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Fortunée Briquet, Dictionnaire historique, biographique et littéraire des Françaises et étrangères naturalisées en France, Paris, Treuttel et Würtz, 1804.



AVANT-PROPOS

Les sciences et les lettres comptent, parmi les écrivains français ou naturalisés en France, un assez grand nombre de femmes, depuis l'établissement de la monarchie jusqu'à nos jours, pour qu'il paraisse utile et agréable de les trouver réunies dans un Dictionnaire qui leur soit exclusivement consacré. Il est juste d'associer à leur gloire les Françaises qui se sont honorées par la protection qu'elles ont accordée aux gens de lettres. Cet ouvrage national n'existe point. J'ai osé l'entreprendre; et c'est après quatre années de travaux que je le présente au public. Je n'avais eu d'abord que l'intention d'en faire un répertoire à mon usage particulier; mais, encouragée par les suffrages de quelques littérateurs distingués, je me suis déterminée à le publier.

Je n'ai rien négligé pour donner à ce Dictionnaire toute la perfection dont il est susceptible. Je possède et j'ai lu les meilleurs écrits des Françaises, et des Étrangères naturalisées en France; j'ai consulté les jugements qu'en ont porté les auteurs les plus recommandables par leurs lumières et leur impartialité. Je n'ai cependant pas regardé qu'ils fussent toujours exempts d'erreurs. Je dois dire aussi que je n'ai pris dans aucun ouvrage les articles de mon Dictionnaire; mais que j'ai rangé à ma manière les matériaux que m'ont fourni les Bibliothèques Françaises de la Croix du Maine et de Du Verdier, l'Apologie des Dames, la Bibliothèque historique et critique du Poitou, les Recherches pour servir à l'Histoire de Lyon, l'Histoire littéraire des Femmes Françaises, les Trois Siècles de la Littérature Française, le Parnasse des Dames, l'Éducation physique et morale des Femmes, le Nouveau Dictionnaire historique, le Dictionnaire des Femmes célèbres, la Collection des meilleurs Ouvrages français, composés par des Femmes; les Siècles littéraires de la France, les Mémoires, les Éloges, les Critiques, les Journaux, etc.

Les Dictionnaires historiques et bibliographiques offrent, en général, peu d'exactitude dans les dates. Il est rare de les trouver d'accord, pour les années des éditions, pour le format, pour le titre même des ouvrages, pour les époques de la naissance ou de la mort des auteurs. On ne tient point compte du tems qu'il faut passer, ni des recherches qu'il faut faire pour rectifier une date; et, s'il n'était pas indigne d'un historien, et contraire à la probité, de se jouer de la crédulité d'autrui, l'ingratitude des lecteurs dispenserait d'être si scrupuleux et de prendre tant de soin. Je n'ose espérer, malgré toutes mes précautions, d'avoir atteint le but que je me suis proposé, et de ne mériter aucun reproche. Aussi j'invite tous ceux qui s'intéressent à la gloire de mon sexe, à relever les erreurs et les omissions qui peuvent m'être échappées dans cet ouvrage. Je m'empresserai de les faire disparaître dans une deuxième édition.

Je voulais parler des avantages et des agrémens que la culture de l'esprit des femmes procurerait à la société, et surtout à elles-mêmes. J'avais encore le projet d'examiner quelle a été l'influence des femmes en France; mais cette discussion et cet examen m'auraient peut-être obligée de passer les bornes que je me suis prescrites. Je vais transcrire ici deux lettres, où j'ai à-peu-près traité ces questions.


A MADEMOISELLE ÉLISE A....

Niort, le I.er germinal, an II.

