Anne de Montafié/Hilarion de Coste : Différence entre versions
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''''[I,57] ANNE DE MONTAFIE COMTESSE DE SOISSONS, de Dreux et de Clermont.
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Jeanne de Coesme Dame de Lucé et de Bonnestable au païs du Maine, premiere femme de François de Bourbon, Marquis, puis Prince de Conty, et fille unique de Louis de Coesme Seigneur de Lucé, et d'Anne de Pisseleu son épouse, eut deux filles Urbaine et Anne de Montafié de Ludovic Comte souverain de Montafié ou Montafier en Piémont son premier mary, qui estoit aussi Seigneur souverain de Tilloles, et de deux autres terres en ce païs-là, et Seigneur et Prince de Carignan. Le Duc de Savoye Charles Emanuel I. (ayeul de Charles Emanuel II. qui l'est aujourd'huy) acheta ces terres trois cens mille escus, quatre ans ou environ devant la derniere paix entre le Roy Henry le Grand et luy, sur la procuration de Jeanne de Coesme Princesse de Conty, et de sa seconde fille Anne de Montafié, qui a esté depuis Comtesse de Soissons, dont fut porteur un nommé Sovard. L'Altesse du Duc de Savoye ratifia encore le contract à son dernier voyage qu'elle fit à la Cour l'an 1599. et par le Traité de paix, le Roy Henry IV. l'obligea au payement de ce qui restoit à payer, ce qui n'est pas encore effectué tout à fait.
[58] Louis Comte de Montafié et Seigneur de tant de belles et riches terres en Piémont, fut assassiné en Provence où il estoit Lieutenant du Roy Henry III. sous ce beau, vaillant et sçavant Prince Henry d'Angoulesme, fils naturel du Roy Henry II. et d'une Dame d'Escosse de la Maison de Leviston, grand Prieur de France, Amiral des Mers de Levant, et Gouverneur de cette Province-là. Cet Heros de la Maison de Montafié, illustre pour sa valeur et pour son adresse en toutes sortes d'exercices, fut fort regretté par Jeanne de Coesme sa veuve, qui n'avoit que cette consolation en sa perte, d'élever soigneusement ses deux filles Urbaine et Anne de Montafié à la pieté et aux bonnes moeurs, comme n'ignorent pas ceux qui ont eu le bon-heur et l'honneur de connoistre cette Comtesse de Montafié de la Maison de Coesme et de Lucé, Dame si sage et si vertueuse, que François de Bourbon Prince de Conty et Prince du Sang, frere d'Henry Prince de Condé, de Charles Cardinal de Vandosme, depuis de Bourbon, et de Charles Comte de Soissons, en fit la recherche, et l'épousa au mois de Janvier de l'an 1582.
Jeanne Princesse de Conty pour estre mariée à un Prince de la Royale et auguste Maison de France, ne s'éleva pas davantage qu'auparavant, et donna le démentir au Proverbe qui dit, que les honneurs changent les moeurs: car elle n'affectionna pas moins ses deux filles que lors qu'elle estoit mariée et veuve de ce Seigneur Piémontois. Aprés l'honneur et le respect qu'elle portoit au Prince de Conty François de Bourbon son second mary (auquel elle rendit de bons offices, tant devant que durant les guerres de la Ligue) elle n'avoit point de plus grande passion que de procurer l'avancement et le bon-heur de ses deux filles Urbaine et Anne de Montafié par de grandes et de nobles alliances, lesquelles aussi estoient recherchées en mariage par plusieurs Seigneurs illustres en valeur et en noblesse, tant pour leur vertu que pour leur richesse.
