la gouverner: car elle ne dédaigna point de joindre à ce nom de belle-mere celuy de gouvernante, la tenant tousjours prés de sa personne, et ayant un soin particulier de tout ce qu'il falloit pour la bien nourrir et élever, et faisant tousjours coucher à sa chambre Mademoiselle de Mont-ver la sous-gouvernante de cette jeune Princesse, afin qu'il ne luy arrivast aucun accident. Dieu, dont la bonté et la liberalité ne se laisse jamais vaincre, a voulu recompenser celle de Jeanne de Savoye Comtesse de Vaudemont, des biens que les meres souhaitent le plus, sçavoir d'une belle et d'une heureuse lignée, de laquelle, non seulement la Lorraine, mais aussi la France, l'Allemagne, et la Hongrie firent grand estat. Elle eut du Comte de Vaudemont son mary quatre enfans, trois fils, et une fille, sçavoir Philippe-Emanuel de Lorraine, Marquis de Nomeny, depuis Duc de Mercueur: Charles Cardinal de Vaudemont: François Marquis de Chaussin; et Marguerite, qui en premieres noces fut mariée à Anne Duc de Joyeuse, Pair, et Amiral de France; et en 2. à François de Luxembourg, Duc de Piney; qui furent tous soigneusement nourris avec Louyse leur soeur aisnée paternelle en l'amour et en la crainte de Dieu: mais comme Louyse devançoit en aage tous les autres, aussi fit-elle en l'instruction. L'on n'a gueres veu d'enfans vivre en meilleure intelligence et amitié que ces jeunes Princes et Princesses. Elle prenoit un singulier plaisir avec son frere Philippe-Emanuel, moins avancé en aage qu'elle, à faire de petits oratoires, à chanter les louanges de Dieu, et des airs de devotion, ou de reciter des exploits des Princes Chrestiens en la Terre sainte contre les Infideles; qui estoient des indices manifestes de sa grande pieté à l'avenir, et du zele qui animeroit un jour ce Prince là de porter saintement ses armes en Hongrie contre les Turcs.
Tous les domestiques du Comte et de la Comtesse de Vaudemont estoient ravis de voir tant de vertus en cette jeune Princesse, qui promettoit deslors qu'elle seroit l'ornement de son sexe, et l'honneur de sa Maison; car elle n'estoit pas si tost levée qu'elle benissoit le Nom de Dieu, [111] et luy faisoit sa priere à genoux, et avoit une particuliere affection à la Vierge, prenant un contentement nompareil d'ouir raconter ses louanges.
Heureux presage de sa vertu naissante, d'avoir esté devote à la Mere du Sauveur dans ses plus tendres années. Saint Thomas, de l'illustre Maison des Comtes d'Aquin (3), et l'Ange de l'Eschole, honoroit Nostre Dame par la Salutation Angelique, estant encor attaché au sein de sa nourrice, et fit juger par une si rare merveille, quels devoient estre un jour les prodiges de ses grandes vertus. Nous en pouvons dire à peu prés de mesme de nostre Reyne Louyse, qui n'avoit encor que huit à neuf ans qu'elle sentoit son interieur picqué d'une telle devotion à visiter les Eglises et les Chapelles qui luy sont dediées, que bien souvent elle demandoit la permission au Comte et à la Comtesse d'y aller prier Dieu.
Cette façon de vivre si devote, si innocente, et si obeissante, gagna tellement le coeur de tout le monde, et principalement du Comte son pere, lequel toutes les fois qu'il la voyoit, s'arrestoit pour la regarder, et prenoit cette rare modestie, douceur, et bonté, pour un augure qu'elle luy donneroit un jour une grande satisfaction et contentement. La Comtesse estoit aussi bien contente de ce qu'elle avoit si heureusement profité de ses soins; aussi s'estoit-elle rendue tousjours fort soupple à suivre les avis de cette belle-mere, et ceux de la Demoiselle de Mont-ver sa sous-gouvernante.
Elle estoit comblée de tant de vertus, et de si belles qualitez, que ceux qui la regardoient, ne sçavoient à qui donner le prix, soit à sa modestie, soit à sa gravité, soit à sa sagesse, soit à sa douceur, soit à sa bonté, soit à sa beauté: car elle avoit la taille riche, les cheveux blonds, le teint blanc et net, et le visage assorty de toutes les parties requises à une parfaite beauté. Son maintien et son jugement faisoient paroistre deslors qu'elle seroit l'une des plus belles et des plus accomplies Princesses de la Chrestienté. Il ne faut pas douter que l'education ne soit une seconde naissance, et ne donne une teinture qui ne s'efface pas aisément. Les Espa-[112]gnols estiment que le logis où on fait sa demeure, sert comme de seconde peau. Nous pouvons dire avec plus de raison, que l'education la donne à l'homme. Cette Princesse n'en pouvoit pas manquer d'en avoir une tres-vertueuse. Les exemples, et entre les exemples les domestiques, ont un grand pouvoir sur les esprits, et font beaucoup plus que les enseignemens. Ceux-cy invitent; ceux-là forcent: Ceux-cy parlent; ceux-là agissent. Cette jeune Princesse voyoit devant elle trop d'excellens exemples domestiques, pour ne prendre pas la méme trempe. Le pere (comme nous apprenons de nos Historiens) avoit toutes les vertus de Prince, la belle-mere toutes les graces d'une Princesse de sa naissance; l'un et l'autre tous les attraits, et tous les charmes capables de faire aimer leur conduite, et agreer leur exemple. Joint que Louyse fut élevée avec soin à la pieté, comme j'ay rapporté cy-dessus, et aussi en tous les exercices convenables à son sexe et à sa naissance. Crates n'estimoit pas que les ornemens des femmes consistoient en vestemens ny en bagues, mais en la pudeur, et en l'honnesteté: C'est ce qui luy fut imprimé avec soin. Dés l'aage de cinq ou six ans elle aymoit les choses bonnes et vertueuses, et avoit une grande aversion des mauvaises: car elle ne se plaisoit point à la lecture des Romans et des livres prophanes, mais aux Histoires saintes. Elle avoit, par maniere de dire, trop d'inclination à ouir parler de Dieu, pour en demeurer au train commun des autres enfans: car on eust dit qu'elle ne touchoit pas quasi la terre, quand elle oyoit traiter de la devotion, et toutes les fois qu'elle entendoit nommer le Nom de Dieu, elle ne se pouvoit tenir de lever les mains vers le Ciel, et prenoit un tel goust à ouir le recit des Histoires sacrées, qu'il sembloit que se fût toute sa recreation; et se pleut tellement durant ses premieres années à lire elle-mesme, que toute sa vie elle a aymé ce louable exercice. Ceux qui ont eu l'honneur de la servir, ont remarqué (4) qu'en faisant l'inventaire des livres de devotion, et des Histoires saintes qu'elle gardoit (aprés les avoir leus) dans son cabinet à Chenonceaux, qu'ils estoient estonnez qu'une femme eust, non seulement leu, mais méme amassé un si [113] grand nombre de volumes. Ses Dames et ses Gentils-hommes voyant le contentement qu'elle prenoit à la lecture, et au recit des Histoires, pour avoir sa faveur et ses bonnes graces, estudioient tout à loisir les Histoires pour les rapporter fidelement à sa Majesté.
A dix ans elle quitta Nomeny pour venir à Nancy à la Cour de son cousin germain Charles III. Duc de Lorraine. Elle demeura prés de sa femme Claude de France, fille du Roy Henry II. qui l'a tousjours affectionnée pour ses vertus, particulierement pour sa pieté, sa modestie, son affabilité, et son eloquence; car elle parloit parfaitement bien François. Le Comte de Vaudemont et la Comtesse Jeanne de Savoye sa 2. femme, avoient pris un soin particulier à faire apprendre à leurs enfans de parler nettement, et de bonne grace. C'est en cette école que Monsieur le Duc de Mercueur, frere de la Reyne Louyse se rendit si poly, qu'il a esté estimé l'un des mieux disans, et des plus eloquens Princes de son siecle, s'estant exercé en sa jeunesse à la prononciation des langues Latine, Françoise, Allemande, Italiene, et Castillane. Cette belle et sage Princesse ayant esté façonnée et instruite à bien parler par la nature, et par la coustume, estant parvenue en l'aage de pouvoir discerner les belles paroles d'avec les communes, elle fut curieuse de remplir son cabinet de livres qui estoient pour lors en estime, dont elle se sceut fort bien servir, en choisissant les belles paroles, et les graves sentences, de sorte que les Princes de la Cour de Lorraine l'écoutoient comme un Oracle, comme firent aussi nos François, quand elle fut mariée à Henry III. le plus eloquent de nos Rois. Ce ne fut pas la seule eloquence qui la fit aymer de Claude Duchesse de Lorraine; car son maintien plein de majesté ravissoit tous ceux qui la regardoient. Ces deux perfections sont merveilleusement avantageuses: mais elles sont bien tost méprisées, si celles qui les possedent ne se contentent de vestemens convenables à leur qualité et à leur naissance. La bien-seance dont elle usoit en ses habits, accompagnée d'une simplicité extraordinaire, ravissoit aussi un chacun: Mais son affabilité rendoit sa conversation si agreable et si [114] aymable, que si tost qu'elle parut dans la Cour de leurs Altesses de Lorraine, elle s'empara du coeur de ses Princes, et de tous les Austrasiens. Les Etrangers qui la frequentoient se trouverent obligez de luy porter du respect; et ceux que Dieu avoit doué de quelque prudence, considerant la maniere dont elle se servoit, tant à recevoir, caresser, entretenir, respondre, qu'à congedier les personnes de toutes qualitez qui la visitoient (dont le nombre estoit grand, à cause que son pere gouvernoit encore la Lorraine avec Christine de Dannemarc) jugerent que cette Princesse estoit digne de porter quelque jour une Couronne Royale: aussi estant depuis nostre Reyne, elle se rendit admirable par cette perfection. Plusieurs de nos Historiens ont remarqué qu'il n'y a point eu de Princesse devant elle qui sceust mieux ce qui estoit du devoir des Reynes. Elle receut toutes sortes d'Ambassadeurs, leur parlant avec plus ou moins de respect, selon la dignité du Prince d'où ils estoient envoyez; elle sceut ces distinctions si exactement, et en usa en telle sorte, que ses artifices ne paroissoient point artifices. Quand elle parloit des affaires des Princes Etrangers, elle sçavoit avec prudence de quoy il se falloit informer et enquerir, et de ce qui se devoit dire ou taire. En toutes ses actions elle fit paroistre beaucoup de jugement et de prudence.
L'on ne parloit à la Cour de Lorraine, que de la grande debonnaireté de Mademoiselle de Vaudemont, où chacun s'adressoit à elle pour traiter les plus grandes affaires avec le Duc Charles III. son cousin, et le Comte de Vaudemont son pere, à cause qu'elle portoit les esprits de ces deux grands Princes à ses volontez par son adresse et ses douces paroles. Sur le plan de cette debonnaireté paroissoient en eminence ses vertus, et particulierement ces trois principales, l'humilité, la Religion, et la pureté, qui la faisoient aymer et de Dieu, et des hommes.
Celuy qui se prise peu, et s'humilie interieurement devant Dieu, possede la vraye humilité, et se peut dire humble d'esprit. Quant à celuy qui fait des soûmissions exposées à la veue et à l'ouie, il monstre une humilité exterieure. L'humilité interieure est celle que Dieu demande; et l'ex-[115]terieure luy plaist, pourveu qu'elle prenne sa racine du coeur, et qu'elle dresse ses services à la divine Majesté, et non pas à la vanité du monde. L'une et l'autre a tousjours esté pratiquée par cette Princesse en ces trois conditions de fille, de femme, et de veuve, dans lesquelles elle a fait voir comme elle possedoit cette vertu, qui est le fondement de la vie spirituelle. Ce n'est pas une si grande merveille quand une Dame de mediocre condition est humble: mais cette vertu est admirable dans une personne de haute naissance, à qui la nature avoit donné de grands avantages, et à qui la fortune et l'amour du plus auguste Prince de la terre avoit donné la premiere Couronne du monde.
Passons de son humilité à sa Religion. Si nous avons desja veu cette Princesse dans ses plus tendres années avoir un grand soin de benir Dieu en se levant, elle fit encore sa priere avec plus de ferveur au matin et au soir quand elle eut atteint la 12. ou 13. année de son aage. Elle donnoit de la devotion à tous ceux qui la voyoient ouir tous les jours deux Messes, et frequenter les Sacremens de la Confession et de la Communion. Il ne se passoit point de mois qu'elle ne fist une reveue de sa conscience; mais elle n'osa jamais pratiquer la Communion qu'autant que ses Confesseurs, (qu'elle choisissoit tousjours doctes et pieux) luy conseilloient ou permettoient. Elle employoit une ou deux heures tous les matins, autant les aprés-disnées à visiter les principales Eglises de Nancy, et des lieux où la Cour de Lorraine, ou le Comte son pere la menoient. Son affection estoit si grande de conferer avec Dieu dans les Eglises, que bien souvent elle entreprenoit des pelerinages aux lieux saints, qui estoient éloignez de trois et de dix lieues de la capitale de Lorraine, qu'elle faisoit à pied. Parmy ses devotions elle avoit choisi une particuliere à la Vierge, qu'elle a pratiquée toute sa vie, comme j'ay desja remarqué, et je feray voir plus bas. Elle ne manquoit point en ce temps là deux fois la semaine d'aller ouir la Messe à la devote Chapelle de Nostre-Dame de bon Secours, qui est éloignée d'un quart de lieue de Nancy, que son bisayeul René Duc de Lorraine, que l'on qualifioit Roy de Sicile fit bastir, quand il eut [116] défait Charles dernier Duc de Bourgongne: c'est pourquoy on l'appelle aussi la Chapelle des Bourguignons.
Ayant atteint l'aage de 12. ans elle alloit à pied une fois la semaine en pelerinage à Saint Nicolas, pour la devotion qu'elle avoit à ce saint Evéque de Myre, et Patron de Lorraine, et le plus souvent elle estoit habillée en fille de village par humilité, n'estant accompagnée que de ses Demoiselles, d'un Gentil-homme, et d'un valet de pied. Là elle distribuoit elle-mesme aux pauvres l'argent de ses menus plaisirs, qui estoient de 25. escus par mois. Elle avoit une devotion particuliere à son Ange Gardien, qu'elle se persuadoit estre tousjours à ses costez, pour la garentir des ruses de l'ennemy, et la conduire par les voyes de salut: c'est pourquoy elle l'invoquoit souvent, luy disant l'Oraison ordinaire. Tous les soirs, elle ne manquoit jamais de faire un soigneux examen de sa conscience.