Que faites-vous, chère Élise ? A dix-huit ans, avec des richesses et de la beauté, vous cultivez les lettres ! Trois années n'ont point encore épuisé votre constance ! Au contraire, à vous entendre, l'étude offre sans cesse de nouveaux charmes, et procure de nouveaux plaisirs:
Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres. (Racine)
Si je vous représente que certaines gens attachent du ridicule au savoir dans les femmes, dont ils regardent les vertus mieux en sûreté sous la sauve-garde d'une heureuse ignorance et d'une douce oisiveté; vous me répondez avec La Fontaine:
Laissons dire les sot, le savoir a son prix.
Vous ajoutez, d'après un ancien (1): La vertu n'est point un don de la nature, mais de l'étude. L'ignorance et le désoeuvrement enfantent la moitié des crimes.
Si je réplique: Une femme savante est triste et répand la tristesse; elle perd ses grâces, et n'est qu'un homme de plus; vous riez de mon objection, et vous m'écrivez: Avec plus de connaissances, on est capable de plus de plaisirs;
Qui possède un talent peut promettre un bienfait (La Harpe)
Les grâces se trouvent plus ordinairement dans l'esprit que dans le visage, et les femmes qui se distinguent dans les sciences " ou dans les lettres, deviennent, non pas des hommes, comme le prétend le vulgaire, mais des femmes plus aimables: on ne dénature point le sexe en le perfectionnant.
Je cède à vos raisons, et je me range de votre parti: aussi-bien, d'après mon goût pour la littérature, j'aurais mauvaise grâce de contrarier le vôtre, et il ne me conviendrait guères de ne pas faire cause commune avec vous.
La science, a dit Cornificie, est la seule chose au-dessus des révolutions de la fortune. Pourquoi cette ressource nous serait-elle interdite ? Ne sommes-nous pas appelées à partager avec les hommes les biens et les maux ? Et si, dans ce partage, la nature s'est montrée un peu marâtre à notre égard, pourquoi nous priver des consolations de l'étude ? L'étude sert d'aliment à une imagination souvent très-active chez les femmes; elle accoutume avec soi, et rend la société plus agréable, parce qu'elle la rend moins nécessaire; elle préserve de l'avilissement, et contribue aux bonnes moeurs; elle prémunit contre un essaim de maux ou réels ou imaginaires, et fait échanger les heures d'ennui que l'on doit avoir dans le cours de sa vie, contre des heures délicieuses. Il est vrai, comme le dit Voltaire, il est vrai qu'une femme qui abandonnerait les devoirs de son état pour cultiver les sciences, serait condamnable, même dans ses succès; mais, ajoute-t-il, le même esprit qui mène à la connaissance de la vérité, est celui qui porte à remplir ses devoirs. La reine d'Angleterre, l'épouse de Georges II, qui a servi de médiatrice entre les deux plus grands métaphysiciens de l'Europe, Clarke et Leibnitz, et qui pouvait les juger, n'a pas négligé pour cela un moment les soins de reine, de femme et de mère.
La plupart des individus de l'espèce humaine sont malheureux, parce qu'ils ne savent pas s'approprier la partie du bonheur qui leur convient. Les lumières, bien loin de nuire à l'accomplissement des devoirs, en facilitent la pratique. Le bon goût n'est-il pas un amour habituel de l'ordre, et cet amour, une vertu de l'ame qui prend le nom de goût dans les choses d'agrément, et qui retient celui de vertu lorsqu'il s'agit de moeurs ? Le bon n'est que le beau mis en action.
Molière a rendu un très-grand service, en jetant à pleines mains le ridicule sur les pédantes et les précieuses: car l'affectation est un vice aussi contraire au goût dans la société, qu'il l'est dans les beaux-arts. Je regarde que la comédie des Femmes Savantes et celle des Précieuses Ridicules doivent encourager les femmes à cultiver les sciences et les lettres. C'est une mer sur laquelle on court moins de risque de faire naufrage, depuis qu'un habile pilote en a signalé les principaux écueils. En effet, dans ces deux comédies, Molière enseigne aux femmes qu'il ne faut rien outrer, et que la modestie est à la science ce que la pudeur est aux grâces.