Urbaine de Montafié ou Montafier l'aisnée fut la premiere femme de Louis de la Chastre Baron de la Maisonfort, depuis Mareschal de France, fils unique de Claude [59] de la Chastre Mareschal de France et Gouverneur de Berry, et de Jeanne Chabot sa femme. Jeanne de Coesme Princesse de Conty traita ce mariage, et negotia par méme moyen fort prudemment la reduction de Claude Mareschal de la Chastre pere de son gendre et des villes d'Orleans et de Bourges dont il estoit Gouverneur au service du Roy Henry IV. mais ce mariage dura peu et n'eurent point de lignée: de sorte qu'Anne qui estoit plus jeune de trois ans qu'Urbaine sa soeur aisnée, demeura seule et unique heritiere des Maisons de Montafié, de Coesme et de Lucé, à laquelle je dedie cet Eloge.
Cette vertueuse Princesse vid la lumiere du jour le 22. de Juillet Feste de sainte Marie Magdelaine de l'an 1577. Elle eut le nom d'Anne au sacrement de Baptesme, et porta toûjours une devotion particuliere à cette Mere de la tres-sainte Vierge, et aussi à la devote Amante du Sauveur du Monde, à l'honneur de laquelle elle a fait bastir et orner richement une belle Chapelle dans l'Eglise de S. Eustache sa Paroisse. Elle fut soigneusement nourrie par la Princesse de Conty sa mere, comme j'ay rapporté cy-dessus. Sa beauté, ses vertus et ses grands biens la firent desirer par les premiers Seigneurs du Païs du Maine et des Provinces voisines, entre autres par Jean de Beaumanoir Seigneur de Laverdin depuis Mareschal de France, mais le Ciel où les mariages se font, la destina pour une alliance beaucoup plus illustre: Anne de Montafié ayant merité pour ses perfections d'avoir pour son mary un Prince de la premiere et de la plus noble Maison de la Chrestienté et de l'Univers, Charles de Bourbon Comte de Soissons, Pair et grand Maistre de France, Gouverneur de Daufiné et de Normandie, fils de Louis de Bourbon Prince de Condé, et de Françoise d'Orleans Princesse de la Maison de Longueville sa seconde femme, qui a rendu de notables services aux Rois Henry III. et IV. et Louis XIII. comme l'on peut voir chez nos Historiens le President de Thou, le Grain, Matthieu, Aubigné, Cayer et autres en grand nombre, particulierement les freres jumeaux de Sainte Marthe, au Livre XVI. de l'Histoire Genealogique de la [60] Maison de France, Henry de Montagu sieur de la Coste en sa Genealogie des Bourbons, et que j'ay remarqué en la Vie de ce genereux Prince au Traité des Gouverneurs de Daufiné, duquel Claude Expilly Seigneur de la Poëpe, Conseiller du Roy en son Conseil d'Estat, et President au Parlement de Grenoble, parle en ces termes honorables en son plaidoyé 20. Prince capable et digne de regir toute la terre: Prince que le Ciel et la Nature ont accomply de toutes perfections: grand de sang, comme estant du plus illustre de l'Univers, grand de coeur comme issu de la race de Bourbon, en laquelle la valeur est une habitude inseparable: grand de renom, comme celuy qui pour la conduite et exploits de la guerre et de la paix en sçait tous les ressorts, et en produit tant de merveilles: Prince nompareil, que la Fortune trouve tousjours debout, imployable à tous accidens, infatigable aux affaires plus hautes, toûjours frais et tendu, prudent, prevoyant, judicieux, magnanime, amy des Loix, qui ne sçait fléchir que sous elles, plein de grace et de majesté, qui sçait si bien dire et bien faire, qui sçait si bien gagner et meriter les coeurs: Prince en qui toutes les vertus sont assemblées, en qui nul defaut ne se trouve, ny nul excés qu'en sa valeur.
