Esther Leggues/Hilarion de Coste : Différence entre versions
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[I,723] ESTER LEGGUES, JEUNE FILLE DE BRETAGNE.
NOUS venons de parler du courage, et de la constance de trois jeunes Demoiselles Angloises; voicy une Françoise encore plus jeune qui a verifié le dire du Roy Prophete, que Dieu se sert des enfans pour instruments de sa plus grande gloire.
Tu prens pour accomplir ta louange eternelle,
La bouche des enfans qui succent la mammelle,
[724] Afin que les meschants combatans tes hauts faits
Soient confus et défaits.
Il se sert de David petit bergerot, pour vaincre et surmonter le Geant Goliath, et couper la teste de ses propres armes à ce Philistin qui bravoit son peuple. Daniel encore jeune découvre la fourbe et la calomnie de deux vieillards abominables qui vouloient perdre la chaste et l'innocente Susanne. Les Bethuliens furent delivrez d'un siege par une femme, à laquelle ils donnerent ce bel Eloge: Vous estes la gloire de Hierusalem, la joye d'Israël et l'ornement de nostre peuple. Les sept petits freres Machabées et leur mere, ont fait crever de dépit, par leur courage et par leur constance le tyran Antiochus.
Les Histoires et Annales Ecclesiastiques louent la magnanime constance de nos jeunes Vierges et Demoiselles Chrestiennes, tres-tendres et tres-delicates, qui rioient parmy les flames, chantoient sur les chevalets, pleuroient d'aise parmy les cruautez du monde les plus grandes, voloient et couroient au martyre comme aprés les oeillets et les roses.
En ces derniers temps, car la main de Dieu n'est point racourcie, combien a-t'on veu de filles et de femmes en Flandre, en Angleterre, en Allemagne, en Hongrie, et és autres Provinces et Royaumes, braver les ennemis de Dieu et de son Eglise?
De nos jours, en nostre France, au Duché de Bretagne, une fille Catholique aagée seulement de neuf ans et neuf mois, nommée Ester Leggues, qui a fait paroistre dans la ville de Saint Malo sa constance en la vraye Religion, malgré les diaboliques efforts de son pere nommé Richard Leggues, Anglois, et de sa mere Rachel le Moine, native de Vitré, tous deux grands sectateurs de Calvin, et opiniastres defenseurs de ses heresies.
Cette Amazone Chrestienne et seconde Basilisse nâquit (comme dit saint Hierôme de saint Hilarion, la rose des espines) le 15. jour d'Octobre de l'an 1610. à Saint Malo. Ses parens, quoy que grands Calvinistes, luy donnerent une nourrice [725] Catholique qui l'éleva avec beaucoup de soin, ce qui ne servit pas peu à faire embrasser la vraye Religion à cet enfant que Dieu d'ailleurs prevint de sa grace, inclinant sa volonté de telle sorte, que dés l'âge de trois ans elle fit connoistre un ardent desir à la Foy Catholique, et voyant la devotion des autres petites filles qui alloient à l'Eglise, son bel esprit éclairé de la lumiere du Ciel, fut au méme instant épris d'un saint mouvement d'y aller avec elles, de les frequenter, et se faire conduire en leurs maisons pour les visiter.
A peine avoit-elle quatre ans, qu'elle prioit avec une douceur et une adresse merveilleuse les filles Catholiques qui luy parloient de l'instruire, et de luy apprendre la methode de prier Dieu: son enfance recevant et retenant avec une grande facilité les impressions qui luy en estoient données. Il sembloit que dés le ventre de sa mere, comme saint Pierre Martyr, Religieux de l'Ordre de saint Dominique, né de parens Manicheens, elle avoit empraint en son ame l'amour de la Foy Catholique, et l'horreur des Heretiques; de sorte qu'encore que ses pere et mere taschassent de luy faire succer leur poison avec le lait, ils ne la peurent jamais fléchir, ny par promesses, ny par menaces à faire aucune action contraire à nostre sainte Religion.