Les hommes, a écrit Rousseau, seront toujours ce qu'il plaira aux femmes. Si les jeunes Demoiselles, au lieu de se livrer exclusivement à la danse et à la musique, s'adonnaient encore aux sciences ou aux lettres, elles exciteraient une heureuse émulation parmi les jeunes gens. Ceux-ci, pour leur faire la cour, abandonnent ou du moins négligent presque toujours l'étude, sans craindre que le défaut de connaissances ne les empêche de plaire: les ignorans des deux sexes ne font qu'une classe.
Vous avez lu, chère Élise, les Odes d'Anacréon. Ce poëte aimable, ce philosophe charmant, ce peintre, dont les grâces ont broyé les couleurs riantes, a caché des leçons sous les fleurs; il débit d'excellentes maximes en cueillant des roses. Son ingénieuse allégorie de l'Amour enchaîné par les Muses, indique aux femmes un des moyens les plus puissans de s'attacher leurs époux, et de rendre délicieuse la société conjugale, en dépit de cette maxime de Larochefoucauld: " Il y a de bons mariages; mais il n'y en a point de délicieux. "
Un autre motif qui doit engager les femmes à cultiver leur esprit, c'est que l'éducation du premier âge de la vie est confiée à leurs soins, à leurs lumières. N'est-ce pas à elles qu'il appartient de donner à leurs enfans les premières idées de courage, de grandeur d'ame ? N'est-ce pas à elles à leur inspirer les premiers sentimens de vertu, à les garantir des préjugés funestes à l'humanité ? Agricola dut à sa mère cette sobriété de sagesse si difficile et si rare, qui fait éviter l'excès, même dans le bien. Louis IX, François I.er et Henri IV, offrent de nouvelles preuves de l'importance de l'éducation donnée aux enfans par leurs mères: Louis IX fit régner la justice et l'humanité; François I.er fut le père des lettres, et il ne lui manqua, pour être le premier prince de son tems, que d'être heureux; Henri IV fut le père de ses sujets, et la France n'a point eu de meilleur ni de plus grand roi.
A voir l'espèce d'éducation que reçoivent les jeunes Demoiselles, on serait tenté de croire qu'elles ne doivent pas vieillir: car on ne leur apprend rien qui puisse répandre des agrémens sur le dernier âge. Toute saison de la vie a ses épines, pour quiconque n'a aucune ressource en soi-même. Les lettres sont les meilleures armes de la vieillesse. Elles ont embelli les derniers jours de Madame Duboccage. Plus que nonagénaire, elle avait encore une cour brillante; sa conversation était agréable, et même pleine de grâces; peu de tems avant sa mort, j'ai écrit sous sa dictée des vers charmans. Pour une amie des lettres, la vieillesse est le soir d'un beau jour.
Si vous allez, dans ce mois, herboriser à la campagne, je vous engage d'observer exactement le tems de la fleuraison des plantes que vous mettrez dans votre corbeille. J'en ferai autant de mon côté. La communication de ces notes nous fera connaître la différence de la température des lieux que nous habitons. N'oubliez pas, dans vos promenades, de vous munir d'un crayon et de quelques feuilles de papier. L'air balsamique du printems, le doux chant des oiseaux, l'émail des prairies, et l'ombre des bois, inspirent d'heureuses pensées. Ne méprisez pas mon conseil, vous éprouverez que les Muses ne se plaisent pas moins dans les champs que Flore. Adieu, chère Élise, persévérez dans vos goûts pour les lettres et pour la botanique.
La Harpe me semble avoir écrit pour vous, lorsqu'il a dit:
Les arts dont tu reçois une grace nouvelle
Te rendront plus heureuse en te rendant plus belle.