L'humilité et la Religion firent une telle alliance dans le coeur de Louyse, avec la pureté, que cette Princesse a emporté cet honneur d'avoir usé si heureusement toute sa vie de sa beauté, qu'elle l'a fait briller et éclater estant fille, estant mariée, et estant en viduité. Elle se maintint en cette vertu par ces six moyens: Le I. la fuite du commerce des hommes qu'elle ne voulut jamais hanter, encore qu'ils fussent ses parens, sinon autant que sa qualité et son rang l'obligeoit par la loy de la civilité, et tousjours accompagnée de ses Dames. Le 2. la defense qu'elle faisoit à ses yeux de ne voir aucun objet, ou de lire aucun livre qui pût prevenir ses pensées de quelque imagination contraire à sa pureté. Le 3. celle qu'elle fit à ses oreilles de n'ouir point de discours ny de paroles qui peussent donner la moindre atteinte au sang et à la chair; si quelqu'un par mégarde s'eschapoit en quelque mot mal à propos, outre qu'elle monstroit prendre cela à offense, elle le reprenoit avec severité, et luy defendoit l'entrée de sa maison. Le 4. a esté le refus qu'elle fit à sa veue, de considerer son propre corps avec trop de curiosité. Le 5. a esté qu'elle ne hantoit que des personnes de haut merite, qui aymoient cette vertu angelique, ausquelles elle monstroit plus de faveur, et faisoit plus d'hon-[117]neur; d'où naissoit un reciproque respect de la chasteté à la chasteté, et une ayde mutuelle pour la nourrir et conserver. Le 6. estoit (comme j'ay dit cy-dessus) la devotion qu'elle avoit à son Ange Gardien.
La Princesse de Vaudemont l'an 1568. estant aagée de 14. ans, receut deux grandes afflictions, et fit paroistre sa constance durant ces disgraces. La premiere, quand on luy apporta la nouvelle de la prison, et puis de la mort funeste du brave Amoral Comte d'Egmond son oncle maternel. La 2. la perte qu'elle fit cette année là de sa belle-mere Jeanne de Savoye Comtesse de Vaudemont qui l'aymoit si tendrement; aussi Louyse la servit fort cordialement durant sa maladie, et aprés son decés elle luy rendit tous les honneurs qu'elle creut devoir à sa memoire, et a tousjours depuis porté un grand amour à ses enfans, comme je diray aprés. Ces afflictions furent suivies d'une troisiéme. Le Comte de Vaudemont épousa en troisiémes noces sa cousine Caterine de Lorraine, de la Maison d'Aumale. Cette Princesse, fille de Claude Duc d'Aumale, et de Louyse de Bresé estoit bien vertueuse, mais elle n'avoit pas toutes les perfections et la douceur de Jeanne de Savoye sa 2. femme. Elle fut un peu rude à Louyse, qui ne laissa pas de continuer ses saints exercices, et adjousta la patience (vertu si necessaire aux Chrestiens) à celles d'humilité, de pieté, et de pureté, qui la firent encor plus aymer des Lorrains.
Henry de France Duc de Valois et d'Anjou, ayant esté éleu Roy des Polonnois, allant recevoir en Pologne la Couronne Polacque (qui luy avoit esté donnée és plaines de Warsovie le jour de la Pentecoste de l'an 1573.) passa par la Lorraine à Nancy pour voir sa soeur la Duchesse Claude, et le Duc Charles son beau-frere. Il fut surpris des beautez et de la bonne grace de Louyse, qui par la beauté de son visage, la douceur de sa parole, et par ses vertus luy gagna le coeur (5). Il la vid à table et au bal, où il eut le temps et l'occasion de luy parler. Il demeura si satisfait de cette courte entreveue, comme si deslors il se fust persuadé que c'estoit celle que le Ciel avoit destinée pour estre sa compagne, qu'il [118] asseura la Duchesse Claude sa soeur, qui estoit lors en couche, qu'il luy sembloit que sa bonne Fortune avoit esté chancelante jusques à cette heure là, et qu'il avoit veu une Princesse qui estoit née avec des avantages qui ne se trouvoient rarement qu'en sa personne. La Duchesse Claude qui aymoit Louyse et sa vertu, le fortifia en son opinion; car l'on tient (6) que deslors elle luy dit qu'il n'y avoit femme au monde plus propre à son humeur. Le lendemain le voyage de Pologne estant pressé, il partit pour aller en prendre la possession (7). Il prit congé de Mademoiselle de Vaudemont, (ainsi lors on appelloit cette Princesse) et luy dit ces paroles la larme à l'oeil, et la conjurant de prier Dieu pour luy; Mademoiselle, si je reçois cette grace du Ciel, de voir mon Estat bien estably, je vous feray paroistre combien j'honore vostre merite.
Elle demeura ferme en sa grande humilité, et ne fut pas plus élevée pour cette parole du Roy de Pologne. L'année suivante ce Monarque fut contraint de quitter les Polonnois pour revenir en France recueillir la Couronne Tres-Chrestienne qui luy appartenoit par le decés du Roy Charles IX. qui mourut le jour de la Pentecoste de l'an 1574. Quand le Roy Henry III. fut arrivé à Lyon au mois de Septembre de la méme année, la Reine mere proposa de le marier à Isabelle Infante de Suede (8): elle envoya en ce Royaume là Claude Pinart Secretaire d'Estat, pour demander au Roy Jean sa soeur Isabelle, tres-belle et tres-agreable Princesse, de laquelle j'ay parlé en l'Eloge de Caterine Jagellon Reyne de Suede, et qui fut depuis mariée à Christofle Duc de Mechelbourg fils d'Albert. La Reyne Caterine fit partir avec Monsieur Pinart Nicolas Belon, excellent Peintre, pour rapporter son portrait au Roy. On proposa aussi à sa Majesté la Reyne Elizabet veuve du Roy Charles, Caterine Infante de Navarre (qui depuis a esté Duchesse de Bar,) et Elizabet ou Anne Infante de Dannemarc: mais cela n'eut point de suite (9). Il quitta les affections pour la Reyne Elizabet, à cause qu'elle estoit sa belle-soeur, et pour les Infantes de Navarre, de Dannemarc, et de Suede, à cause qu'elles avoient esté non seulement allaitées des mauvaises [119] doctrines, mais mesme elles faisoient profession des Religions tres-contraires à celle dont sa Majesté et tous nos Rois ont esté les singuliers Protecteurs, et les plus zelez defenseurs.
La Reyne mere qui desiroit qu'il eust une femme laquelle n'eût pas la langue Françoise à commandement, et qui dépendist entierement d'elle, estoit passionnément portée pour la Princesse de Suede; mais le Roy ne vouloit pas prendre une femme par les yeux d'autruy. Comme il sceut qu'elle avoit envoyé en Dannemarc et en Suede pour avoir au plustost les portraits de ces deux Infantes, il envoya sousmain en Lorraine pour avoir celuy de la Princesse de Vaudemont, qu'allant en Pologne il avoit veu si belle et si agreable, et dont son coeur en avoit tousjours retenu l'impression, qui estoit augmentée par la mort de la Princesse de Condé. Les Portraits estant apportez, il commanda à Gilles de Souvray son serviteur affidé (que nous avons veu Gouverneur du Roy Louys XIII. estant Daufin, et depuis Mareschal de France) de faire peindre les deux Infantes de Dannemarc et de Suede avec l'habit de France, et tout tel que celuy de la Princesse de Vaudemont, et de prendre garde sur tout que cela ne fust veu d'ame vivante. Henry Roy de Navarre, qui vouloit estre par tout, sçavoir tout, et juger tout, venant au logis de Souvray, surprit ce Peintre, qui aussi tost le chargea sur ses espaules, le porta hors de la chambre, et luy ferma la porte au nez. Peu aprés il rencontra Souvray, et luy dit, Monsieur de Souvray, faites-moy raison du plus grand affront que j'aye receu en ma vie. Vous faites peindre quelque Maistresse, comme je m'approchois pour voir ce portrait, vostre Peintre ne m'a pas prié de sortir, mais il m'a pris et m'a porté hors de la chambre. Il a bien fait, répond Souvray, et si le Roy y fust venu, il avoit commandement de faire le méme. Ce dernier mot fut avancé discretement, pour ne luy donner aucune connoissance de l'intention du Roy, qui ayant conferé les trois Portraits, suivit en l'élection le jugement de ses yeux, et retenant à son coucher Souvray, Chiverni, et Marc Miron son premier Medecin, leur dit, qu'il n'avoit aucune inclination pour les Princesses Allemandes, et que son coeur s'arrestoit à la Prin-[120]cesse de Vaudemont. Ces trois luy dirent: Qu'il avoit le choix de ce qu'il luy plairoit, et devoit prendre celle qu'il trouvoit plus agreable, ne consultant de cela qu'avec ses yeux. Aprés le decés du Cardinal de Lorraine, le Roy Henry III. declara sa resolution à la Reyne sa mere. Il luy avoit tousjours caché son dessein du vivant de ce Prelat, sçachant qu'elle n'eût pas permis ce mariage là, qui eust donné tant de credit à la Maison de Lorraine sous la conduite d'un tel esprit, dont elle avoit tousjours apprehendé le pouvoir depuis le regne du Roy François II. Marguerite de France Reyne de Navarre, soeur de Henry III. luy dissuadoit aussi cette alliance, pour l'apprehension qu'elle avoit de marcher aprés la fille d'un Comte de Vaudemont. Mais Claude de France Duchesse de Lorraine, aussi sa soeur, luy écrivoit tousjours en faveur de Louyse. Ses lettres eurent un grand pouvoir sur l'esprit de ce Monarque, aprés que la mort luy eut fait oublier Marie de Cleves Princesse de Condé, pour laquelle il avoit de tres-grandes inclinations, comme je diray en l'Eloge de cette Princesse de la Maison de Nivernois.
Le Roy, suivant les avis de sa soeur la Duchesse de Lorraine, prefera Mademoiselle de Vaudemont à toutes les autres Princesses, et envoya Burriq au Secretaire Pinart (10), pour le faire revenir de Suede, qui eut bien de la peine d'en sortir, n'ayant pû obtenir son congé sans danger de sa vie.
Le Roy Henry III. pour preparer la Reyne sa mere à se conformer à son élection, luy dit en presence de René de Birague Chancelier de France: de Jaques de Matignon, depuis Mareschal de France, et de Souvray (11); que le bien de ses affaires l'obligeoit à se marier, qu'il la remercioit du soin qu'elle avoit eu, qu'il avoit consideré les Portraits des deux Princesses Danoise, et Suedoise; mais qu'il n'y avoit rien à choisir pour luy, reconnoissant les façons Allemandes contraires à son humeur, et au contentement qu'il se promettoit en son mariage. La Reyne Caterine luy dit, Qu'il y avoit d'autres Princesses au monde, qu'un Roy de France ne manquoit point de trouver femme, et qu'en cela son coeur n'avoit autre passion que le contentement du sien.
[121] Le Roy estant de retour du voyage d'Avignon à Lyon (12), s'achemina de cette grande ville qui estoit lors frontiere, par la Bourgongne et le Bassigny à Reims pour se faire sacrer (13): mais avant que partir de Lyon il envoya Louys de Berenger (14) Seigneur du Gua, dit le Guast, Seigneur des plus anciennes et des plus illustres Maisons de Daufiné, son principal favory, qui avoit pris la place du Mareschal de Belle-garde, et lequel s'il eust vécu eust esté plus en credit que les Seigneurs de Quelus, d'Arques, et de Caumont, pour inviter le Duc de Lorraine et la Duchesse sa soeur à son Sacre, et les prier d'amener le Comte de Vaudemont, et la Princesse sa fille, qu'il desiroit pour femme. Tous nos Historiens remarquent que Louys de Berenger arriva à Nancy lors que cette pieuse et sage Princesse venoit de rendre à pied un voeu à saint Nicolas.
Un Ecrivain moderne (15) dit que ce mariage avoit esté pratiqué par Messieurs de Guyse, parens de cette Demoiselle, afin de maintenir leur authorité contre Messieurs de Bourbon et de Montmorency: et avoit esté enfin approuvé par la Reyne mere, estimant par ce moyen avoir un ascendant sur sa bru, retenir tousjours son premier rang, et de garder les clefs de la Maison, et que ce mariage ne fust pas fait pour les vertus de cette Princesse. Mais un Historien Etranger qui a esté nourry en la Cour de nos Rois, et de la Reyne Caterine (16) en parle autrement, et dit que le Roy Henry III. avant que passer en Pologne fut un peu transporté d'affection pour Louyse, fille de Nicolas Comte de Vaudemont, et niece ou petite fille d'un Duc de Lorraine, qui luy estoit agreable, non seulement pour sa beauté, mais aussi pour sa modestie, sa pudicité, et sa majesté naturelle; et que la crainte que l'on eut d'avancer trop la Maison de Lorraine, n'en fit pas faire deslors la recherche.