Elle croissoit avec une telle pieté et une telle ferveur, qu'elle donnoit de l'admiration à tous les habitans Catholiques de Saint Malo qui voyoient comme elle se portoit d'elle-mesme à faire toutes les fonctions d'une vraye Catholique, et la grande aversion qu'elle avoit de Calvin et de sa secte. Tout son plaisir estoit d'aller recevoir quelque instruction des Catholiques, de prier Dieu, et d'assister au Service divin en l'Eglise Cathedrale, ou en celles de saint Sauveur, et de Nostre-Dame de la Victoire.
Ayant ouy parler des Religieuses Benedictines et Ursulines, que feu Monsieur Guillaume le Gouverneur Evéque de Saint Malo avoit establies en cette ville là, elle eut un grand desir de les imiter, et jamais elle n'estoit plus contente que quand elle pouvoit se dérober avec adresse de la maison de ses parens, pour aller visiter les Monasteres des Religieu-[726]ses, avec lesquelles elle communiquoit et s'instruisoit dans tous les mysteres de nostre Religion.
Dés ses plus jeunes ans elle n'eust pas voulu manger sans premierement avoir fait ses prieres à Dieu et à la Vierge; comme si elle eust sceu ce passage de saint Hierôme en la vie de saint Hilarion; Que celuy-là est maudit qui a plus de soin de la nourriture du corps que de celle de l'ame.
Elle portoit un grand honneur et respect à son pere et à sa mere, et obeissoit exactement à tous leurs commandemens, excepté quand ils la vouloient contraindre d'aller aux presches de leurs Ministres. Car dés l'aage de 6. ans elle prit une ferme resolution de professer la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, et d'en faire toutes les fonctions malgré la violence de ses parens, au grand estonnement de toute la ville de Saint Malo, qui admira une infinité de fois cette jeune fille, mais tres-genereuse et tres-constante Ester, qui n'a jamais voulu quitter l'ancienne et la vraye Religion, pour la nouvelle et la fausse, croyant estre plus obligée à obeir à Dieu qu'aux hommes: Aussi les parens doivent estre postposez au service que l'on doit par preference à la divine Majesté, il ne faut leur obeir que jusques aux Autels. Quiconque n'ayme JESUS-CHRIST plus que ses parens, il perd son ame.
Elle estoit fort devote à la Mere de Dieu, et recitoit avec une grande ferveur son Chapelet et son Rosaire. Elle faisoit souvent le signe de la Croix, pratiquant l'avis que donne saint Hierôme à la vierge Demetriade: Armez-vous souvent du signe de la Croix, afin que l'exterminateur de l'Egypte ne trouve point en vous de place.
Tous ses plaisirs et ses delices estoient d'aller à l'Eglise Cathedrale ouir la sainte Messe, et les Offices divins, et prier Catholiquement le soir et le matin, tant és Chapelles et aux Oratoires que dans sa maison: car estant au lit, son pavillon tiré, elle se mettoit en prieres, tantost à genoux, tantost couchée. Ses parens, selon l'humeur des Heretiques, ennemis de mortification et d'abstinence, vouloient aussi au mépris des loix de l'Eglise luy faire manger de la viande le Caresme, les Vendredis et les Samedis, les Vigiles et les [727] Quatre-temps. Mais elle imitoit les trois Enfans, qui aymerent mieux manger des legumes, et boire de l'eau, que vivre du plat de la table de Nabuchodonosor: et ainsi elle jettoit la chair aux chiens, comme ont asseuré plusieurs témoins dignes de foy, qui ont aussi attesté en presence de l'Official de ce Diocese là, et de plusieurs Chanoines (1), comme cette jeune fille supportoit avec une admirable patience, non seulement les injures, mais aussi les mauvais traitemens que luy faisoient ses parens, quand ils sçavoient qu'elle avoit esté à la Messe, ou qu'elle avoit visité les Maisons des Religieuses, ou estoit allée ouir les Predications et le Catechisme. Elle se resjouissoit quand elle avoit esté battue pour avoir esté à l'Eglise, preferant les peines et les tourmens aux delices du libertinage des Religionaires. Durant les persecutions elle monstroit avoir l'esprit content et consolé de plaisirs spirituels. Elle disoit à son pere et à sa mere comme la Vierge sainte Eulalie, l'honneur de la ville de Barcelone, disoit aux siens: Je ne sens point vos tourmens, parce que mon Dieu est avec moy: et comme sainte Reine, la gloire des filles de la ville d'Alise, et de la Bourgongne, qui respondit franchement à son pere qui la vouloit divertir de croire au Sauveur du monde, et luy faire donner de l'encens aux idoles: Je ne suis point obligée à suivre vos sentimens, il faut servir Dieu, et non pas les Demons.