(1) Horace, Épître à Lollius.


A LA MÈME.

Niort, le 27 prairial an II.

Lorsque l'on m'a remis votre dernière lettre, j'étais occupée à parer mon jardin d'une plante, nouvellement en fleur, que j'ai rencontrée dans mes promenades champêtres. C'est l'Ophrys ou Orchis mouche, ainsi nommée sans doute, parce que la fleur ressemble à une mouche qui vole. La campagne que vous habitez vous offrira cette belle plante, dans les terrains dont le sol est crayeux. Elle est de la vingtième classe de Linné; la tige en est garnie de feuilles, et la lèvre du nectaire, légèrement divisée en cinq lobes... C'est assez s'occuper aujourd'hui de botanique. Je viens à la partie de votre lettre, où vous parlez de l'influence que les femmes ont exercée en France; et, puisque vous l'exigez, je vais vous dire ce que je sais à ce sujet. Les femmes des anciens Gaulois eurent pendant long-tems l'administration des affaires civiles et politiques. Elles jouissaient d'une si grande réputation de justice et de sagesse, que dans un traité d'Annibal avec leur nation, un des articles portait: Si quelque Gaulois a sujet de se plaindre d'un Carthaginois, il se pourvoira devant le sénat de Carthage établi en Espagne; si quelque Carthaginois se trouve lésé par un Gaulois, l'affaire sera jugée par le conseil suprême des Femmes Gauloises. Sous le gouvernement des femmes, les Gaulois firent trembler l'Italie, et prirent même la ville de Rome. Cependant les Druïdes usèrent avec tant d'adresse de l'empire que la religion leur donnait sur les esprits, qu'ils parvinrent à s'emparer du souverain pouvoir. Ils ne laissèrent aux femmes qu'une petite partie de l'autorité qu'elles avaient exercée. Celles-ci, arbitres autrefois de la paix, de la guerre, et juges des différends survenus entre les Vergobrets, ou de ville à ville, n'eurent plus que le droit de juger les affaires particulières pour fait d'injures. Des fonctions du sacerdoce, elles ne retinrent que celles qui concernaient la divination; encore les partagèrent-elles avec les Druïdes. L'étude les consola de ces pertes. Elles tinrent des écoles, et donnèrent aux femmes les mêmes leçons que les jeunes Gaulois recevaient de leurs prêtres. Il y avait des Druïdes dans les Gaules, à l'époque de l'invasion de ce pays par les Francs.
Subjugués par la force, les Gaulois eurent la gloire, à leur tour, de subjuguer leurs vainqueurs par de plus douces armes, celles de la persuasion. Cette révolution fut l'ouvrage d'une femme: Clotilde, épouse du roi Clovis I.er, lui fit embrasser la religion chrétienne. Les Francs, peuple idolâtre, s'empressent de suivre l'exemple de leur roi. Les Armoriques qui s'étaient soustraits à l'empire romain, se donnent à Clovis, ainsi que les Romains qui gardaient les bords de la Loire. La qualité de catholique rend ce prince cher au reste des Gaulois. La moitié de l'Europe, dit Voltaire, doit aux femmes son christianisme.