Le Comte de Vaudemont accorda facilement la demande du Roy et de leurs Altesses que luy fit le Seigneur du Gua, s'estimant le plus heureux Prince de la Chrestienté, d'avoir pour gendre le premier Monarque de l'Europe le Roy Tres-Chrestien, et le fils aisné de l'Eglise. Faveur du Ciel, que ce Prince puisné de la Maison de Lorraine n'avoit [122] point esperée, la Princesse Louyse sa fille aisnée estant pour lors recherchée par François de Luxembourg de la Maison de Brienne, qui depuis a esté Duc de Pinay: Guillaume de Montmorency Seigneur de Thoré, le dernier fils d'Anne Connestable de France: Paul, frere de Jean Comte de Salme, pour lequel on disoit que cette Princesse avoit de l'affection (17), et autres Grands qui comparez à un Roy de France, estoient des Nains et des Pigmées auprés d'un Geant. L'Autheur de la vie de cette Reyne en parle en ces termes (18):
De Lyon le Roy dépescha en Lorraine vers son Altesse, et vers le Comte de Vaudemont, le sieur du Guast, pour la demander à femme; le Guast arrivé à Nancy, fait sa legation à son Altesse, et au pere de Louyse. Le mariage se conclud le mesme soir qu'il arriva, la fille n'en sçachant rien jusques au lendemain, on remit ledit sieur du Guast pour luy faire la reverence, et luy parler: Madame Caterine femme du Comte, et seconde belle-mere de Louyse; car Jeanne de Savoye mourut en l'an 1568. lors que Louyse n'avoit que quatorze ans, et son pere se remaria bien tost aprés à celle-cy, fille du Duc d'Aumale, qui demanda la commission de porter cette bonne nouvelle à sa belle-fille, à laquelle (comme l'on dit) elle avoit esté un peu rude: le lendemain donc de bon matin la Comtesse Caterine alla trouver Louyse sa belle-fille qui estoit encore dans le lict, la veue et la parole de la belle-mere, en une heure, qu'elle n'avoit accoustumé de visiter ny de parler, estonna Louyse, parce qu'elle la craignoit fort; mais elle fut encore plus estonnée quand la belle-mere luy fit trois reverences avant que de l'aborder; la fille se met en son seant, et eut recours aux excuses, et à demander pardon d'estre si tard au lit, et de n'avoir esté à son lever. Au contraire la Comtesse prie Louyse de luy pardonner, et d'oublier la rudesse qu'elle confessoit luy avoir faite, et qu'il luy pleust avoir pitié d'elle, et souvenance de ses enfans, parce qu'elle estoit Reyne de France; la fille usoit tousjours d'excuses, pensant que ce fust mocquerie, quand son pere et son Altesse entrerent en la chambre, et assis auprés de son lit, luy communiquerent la legation du sieur du Guast, elle se remit à leur volonté, s'habille, sa chambre se trouve à l'instant remplie de Dames, ledit sieur du Guast y entre, la salue, et luy parle comme à une Reyne, et de là elle fut conduite à la Messe en Reyne, et comme telle servie au disner, et depuis jusques à son depart pour venir en [123] France trouver le Roy, qui fut sur le commencement de Fevrier de l'an 1575. car ce n'est pas la coustume des Roys d'aller querir leurs femmes, neantmoins pour le grand amour que Henry luy portoit, il s'avance à Reims où ils furent mariez et couronnez le jour du Mardy gras; la celebrité des noces, les pompes et les festins y furent faits à la Royale. Jusques icy sont les paroles de cet Autheur, qui rapporte ces particularitez qui ne se trouvent point dans nos Historiens.
Aprés le Gua le Roy y envoya Philippe Hurault (19), Seigneur de Chiverni (qui depuis a esté Chancelier de France, et qui avoit esté son Chancelier avant qu'il vinst à la Couronne) auquel il avoit une grande creance, pour passer le contract, et faire les présens à cette tres-belle Princesse, qui ne pouvoient estre que tres-exquis et tres-riches, venant de la part d'un Prince si liberal. Charles Duc de Lorraine, la Duchesse sa femme, le Comte de Vaudemont, la Princesse Louyse sa fille, et Antoinette de Bourbon Duchesse douairiere de Guyse, qui avoit lors prés de 80. ans, arriverent à Reims (20), où ils virent le Sacre et le Couronnement du Roy Henry III. qui fut sacré par le 4. fils d'Antoinette de Bourbon Louys de Lorraine Cardinal de Guyse et Evéque de Mets; le Siege de Reims estant vacquant par la mort de Charles Cardinal de Lorraine frere, et non pas oncle du Cardinal de Guyse, comme plusieurs ont écrit, ou par malice, ou par ignorance. Sa Majesté ne voulut pas que la Princesse de Vaudemont parust à la ceremonie de son Sacre, afin qu'elle n'allast pas aprés sa soeur Marguerite de France Reyne de Navarre, qui tiendroit à honneur de marcher le lendemain la premiere aprés elle; car Henry III. ne fit comme point d'intervalle entre sa venue, ses fiançailles, et ses noces; il fut sacré le Dimanche 15. Fevrier 1575. et marié le Mardy 17. du méme mois, par Charles Cardinal de Bourbon.
Louyse de Lorraine ou de Vaudemont pour avoir épousé Henry III. Roy de France et de Pologne, et estre élevée par ce Royal hymen sur le Thrône des fleurs de Lys, demeura tousjours dans sa premiere humilité, sa pieté, et ses autres vertus. Elle se comporta avec tant de sagesse, que [124] la grandeur ne luy enfla jamais le coeur. Elle pouvoit par son honnesteté, sa modestie, et sa sainteté, servir de modele à toute la France pour faire haïr le luxe, le vice, et les vanitez que le malheur du temps avoit enfantez (21), et les dissolutions, et les desbauches que la corruption du siecle avoit apportées: mais les humeurs estoient lors plus disposées à louer et admirer les vertus, qu'à les imiter.
Se peut-il rien voir de plus humble et de plus modeste que cette Reyne, qui a monstré par ses discours et ses vestemens, que la modestie estoit empreinte dans son ame, aussi bien que sur son visage. Souvent on l'a veue dans le Louvre, et dans Paris avec une simple robe d'estamine. L'Autheur de sa vie (22) rapporte un acte de modestie remarquable, qu'il dit avoir appris de Monsieur Hotman (23) Abbé de saint Nicaise de Reims, qui y estoit present.
La Reyne passant un jour dans la rue Saint Denys fort accompagnée, entra dans la boutique d'un Marchand de soye, où elle rencontra la femme d'un President extraordinairement bien vestue, et si fort attachée au choix de quantité de belles estoffes, qu'il sembloit qu'elles n'avoient esté faites que pour elle seule; sa Majesté l'ayant observée quelque temps dans cet empressement, et voyant qu'elle ne prenoit pas seulement garde qu'elle estoit dans la boutique, s'approcha d'elle, et luy demanda d'un visage aussi plein de douceur que de Majesté, qui elle estoit: la Presidente qui se voyoit sans comparaison beaucoup mieux vestue que la Reyne, et qui avoit tous ses sens occupez à considerer la beauté des estoffes qu'elle avoit devant soy, luy répondit brusquement qu'on l'appelloit la Presidente N. La Reyne d'un visage riant luy dit, «Madame la Presidente vous estes bien brave pour une femme de vostre qualité»; à quoy la Presidente repliqua sans divertir ses yeux de dessus ces estoffes, «ce n'est pas à vos despens, Madame»; quelqu'un de la suite de la Reyne advertit la Presidente de prendre garde à qui elle parloit; elle haussa en mesme temps la veue sur le visage de la Reyne, et l'ayant reconnue se jetta à ses pieds en luy demandant pardon: sa Majesté l'ayant relevée, luy fit avec grande douceur une remonstrance sur [125] le luxe de ses habits, qu'elle finit avec des témoignages apparens de sa bien-veillance.
Quand il falloit paroistre avec éclat aux grandes Assemblées, elle ne méprisoit pas les riches vestemens, comme sçavent ceux qui l'ont veue aux Estats qui furent tenus à Blois aux années 1576. et 1577. 1588. et 1589. aux ceremonies de l'Ordre des Chevaliers du Saint Esprit, fondé par le Roy son mary: et aux pompes, et aux magnificences des noces de sa soeur uterine Mademoiselle de Vaudemont Marguerite de Lorraine et d'Anne Duc de Joyeuse, Pair, et Amiral de France, et Gouverneur de Normandie l'an 1582. où fut dansé le beau balet comique dans la grande salle de l'Hostel de Bourbon, auquel cette tres-belle Reyne parut la premiere des 12. Nayades ou Nymphes des eaux, vestues de toile d'argent, enrichie par dessus de crespe d'argent et d'incarnat, qui bouillonnoient sur les flancs, et tout autour du corps, et aux bouts par tout de petites houppes d'or et de soye incarnate, qui donnoit de la grace à cette parure. Leurs testes estoient parées et ornées de triangles faits de diamans, de rubis, de perles, et d'autres pierres precieuses; leurs cols, et leurs bras garnis de colliers et de bracelets, et tous leurs vestemens couverts de pierreries qui brilloient comme font les estoilles dans l'obscurité de la nuit (24). Tous ceux qui assisterent à ce balet, ont témoigné que la Reyne avec son port, sa grace, et sa beauté paroissoit entre les autres Dames et Princesses, comme le Soleil entre les astres, et que sa Majesté tenoit quelque chose du Ciel.
Elle marchoit au premier rang, tenant par la main la Princesse de Lorraine (qui depuis a esté grande Duchesse de Toscane) vraye heritiere de la douceur, de la bonté, et de la pieté de sa mere Claude de France, fille et soeur de nos Rois. Les autres suivoient deux à deux chacune en son ordre, et sortirent du jardin de Circé (qui avoit esté foudroyé par Jupiter, Minerve, et Mercure) pour aller à la rencontre de quatre Driades qui se joignirent avec elles, et danserent devant le Roy et la Reyne sa mere le balet à quarante passages ou figures geometriques, lequel estant achevé les [126] Nayades et les Dryades firent une grande reverence au Roy, auquel la Reyne fit present d'une grande medaille d'or, où estoit gravé un Daufin qui nageoit en la mer, avec ce mot Latin pour devise, Delphinum ut Delphinem rependat.
A l'exemple de la Reyne, toutes les autres Princesses et Dames furent aussi selon leur rang prendre les Princes et les Seigneurs, à chacun desquels elles firent leurs presens d'or, avec leurs devises appartenantes à la mer et aux rivieres.
La Princesse de Lorraine donna au Duc de Mercueur, la Sereine: Madame de Mercueur au Duc de Lorraine, le Neptune: Madame de Guyse au Duc de Genevois (qui depuis a esté Duc de Nemours) l'Arion: Madame de Nevers au Duc de Guyse, le Cheval marin: Madame d'Aumale au Marquis de Chaussin, la Baleine: Mad. de Joyeuse au Marquis du Pont (qui depuis a esté Duc de Bar et de Lorraine) un monstre marin: Mad. la Mareschale de Raiz au Duc d'Aumale, le Triton: Mad. de l'Archant au Duc de Joyeuse, la branche de courail: Madame du Pont au Duc d'Espernon, l'huitre à l'escaille: Mademoiselle de Bourdeille au Duc de Nevers, le Xiphias, c'est un poisson qui a l'espée au nez: Mademoiselle de Cypierre au Duc de Luxembourg, l'Escrevice.
Voila les presens des Nymphes des eaux: celles des bois donnerent, sçavoir Mademoiselle de Vitry à Charles Monsieur (à present Duc d'Angoulesme) un hibou: Mademoiselle de Surgeres au Comte de Saulx, le chevreil: Mademoiselle de Lavernay au Comte de Maulevrier, le cerf: Mademoiselle de Stavay au Comte du Bouchage, le sanglier: Mademoiselle de Chaumont (qui estoit la Minerve) à la Reyne mere du Roy, l'Apollon: Mademoiselle de sainte Mesme (qui estoit la Circé) à Monsieur le Cardinal de Bourbon, le livre.
Avec cet ordre et ordonnance elles menerent les Princes pour danser le grand bal, aprés lequel on commença les bransles, et autres danses accoustumées aux grands festins et compagnies; et puis les Majestez du Roy et des Reynes se retirerent, la nuit estant desja fort avancée: ce [127] balet comique ayant duré depuis les dix heures du soir, jusqu'à trois heures et demie aprés minuit, sans qu'une telle longueur ennuyast les assistans, pour le grand contentement que chacun avoit de voir la Reyne Louyse faire tant d'honneur à ses sujets.
J'ay desja remarqué qu'il n'y a point eu de Reyne qui ait mieux sceu les devoirs des Reynes; ce qu'elle a bien fait paroistre, encore qu'elle eût esté nourrie à la Cour du Comte de Vaudemont son pere, et depuis en celle du Duc de Lorraine son cousin. Elle se rendit incontinent des plus sçavantes au train de cette premiere Cour de l'Europe.
Le Roy Henry III. la dressa de sa main à toutes les perfections que le monde admire. Elle gagna le coeur de la Reyne Caterine sa belle-mere, qui n'avoit pas tant (comme nous avons dit cy-dessus) favorisé son mariage, et le gagna si absolument, qu'autre qu'elle ne le possedoit: il y avoit une telle conformité d'humeurs entre elles, que ce qui plaisoit à l'une estoit agreable à l'autre. Quand quelque Grand estoit mal veu ou mal voulu de l'une, il ne pouvoit pas esperer bon oeil ny bien-veillance de l'autre. François de France Duc d'Anjou, de Brabant, et d'Alençon, frere unique de Henry III. l'honoroit autant que s'il eust esté beaucoup inferieur à elle: on croyoit que si ce liberal Monarque fust mort d'un mal d'oreille, dont il fut atteint au beau logis de Chasteau-villain (depuis dit l'Hostel d'O) et dont les Medecins faisoient de tres-mauvais jugemens, il l'eust épousée, ou le Pape Gregoire XIII. n'en eust pas voulu accorder les dispenses. Anssi [sic] quand il fut mort l'an 1584. il sembloit qu'elle ne vouloit plus se servir de ses yeux que pour pleurer. Je sçay bien que quelques-uns l'ont voulu blasmer de ce qu'aprés le decés de cet Enfant de France, frere unique du Roy son mary, qu'elle n'a pas fait tant d'estat qu'elle devoit des Princes et des Princesses du Sang, et qu'elle n'aymoit que ses freres, et les Princes de sa Maison, qu'elle ne pût pas dissimuler la haine qu'elle portoit à Henry Roy de Navarre quand il vint à Tours offrir son service au Roy Henry III. l'ayant receu si froidement, que ce genereux Prince forçant la douceur de son naturel, dit, [128] qu'il s'en ressentiroit, et qu'elle s'en repentiroit: Mais les autres ont de la peine à croire que cette Reyne qui estoit si sage ait fait paroistre ces defauts, ou bien ils l'excusent à cause du zele qu'elle avoit pour la Religion Catholique, opposée à celle que le Roy de Navarre professoit. Aussi ce bon Prince estant depuis parvenu à la Couronne, ne luy en sçavoit pas mauvais gré, ne voulant pas venger les injures du Roy de Navarre, non plus que le Roy Louys XII. celles du Duc d'Orleans.