Charles Comte de Soissons devant qu'épouser Anne de Montafié fille de Jeanne de Coesme Princesse de Conty sa belle-soeur, auroit fait la recherche de Caterine de France et de Navarre soeur unique du Roy Henry le Grand (qui fut depuis Duchesse de Bar) mais la diversité de Religion rompit ce dessein, quoy que la Princesse eut tousjours témoigné une particuliere affection et inclination pour ce Prince, et quand on l'exhortoit à se faire instruire à la Religion Catholique, elle disoit aux Dames ses plus confidentes, qu'avant toutes choses elle vouloit avoir son Comte. Il avoit desiré aussi pour femme l'une des filles de ce sage Prince Charles III. Duc de Lorraine, mais il s'y trouva encore quelque empéchement. C'est pourquoy François de Bourbon Prince de Conty et Gouverneur de Daufiné voyant qu'il n'avoit point d'enfans de la Princesse sa femme Jeanne de Coesme, prit la resolution avec la permission et le consentement du Roy Henry IV. de marier Anne de Montafié [61] fille unique de la Princesse son épouse à son frere paternel Charles de Bourbon Comte de Soissons, Pair, et Grand-Maistre de France. Le contract de mariage fut fait et passé au chasteau du Louvre à Paris l'an 1601. le Lundy aprés Midy 3. jour de Decembre en la presence, du vouloir, authorité, et sous le bon plaisir du Roy Henry le Grand, et de la Reine Marie sa femme, et aussi en la presence de plusieurs Princes et Princesses, Officiers de la Couronne, Seigneurs, Dames et Gentils-hommes qui assistoient leurs Majestez, qui signerent le contract avec François de Bourbon Prince de Conty, Jeanne de Coesme Princesse de Conty, Charles de Bourbon Comte de Soissons, la Demoiselle de Lucé Anne de Montafié, en la presence de Nicolas de Neufville Chevalier Seigneur de Villeroy, le premier des quatre Secretaires d'Estat, Germain des Marquets et Mathieu Bontemps Notaires du Roy en son Chastelet de Paris.
La solemnité des noces de Charles de Bourbon et d'Anne de Montafié se fit au chasteau de Lucé le Jeudy 27. du méme mois et de la méme année, au grand contentement des bons François, mais particulierement de leurs serviteurs et amis. Jeanne de Coesme Princesse de Conty, laquelle desiroit avec passion assister au mariage de sa fille unique Anne de Montafié et du Comte de Soissons, partit de Paris pour aller à Lucé au païs du Maine, nonobstant l'extreme rigueur de l'Hyver, qui fut fort aspre et violent en cette saison-là; mais cette Princesse estant arrivée à S. Arnoul en Beausse prés de Chartres, elle tomba malade de la petite verole, dont elle mourut le 27. Decembre 1601. le méme jour qu'on celebroit les noces de sa fille, qui parmy la joye et le contentement qu'elle receut d'estre la femme d'un Prince du sang, et de l'un des plus accomplis Heros de son siecle, eut ce tres-sensible déplaisir d'apprendre la mort d'une si bonne mere, qui luy avoit procuré ce bon-heur et cet honneur. Dieu qui a tousjours meslé beaucoup d'amertume avec les douceurs qu'a eu cette chaste et vertueuse Princesse, détrempa cette allegresse par cette nouvelle bien fâcheuse et bien dure à une bonne fille, qui reconnoissoit franchement et librement les obligations qu'elle avoit à la [62] Princesse de Conty sa mere. Ainsi l'on voit que pour l'ordinaire les plus grandes joyes sont tousjours mélées de déplaisir et de tristesse, et qu'il n'y a rien de stable en cette vie, où tousjours les plaisirs et les réjouissances sont de peu de durée, et passent comme l'ombre d'un songe. Comme si la Fortune eust esté jalouse de voir tant de bon-heur avec tant de vertu, elle vint troubler le contentement et la feste de ces nouveaux mariez, et méler les torches des funerailles avec les flambeaux de leur heureux hymenée. J'appelle ce mariage heureux: car Anne de Montafié Comtesse de Soissons véquit tousjours en bonne intelligence et amitié avec le Comte son mary, s'accommodant à son humeur. Elle sçavoit que la pluspart des femmes n'ont point d'autre but que de maistriser leurs maris, et non contentes d'en estre les chefs. Ce qui fut le malheur de la Republique dont parle Isaye, le desordre estoit si grand que les femmes leur commandoient. Julie avoit plus de pouvoir sur