Au septième siècle, le monastère de Sainte-Croix de Poitiers, qui avait été fondé par Sainte Radégonde, épouse de Clotaire I.er, conserva le souvenir précieux des études. Batilde, veuve de Clovis II, eut la régence pendant la minorité de son fils Clotaire III. Le gouvernement de cette princesse fut celui de la douceur, de la prudence et de la justice. Batilde garantit d'exactions arbitraires les pères de famille qui avaient plusieurs enfans, fit des lois sévères pour réprimer les abus, travailla à la réformation des moeurs, et, après dix années d'une administration pleine de sagesse, elle se retira dans le monastère de Chelles qu'elle avait fondé. La réputation de ce monastère, pour les études, passa jusque dans la Grande-Bretagne, et l'on vit aborder de ce pays plusieurs personnes des deux sexes, qui venaient s'instruire dans les écoles de cette paisible retraite. Les rois de la Grande-Bretagne voulurent même établir dans leurs états des maisons fondées sur ce modèle; et, dans le dessein d'y faire régner le même esprit, ils firent demander à Bertille, première abbesse de Chelles, des sujets propres à remplir leurs vues. Bertille, ayant fait un choix parmi ses élèves, et les ayant munis de livres nécessaires à leur mission, les envoya dans une terre étrangère, qui nous donna depuis le savant Alcuin.
Les monastères de religieuses du huitième siècle s'occupaient à transcrire les livres anciens, quoique l'usage d'en faire des copies fût abandonné presque par-tout.
Charlemagne mérita le titre glorieux de restaurateur des lettres; il établit, jusque dans son palais, des écoles où il allait, avec les princes ses fils et les princesses ses filles, écouter les leçons des maîtres. Le goût du roi, dit le président Hérault, mit les sciences à la mode; il n'y eut pas jusqu'aux femmes, parmi lesquelles on en vit une se distinguer dans l'astronomie. Giselle, soeur de Charlemagne, protégea les gens de lettres.
Les successeurs de ce monarque n'héritèrent point de son génie: aussi le neuvième siècle, au commencement duquel mourut ce prince, fut-il menacé de retomber dans les épaisses ténèbres de l'ignorance. Toutefois les monastères des deux sexes s'appliquèrent encore à conserver le précieux dépôt des connaissances humaines, en multipliant les copies des ouvrages des anciens.
Le dixième siècle vit naître la chevalerie, cette institution singulière, dont l'amour, la guerre et la religion formèrent la base. Chaque chevalier consacrait exclusivement à sa maîtresse son coeur et ses hommages; uniquement occupé de lui plaire, il aspirait à la gloire des armes et des vertus. Paré des couleurs de sa Dame, il la servait comme une divinité, et plein d'un respect religieux pour ses perfections, il se faisait un devoir d'exposer même sa vie pour leur assurer l'admiration publique. En tirant l'épée, il invoquait sa Dame, comme le poëte, en prenant la plume, invoque sa Muse. Une illustre naissance et de hauts faits d'armes ne suffisaient pas pour être admis dans l'ordre de la chevalerie; il fallait être de plus sans reproche. L'amour s'accrut en s'épurant, et cette qualité morale rendit les deux sexes plus estimables. La chevalerie servit de contre-poids à la férocité générale des moeurs.