Il est vray qu'elle a aymé ses freres, mais ç'a esté par devoir qu'elle avança le Duc de Mercueur, auquel elle fit épouser l'heritiere de Martigues, et donner le Gouvernement de Bretagne: Charles de Vaudemont, auquel elle procura un Chapeau, et maria sa soeur Marguerite au Duc de Joyeuse, pour les obligations qu'elle avoit à leur mere, qui l'avoit traitée si doucement, et procuré par ses soins son avancement à la vertu et à la pieté. Elle aymoit par vertu ses autres freres Henry Comte de Chaligny, qu'elle maria à l'heritiere de Moy, et Eric Evéque de Verdun, pour témoigner qu'elle n'avoit point de ressentiment des rudesses de leur mere. Ceux qui ont hanté la Cour du Roy Henry le Grand, ou leu les Memoires de Philippe de Mornay, Seigneur du Plessis Marly, sçavent comme elle a travaillé à reduire son frere le Duc de Mercueur à l'obeïssance de sa Majesté, et comme à la fin par sa sollicitation il quitta les armes, et vint trouver le Roy Henry IV. à Angers.
Ceux qui ont creu quelque temps qu'elle avoit intelligence avec les Princes de sa Maison, contre les Rois Henry III. et IV. ont du depuis reconnû le contraire; car elle monstra que ses actions en estoient éloignées, ne les ayant jamais voulu voir depuis la mort du Roy son mary, laquelle l'affligea grandement, comme je diray.
Elle estoit trop vertueuse pour manquer d'amour et de respect à son mary, elle qui estant fille avoit porté tant d'honneur au Comte de Vaudemont son pere, et à son cousin le Duc de Lorraine; aussi aprés le service de Dieu, elle n'avoit point de plus grande passion que pour celuy du Roy son mary; c'est pourquoy ce Prince l'aymoit et la cherissoit [129] grandement pour ses vertus, comme le Roy Charles son frere avoit affectionné la Reyne Elizabet sa femme.
Il faudroit un livre entier pour décrire les vertus de cette Reyne, qui n'estoit pas seulement humble et modeste, mais aussi pieuse, prudente, liberale, patiente, et charitable.
On peut dire de cette Reyne Tres-Chrestienne et Tres-Religieuse, qu'elle parloit plus souvent à Dieu qu'aux hommes; aussi la trouvoit-on plus souvent aux Eglises qu'au Louvre. Jamais pour les resjouissances publiques elle ne perdit un moment de ses prieres, et ne discontinua ses exercices de devotion et de pieté. Durant les Jubilez elle alloit à pied visiter les Eglises où estoient les Stations. Tous les Vendredis, pour la devotion qu'elle avoit aux saintes Reliques de la Passion de JESUS-CHRIST (25), elle alloit ouir la Messe à la sainte Chapelle; le Samedy à Nostre-Dame, le Dimanche à Saint Germain de l'Auxerrois, le Lundy au Saint Esprit, et les autres jours à sainte Geneviéve, ou à quelque Eglise des Monasteres de Paris. Souvent elle alloit faire ses prieres à la Royale Eglise de Saint Denys (26), ayant une devotion particuliere à cet Apostre de la France, ou pour mieux dire de la vieille Gaule, et l'un des saints Protecteurs de nos Roys. Et ainsi à tous les autres lieux où elle faisoit sa demeure, elle recherchoit la faveur des Saints qui y estoient particulierement honorez. A Moulins tous les Vendredis elle alloit à sainte Claire, le Samedy à Nostre Dame, le Dimanche à Saint Pierre sa Parroisse, le Mecredy aux Carmes. A Chenonceaux tous les Samedis elle alloit visiter la Chapelle de la Vierge en l'Eglise de Francueil, et bien souvent celle de Mont-desir, et presque tous les Dimanches sa Parroisse. A Bourges elle avoit une grande consolation de visiter et d'honorer toutes les reliques qui sont en grand nombre dans les belles Eglises de saint Estienne, de la sainte Chapelle, et les autres. Souvent elle visitoit le Tombeau de la Reyne Jeanne de France dans l'Eglise des Annonciades.
Durant le regne de Henry III. les habitans de Paris, et aprés la mort de ce Prince ceux d'Angers, de Bourges et de [130] Moulins ne sçavoient, la voyant faire ses devotions aux Eglises, s'ils devoient plustost admirer en elle l'éclat et la grandeur qui paroissoit en sa Majesté, ou sa grande devotion; car durant la Messe elle ne faisoit point de priere, afin d'admirer les mysteres representez par le Prestre; c'est aussi la vraye marque pour connoistre que la personne qui assiste à la Messe y porte le coeur aussi bien que le corps. Elle tenoit pour maxime de devotion, qu'en la Messe le devoir d'une ame Chrestienne est de laisser la curiosité humaine à la porte de l'Eglise, et d'y entrer sous la conduite de la Foy et de l'humilité, pour mediter les mysteres de ce saint Sacrement, ce qu'elle faisoit tous les jours avec attention, tandis qu'on celebroit deux Messes: car ceux qui ont hanté la Cour du Roy Henry III. ou celle de cette Reyne aprés le decés de ce Monarque, sçavent qu'elle ne se servoit, ny d'heures, ny de chapelet, ny d'autre livre Latin, mais seulement des inspirations qui luy venoient du Ciel. Il est vray que pour attirer cette faveur elle avoit esté soigneuse de se faire instruire de tout ce qui concerne la Messe.
Elle avoit un grand contentement d'ouir la parole de Dieu (27), encore que tout le long du Caresme, de l'Advent, de l'Octave du Saint Sacrement, et de toutes les Festes de l'année elle fit prescher aprés midy en sa presence son Predicateur ordinaire; neantmoins quand sa santé luy permettoit, elle ne manquoit jamais d'assister aux predications qui se faisoient aux grandes Eglises, tant pour en faire son profit spirituel, que pour donner de l'edification au peuple qui suit les exemples du Roy et de la Reyne. Elle prenoit plaisir aux discours des excellens Predicateurs qui suivoient la Cour du Roy son mary, qui estoit un Prince tres-eloquent, mais particulierement ceux de Guillaume Rose, Docteur, et Grand Maistre du College de Navarre, qui fut depuis Evéque de Senlis.
Estant fille, et durant les premieres années de son mariage, elle se confessoit et communioit tous les mois, mais quatre ans aprés avoir épousé le Roy Henry III. et estant veuve, elle frequentoit ces Sacremens tous les huit jours, outre les Festes solemnelles de nostre Seigneur, de la Vierge, des Apo-[131]stres, et de celles de l'Ordre de saint François, dont elle tira un si grand profit, qu'outre les grandes lumieres que Dieu luy donna sur la fin de ses jours, elle prenoit, comme chose indifferente, toutes les afflictions qui luy arrivoient, et comme si desja elle eust esté au Ciel.
Estant mariée, tous les matins elle faisoit une heure d'oraison à genoux, comme sçavent les Dames qui ont eu l'honneur de la servir. Pendant que l'on l'habilloit, elle pensoit à qui elle avoit à parler, et ce qu'elle avoit à ordonner, ou quelle réponse elle devoit faire à ce que les Grands du Royaume luy proposoient pour en parler au Roy, qui ne la pouvoit refuser, à cause du grand respect qu'il portoit à sa vertu. Au retour de la Messe elle donnoit le temps aux visites du Roy qui l'alloit voir en sa chambre, et aussi à celles des Princes et des Princesses. Tandis que le Roy hantoit les Cloistres reformez, et faisoit ses devotions à la Congregation de Nostre-Dame du bois de Vincennes, elle se retiroit dans son cabinet pour prier Dieu; à grand peine laissoit-elle passer un jour sans assister à Vespres, et jamais ne se retiroit le soir sans traiter avec Dieu des actions qu'elle avoit faites durant le jour.
Estant veuve, elle passoit en oraison toute la matinée jusques à l'heure de son repas, durant lequel elle se faisoit entretenir de discours spirituels par le Docteur Dinet son Predicateur, et le sieur le Duc son Confesseur, ou par d'autres personnes doctes et religieuses qui passoient par Moulins. Quelques fois elle alloit une demie heure le matin se promener dans les jardins de Chenonceaux, de la Bourdaisiere, et de Moulins.
Aprés le repas elle demeuroit une heure dans une chaire sans beaucoup parler, puis elle se faisoit lire deux ou trois heures, elle se servoit pour l'ordinaire de la Demoiselle la Beraudiere, qui prononçoit fort bien en lisant; lors qu'elle estoit contrainte de demeurer au lit, son livre ordinaire estoit la Vie des Saints. Durant la lecture elle s'adonnoit aux ouvrages pour orner les Autels, y ayant bien peu d'Eglises celebres en devotion en ce Royaume où elle n'ait envoyé des chasubles et des paremens de sa façon, ou quel-[132]que present digne de la pieté de sa Majesté. Sur les quatre ou cinq heures, selon le temps et la saison, elle sortoit une heure à la promenade. La pieté prit de profondes racines en son ame par le moyen de la meditation, dont l'effet est d'élever les ames au Ciel. Cette Reyne depuis qu'elle fut veuve jusques à sa mort, se relaschoit deux fois le jour de la vie active, au matin devant la Messe, et au soir devant Vespres, et se retiroit de toute compagnie en son cabinet pour trois quarts d'heure chaque fois: le principal sujet dont elle s'entretenoit, estoit l'Histoire de la Passion, divisée en autant de Meditations qu'il y a de jours en la semaine. Aprés son souper elle permettoit quelque honneste recreation en sa presence; parfois avant que faire son examen, elle faisoit faire quelque lecture pieuse.
Cette grande Reyne passoit ainsi ses jours, sans crainte d'estre surprise de la mort, et sans apprehension d'estre reprise d'avoir employé le temps aux plaisirs et aux vanitez de la terre: Et bien qu'elle fust souvent visitée des Princes, des Princesses, et des Grands du Royaume, elle ne perdoit pas un seul moment de ses devotions.
Elle ne rompit que deux fois le Caresme, nonobstant ses infirmitez continuelles, et méme avec tant de difficulté qu'il ne se peut dire, et avec tant de prudence, qu'elle ne trouvoit point de lieu assez secret pour prendre sa refection. Vertu qu'elle fit paroistre au choix de ses domestiques.
Premierement pour les Ecclesiastiques, elle prit pour Confesseur le Pere de Berangreville de la Compagnie de JESUS, qui estoit un Religieux d'une eminente probité, et bien versé en la science des Saints, qui a demeuré 14. ans prés de sa Majesté. Aprés son decés, ou par l'absence des Jesuites de ce Royaume, elle fit élection de Toussaints le Duc, Prestre de sainte vie, que le Roy Henry III. avoit associé à ses devotions de Vincennes, et le Pere Viquart, Religieux de l'Ordre de saint François. Son Predicateur ordinaire estoit Pierre Dinet Docteur de Sorbonne. Elle voyoit aussi souvent ces grands hommes eminents en pieté ou en doctrine, Guillaume Rose Evéque de Senlis: Arnaud Sorbin, [133] dit de sainte Foy, Evéque de Nevers: Emond Auger, et Clement du Puy de la Compagnie JESUS: Dom Jean de la Barriere, Abbé, et premier General des Peres Feuillans: Jaques Davi, depuis Cardinal du Perron, et plusieurs autres. Les Aumosniers et les Chapellains n'entroient jamais en sa Maison par faveur, et sans témoignage et recommandation de quelque personne digne de foy et de creance.
Son Chevalier d'honneur estoit Scipion de Fiesque Comte de Lavagne, Chevalier des Ordres du Roy, Seigneur illustre en noblesse, en valeur, et en bonnes moeurs. Ses Gentils-hommes avoient esté choisis entre les plus vertueux et les plus sages de ce Royaume. Son Chancelier estoit Guillaume de Laubespine, Seigneur de Chasteauneuf sur le Cher, pere de Messieurs de Chasteauneuf et de Hauterive, et de feu Monsieur l'Evéque d'Orleans, qui l'a tousjours fidelement servie. Fulvie Pic de la Mirande, Comtesse de Randan, digne mere du tres-pieux Cardinal de la Rochefoucaud (de laquelle j'ay fait l'Eloge avec celuy de sa soeur Silvie Comtesse de la Rochefoucaud) fut sa Dame d'honneur.
Les Reynes, comme celles de France, ne sont pas si tost élevées à la Royauté, que tous les Grands du Royaume ne recherchent de mettre leurs filles à la Cour prés de leurs Majestez, comme en une Academie d'honneur. Si tost que Louyse de Lorraine fut Reyne, sa vertu estant connue par toutes les provinces, ce fut entre les Grands à qui auroit plus de credit d'approcher sa fille de la Cour; mais comme Platon ne prenoit pas tous les jeunes hommes en son école, aussi cette prudente Princesse vouloit estre bien informée, si les Demoiselles que l'on luy presentoit pour estre ses filles d'honneur, seroient disposées pour se bien servir de cette faveur. L'Autheur de sa vie dit (28), qu'il y a eu plusieurs Dames en France qui ont tenu des premiers rangs, desquelles la vie laissera cet honneur à la posterité d'avoir souffert à l'entrée de la Maison de cette Reyne l'examen de rigueur, et à la sortie l'asseurance de la pureté. Elle avoit un soin tres-particulier de ses filles, comme si elle eust eu à rendre compte de leur conduite: et en effet Dieu fera rendre compte aux Grands, non seulement de leurs actions, mais encor de celles de tous ceux qui sont sous leur charge.