son mari Pompée, que tous ses amis et le peuple Romain. Cette Princesse estoit bien au contraire de celle-là: car avant que vouloir quelque chose, elle s'informoit premierement de l'intention du Comte son mary. Et comme la Lune regarde toûjours le Soleil, duquel elle reçoit sa lumiere et sa splendeur, ainsi elle dépendoit du visage de son mary, ne voulant point avoir d'autre lustre que celuy qui en provenoit: et tout ainsi que la pleine Lune se réjouit és nuits serenes de la compagnie des étoiles, qui semblent allumer leurs clartez en elle; de méme la Comtesse de Soissons en sa Maison et en son Hostel entourée des brillantes lumieres de ses beaux enfans, de ses Dames et Demoiselles suivantes comme des étoiles, attiroit les yeux d'un chacun sur soy, principalement ceux du Comte son mary. Plutarque a raison d'accomparer la bonne femme mariée à un miroir qui represente l'image de son mary telle qu'elle est, si triste, triste, si joyeux, joyeuse, s'accommodant en tout à sa volonté. Ainsi Anne de Montafié estoit le miroir de son mary, auquel il se miroit, et elle se conformoit à luy. Aussi ce Prince ayant épousé cette sage et vertueuse Dame mit en elle tous ses plaisirs, et n'a point mis depuis son mariage ses af-[63]fections ailleurs, ayant quitté les inclinations qu'il avoit pour quelques Dames qu'il aimoit, et dont il avoit eu des filles naturelles, qui ont esté Religieuses et Abbesses.
Dieu benit le mariage de Charles de Bourbon Comte de Soissons, et d'Anne de Montafié Dame de Coesme, de Lucé et de Bonnestable sa femme, de cinq enfans, un fils et quatre filles, à sçavoir Louis de Bourbon Comte de Soissons, de Clermont et de Dreux, Pair et Grand-Maistre de France, et Gouverneur pour le Roy en ses païs de Daufiné, de Champagne, et de Brie, dont elle accoucha heureusement à l'Hostel de Soissons à Paris l'onziéme de May de l'an 1604.
L'aisnée des filles a esté Louise de Bourbon, mariée à Henry d'Orleans Duc de Longueville et de Touteville, Comte souverain de Neuf-Chastel en Suisse, Gouverneur et Lieutenant general pour le Roy en Picardie, puis en Normandie. Cette Princesse a eu trois enfans de ce genereux et sage Prince de la Maison de Longueville, deux fils et une fille, comme je vous feray voir en son Eloge.
La seconde des filles est Marie de Bourbon, laquelle fut accordée à Thomas de Savoye Prince de Carignan quatriéme fils de Charles Emanuel I. Duc de Savoye, et de Caterine d'Espagne sa femme, le 10. d'Octobre 1624 à saint Germain en Laye, où le contract de mariage fut passé en presence du Roy Louis XIII. de la Reine Anne femme, et de la Reine Marie mere de sa Majesté, et d'Anne de Montafié Comtesse de Soissons mere de cette Princesse, de Louis de Bourbon Comte de Soissons d'une part: et de l'autre d'Alexandre Scaglia Abbé de Staffarde Ambassadeur de son Altesse Serenissime de Savoye prés de sa Majesté, et de François de Montfalcon Conseiller d'Estat et premier President de la Chambre des Comptes de Savoye, fondez en procuration speciale de son Altesse de Savoye, et du susnommé Prince Thomas de Savoye son fils, Marquis de Buscé, de Carignan, de Chastellerard en Bauges, Comte de Raconis et Villefranche, Seigneur de Vigon, Cavallimonts, Barges, Cazelles, Rochemont, Rousche, lors Gouverneur et Lieutenant general pour l'Altesse de Savoye [64] son pere deça des Monts, et General de sa Cavalerie, et leur procuration deuëment signée et seellée le premier jour d'Aoust de la méme année. Gaston fils de France Duc d'Orleans (lors Duc d'Anjou et frere unique du Roy Louis XIII.) Henriette Marie de France soeur de sa Majesté (à present Reine de la grand Bretagne) Charlote de Montmorency Princesse de Condé, Louise de Lorraine Princesse de Conty, plusieurs autres Princes et Princesses, Ducs, Pairs, Officiers de la Couronne de France, et le Seigneur de Lomenie Secretaire d'Estat furent presens à ce contract de mariage de Marie de Bourbon et du Prince Thomas de Savoye, qui furent épousez le 6. jour de Janvier de l'an 1625. avec le consentement et le contentement de tous les Princes, et Seigneurs qui estoient lors à la Cour, où les Bals et les autres réjouissances n'y furent pas oubliées.