Plusieurs Catholiques la voyans prier avec tant de ferveur dans les Eglises, luy demanderent souvent si elle seroit toûjours Catholique, à quoy elle respondit sans hesiter: Ouy, s'il plaist à Dieu. Aprés, luy ayant encore demandé si son pere et sa mere le vouloient bien, elle leur repliqua, Non? mais, s'il plaist à Dieu, j'auray tousjours bon courage, et je persisteray resolument à vivre dans la Religion Catholique, pratiquant les bonnes instructions que je reçois des predications de tant de bons Ecclesiastiques et de saints Religieux. Ses compagnes, pour éprouver sa resolution et sa constance, refuserent un jour de la mener à la Messe et chez les Religieuses; mais elle versa tant de larmes, qu'elles ne voulurent pas la laisser en cette affliction là; et enfin furent ravies de voir sa ferme resolution, quand elle leur dit avec un grand zele; Si vous ne me menez pas à la [728] Messe, le peché vous en demeurera; car je desire vivre et mourir en la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, quoy que mon pere et ma mere me menacent de me tuer si je persiste en cette creance: mais j'ayme mieux endurer mille martyres, que d'estre de leur pretendue Religion. Une autre fois elles feignirent de ne vouloir plus qu'elle vinst en leur compagnie, et l'appellerent Huguenotte; mais à l'instant elle se mit à pleurer, et leur dit les larmes aux yeux: Si tout le monde me laisse, je tascheray toute seule de faire mon salut le mieux que je pourray, avec l'aide de Dieu, et la faveur de la Vierge Marie.
Ses compagnes admirerent plusieurs fois sa constance, et de fait cette jeune fille avoit une ame forte dans un corps infirme et delicat; car elle fut affligée quelque temps de 4. ou cinq ulceres, et les personnes plus aagées n'estoient pas moins ravies de la voir: car sa devotion se faisoit connoistre par ses discours accompagnez d'une grande modestie. Son front, ses yeux, et tous les traits de son visage, donnoient le portrait d'un Ange, revestu d'un petit corps humain. Elle disoit à ceux qui la consoloient quand elle avoit esté cruellement battue par son pere ou par sa mere pour avoir assisté à la Messe ou à la predication, "Nostre Seigneur en a bien enduré d'autres pour moy". Aussi elle avoit un grand desir en l'ame de souffrir encor plus pour l'honneur et l'amour de JESUS-CHRIST, qu'elle ne faisoit. Son courage magnanime surpassoit avec merveille la condition de son aage et de sa nature: souvent elle alloit demander la benediction à Monsieur l'Evéque de Saint Malo, écoutoit ses exhortations avec une attention admirable, et le prioit qu'il luy pleust de prendre sa protection contre la tyrannie de ses parens. Elle le supplia un jour de son propre mouvement de luy donner le Sacrement de Confirmation. Et comme ce bon Prelat luy eut dit que ce Sacrement entre autres effets confere une grace particuliere aux baptisez pour les ayder contre les tentations, et leur donne une plus grande force pour confesser la Foy Catholique, et endurer avec plus de constance toutes les afflictions et les adversitez pour le Nom de JESUS-CHRIST. Elle répondit soudain, Ha, Monseigneur, tout ce que je puis souffrir n'est rien, en compa-[729]raison des tourmens que Nostre Seigneur a endurez pour moy. Je suis bien resolue de vivre et de mourir Catholique, et aller tousjours à la Messe, quand mesme mon pere et ma mere me devroient tuer, comme ils me menacent tous les jours.