[134] Cette vertu de prudence luy fut necessaire pour supporter patiemment les afflictions qu'elle receut durant sa vie. Les Grands ont à souffrir aussi bien que les petits; car tout ainsi que les migraines et les douleurs de testes ne guerissent pas pour porter un Diadéme; de méme pour estre Roy ou Reyne, l'on n'est pas exempt des déplaisirs et des adversitez. Le Roy Henry III. avoit aymé avant qu'estre marié une des filles de la Reyne sa mere, qui estoit une Demoiselle des plus illustres et des plus anciennes Maisons de Bretagne. Il y avoit quelque promesse de mariage par écrit; mais les sermens qui se font sur des autels de plume s'en vont au vent. Il luy donna en garde ses pierreries quand il alla en Pologne. Le feu en avoit esté si ardent, que les cendres en demeurerent chaudes, quelque temps aprés qu'il fut esteint, et suffisant pour faire un nouveau embrasement, si la Reyne Louyse par sa prudence et sa patience ne les eust fait jetter au vent: toutes les fois que cette grande beauté paroissoit, les autres perdoient beaucoup de leur lumiere; Louyse en avoit à la verité un peu de martel en teste. La Reyne Caterine sa belle-mere luy disoit qu'elle en avoit souffert bien d'autres, sa douleur s'allegeoit, quoy qu'elle ne s'en allast pas. Elle dissimula jusques à ce que cette Demoiselle parut un jour au bal vestue tout de méme qu'elle. Il y en avoit pour troubler l'esprit à une Princesse qui eust esté de la trempe de Jeanne Reyne d'Espagne, de laquelle j'ay fait l'Eloge dans les Jeannes illustres: mais nostre Reyne Louyse plus patiente, et d'une humeur plus froide et plus temperée, se contenta de dire à la Reyne Caterine qu'elle ne pouvoit plus souffrir cette insolente: Elle qui l'aymoit, et qui eust desiré avoir cent yeux pour la voir, et autant de coeur pour la laisser en sa disposition, fit en sorte que cette estoile s'éclipsa, et ne parut plus à la Cour (29), et par dépit se maria à son plaisir à Philippe Altoviti, Baron de Castelane, Gentil-homme de Marseille, originaire de Florence, qui n'estoit pas d'une Maison si noble ny si remarquable que celle de Rieux (30), illustre en Heros et en Heroïnes, et alliée à la Maison Royale.
[135] Mais voicy un plus grand sujet de patience. Dieu de qui les secrets sont impenetrables, et les conseils tout differens des nostres, s'estant reservé la puissance de ses creatures selon son bon plaisir, ne permit pas que la Reyne Louyse, la plus accomplie Princesse du monde au corps, comme en l'ame, eust des enfans comme le Roy son mary desiroit. Six semaines aprés son mariage on s'apperçeut de sa grossesse, mais par malheur elle fit quelques mois aprés une fausse couche. La Reyne Caterine de Medicis, et Anne de Ferrare Duchesse de Nemours, eurent la curiosité de faire reconnoistre le sexe d'un petit enfant formé, on trouva que c'estoit un garçon, ce qui augmenta la douleur; cela luy laissa une jaunisse pour quelques mois, et une indisposition pour tousjours, qui fit perdre au Roy et au Royaume l'esperance de la voir mere. Dieu n'appliqua pas le cautere à la partie malade, mais en la plus saine, et en la chair vive, afin que sa douleur en fust plus vive. Cette sterilité a rendu la Reyne Louyse sterile de tous les contentemens.
Il est vray que les trois ou quatre premieres années se passerent en toutes sortes de delices. Le Roy ne faisoit point de voyage sans elle; point de festin où elle ne fust; il ne pouvoit estre à autre, estant tout à elle, ses plaisirs n'estoient que là où estoient ses desirs. Ces grands bouillons du Roy commencerent à se refroidir, son coeur devint un arbre planté sur un grand chemin, duquel les fruits sont pour les passans. Il s'eschauffa lors pour Mademoiselle de Chasteauneuf de la Maison de Rieux en Bretagne, de laquelle j'ay parlé cy-dessus. Il fit quelques excés, dont qui en fait le moins, fait le moins de mal. Il ne desira pas que la Reyne se parast, qu'elle vist les compagnies, ny qu'elle y fust veue. Il fit deux voyages à Lyon sans elle, son naturel coulant et roulant sans cesse aux choses nouvelles. Elle qui aymoit, (comme j'ay desja remarqué) ses freres, et les Princes de sa Maison, estoit bien marrie de les voir éloignées des faveurs du Roy, et qu'il ne fust permis qu'à Anne de Joyeuse, Seigneur d'Arques (depuis Duc de Joyeuse) et à Jean-Louys de Nogaret, Seigneur de Caumont (depuis Duc d'Espernon) d'y arriver. Ils estoient toute la Cour, et possedoient [136] tout le coeur du Roy, ils avoient le credit d'entrer au cabinet de la Reyne quand ils vouloient, et de luy parler au lit comme à la table quand elle mangeoit à part; tout faisoit passage à leurs yeux, et quelques Autheurs (31) rapportent que les privautez du Roy et d'elle, ne leur estoient pas secretes. Mais son affliction fut extréme quand elle vid la France troublée durant les derniers mois du regne du Roy son mary. Elle se retira au Chasteau de Chinon, petite ville en Touraine au mois de May de l'an 1589. par le commandement du Roy, où elle demeura jusques à ce qu'elle receut la nouvelle qu'il avoit esté blessé par un homme impie, couvert d'un habit de pieté. La pluspart de nos Historiens disent qu'à cette nouvelle elle se resolut de l'aller voir, et le venir visiter à Saint Clou; mais comme elle vouloit partir, le Comte de Fiesque et le Docteur Dinet son Predicateur ordinaire, luy dirent que Dieu en avoit disposé. La nouvelle de sa blessure l'avoit desja preparée à cet accident; car si tost que le Roy Henry III. fut blessé, il luy écrivit d'une main tremblante et mourante, ces deux mots; M'amie, vous avez sceu comme j'ay esté miserablement blessé, j'espere que ce ne sera rien, priez Dieu pour moy; adieu m'amie. Quand elle sceut qu'il estoit mort, elle cheut à terre toute pasmée.
L'Autheur de sa vie rapporte cela autrement (32); car il écrit que ceux qui estoient à Chinon prés de la Reyne Louyse, craignans que cette nouvelle de la blessure ne fust encor trop funeste pour saisir à mort un coeur si tendre et si fidele comme estoit celuy de cette Princesse envers Henry III. c'est pourquoy ils ne voulurent pas qu'elle vid le messager, ny la lettre, et aprés, comme ils eurent avis du decés du Roy, ils menerent la Reyne à Chenonceaux au commencement du mois de Septembre, où cette funeste nouvelle ne pouvant estre celée plus long temps, à cause qu'elle ne recevoit point de lettres du Roy comme elle avoit accoûtumé, elle luy fut donnée en une chambre proche de la Chapelle par le Docteur Dinet.
Ce fut en cette belle maison sur le Cher (dont elle fit depuis un devot Hermitage) qu'elle receut cette desastreuse [137] nouvelle de la mort du Roy son Seigneur et mary, ou pour mieux dire, ce fut à Chenonceaux que cette grande Reyne receut l'effroyable nouvelle qui la fit aussi mourir: puisque toutes les grandes maladies qui l'ont menée au tombeau, firent leur entrée en son corps au méme instant qu'elle entendit cette triste parole, le Roy est mort; car ce fut à ce moment que la tristesse la saisit tellement, qu'il fut impossible à l'art, et à la science des plus experts Medecins de l'Europe, d'empescher les violences de la melancholie qui l'ont fait mourir. On ne sçauroit exprimer sa douleur avec des paroles, jamais Reyne devant elle n'eut de plus sensible affliction que celle qu'elle receut à la mort de son tres-honoré Seigneur et mary, qui avoit esté si mal traité par ceux qui luy devoient toute sorte d'honneur et de respect; sa douleur s'augmentoit à chaque moment, et ne pouvoit se consoler de n'avoir pû luy rendre ses derniers devoirs, pour le servir et l'assister à la mort.
«Henry, ma lumiere, disoit quelquefois cette desolée Princesse, pour exhaler le mal qui l'estouffoit, que peux-je voir desormais qui puisse contenter mes yeux, puisque vostre eclipse me cause des tenebres perpetuelles? Les jours me seront d'icy en avant des nuits, et ces nuits nourricieres de mes ennuis ne m'entretiendront que de l'objet de vostre perte. Parricide, et regicide cruel! quel mal t'avoit fait ce grand Roy, le plus doux, et plus pieux Prince du monde? furie infernale! en mesme temps que tu mettois ta main enragée sur sa sacrée personne, tu m'as osté la vie. Ciel importun, pourquoy nous separois-tu, puis qu'un si saint lien nous unissoit? Helas, je ne veux pas accuser les Cieux innocens d'un crime si abominable. Il faut que je prenne patience, le remede universel des maux incurables; et j'espere que Dieu me fera la grace (que je luy demande de tout mon coeur) de suivre bien tost celuy qui m'a devancée. Henry, Henry, vous serez l'unique époux de mon corps, et mon Dieu l'unique Epoux de mon ame pour jamais, et comme la Reyne ma belle-soeur a de continuels regrets pour la perte de son Charles, sans cesse je soûpireray celle de mon Henry.»
[138] Elle fit paroistre encore sa patience durant les troubles qui survindrent aprés la mort du Roy son mary, dont elle poursuivit les autheurs par diverses fois, comme je feray voir quand je parleray de sa justice.
Aprés le decés de ce bon Prince, elle fit revenir quatre de ses filles (33), qui trouverent un extréme changement du traitement du Louvre à celuy de Chenonceaux: la necessité y estoit si grande, que la pluspart du temps elles vivoient sur leur bourse. Cette Reyne n'avoit point de douaire, et les liberalitez qu'elle recevoit du Roy Henry IV. ne suffisoient pas pour l'entretenir. Quelques-uns disent qu'il estoit fort offensé de la mauvaise reception qu'elle luy avoit faite à Tours, mais ce tres-bon Roy, incomparable en clemence, avoit oublié ce déplaisir. Il la secourut en ses necessitez tant que celles de ses affaires le pouvoient permettre, et s'il n'eust point eu au commencement de son regne de si puissans ennemis sur les bras, tant ses sujets rebelles que les étrangers, il n'eust pas manqué de luy donner toute sorte de satisfaction: aussi il luy donna aprés le decés de la Reyne Elizabet le douaire qu'elle avoit (34); mais ayant égard qu'elle n'en avoit pas jouy les trois premieres années de son regne, il luy bailla encor Romorantin. L'Historiographe de ce grand Roy (35) dit qu'il luy en eust donné davantage, n'eust esté la Duchesse de Beaufort qui ne l'aymoit point, parce qu'on luy avoit rapporté quelques paroles de mépris qu'elle avoit tenu d'elle. Celuy qui a écrit la vie de cette Princesse en parle en ces termes (36): Les troubles du Royaume renverserent c'en dessus dessous toutes choses, et comme le Roy Henry le Grand ne jouissoit mesme de son Domaine, aussi la Reyne douairiere ne pouvoit jouir entierement des terres de son douaire, ce qui reduisit ses affaires à telle extremité, que durant deux ou trois années, non seulement ses domestiques souffrirent, mais elle mesme fut privée de ses necessitez, n'ayant que douze mille escus pour entretenir sa maison; et toutesfois de ce que Dieu luy donna les pauvres en furent tousjours soulagez.
Ce qui nous fait voir la liberalité et la charité de cette patiente Princesse, laquelle fut si grande, qu'à peine en peut-on trouver une semblable chez nos Historiens. Cette [139] vertueuse Princesse connoissant que les richesses viennent aux hommes de la pure liberalité de Dieu, elle a tousjours distribué celles qui luy restoient aprés l'entretenement de sa maison en oeuvres pies. Si elle a fait éclater cette vertu en sa jeunesse (comme j'ay rapporté au commencement de sa vie) elle ne l'a pas moins pratiquée durant son mariage, donnant de bon coeur aux pauvres et aux miserables tout l'argent de ses menus plaisirs, outre ce qu'elle recevoit aux Festes solemnelles du Roy son mary.
Les trois objets de sa charité estoient les Eglises, les pauvres, et ses domestiques. Estant mariée, elle fonda la pension de trois Predicateurs pour les prisonniers, et un Service solemnel à l'honneur du saint Sacrement, en l'Eglise du grand Convent des Jacobins de Paris. Elle visita l'Eglise de Nostre-Dame de Chartres, où elle laissa des presens dignes de sa liberale pieté. Elle alloit fort souvent visiter en personne l'Hostel-Dieu, et les quatre prisons de Paris (38), où sa Majesté a ensevely les morts de ses mains Royales, au grand étonnement des Courtisans et des Parisiens, qui luy ont donné cette gloire d'avoir esté l'une des plus grandes aumosnieres, et des plus charitables Reynes qui ayent esté en France. Tous ses domestiques se sont ressentis de ses liberalitez; mais elle ne se contentoit pas de les enrichir de biens temporels, mais aussi des spirituels: car le salut des Princesses, des Dames, et des Demoiselles de sa Maison, et de sa Cour, luy estoit si cher, qu'elle mesme prenoit la peine de les exhorter à la pieté, de les ayder à faire des confessions generales, et à se maintenir et conserver en l'estat de grace; sur tout à retenir leur langue pour ne detracter point de personne.
Elle ne manquoit jamais d'aller consoler les Seigneurs et les Dames qui estoient en affliction, ausquels elle tenoit des discours pleins de pieté. Sa Majesté avoit tant de compassion pour les personnes affligées, qu'elle a tousjours essayé de partager avec elles leurs peines pour les soulager. Cette disposition luy a duré toute sa vie, et soit qu'elle se regardast comme une victime publique, qui devoit porter les douleurs de tous les autres: soit qu'elle fust entrée dans [140] les sentimens du Sauveur, qui souffre dans tous ses membres, elle ne pouvoit voir de personne affligée qu'elle ne compatist à ses peines.
Estant veuve elle s'est encore rendue plus recommandable par cette vertu: Car il n'y a point d'Eglise dans les terres de son douaire où sa Majesté n'ait fait quelque fondation ou liberalité. Comme aussi aux Eglises, tant dedans que dehors de ce Royaume où la Vierge est honorée. Elle a fondé en l'Eglise de Nostre-Dame des Ardillers un certain nombre de Chapellains, qui sont obligez de chanter les louanges de la Mere de Dieu. L'on void à Lorette un coeur d'or tout chargé de diamans, representant le coeur du Roy Henry III. qu'elle a presenté l'an 1598. à la Vierge, pour l'offrir à son Fils, avec une nef d'argent d'un merveilleux artifice, pour servir devant son Image. Les Convents de sainte Claire de Moulins, de Montbrison, et plusieurs autres de ce devot Ordre, auront souvenance de sa charité à jamais, ausquels elle a fait du bien sur la fin de ses jours, et laissé des legs pieux par son testament: Mais l'une des plus belles fondations est celle des Capucines, dites les Filles de la Passion, de laquelle je parleray à la fin de cette Vie.