Charlote Anne de Bourbon la troisiéme fille mourut à Paris sur la fin de l'an 1623. sans avoir esté mariée, elle gist à Gaillon.
Elizabet de Bourbon la quatriéme est aussi decedée en jeunesse.
Anne de Montafié Comtesse de Soissons leur mere porta la mort de ces deux jeunes Princesses avec une constance fort Chrestienne: mais elle a fait paroistre sa vertu et sa pieté en de plus grandes afflictions et disgraces qu'elle a receuës: car elle a veu mourir au chasteau de Blandy prés de Melun, Charles Comte de Soissons son mary, le premier jour de Novembre 1612. qui n'estoit âgé que de 46. ans, lequel laissa un regret extréme de soy au Roy Louis XIII. et à tous les Ordres du Royaume. Anne de Montafié sa veuve luy fit faire ses obseques et rendre les derniers devoirs dans la belle et devote Eglise de la Chartreuse de Nostre-Dame de bonne Esperance lés Gaillon, dite de Bourbon, en laquelle sont inhumez deux Cardinaux de la Maison de France, à sçavoir Charles de Bourbon Archevéque de Rouen, Primat de Normandie et Legat d'Avignon, Fondateur de ce Monastere, de la Maison Professe de S. Louis des Peres Jesuites à Paris, et du Convent de Nostre-Dame de bon Port des Minimes de Dieppe, oncle [65] du Roy Henry IV. et du Comte de Soissons mary d'Anne de Montafié. Charles de Bourbon II. du nom Archevéque de Rouen et Primat de Normandie, Chef du Conseil des Rois Henry III. et IV. le Protecteur des Muses et de leurs plus chers nourrissons, frere paternel de Charles Comte de Soissons, et de la Princesse Françoise d'Orleans, douairiere de Condé, seconde femme de Louis de Bourbon Prince de Condé, et mere de Charles Comte de Soissons son époux, auquel elle a fait dresser un superbe tombeau et mauzolée de marbre blanc et noir, artistement elabouré par cet excellent Sculpteur Cochet, enrichy et orné de quatre belles statuës aux quatre coins, qui supportent les figures de ce Prince et de cette Princesse, et qui est l'un des plus riches et magnifiques sepulchres de la France, qui n'est pas moins beau que celuy du Roy Louis XII. et de la Reine Anne de Bretagne, que les Estrangers viennent voir par admiration à S. Denys en France. Elle fit celebrer sa memoire par un excellent Poeme Latin, composé par Jean de Bonnefons de Bar sur Seine, digne fils de celuy du méme nom, qui a joint la douceur de la Poësie avec la profession de la Justice.