Ces paroles toucherent tellement Monsieur l'Evéque de Saint Malo, qu'il luy donna le Sacrement de Confirmation, où Mademoiselle de Saint Estiene mere de ce Prelat fut sa marraine. Dés le lendemain qu'elle eut receu ce Sacrement, elle alla prier les Ursulines de luy enchasser un Agnus Dei qu'elle avoit receu de cette Dame.
O Dieu que vous estes admirable en vos Saints, et en ces ames que vous possedez dés le commencement de leurs voyes, et que vous prevenez de vos benedictions de douceur! A raison dequoy un de vos serviteurs s'escrie, Bien-heureux celuy que vous élisez et que vous tirez à vous: car il demeurera dans vos Tabernacles, c'est à dire, dans le sein de vostre Eglise militante en terre, où quiconque ne passe sa vie, ne peut entrer aprés sa mort en la triomphante qui est au Ciel; car comme le Fils de Dieu n'a vie que dans le sein de son Pere, nous ne pouvons avoir la vie des enfans de Dieu que dans le sein de cette Mere qui est la vraye Eglise: O Seigneur, s'écrie le mesme saint Monarque, que bien-heureux est l'homme que vous enseignez, et à qui vous monstrez vostre Loy, vous le preserverez au jour mauvais, tandis que le pecheur et l'errant se creuse une fosse! La petite Ester soustenue de Dieu en un aage si foible que celuy de neuf ans, témoigna beaucoup de repugnance aux persuasions de ses parens; son Ange gardien, comme il est à croire, combattant en elle contre l'esprit de tenebres, de peur qu'elle ne fust accueillie dans les palpables obscuritez de l'Egypte de l'erreur où ses parens la vouloient conduire. On ne sçauroit se persuader avec combien de force en un aage si enfantin, elle s'opposa aux volontez et aux violences de son pere et de sa mere qui la vouloient traisner à Plouer. O Seigneur JESUS! combien il est vray qu'un roseau en vostre main sacrée devient une colomne du Temple! La pauvre petite Ester ayant recogneu que la rage de ses parens contre elle croissoit tous les jours, craignant d'estre forcée et violentée jusques à [730] l'extremité, et estre releguée en Angleterre, demanda à Dieu qu'il luy fist la grace d'avancer sa mort, ce qu'elle obtint le Mercredy 20. de Juillet de l'an 1620. estant par une particuliere providence de la divine Majesté tombée malade le propre jour qu'ils avoient resolu et conjuré de la traisner à leur presche. Le Dimanche devant ce Mercredy elle pria plusieurs filles devotes qui furent la visiter, de prier Dieu, et la Vierge Marie pour elle, et leur dit que son pere et sa mere luy avoient osté son Chapelet, et qu'elle le disoit par ses doigts lors qu'ils estoient hors de sa chambre.
Durant sa maladie ses parens ne voulurent jamais permettre qu'elle fust visitée par les Peres Benedictins Anglois, ny les autres Ecclesiastiques; quoy qu'ils en fussent priez par plusieurs Catholiques leurs voisins: Mais Dieu voyant sa fidelle épouse abandonnée des hommes, la fit assister par ses Anges; car lors qu'elle rendit doucement son ame à Dieu, on entendit sortir de son lit une melodie angelique, ces bien-heureux esprits solemnisans les obseques de cette sainte fille qui avoit vécu angeliquement, rendans graces à Dieu, et suppleans à l'absence des Prestres que ses pere et mere n'avoient pas voulu recevoir en leur maison.