Aprés les lieux de devotion, ses liberalitez s'estendoient sur les pauvres qui sont les membres du Sauveur. La supréme Charité qui recommande de tant faire l'aumosne, ayant pris possession du coeur de cette grande Reyne, mit les pauvres en possession de la plus grande partie du revenu de son Domaine. Qui voudroit remarquer toutes les liberalitez de cette Princesse, il faudroit faire des volumes entiers. Je me contenteray de dire qu'elle estoit la mere des pauvres filles, en ayant marié honnestement un grand nombre dans ses terres; mais elle avoit un soin tres-particulier des pauvres et des miserables, sur tous des orfelins et des veuves. On a remarqué qu'elle n'a jamais rien refusé de ce qu'on luy a demandé pour les pauvres, et que nonobstant l'incommodité de ses affaires, durant les plus sanglantes guerres de la Ligue, elle recevoit tousjours gayement ceux qui luy en venoient representer les necessitez: Mais je ne trouve rien de plus admirable que le secours [141] que les pauvres receurent de sa Majesté, lors qu'elle estoit la plus incommodée, comme j'ay appris du sieur Mallet, Theologien de la Faculté de Paris, Chancelier du Duché de Mercueur, et Confesseur de Mesdames les Duchesses de Mercueur, et de Vendosme, qui en parle en ces termes (39).
Nostre Reyne ne cessa jamais de donner l'aumosne, et durant une année et demie qu'elle sejourna à la Bourdaisiere prés de Tours, se voyant reduite à toute extremité, elle declara à tous les siens que de ce peu qui luy restoit elle s'en incommoderoit en sa personne pour leur en faire part, et de fait, plusieurs domestiques aymerent mieux souffrir, et estre reduits à une petite portion de pain et de vin par jour, que de quitter une si charitable Maistresse, qui se servoit de sa nourriture ordinaire pour alimenter ses serviteurs, et les pauvres de JESUS-CHRIST. Tous ceux qui ont demeuré à Moulins, à Bourges, à Chenonceaux, et autres lieux (où cette Reyne liberale a fait son sejour estant douairiere de France) sçavent que quand les pauvres de ces quartiers là devenoient malades, elle redoubloit ses soins, et ne negligeoit rien de tout ce qui pouvoit contribuer à leur soulagement; son esprit s'appliquoit à tous leurs besoins, et elle commandoit qu'on leur fist des bouillons, qu'on leur portast de la gelée, qu'on leur donnast des confitures, et qu'on les accommodast de tout ce qui estoit necessaire. Aprés avoir pourveu à leur nourriture, elle faisoit pourvoir à leurs autres necessitez, particulierement aux spirituelles. La conversion des pecheurs est un ouvrage de la charité, et ceux qui ayment nostre Seigneur ne travaillent à son exemple qu'à les reduire à leur devoir; nostre Reyne Louyse avoit un zele extréme de leur salut, qu'elle a fait paroistre en plusieurs occasions, mais principalement quand elle a fondé à perpetuité trois bourses à trois Bacheliers formez en Theologie, reguliers ou seculiers, de la Societé ou des hostes du College de Sorbonne, pour faire la Predication des Dimanches et des Festes és prisons de la Conciergerie, du grand et du petit Chastelet de Paris, pour la consolation des pauvres prisonniers affligez, des criminels renfermez és cachots, et de ceux qui sont condamnez au supplice.
[142] Ceux qui ont leu les Lettres Patentes de cette Reyne données à Chenonceaux le 20. de Septembre de l'an 1599. qui ont esté confirmées par le Roy Henry le Grand le 22. d'Octobre de la méme année, verifiées au Parlement, et au Chastelet, leues, publiées et acceptées en pleine assemblée de la sacrée Faculté de Theologie, le 3. de Fevrier 1600. et mises au thresor des titres et des archives du College de Sorbonne, sçavent les motifs qui ont porté cette tres-liberale et tres-charitable Princesse à faire cette sainte fondation; les soins qu'avoit pris sa Majesté de ces pauvres miserables, et les visites qu'elle leur a rendues; ce qu'on apprend par ses paroles mesmes qui suivent: Comme entre les oeuvres de charité nous ayons tousjours estimé le soin des prisonniers estre des plus recommandables, pour leur subvenir et de moyens en leurs necessitez, et de consolation en leurs peines et afflictions. Et que pour cette consideration, ayant reconneu par plusieurs fois qu'aurions visité les prisonniers de la ville de Paris, renfermez tant en la Conciergerie du Palais, qu'és autres prisons du grand et petit Chastelet, qu'entre leurs autres necessitez ils avoient besoin d'estre instruits et consolez de la sainte parole de Dieu, vray consolateur des affligez. (40)
Si les soins de cette liberale Reyne s'estendoient sur les pauvres, elle ne negligeoit pas ses domestiques, leurs peines luy estoient sensibles, et rien ne leur arrivoit de fascheux qui ne l'affligeast: Mais comme n'auroit-elle pas eu de l'affection pour ses serviteurs, puis qu'elle avoit un soin particulier de ceux qui avoient esté domestiques de la Reyne Elizabet sa belle-soeur (41). A peine trouvera-t'on une Reyne qui ait esté plus liberale à ses serviteurs que cette Princesse. Les grandes sommes qui leur furent leguées, et qui sont couchées dans son testament, semblent surpasser la valeur de sa succession. Il est vray qu'elle a legué à l'une de ses nieces et sa filleule, sçavoir Louyse de Lorraine, fille de Henry Comte de Chaligny, femme de Florent de Ligne Marquis de Roubais (de laquelle j'ay parlé en l'Eloge de sa mere Claude de Moy) la somme de cinquante mille escus; mais les autres legs qu'elle a fait en general et en particulier à ses domestiques, montent à une telle somme, que ceux qui ont [143] manié le bien de sa succession, ou qui ont veu le fonds de tout le bien, et des charges qu'elle laissa, ont dit souvent qu'elle estoit autant ou plus onereuse que profitable: car cette Reyne ne se soucioit que de faire des amis au Ciel, et de ne se monstrer pas ingrate à ceux qui avoient quitté leur maison et leur repos pour la servir.
Ceux qui ont eu cet honneur d'estre nourris et élevez en l'Hostel de cette grande Reyne, sçavent que pour conserver la paix dans sa Maison, elle n'écoutoit jamais les rapporteurs, et avoit une grande aversion de ces ames basses, qui ne peuvent bastir leur fortune que sur la ruine de celle de leur prochain par des calomnies. Toutes les flateries luy estoient ennuyeuses, et les rapports odieux. Elle estoit plus exacte de censurer ses propres defauts, que d'étaller ceux d'autruy. Elle prit la resolution pour bannir les detracteurs du Louvre, d'estre comme une statue sans oreilles, et sans bouche, lors que quelqu'un commençoit à médire des absents, par des soupçons et des conjectures (42). C'est ce qui la fit aymer des François; et aussi l'aversion qu'elle avoit des donneurs d'avis, comme remarque Antoine Mallet au Chapitre 25. du 6. Traité de la vie de la Reyne Louyse, où il loue cette vertueuse Princesse pour sa justice et sa bonne conscience à renvoyer les donneurs d'avis. Aussi cette Heroïne merite des Eloges pour la haine qu'elle avoit de ces ravisseurs du bien d'autruy, de ces sangsues des peuples, et de ces harpies de la substance des Maisons plus considerables d'un Estat, qu'ils ruinent pour assouvir leur avarice déreglée, et que l'on void insolemment paroistre dans des carosses comme dans des chars de triomphe, aprés avoir autrefois veu leurs peres conduire la charrue, ou faire quelque profession encore plus vile, qui aprés estre nez sur le fumier, et parmy la fange, vont couverts d'or et de soye, traisnans la pourpre dans les boues, égalans, et mesme surpassans le luxe des Princes en leurs tables, en leurs meubles, en leurs habits, et au nombre excessif de domestiques, et qui auroient besoin de la correction charitable que fit cette Reyne à une Presidente, comme j'ay dit cy-devant.
[144] L'amour de la justice, et l'aversion qu'elle avoit du vice, rendit sa maison une Academie d'honneur. Ce fut cet amour de la justice, et l'aversion des meschans et des impies, qui luy fit deux mois aprés la mort du Roy Henry III. son mary, presenter une requeste au Roy Henry IV. son legitime successeur à la Couronne de France, pour le supplier de luy faire rendre justice contre tous les autheurs du malheureux et inhumain assassinat commis en sa sacrée personne. Tous nos Historiens, mais particulierement Monsieur le President de Thou, remarque comme elle en écrivit au Roy Henry IV. le 9. d'Octobre. Depuis, comme il estoit encore à Estampes, il receut la requeste qu'elle fit presenter à sa Majesté, qui ne fut pas leue sans exciter des larmes à toute la compagnie. Le Roy seant en son Conseil le 8. de Novembre 1589. renvoya à sa Cour de Parlement transferée à Tours, pour instruire le procés criminel de tous ceux qui se trouveroient coupables de ce tres-cruel parricide. La Requeste de la Reyne, et l'Arrest donné ensuite, sont inserez au Chapitre 3. du Traité 7. de la vie de cette Princesse: Mais quelques-uns de mes amis m'ont conseillé de mettre icy sa Requeste, parce qu'elle ne se trouve point dans nos Historiens.
DIEU qui met le Sceptre en la main des Roys en les constituant sur les peuples, ne leur commande rien plus expressément aprés son honneur et service, que l'esgale administration de la Justice, auparavant mise és mains des Juges que sa divine Bonté y avoit establis et ordonnez, comme estant la principale charge et fonction de la puissance Royale, et où gist la plus illustre marque de cette supréme et souveraine authorité.
C'est aussi à vous, SIRE, et à toute la France que l'on a privé d'un si bon Catholique et vertueux Roy, que Louyse, par la grace de ce bon Dieu, fidelle, tres-humble, et obeissante compagne et épouse, et à present déplorable veuve du feu Roy Tres-Chrestien Henry III. de tres-louable et tres-heureuse memoire que Dieu absolve, nagueres malheureusement tué et meurtry par la plus execrable et proditoire meschanceté qui fut oncques commise, se plaint et adresse, pour avoir et obtenir la justice et juste punition, non telle que me-[145]rite un si detestable crime, mais pour le moins la plus exemplaire en horreur de tourment et supplice que l'on pourra apporter à la souvenance d'un si enorme forfait, contre ceux qui se trouveront autheurs et coupables, ou consentans d'iceluy, duquel vous, et bonne partie des Princes du Sang, et autres, beaucoup des principaux Officiers de cette Couronne, plusieurs Seigneurs, et autres de ses plus affectionnez serviteurs et sujets, avez peu estre tristes et oculaires tesmoins, et dont partant ladite Dame ne fera plus long et particulier recit, pource qu'il est assez notoire, et que la relation luy renouvelle tousjours l'enormité effroyable d'un si desloyal, scelerat et sanglant parricide, et qui la rend aussi de plus en plus infiniment miserable et affligée: Toutesfois afin que comme il est public et commis, non à l'endroit de sa seule personne, mais de tout ce Royaume, qui doit ressentir la violence d'iceluy, sa juste plainte avec l'immuable resolution qu'elle a prinse de vivre et mourir en cette sainte poursuite, soit aussi manifeste et patente à tout le monde, pressée d'extrémes regrets et douloureuses passions, meue, et vivement touchée d'une fervente ardeur, sincere et cordiale amitié, et honorable souvenance qu'elle veut tousjours avoir de l'honneur qu'elle a receu de sondit defunct Seigneur: ne pouvant assez déplorablement representer l'atrocité de ce meffait, où Dieu, la Majesté des Roys, et le reste de tous les hommes sont irremissiblement offensez et outragez; elle supplie vous ressouvenir de la singuliere amitié que sondit défunct Seigneur vous a portée auparavant sa mort si malheureusement conjurée: ne se trouvant en tous les aages et siecles passez nulle exemple pareille à cette felonnie, tant pour le respect de la personne, estat et dignité du defunct Roy sacré et l'Oinct de Dieu, que de la qualité de l'executeur de ce damnable assassinat, du lieu où ce crime a esté commis, la forme et les moyens d'y parvenir, par quelque instinct proposé et introduit, à quoy tout ce que l'on a jamais reveré en ce monde comme saint et sacré, a esté tres-indignement mesprisé, profané, et violé, la delaissant par ce malheur, non seulement, et pour jamais desolée, mais aussi un nombre infiny de pauvres officiers, serviteurs et sujets, orfelins d'un si bon pere et protecteur. Et combien que par les formes ordinaires introduites et receues en ce Royaume, la justice des crimes et delits se doivent faire à la poursuite des Procureurs generaux, si est-ce que sur la promesse qu'il vous a pleu desja luy faire par vos Lettres du troisiéme jour d'Aoust der-[146]nier, ladite Dame vous requiert tres-humblement la luy faire rendre de cettuy-cy insignement meschant et inhumain, accompagné de tant de grandes et extraordinaires consequences, appellant à son instance tous autres Roys et Potentats, conjurant à mesme fin tous les Princes du Sang, et autres Officiers de cette Couronne, et generalement tous les estats de ce Royaume, qu'elle prie et semond en general, et honneur ou souvenance de l'amitié que ce bon Roy leur a de son vivant portée; s'ils ont encore quelque generosité Françoise, et s'ils ne veulent participer au blasme de reproche que l'on leur pourroit aucunement donner de ce cruel et plus que barbare assassinat, et ne delaisser sur le front de leur posterité l'injure d'iceluy, de la secourir, assister et ayder en cette si juste poursuite, à ce qu'il s'en ensuive une reparation et une punition si exemplaire, que la felonnie et atrocité du crime le merite; et pour estre cettedite poursuite commune à tous les Princes, Seigneurs et Estats de cedit Royaume, il vous plaira charger et commander à vostre Procureur general faire toutes les diligences requises et necessaires sans aucune discontinuation, où ladite Dame proteste d'assister, et employer tout ce qui sera de son pouvoir; et d'autant que la premiere preuve et deposition que l'on en eust peu avoir par la bouche du malheureux assassin, est perdue par la trop prompte et soudaine mort que l'on luy a fait souffrir, non toutesfois avec assez de tourment et d'infamie, ladite Dame requiert qu'il luy soit permis d'obtenir, et faire publier censures et monitions Ecclesiastiques, et qu'à cette fin toutes commissions necessaires seront delivrées.
Signé, LOUYSE.