Anne de Montafié a veu mourir deux fils de sa fille aisnée, et puis cette vertueuse Princesse Louise de Bourbon, Marie sa seconde fille estre conduite et arrestée en Espagne, le Prince de Carignan son gendre porter quelque temps les armes contre la France en Picardie et en Piémont: mais le plus sensible deplaisir qu'a receu cette constante Princesse, fut quand on luy apporta nouvelle de la mort de son fils unique Louis de Bourbon Comte de Soissons, tué en un combat qui se donna prés de Sedan le 6. de Juillet 1641. estant âgé de 36. ans, sans avoir esté marié, et n'avoit laissé qu'un fils naturel, que cette Princesse fit baptiser à Bagnolet lés Paris, et nommer Henry Louis. En ce Prince Louis de Bourbon Comte de Soissons et Grand-Maistre de France prit fin la branche des Comtes de Soissons de la Maison de Bourbon-Vandosme dont il fut le second, et puisnée de celle des Princes de Condé.
Cette vertueuse Princesse tomba malade le premier jour [66] de Juin de l'an 1644. dans son Hostel à Paris. Pendant sa maladie qui dura 17. jours, elle fut visitée de la part de la Reine, par le Prince et la Princesse de Condé, le Duc de Longueville, et presque par toute la Cour: la Duchesse de Longueville ne luy ayant pû rendre ses derniers devoirs en personne, pour estre elle mesme tombée malade avant ce temps-là en sa belle maison de Colommiers en Brie: et la Princesse de Carignan n'estant pas encore arrivée d'Espagne pour se conjouir de sa liberté avec une si bonne mere. Durant tous ces 17. jours qu'Anne de Montafié Comtesse de Soissons fut malade, elle donna des exemples de patience, de pieté, d'humilité, de douceur, et des autres vertus Chrestiennes, particulierement d'une entiere resignation à la volonté de Dieu. Elle fut tousjours assistée du R. P. Philippe Emanuel de Gondy Prestre de l'Oratoire de nostre Seigneur JESUS-CHRIST, qui a esté Comte de Joigny, Marquis des Isles d'or, Chevalier des deux Ordres du Roy, et General des Galeres de France, (pere de Monsieur le Duc de Rets, et de l'Archevéque de Corinthe Coadjuteur de Paris,) des Peres Jesuites, Feuillans et Capucins, jusques au 18. du méme mois, qu'elle passa de cette vie à l'autre sur les neuf heures du soir, estant en la 67. année revoluë moins un mois et cinq jours, aprés avoir receu fort devotement tous ses sacremens, rendant doucement son esprit à Dieu entre les mains d'Estiene Tonnelier Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, de la Royale Maison de Navarre, et Curé de l'Eglise de S. Eustache, qui luy aida avec les Religieux susnommez à bien mourir comme elle avoit tousjours bien vécu. Le lendemain son testament fut ouvert en presence du Duc de Longueville pere et tuteur de Mademoiselle de Longueville son heritiere, avec la Princesse de Carignan representée par le sieur Marchisio Agent du Prince Thomas son mary: comme aussi en presence de Monsieur le President de Mesmes, et du susnommé Pere de Gondy ses executeurs testamentaires, et du sieur de Bernay Hennequin Conseiller en la grand' Chambre, commis du Parlement avec quelques Officiers d'iceluy pour assister à cette ouverture, comme il se pratique en France aux testamens des Princes et Princesses du Sang.
[67] Ce testament d'Anne de Montafié se trouva plein de legs pieux et de recompenses à ses domestiques pour les longs services qu'ils luy avoient rendus: cette Princesse n'ayant rien tant abhorré que le changement, ainsi que nous lisons de Marie de Luxembourg Comtesse, et de Françoise d'Alençon Duchesse de Vendosme. D'où vient que tel y est employé pour mille escus de rente: il contient entre autres choses un don de cent mille escus au susnommé Chevalier de Soissons, fils naturel du defunt Comte de Soissons son fils, âgé seulement de quatre ans. Elle a destiné par ce testament son inhumation à la Chartreuse de Gaillon, où reposent les defunts Comtes de Soissons pere et fils, qu'elle a desiré estre faite sans ceremonie et sans pompe: ausquelles ayant tousjours preferé la charité et les prieres; elle a laissé à ses heritiers et executeurs testamentaires à convertir ces dépenses en aumosnes et autres oeuvres pies.