Les Troubadours suivirent de près cette institution. Constance d'Arles, qui épousa le roi Robert en 998, amena de Provence, à la cour de ce monarque, les Troubadours les plus célèbres de son tems: elle y introduisit avec eux le goût de la rime, unique règle qui distingua pendant long-tems les vers de la prose.
Le roman, mélange informe de latin, de celtique et de tudesque, était devenu la langue vulgaire; mais personne ne l'écrivait encore. Les Troubadours l'adoptèrent, leurs chansons naïves mirent en faveur cet idiôme. Nous leur devons les premiers progrès d'une langue qui nous a donné une espèce de suprématie sur les autres peuples européens.
On vit alors les Troubadours se disputer à qui enleverait les suffrages. Les Belles qui décernaient les prix aux vainqueurs dans les tournois, en réservaient pour les Poëtes qui réussissaient le mieux à chanter ces triomphes. Quelquefois ils exerçaient leur génie sur des sujets du choix de leurs Mécènes, et les Dames adjugeaient des prix à ceux qui se distinguaient dans ces luttes poétiques. Les femmes elles-mêmes parurent souvent avec gloire dans cette carrière littéraire. Le tribunal auquel les Dames présidaient, se nommait le Parlement ou la Cour d'Amour. Il s'éleva, dans le treizième siècle, une dispute entre Simon Doria et Lanfranc Sygalle sur cette question: Qui est le plus aimable de celui qui est né libéral, ou de celui qui s'efforce de le devenir ? Ces deux Troubadours portèrent leur procès à la Cour d'Amour des Dames de Pierrefeu et de Signe; mais n'ayant point été satisfaits de leur décision, ils en appelèrent à la souveraine Cour des Dames de Romanin. L'histoire nous a conservé les noms de celles qui composaient ce dernier tribunal: Phanette des Gantelmes, Dame de Romanin; la Marquise de Malespine; la Marquise de Saluces; Clarette, Dame de Baulx; Laurette de Saint-Laurens; Cécile de Rascasse, Dame de Caromb; Hugonne de Sabran, fille du comte de Forcalquier; Hélène, Dame de Mont-paon; Ysabelle des Borrilhons, Dame d'Aix; Ursine des Ursières, Dame de Montpellier; Alaëthe de Meolhon, Dame de Curban; Elys, Dame de Meyrargues.
Le Monge des Isles-d'Or ou d'Hières parle d'une autre question qui fut portée au tribunal des Dames tenant cour d'Amour à Pierrefeu et à Signe. La voici: Qui aime plus sa Dame absente que présente, et qui induit plus fort à aimer, ou les yeux, ou le coeur ?
L'amante de Pétrarque, la belle Laure, fut de la seconde Cour d'Amour, qui s'assemblait, au 14e. siècle, dans le Comtat à Sorgues ou à l'Isle.
A la faveur de ces jeux d'esprit, l'humanité se fit jour en des coeurs encore barbares; elle devint bientôt l'apanage des Français, et cette révolution dans les moeurs fut en partie l'ouvrage de l'Amour.
Les femmes n'eurent pas seulement des Cours d'Amour, elles devinrent aussi magistrats, en possédant des seigneuries, et exercèrent la juridiction des fiefs dans toute son étendue: elles tinrent leurs Assises ou leurs Plaids, y présidèrent, et jugèrent dans la Cour de leurs suzerains.
Les Troubadours finirent au 14e. siècle, et le génie poétique baissa beaucoup en France. Pour le ranimer, Clémence Isaure fonda les prix des Jeux Floraux. Cette jeune et savante bienfaitrice de sa patrie, dit Lefranc de Pompignan,