Depuis elle en fit une instance et une demande plus solemnelle, avec une plus grande ceremonie dans l'Eglise de Mantes en presence des Princes, des Officiers de la Couronne, des Chevaliers des Ordres, et d'une grande multitude de peuple au mois de Janvier de l'an 1594. Elle arriva à Mantes le 12. de Janvier, et huit jours aprés le 20. du méme mois, les preparatifs ayant esté faits dans la nef de cette Eglise là, soit pource qu'il n'y avoit point d'autre lieu assez spacieux, soit pour sanctifier davantage cet acte en la presence de Dieu et de ses Saints: ayant esté advertie que le Roy Henry IV. estoit desja à l'Eglise, lors [147] elle sortit de son Hostel environ deux heures aprés midy, faisant marcher les Suisses de sa garde, ses Gentils-hommes, et ses principaux Officiers vestus en deuil, et soustenue au costé gauche de Monsieur le Prince de Conty, et au costé droit de Monsieur de Chasteauneuf son Chancelier, et aprés le Comte de Fiesque son Chevalier d'honneur, Madame de Nevers, Mademoiselle sa fille (qui depuis a esté Duchesse d'Aiguillon) et Madame de Rohan portoient la queue de son manteau, suivie de plus de quarante Dames menées par divers Seigneurs, serviteurs particuliers du Roy Henry III. tous habillez de deuil.
En cet ordre passant entre deux hayes de Suisses, rangez de deux costez, depuis son Hostel jusques à la porte de l'Eglise de Mantes; si tost que les premiers furent arrivez à cette porte là (qui avoit esté fermée tout le jour pour éviter la confusion du peuple, assemblé pour voir cette ceremonie) elle fut ouverte; lors on vid le Roy Henry le Grand tout au plus haut de la Nef, sous un dais de drap d'or frisé, assis en une chaire couverte de mesme, mise sur un theatre tapissé, élevé de trois degrez, et à costé droit de sa Majesté estoient assis sur divers sieges les Mareschaux de France, les Officiers de la Couronne, les Chevaliers de l'Ordre, et les Seigneurs du Conseil; devant eux, un peu vers le Roy, le Seigneur de Chiverny Chancelier de France en une chaire couverte de velous, et à son costé droit à l'entrée du theatre, et dans les barrieres MM. le Procureur, et les Avocats du Roy en sa Cour de Parlement tout devant sa Majesté; les Secretaires d'Estat à l'entour d'une petite table couverte de velous, et au derriere la chaire du Roy le Capitaine de ses gardes, et plusieurs autres Seigneurs.
Au mesme temps que la Reyne entre dans l'Eglise, ses serviteurs qui estoient devant se separerent des deux costez de la haye que faisoient les Archers de la garde du Roy, jusques au derriere du theatre; de sorte que la Reyne Louyse voyant le Roy Henry IV. elle luy fit une bien basse reverence, et le Roy se leva de sa chaire, mit la main au chapeau, et elle s'approchant tousjours, estant au milieu de la nef fit une autre reverence, et le Roy fit un pas pour s'a-[148]vancer vers la Reyne, qui estant arrivée au pied du theatre fléchit un genouil sur la premiere marche, et lors le Roy s'estant encore avancé luy tendit la main pour ayder à la relever et monter sur le theatre, la conduisant en une chaire preparée pour elle qui estoit couverte de noir, sous un dais de méme parure où elle s'assit, aprés que le Roy se fut mis en sa chaire.
A la main droite du Roy du costé de la Reyne, furent assis sur des sieges couverts de noir le Prince de Conty, qui avoit une escabelle au costé gauche, parce qu'il y en avoit une de l'autre costé reservée pour Madame soeur du Roy Henry IV. et un peu à costé les Princesses, et tout à l'entour les autres Dames debout, et assises sur le platfonds, et sur d'autres sieges estoient les Seigneurs de son Conseil qui avoient suivy la Reyne, et accompagné les Dames de sa suite. Et tout estant ainsi rangé, et le silence fait, la Reyne Louyse se releva, et fit une profonde reverence, le sieur de Chasteauneuf son Chancelier qui estoit debout à son costé droit, ayant parlé à elle, et sceu sa volonté, s'avança un peu vers le Roy, se mit à genoux sur l'avant-marche du lieu où sa chaire estoit un peu relevée, et dit pour cette Reyne douairiere ces paroles:
SIRE, la Reyne veuve du feu Roy vostre predecesseur empeschée par ses pleurs et ses larmes continuelles, de vous pouvoir elle mesme exprimer la grandeur de son affliction, loue Dieu de ce qu'il luy a pleu luy faire la grace de voir le jour auquel elle puisse par la voix de son Procureur general vous faire sa juste plainte, et m'a commandé, SIRE, supplier tres-humblement vostre Majesté l'entendre, s'il vous plaist, et luy donner favorable audience. Aprés Monsieur le Chancelier se leva, et alla trouver le Roy, et ayant parlé à sa Majesté retourna en son siege, et dit, Madame, le Roy veut et entend que vostre Procureur soit ouy sur ce qu'il aura à dire de vostre part.
Lors Louys Buisson Avocat au Parlement de Paris, et Procureur general de la Reyne Louyse, qui estoit appuyé sur un barreau couvert de velous noir, se mit à genoux sur la seconde marche du theatre du costé de cette Princesse, [149] presque vis à vis du Roy, commença son discours et sa plainte; mais l'ayant quelque temps poursuivie, Monsieur le Chancelier le fit lever, et aprés il s'estendit sur l'énormité de l'assassinat; sur les vertus, et les louables qualitez du Roy Henry III. et sur les justes douleurs de la Reyne sa veuve; ce qui fut suivy d'une autre harangue de Jaques de la Guesle (43) Procureur general, et tres-fidele serviteur de nos Roys, assez puissante pour fendre et pour fondre les coeurs des Scythes. Sa Majesté promit d'y tenir la main en tout ce qui luy seroit possible.
J'ay desja remarqué dans l'Eloge de Diane Duchesse d'Angoulesme, comme nostre Reyne Louyse assista cette prudente Princesse (qui est tant louée pour cette vertu, non seulement par nos Historiens François, mais aussi par les Etrangers) à la poursuite de la vengeance de ce crime si abominable (44).
Le Docteur Cayer (45) rapporte dans son Histoire de la Paix, que cette bonne Reyne entendant dans l'Eglise de Mantes chanter l'Exaudiat, se ressouvenant que le Roy son mary le faisoit dire tous les jours à la Messe, ses douleurs se renouvellerent si violemment qu'elle fut tenue pour morte, les Seigneurs et les Princes, et le Roy mesme l'assisterent en cette foiblesse. Depuis elle se retira à Chenonceaux et à Moulins, où elle mena plustost une vie de Dame privée que de Reyne, et de Religieuse que de veuve, comme j'ay rapporté cy-dessus, quand j'ay parlé de la devotion de cette Heroïne, qui ayant durant la rigueur de l'hyver visité fort souvent les Eglises, les Hospitaux, et les Monasteres, et maceré son corps tendre et delicat par jeusnes et par veilles durant les douze années de sa viduité, comme elle avoit fait du vivant du Roy son mary, tomba malade à Moulins le 3. jour de Decembre de l'an 1600. (qui arrivoit cette année là le premier Dimanche de l'Advent) elle fut de bon matin au Monastere de sainte Claire, où aprés avoir communié et passé la matinée jusques à trois heures aprés midy, elle alla entendre la Predication du Reverend Pere Thomas d'Avignon, Religieux de l'Ordre des Capucins, en l'Eglise de Nostre-Da-[150]me, nonobstant le mauvais temps qu'il fit, et tres-contraire à sa santé. Durant le Sermon elle se sentit fort incommodée, et au sortir de l'Eglise elle s'en alla mettre au lit, une colique l'ayant saisie, qu'elle supporta avec une si grande constance, qu'on ne l'a jamais ouïe se plaindre durant sa maladie, ou proferer la moindre parole d'impatience; mais rapporter tout ce qui luy survenoit à la volonté de Dieu, qui la visitoit, agreant tout ce qui luy plaisoit d'envoyer, avec desir d'en endurer davantage pour son amour si c'estoit sa volonté, se jettant entre les bras de JESUS crucifié.
Elle demeura en cet estat là depuis le premier Dimanche de l'Advent, jusques aprés la feste des Roys; durant ce temps là elle fit prescher ce Pere Capucin trois fois la semaine devant sa Majesté, auquel souvent aprés la Predication elle dit ces belles paroles: Helas (mon Pere) Dieu me feroit-il pas une grande grace, s'il luy plaisoit par sa bonté de m'appeller à soy, il y a si long temps que je languis; toutesfois si c'est pour son honneur et sa gloire que je demeure en cet estat, sa volonté soit faite.
Ce Pere prenant congé de sa Majesté pour aller à Orleans gagner le Jubilé, et de là à Paris jusques au Caresme, elle le pria de demeurer auprés d'elle jusques à la feste de la Purification de la Vierge, et de differer son voyage de Paris jusques aprés Pasques, comme si elle eust preveu l'accident qui luy arriva le lendemain 12. de Janvier sur les onze heures du matin d'une foiblesse de coeur si étrange, qu'un chacun la jugea morte, ayant perdu le sens et la parole: et parce qu'il n'y avoit pas long temps qu'elle s'estoit confessée et communiée; ce Religieux la voyant en cet estat, luy demanda si elle ne vouloit pas recevoir l'Extréme-Onction, et que ne pouvant parler elle en fit un signe exterieur, sa Majesté fit signe de la teste, et depuis pour un acte exterieur de contrition, elle joignit les mains d'elle-méme le mieux qu'elle pût, quand on luy donna ce dernier des Sacremens, et estendit sa main avec une gayeté de coeur nompareille pour recevoir les saintes Huiles.
Aprés avoir receu l'Extréme-Onction, elle baisa une [151] Croix d'argent avec une grande ferveur, et vouloit toûjours baiser le pied de la Croix, à cause qu'il y avoit de la vraye Croix. Le 14. feste du Nom de JESUS, elle se confessa, et voulut se lever pour aller recevoir le Saint Sacrement dans sa Chapelle. Ce Pere, son Confesseur, et ses Medecins la prierent de demeurer dans le lit, n'ayant pas assez de force, mais elle leur répondit: Helas, permettray-je que mon Seigneur et mon Dieu vienne vers moy? pour le moins que je le reçoive à genoux aux pieds de mon lit.
Quand elle ouit de sa chambre le signe de la clochette durant l'élevation du Saint Sacrement, elle se mit à l'instant les deux genoux à terre sans carreau; ce qui surprit toutes les Dames qui assistoient à la Messe, et creurent que sa Majesté estoit tombée en foiblesse, et ne manquerent pas de venir pour l'assister, ausquelles elle dit ces paroles; Ce n'est rien, il n'y a point de mal, laissez-moy adorer mon Dieu. Mais elle estonna encore plus toute l'assistance, quand elle alla dans la Chapelle sans estre aydée de personne, pour y recevoir le Corps de JESUS-CHRIST avec une grande ferveur. Sa Majesté refusa tous les draps de pied, fit des actes d'humilité et de pieté, et tout ce jour là ne voulut parler que de Dieu, le priant souvent que si c'estoit sa volonté de l'oster de ce monde, et de la retirer à soy, bien que pour le respect et l'affection qu'elle portoit au Roy Henry le Grand, elle dit à Madame de Mercueur, Ma soeur, ma maladie sera cause que je ne verray point le Roy, j'ay regret de ne le pas voir, comme aussi la Reyne avant ma mort.
Le 16. il luy prit encore une foiblesse pareille à celle du 12. de laquelle estant revenue sa Majesté embrassa la Croix plusieurs fois, avec un sentiment tres-particulier de devotion; ce quelle [sic] fit toutes les fois que cet accident luy survint. Aprés elle fit venir Monsieur de Chasteauneuf, et aprés avoir disposé de ses affaires temporelles, elle fit plusieurs legs pieux aux Eglises, aux Hospitaux, aux Monasteres de sainte Claire, et à tous ses domestiques (46).
Par son testament elle ordonna que son corps fust inhumé au Monastere des Religieuses Capucines, qu'elle voulut estre fondé et basty dans la ville de Bourges: et cepen-[152]dant elle ordonna qu'il fust mis en depost dans l'Eglise de sainte Claire de Moulins. Pour l'edification de ce Monastere elle laissa vingt mille escus pour y estre employez. Elle desira aussi que ses obseques fussent faites le plus simplement qu'il se pourroit, et qu'on luy rendist aprés son decés les honneurs deus à une Religieuse, et non pas à une Reyne desirant que ses os fussent enterrez dans le choeur des Capucines, afin que pour le moins elle y fust morte, n'y ayant pû estre vive comme elle avoit desiré.
Le 17. feste de saint Antoine elle se confessa et communia avec des actes de contrition, de foy et d'amour de Dieu, qui ravirent en admiration toute l'assistance, et sur toutes Mesdames de Mercueur, de Luxembourg, de Roubais, et de Martigues, ausquelles elle donna sa benediction, avec beaucoup d'humilité, et la donna aussi à Madame de Mercueur pour son frere Monsieur de Mercueur, qui lors estoit en Hongrie, où il employoit genereusement ses armes contre les Infidelles.
Mademoiselle de Mercueur sa niece, qui est maintenant Madame la Duchesse de Vendosme entra en ce mesme temps dans la chambre de sa Majesté, à laquelle elle demanda avec larmes sa benediction; ce qui tira des larmes de toute la compagnie, tant pour l'innocence, la pureté et l'humilité de cette jeune Princesse, que pour le discours que la Reyne luy fit conforme à son bas âge: Ma niece, vous estes grandement obligée à vostre pere et à vostre mere; et partant évertuez-vous de leur rendre l'honneur que vous leur devez, et jamais ne quittez la devotion et la pieté, qui est le chemin du Ciel.
Toutes ses Dames, ses filles, ses Demoiselles, et ses femmes de chambre ne voulant pas estre privées de ce bien, se prosternerent à terre avec la méme humilité, demandant instamment sa benediction, qu'elle leur donna, aprés leur avoir dit ces belles paroles: Vous voyez, mes filles, l'estat auquel je suis, dont je n'attends que l'heure de la mort, où il faut que tous arrivent, pendant que vous estes saines et en bonne disposition, vous estes obligées de vous y bien preparer, il y a 12. ans que je suis tousjours malade, comme vous sçavez, depuis ce temps là j'ay tousjours attendu cette heure, quand il plaira à Dieu de m'appeller à soy, priez-le pour [153] moy, qu'il luy plaise de m'assister à mon trespas; sur toutes choses conservez vous dans la bonne conduite en laquelle vous avez esté élevées, ayez tousjours la vertu, l'honneur, et la crainte de Dieu devant les yeux, et taschez de suivre les bons exemples des personnes devotes et religieuses: je prie Dieu qu'il vous benisse.