Richard Leggues et Rachel le Moine qui n'avoient jamais voulu permettre à leur fille de vivre en la vraye Religion, firent aussi porter son corps de grand matin, le lendemain de son decés sans aucune ceremonie Ecclesiastique à Plouer, distant de trois lieues de Saint Malo, et le firent inhumer en une terre prophane, qui n'est destinée que pour ceux qui meurent dans les erreurs de Calvin: nonobstant que plusieurs devotes Bourgeoises de cette ville là leur remonstrassent le tort qu'ils faisoient à la memoire de leur enfant, et les priassent de leur laisser ce corps pour le faire dignement enterrer dans l'Eglise Cathedrale avec les autres Catholiques.
Lors qu'Ester Leggues passa de cette vie à la celeste, Monsieur l'Evéque de Saint Malo faisoit sa visite en la ville de Ploërmel, éloignée de 16. grandes lieues de Saint Malo: ce qui donna plus d'audace à ses parens, et à plusieurs de la Religion Pretendue Reformée habitans de cette ville là de porter ce chaste corps, [731] hoste d'une si belle ame, au cimetiere des Huguenots de Plouer. Mais ce tres-digne Prelat, aprés avoir visité les Eglises de la ville de Dinan le 7. Septembre de la mesme année, visita le lendemain, qui estoit la feste de la Nativité de la tres-sainte Vierge, l'Eglise parroissiale de Plouer, où aprés avoir celebré la Messe, il ne pût pas souffrir que ce tresor que le Ciel avoit laissé à la terre, demeurast dans un fumier, et que cette dragme sacrée fust cachée dans les ordures; il resolut avec cognoissance de cause, et bien informé de la verité de l'en tirer, et de rendre cet arbre au territoire où il avoit pris racine, et poussé tant de belles fleurs d'honneur et d'honnesteté.
Ce Prelat donc estant accompagné des Recteurs, des Curez, des Prestres, et des Paroissiens de Plouer, de Trigavon, de Tremerreuc, de Plelin et de Langrolay, et aussi de Jacques Doremet son grand Vicaire, et d'autres Ecclesiastiques, alla processionnellement avec pompe et solemnité jusques au cimetiere de ceux de la Religion Pretendue Reformée voisin de leur nouveau Temple: Aussi-tost qu'il y fut arrivé il se fit monstrer la fosse dans laquelle avoit esté mis le corps d'Ester, (qu'il avoit fait exactement et curieusement remarquer par ses Officiers:) il fit incontinent ouvrir la terre, et creuser si profondement que l'on trouva le petit cercueil dans lequel estoit le corps, qui rendit une odeur tres-douce et tres-agreable.
Comme feu Monsieur l'Evéque de Saint Malo vouloit rendre la terre Sainte à la terre sainte, je veux dire à ce corps innocent (dont l'ame est bien-heureuse dans le Ciel) l'honneur de la sepulture Ecclesiastique qui luy estoit deue; un Religionnaire se presenta avec du papier et de l'ancre pour écrire les noms de ceux qui l'assistoient en cette action, auquel ce Prelat dit ces paroles: Ecrivez tant que vous voudrez, je vous declare, et à toute l'assistance, que c'est moy qui de mon authorité Episcopale fais ouvrir cette fosse, pour en tirer et lever le corps d'une fille Catholique, que trop insolemment et temerairement vous et quelques autres Calvinistes, violans les Edits du Roy, avez osé y faire enterrer: Et ne doutez point que je n'en fasse dresser un procés verbal pour monstrer au Conseil de sa Majesté, sans qu'il vous [732] soit besoin d'en chercher des témoins.