... Annonce les jours célèbres,
Qui sous François et sous Louis,
Après des siècles de ténèbres,
Frapperont nos yeux éblouis.

Ses jeux entr'ouvrent la barrière
Aux arts plongés dans le sommeil.

Il y aurait de l'injustice à passer sous silence deux reines du treizième siècle, dont les noms sont chers aux lettres. L'une est Marie de Brabant, qui combla de bienfaits les favoris des Muses, et qui même aida un fameux poëte de son tems, nommé Ly Roix Adenez, à mettre en bon ordre le roman de Cléomadez. L'autre est Jeanne de Navarre, protectrice des savans, qui fonda, avec une magnificence vraiment royale, le collège qui porta son nom.
Les évènements mémorables qui se passèrent sous Charles VII, sont des titres glorieux de l'influence des femmes. Jeanne d'Arc releva le courage abattu des Français, et ramena la victoire sous leurs drapeaux. Marie d'Anjou, épouse de Charles, et même Agnès Sorel, son amante, contribuèrent beaucoup par la sagesse de leurs conseils au rétablissement des affaires de ce prince, qui ne fut guère que le témoin des merveilles de son règne. Agnès Sorel imprima une galanterie décente à son siècle. Anne de Bretagne, épouse de Charles VIII et ensuite de Louis XII, eut le mérite encore plus grand de rendre la sagesse et la modestie si estimables, que les femmes du plus haut rang n'osaient paraître à la cour sans ces deux qualités. Les savans eurent part aux libéralités d'Anne de Bretagne; Jean Marot prenait le titre de poëte de la magnifique reine.
Le seizième siècle fut une époque très-brillante de l'influence des femmes. Louise de Savoie, mère et institutrice de François I.er, avait protégé les gens de lettres; leur reconnaissance couvrit de fleurs son tombeau. La gloire de protectrice des littérateurs et des savans fut héréditaire dans cette famille: on se rappellera toujours avec une vénération religieuse les noms de Marguerite de Valois, de Jeanne d'Albret sa fille, et de Marguerite de France. A l'exemple de ces Princesses, les Dames Desroches de Poitiers firent de leur maison le sanctuaire des Muses.
Anne de Bretagne avait commencé à attirer des femmes à la cour; mais ce ne fut que sous François I.er qu'elles y parurent avec éclat. Clément Marot puisa dans leur conversation cette naïveté dans les pensées, ce naturel dans l'expression, cette vivacité dans les tours, en un mot cet élégant badinage qui fait le charme de ses poésies.
Le règne de Henri II fut celui de Diane de Poitiers: elle protégea les lettres. Je trouve parmi les enfans de ce prince Diane d'Angoulême, qui, après la mort du duc de Guise, négocia le traité d'union entre Henri III et Henri IV. Vous ne voulez pas que je vous entretienne de l'épouse de Henri II, de cette femme d'un génie vaste et d'un caractère atroce, qui, sous le règne du second de ses fils, effraya par ses fureurs l'Amour et les Muses. Songez plutôt à l'heureuse influence des régences mémorables de la mère de Louis IX et de celle de François I.er. Vous donnerez quelques larmes à la sanglante catastrophe qui termina les jours infortunés de Marie Stuard, cette jeune et belle reine, pleine d'esprit et de grâces, qui fit des adieux si touchans à la France, où elle avait été élevée. La calomnie s'est attachée à sa mémoire; et, pour enlever à cette princesse jusqu'aux regrets de la postérité sur sa fin tragique, elle a peint des couleurs les plus affreuses toutes les actions de sa vie. Marie Stuard n'avait pas encore épousé François II, lorsqu'elle prononça, avec l'applaudissement de toute la cour de France, un discours latin, où elle prouvait qu'il est bienséant aux femmes d'étudier et d'être savantes. Elle en fut elle-même la preuve, et les lettres adoucirent les horreurs de sa longue détention. Le mérite poétique de Ronsard pénétra jusque dans la prison de cette reine; et, en 1583, elle lui envoya un buffet fort riche, représentant le mont Parnasse, au haut duquel était un Pégase, avec cette inscription:
A Ronsard, l'Apollon de la source des Muses.
C'est ici le lieu de vous parler de la duchesse de Retz. Cette femme, d'une érudition étonnante, fit la fortune de son époux, sous les règnes de Charles IX, de Henri III et de Henri IV. Elle était la seule personne à la cour de Charles IX, qui possédât toutes les langues vivantes de l'Europe. Aussi ce prince la consultait sur toutes les affaires politiques où l'intelligence de ces langues était nécessaire. Elle répondit en latin aux ambassadeurs qui vinrent annoncer au roi l'élection du duc d'Anjou à la couronne de Pologne. Mère de dix enfans, elle consacrait une partie de la journée à leur éducation. La nuit la trouvait souvent occupée à cultiver les sciences et les lettres. Son fils, le marquis de Belle-Isle, après la mort de Henri III, se laissa gagner par les Ligueurs, et résolut de s'emparer du bien paternel. La duchesse assembla des soldats, se mit à leur tête, effraya les Ligueurs, dissipa leur faction, conserva l'héritage de ses pères, et maintint ses vassaux dans l'obéissance de Henri IV. Ce prince la combla de louanges et de bienfaits.