La Reyne ayant fait ce discours, toute la compagnie fondit en larmes. Sa Majesté entendant les souspirs de ses Dames, leur dit: Vous pleurez, et je ris; je suis toute resolue de mourir, je n'apprehende point la mort: Dieu par sa bonté me fera une grande grace de m'oster de ces miseres, et de tant de maux que j'endure, je ne fais que languir en vous donnant bien de la peine.
Mais ce qui redoubla les pleurs et les plaintes des assistans, fut quand les Gentils-hommes et tous les Officiers de sa Majesté entrerent dans sa chambre, et demanderent sa benediction, crians tous à haute voix, «Madame, Madame, helas que nous ayons aussi bien vostre benediction que les autres; nous demandons tres-humblement pardon à Vostre Majesté de ne l'avoir pas servie comme nous devions, et comme elle le meritoit.» La Reyne ayant ouy leur discours leur donna sa benediction en ces termes: Helas mes amis, je vous rends graces du service que vous m'avez rendu, je me suis tousjours contentée de tous vous autres, vous m'avez tousjours bien servie, priez Dieu pour moy, que si je vous suis encore utile et necessaire, qu'il me laisse en ce monde; sinon, sa volonté soit faite, et je le prie de tout mon coeur qu'il vous benisse. A-t'on jamais ouy rien de plus religieux? n'est-ce pas imiter saint Martin, qui à l'heure de sa mort fit la méme priere à Dieu pour ses Diocesains de Tours; Seigneur, si je suis encore necessaire à vostre peuple, je ne refuse point la peine, vostre volonté soit faite. Toutes les Princesses, les Dames, les Seigneurs, jusques aux moindres officiers estoient consolez en leur affliction, de voir une si belle fin, et tous desiroient apprendre à bien mourir d'une si grande Reyne, et de voir les derniers mouvemens d'un courage heroïque, triomphant de la mort, et de cet appareil effroyable qui la devance. Et veritablement la fermeté de son esprit fut si extraordinaire, et les mouvemens de son ame si ravissans, que toute la compagnie [154] en fut merveilleusement edifiée. Ses foiblesses mesmes ne la pûrent empescher de dire ces belles et ces saintes pensées: Le monde ne sçait pas ce que c'est de ces lumieres, sa connoissance ne s'estend pas jusques là. Il n'a que des yeux de taupe, qui ne sont faits que pour la terre. Le Ciel luy est un pays inconnû, et le Paradis des terres neuves. Aprés que la Reyne Louyse eut consolé et donné sa benediction à tous ses domestiques, elle appella Madame de Mercueur pour luy donner deux croix d'or, dans lesquelles il y avoit du bois de la vraye Croix, luy disant; Ma soeur, voila ce que je vous donne, une pour vous, que vous garderez pour l'amour de moy, l'autre pour mon tres-cher frere vostre mary, que vous saluerez de ma part: helas! je desire luy écrire un mot de ma main, car je l'ayme de tout mon coeur. Sa Majesté fit apporter son écritoire, et du papier, mais à peine eut-elle la main à la plume pour écrire, qu'elle dist à la Duchesse de Mercueur; Helas! ma soeur, je ne sçaurois écrire, pour la douleur de teste; mais souvenez-vous de le saluer de ma part, l'asseurant de l'amitié que je luy ay tousjours portée, que je prieray Dieu pour luy, qu'il se souvienne aussi de le prier pour moy.
Elle persevera en cet estat là jusques au 28. de Janvier veille de son decés, qu'elle appella le Pere Thomas d'Avignon pour dire ses heures, et la Passion de JESUS-CHRIST, puis ayant medité un peu de temps les douleurs que le Sauveur a endurées sur le Calvaire, elle dit à ce Religieux, Je pensois mourir en une autre condition que celle-cy, parmy les Meres Capucines, pour porter la Croix du Fils de Dieu, et faire penitence parmy ces dignes Filles de sainte Claire; mais puisque la volonté de Dieu n'est pas telle, je me resigne à sa sainte volonté. Ce Pere luy ayant dit qu'il avoit encor esperance de prescher le Caresme devant sa Majesté, toutesfois qu'elle faisoit saintement de se remettre à Dieu, entre les mains duquel sont la mort et la vie: «Non plus (dit-elle) je mourray bien-tost, priez Dieu pour moy: Je croy que ceux de vostre Ordre auront souvenance de moy en leurs prieres, car je les affectionnois beaucoup.» Elle passa le reste du jour en des Oraisons jaculatoires, par lesquelles sa Majesté fit voir qu'elle ne respiroit que le Ciel.
[155] La nuit suivante voyant Madame de Martigues qui la veilloit, elle luy demanda où estoit sa mere Madame de Beaucaire de Peguillon, elle luy répondit qu'elle dormoit: «Helas, dit sa Majesté! je la voudrois bien voir auparavant que de mourir», et quand Madame de Martigues luy dit qu'on la feroit lever; non, dit-elle, ne faites pas cela, ma cousine, je vous supplie, car elle prendroit quelque mal: «ce sera donc demain, Madame, que vous la verrez, et qu'elle vous viendra baiser les mains»; Non, dit-elle, cela est fait, je ne la verray plus en ce monde, car je mourray demain: Helas, quand sera-ce l'heure que je jouiray de mon Dieu?
Le jour suivant 29. de Janvier 1601. la Reyne Louyse voyant que l'heure de son trespas approchoit, elle fit appeller dés les trois heures du matin son Confesseur, et bien qu'il n'y eust pas long temps qu'elle se fust confessée, et receu son Seigneur, toutesfois elle voulut recourir au Sacrement de Penitence, et recevoir la benediction de son Pere spirituel, pour rendre son ame à Dieu la plus nette qu'elle pourroit. Un quart d'heure aprés estre confessée elle tomba en foiblesse, et perdit la parole; et neantmoins elle faisoit tousjours quelque acte de pieté quand on luy parloit de Dieu, et demeura ainsi jusques au soir, que Madame de Mercueur luy dit, «Madame, parlez à moy je vous en supplie au Nom de Dieu»; Helas, dit-elle, je ne sçaurois, la regardant fixement, comme luy disant le dernier adieu, puis elle leva les yeux au Ciel, et prononça hautement le saint Nom de JESUS, lequel ayant achevé elle tomba en une grande foiblesse qui dura peu de temps, au sortir de laquelle dardant ses yeux au Ciel, et aussi son coeur et sa pensée, elle passa doucement de cette vie à l'eternelle, en presence des Prestres et des Ecclesiastiques qui faisoient les prieres ordinaires, des Princesses, des Dames, et de ses domestiques.
Ainsi véquit, ainsi regna, ainsi mourut Louyse de Lorraine Reyne de France et de Pologne, estant aagée de 47. ans, Princesse digne de ne jamais mourir par ses vertus, fort pieuse et devote envers Dieu, fort respectueuse envers le Roy son mary, fort sensible aux afflictions qu'elle receut [156] par la mort déplorable de ce bon Prince, active et pressante à demander justice de ce detestable parricide, liberale envers les Eglises et ses domestiques, grande aumosniere envers les pauvres (47); en un mot Princesse, dont la vie a esté un miroir de chasteté, un exemplaire de vertus, qui en recommandent la memoire.
Comme sa vie avoit esté toute du Ciel, aussi sa mort fut semblable à celle des Saints, je veux dire precieuse devant Dieu. Ceux et celles qui l'ont assistée à son depart de ce monde, entre autres Mesdames les Duchesses de Vendosme et de Mercueur, ont eu cette consolation de voir et d'admirer la plus belle fin, et la plus heureuse mort qui se puisse souhaiter. Son corps fut mis en depost à sainte Claire de Moulins, où ses obseques furent faites au mois de Fevrier 1601. ausquelles le Reverend Pere Thomas d'Avignon, Predicateur Capucin, qui l'avoit assistée à son heure derniere, et durant toute sa maladie prononça l'Oraison funebre, et a fait depuis imprimer un Discours sur sa mort. Son corps n'a pas esté porté à Bourges, mais à Paris, où son Convent de Capucines, par la permission du Pape Clement VIII. et les Lettres Patentes du Roy Henry le Grand (48), a esté construit en la rue neuve saint Honoré, où Elizabet de France Reyne d'Espagne, fille aisnée du Roy de France et de Navarre Henry IV. et de la Reyne Marie de Toscane, a mis la premiere pierre de cette devote Eglise des Filles de la Passion, en laquelle est le corps de la bonne Reyne Louyse, qui y a esté apporté de Moulins, et inhumé sous une tombe de marbre noir, avec cette inscription en lettre rouge.
Cy gist Louyse de Lorraine Reyne de France et de Pologne, qui deceda à Moulins l'an mil six cens un, et laissa vingt mil escus pour la construction de ce Convent, que Marie de Luxembourg Duchesse de Mercure sa belle-soeur a fait bastir l'an mil six cens cinq. Priez Dieu pour elle. Nous verrons dans les Eloges de plusieurs Princesses, qu'elles ont donné leurs coeurs aux Meres Capucines de Paris, tant pour leur devotion vers ce saint Monastere, que pour leur affection vers la Reyne Louyse leur Fondatrice (49).
[157] Marguerite de Lorraine sa soeur qui a épousé en premieres noces Anne Duc de Joyeuse, et en secondes François de Luxembourg Duc de Pinay, y a receu les honneurs de la sepulture. L'on void sur son tombeau une Croix de bronse sur une base de jaspe, en laquelle est gravée cette inscription:
Cy gist Marguerite de Lorraine Duchesse douairiere de Luxembourg, soeur de la Reyne Louyse. Elle mourut en son Hostel de Paris le 20. jour de Septembre 1625.
Louyse de Lorraine de Vaudemont, femme de Henry III. Roy de France et de Pologne, prit pour devise un arbre de buis, avec ce mot, NOSTRA VEL IN TUMULO. La nostre mesme au tombeau. Ce fut une protestation publique de la fidelité de ses affections envers le Roy son mary: car le buis estant le symbole de l'amour, en le prenant pour devise, elle voulut faire voir la verité du sien, et son avantage par dessus les autres, en gardant la fidelité aux cendres mesmes de son mary, n'ayant receu aucun plaisir ny contentement, durant les tristes années de sa viduité, qu'elle a passées en perpetuelles plaintes et regrets.


(1) France, d'azur, à trois fleurs de Lys d'or. 2. 1. Pologne, blazonné aux pages 174. 175. du 1. Tome.
(2) Egmond, chevronné d'or et de gueules, de douze pieces, les deux premieres entre ouvertes à la cime.
(3) Aquino, bandé d'or, et de gueules, de six pieces. (4) A. Mallet.
(5) A. Mallet en la vie de la Reyne Louyse.
(6) Mathieu.
(7) Mallet.
(8) J. A. Thuanus.
(9) Thuanus. Du Haillan. Cayer. Mathieu.
(10) J. A. Thuanus.
(11) P. Mathieu.
(12) Du Haillan. Thuanus. Mathieu.
(13) Du Haillan. A. Mallet.
(14) Berenger, gironné d'or et de gueules: Cette Maison a pour devise, Gare la gueule des Berengers.
(15) Julien Peleus au 2. Tome de l'Histoire de Henry le Grand.
(16) Henrico Caterino d'Avila lib. 6. de l'Historia delle Guerre civili di Francia.
(17) Du Haillan.
(18) A. Mallet, au chapitre 3. du 6. Traité de la vie de la Reyne Louyse.
(19) Hurault, d'or, à la Croix pleine d'azur, cantonnée de quatre ombres de Soleils de gueules.
(20) J. A. Thuanus.
(21) B. de Girard sieur du Haillan.
(22) A. Mallet au Chapitre 16. du 6. Traité de sa vie.
(23) Hotman, emmanché d'argent et de gueules, de dix pieces.
(24) Baltasar de Beau-Joyeulx, au ballet comique de la Reyne.
(25) A. Mallet.
(26) J. Doublet en ses Antiquitez de Saint Denys.
(27) A. Mallet.
(28) Au Chapitre 27. du 6. Traité de la vie de la Reyne Louyse.
(29) Sainte-Marthe. Argentré.
(30) Rieux, d'azur, à dix besans d'or, 3. 3. 3. et 1.
(31) P. Mathieu.
(32) A. Mallet au Chapitre 2. du 7. Traité de la vie de la Reyne Louyse.
(33) Mesdemoiselles d'Elbeuf, d'Entragues, du Lude, de Larchant.
(34) A. Mallet.
(35) P. Mathieu.
(36) A. Mallet au Chapitre 8. du 7. Traité de la vie de la Reyne Louyse.
(37) A. Mallet au Chapitre 8. du 7. Traité de sa vie.
(38) Au chapitre 13. du 6. Traité de sa vie.
(39) Au chapitre 8. du 7. Traité de la vie de Louyse.
(40) Les Lettres patentes de la Reyne Louyse se voyent au chapitre 13. du 6. Traité de sa vie, et dans le livret qu'a fait imprimer Gratien Couvilier, Maistre des Requestes ordinaire de cette Reyne.
(41) Lettres de la Mere Augustine de Heurtay, Religieuse à l'Annonciade de Bourges.
(42) Au Chapitre 12. du 6. Traité de sa vie.
(43) La Guesle, d'or, au chevron de gueules, accompagné de 3. trompes de sable, virolées d'argent, avec les pendans de gueules, 2. en chef, et une en pointe.
(44) H. C. d'Avila.
(45) P. Cayer.
(46) D'autres disent qu'elle fit son testament le 28. de Janvier.
(47) Elle fit donner l'aumône à tous les Pelerins qui passerent par Moulins l'année sainte 1600. pour aller à Rome gagner le Jubilé.
(48) Les Lettres Patentes du Roy Henry IV. sont rapportées par J. du Brecal en ses Antiquitez de Paris.
(49) Elle avoit voulu établir et fonder un Convent de Soeurs Minimes à Grenelles; particularité que j'ay apprise, non seulement de nos Religieux, mais aussi de Madame de Luxembourg soeur de la Reyne Louyse;

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