Aprés que ce Prelat eut reprimé l'audace de cet Huguenot, il commanda à son Clergé de lever et de transporter le corps dans l'Eglise Paroissiale de Plouer pour luy rendre les derniers devoirs. Quelques Prestres luy demanderent quels Pseaumes il luy plaisoit qu'ils chantassent, il leur respondit promptement avec l'esprit de David: Quomodo cantabimus canticum Domini in terra aliena? Helas! comment pourrions nous chanter les Cantiques du Seigneur en une terre étrangere? C'est pourquoy l'on differa de commencer à chanter, jusques à tant que le corps d'Ester et Monsieur l'Evéque avec tout le Clergé fussent sortis de l'enclos des Religionnaires; ce qu'estant accomply, les Prestres commencerent et continuerent la psalmodie ordinaire; et en mesme temps cette senteur odoriferante exhalée de ce corps se respandoit et ressentoit tout le long du chemin jusques en l'Eglise en laquelle fut posé ce cercueil, que ce Prelat fit ouvrir, afin que chacun pust aisément sentir cette odeur si agreable. Le sieur Doremet Vicaire general de saint Malo l'experimenta plusieurs fois entre les autres, et s'en sentit tout embaumé jusques à la minuit du mesme jour. Il en écrivit l'Histoire, qu'il fit imprimer au mesme temps, et comme il apparoist par le fidele témoignage de plus de six-vingts personnes qui ont affermé cette verité, et donné des témoignages authentiques de la pieté et des vertus de cette vierge, que le Reverend Pere Jaques Gautier de la Compagnie de JESUS a mis entre les saintes et les illustres personnes en pieté du 17. siecle, en son livre de la Table Chronographique de l'Estat du Christianisme.
La petite Ester Leggues n'a pas esté seule en France qui a fait paroistre durant ses dernieres années son courage et sa constance pour la Religion Catholique; il y en a eu plusieurs, entre autres une Parisienne, nommée Anne, qui estant aagée de 17. ans, joignit au lys de la virginité la rose du martyre que son pere et sa mere (qui ayans laschement abandonné Dieu, faisans banqueroute à la vraye Foy, comme un abysme en appelle un autre, allerent tousjours de pis et en pis, descendans de vice en vice) luy firent souffrir au [733] commencement du mois de Novembre de l'an 1626. aprés l'avoir tourmentée une infinité de fois pour luy faire quitter la vraye Religion, et aller avec eux à Charenton.
Ils l'enterrerent dans le cimetiere de ceux de la Religion Pretendue Reformée auprés du Pré aux Clercs, où est l'ordinaire sepulture des asnes. Mais Monsieur de Monstreuil Docteur de Sorbonne et pour lors Curé de Saint Sulpice, unique Parroisse de ce grand faux-bourg de Saint Germain des Prez, ayant sceu que l'on avoit mis le corps de cette fille, non seulement tres-Catholique, mais qui avoit fait une vie digne du Ciel, dans ce lieu prophane destiné à la sepulture des Religionnaires, animé du zele Pastoral, alla querir ce corps avecque tous ses Prestres, pour luy rendre les honneurs de la sepulture dans le cimetiere de sa Parroisse; aprés que le Juge du lieu, suffisamment informé de la verité, et ayant appris par les témoignages de plusieurs personnes sans reproche, la vie, les moeurs, et la Religion Catholique de cette pieuse fille, eut ordonné qu'elle seroit déterrée pour estre inhumée en terre sainte. Ceux qui auront la curiosité d'apprendre les vertus de cette fille, liront l'Histoire de sa vie écrite par M. Jean-Pierre Camus (2) ancien Evéque de Belley, sous le titre de Marie-Anne, ou l'Innocente Victime, et de laquelle aussi la Muse Latine de Jaques Goutiere fameux Avocat au Parlement de Paris, Patrice et Citoyen Romain, a chanté le martyre, en ce beau Poëme intitulé Annae Parisiensis Puellae Martyrium.
(1) Le procés verbal dressé par Alain le Mere Chanoine et Promoteur de saint Malo.
(2) Camus Saint Bonnet, d'azur à trois croissans d'argent, 2. en chef, et un en pointe, et une estoile d'or mise en coeur.