Son corps a esté porté à Gaillon comme elle avoit ordonné, et ses entrailles inhumées en l'Eglise de S. Bernard ou des Feuillans de la ruë neuve S. Honoré, en laquelle on luy a fait un service le 27. Juin, où assista le Duc de Longueville. Dés le 20. on luy en avoit fait un fort solemnel à S. Eustache sa Paroisse, auquel se trouverent le Prince de Condé, le Prince de Conty son fils, le Duc de Longueville et le Mareschal de l'Hospital du Hallier frere du Mareschal de Vitry: au sortir de ce service ils furent à l'Hostel de Soissons donner de l'eau benite au corps: le Duc de Longueville en qualité de gendre de cette Princesse ayant receu les autres à l'entrée de la sale. L'apres disnée du méme jour 20. Juin 1644. la Princesse de Condé representant la Reine, et par son ordre, y vint suivie des filles d'honneur de sa Majesté, du Duc d'Uzez et du Comte d'Orval, celuy-cy Escuyer, et celuy-là Chevalier d'honneur, de ses Gardes du corps Françoises et Suisses, et de tous ses carosses: La Reine ayant nommé pour entrer dans celuy du corps la Chanceliere de France, la Dame de la Flotte sa Dame d'atours, la Comtesse de Mony la Mark aussi nommée par sa Majesté pour porter la queuë de la robe de cette Princesse qui la representoit, la Presidente de Bailleul femme du Sur-in-[68]tendant des Finances, et la Comtesse de Brienne. La Princesse fut receuë au pié du grand escalier par le sieur de Rodes grand Maistre des ceremonies de France, et du sieur de Saintot Maistre des ceremonies, et conduite par des Princesses et Duchesses en la sale où reposoit le corps: au devant duquel estoit le prie-Dieu de la Reine couvert d'un drap de pied de velours noir, et de deux carreaux semblables. Alors le Pseaume Deprofundis fut chanté par la Musique de la Chapelle du Roy: et ce chant lugubre finy, ladite Princesse donna de l'eau benite au corps et se retira, estant accompagnée des Princesses, Duchesses et Dames et Officiers qui l'avoient conduite. En cette ceremonie deux Herauts en robes de deuil, leurs cottes d'armes par dessus, et leurs caducées en main: puis le sieur de Saintot Aide des ceremonies avec une robe de deuil et queuë trainante, le chaperon en teste avalé, et le bonnet quarré. Aprés luy les Maistre et Grand Maistre des ceremonies precedoient Madame la Princesse representant la Reine, et toutes les Princesses et Dames de sa suite.
Dés le jour precedent la Princesse de Condé, la Duchesse d'Enguien, la Duchesse de Lorraine, les Princesses Marie et Anne de Mantouë, les Duchesses d'Angoulesme, d'Elbeuf, de Roannes, d'Espernon, d'Uzez, de Sully, de Lesdiguieres, de la Rochefoucaut, les Ducs de Bellegarde et de Luynes, les Mareschales de Vitry, de S. Geran, d'Estrée et de la Mesleraye, les Ambassadeurs ordinaire et extraordinaire de Savoye, le President de Bailleul Sur-intendant des Finances veillerent le corps ou luy vinrent donner de l'eau benite, et à leur exemple plusieurs autres Seigneurs et Dames, et un nombre infiny de peuple de Paris, comme l'on peut voir plus au long dans les relations qui ont esté imprimées. Plusieurs Historiens s'amusent ordinairement à de longues descriptions de pompes, tant joyeuses que lugubres. C'est la chose en quoy je les voudrois moins imiter: il est force neantmoins que je remarque en passant dans ces Vies et Eloges des Dames Illustres les honneurs que l'on rend à nos Reines et à nos Princesses, non seulement durant leur vie, à leur sacre, et à leurs noces, [69] mais aussi à leurs pompes funebres aprés leur decés, puisque méme je le remarque des Reines et des Princesses des autres Maisons et Royaumes.