Le règne de Henri IV ne pouvant manquer d'être glorieux pour les femmes. Ce monarque avait les moeurs d'un preux chevalier; il avait reçu de sa mère une éducation très-soignée; de ses deux épouses, l'une fut savante; l'autre, amie des beaux-arts, gratifia Malherbe d'une pension de 500 écus, fit bâtir le palais du Luxembourg, et chargea Rubens d'embellir une galerie de ce château.
Le cardinal de Richelieu, durant son ministère, érigea l'Académie Française, fonda l'Imprimerie Royale, établit le Jardin des Plantes, et prépara les merveilles du règne de Louis le Grand. Il dut son élévation à la marquise de Guercheville et à la maréchale d'Ancre qui la commencèrent, et à Marie de Médicis qui l'acheva, dirai-je pour sa gloire ou pour son malheur ? J'écris: pour l'une et pour l'autre.
L'influence des femmes ne fut peut-être jamais plus sensible que sous le règne de Louis XIV. Ce prince les aima toute sa vie, et finit par épouser sa maîtresse. Pendant sa minorité, elles prirent une part très-active à la guerre de la Fronde, dont elles se distribuèrent les principaux agens. Le duc de Beaufort échut à Madame de Montbazon, le duc de la Rochefoucault à Madame de Longueville, Nemours et Condé à Madame de Châtillon, le Coadjuteur à Mademoiselle de Chevreuse, le duc d'Orléans à Mademoiselle de Saujon, et le duc de Bouillon à la duchesse son épouse. Ces Dames joignirent à leur parure les écharpes qui distinguaient leur parti. Les Parisiens sortaient en campagne ornés de plumes, de devises et de rubans; les troupes du Coadjuteur s'appelaient le régiment de Corinthe, et la cabale du prince de Condé portait le nom de cabale des Petits-Maîtres: On se croit retourné au tems de la chevalerie. La reine-mère mit fin à cette guerre ridicule, en renvoyant le cardinal Mazarin. Les femmes abandonnèrent les factions pour ne s'occuper que de littérature et de galanterie. Henriette d'Angleterre, élevée à la cour de France, y introduisit une politesse et des grâces inconnues au reste de l'Europe; la cour, dit Racine, la regardait comme l'arbitre de tout ce qui se faisait d'agréable. C'est de cette princesse que Louis XIV apprit à mettre de la dignité dans ses plaisirs, et à couvrir même la volupté du voile de la décence. Le nom d'Henriette d'Angleterre doit être mis dans la liste brillante des protectrices des gens de lettres; elle s'empressa de réparer l'oubli du monarque dont les bienfaits allèrent étonner les savans du nord, et qui négligea La Fontaine. Plusieurs autres femmes réclament la gloire d'avoir été les bienfaitrices du poëte qui place au Tartare
Ceux dont les vers ont noirci quelque belle.
Je vous nommerai la duchesse de Bouillon, et sur-tout Madame La Sablière, dont le nom est devenu inséparable de celui de La Fontaine. Il n'est point d'homme de génie, dans ce siècle, qui n'ait eu sa providence: Quinault la trouva dans Mesdames de Thiange et de Montespan, Lulli dans Mademoiselle de Montpensier, Racine et Boileau dans Madame de Maintenon. L'hôtel de Rambouillet, celui de Madame la duchesse du Maine, la maison de Mademoiselle Ninon de Lenclos peuvent être désignés sous le nom de Volières des Muses et des Grâces.
On ne peut guère parler du siècle de Louis XIV, sans dire un mot du mérite des ouvrages des femmes de lettres qui l'ont illustré. Vous serez charmée de l'esprit et de la fécondité de Mademoiselle de Scudéry, du style et du bon goût de Madame Lafayette, des grâces naïves de Madame Sévigné, le La Fontaine de la prose; de la pureté de la morale de Madame Lambert, de l'érudition profonde de Madame Dacier, et de l'intérêt qui anime les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier et de Madame de Motteville. Les Idylles de Madame Deshoulières vous offriront la peinture des moeurs de l'âge d'or.
Vous trouverez dans le règne de Louis XV de brillans souvenirs du règne précédent. Vous y remarquerez l'influence des femmes, non pas celle qu'elles exercèrent sous la régence, époque où le vice fut sans pudeur, la décence méprisée, le scandale en honneur, où le libertinage enfin détruisit l'amour. Vous arrêterez vos regards sur les jou

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