Diane de France/Hilarion de Coste : Différence entre versions
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[I,502] DIANE LEGITIMÉE DE FRANCE, Duchesse d'Angoulesme, de Castres et de Montmorency (1).
AYANT loué les Dames Illustres qui se sont rendues recommandables sous les noms de Camille, de Cassandre, de Caterine, de Charlote, de Chrestienne, de Claude, de Constance, et de Damigelle ou Domitille: Voicy une Diane qui se presente, et demande d'avoir pour ses perfections et ses merites son rang et sa place entre les autres Heroïnes de ces derniers temps. Princesse illustre et recommandable, tant pour la noblesse de son sang, que pour sa vertu, et les services qu'elle a rendus à la Couronne de France. Elle estoit fille naturelle du Roy Henry II. soeur des Rois François II. Charles IX. et Henry III. et alliée à plusieurs Princes et Potentats de la Chrestienté.
Diane a esté le premier enfant d'Henry II. qui eut estant Daufin cette fille naturelle (qui luy ressembloit de visage et de moeurs) d'une simple bourgeoise de Langeais petite ville en Touraine, assise sur la riviere de Loire, celebre par le mariage du Roy Charles VIII. et d'Anne de Bretagne; toutesfois les plus exacts Ecrivains de nostre Histoire, entre autres Monsieur de Thou, asseurent que sa mere estoit une Dame de bonne Maison de Piémont, qui se rendit Religieuse dés qu'elle en fut accouchée selon le rapport de Pere Mathieu. Elle receut le nom de Diane au Sacrement de Baptéme que luy fit donner son pere Henry, lors Daufin de Viennois et Duc de Bretagne, par Diane de Poitiers Duchesse de Valentinois qu'il aimoit. En ce temps là Marguerite de France Duchesse de Berry, la fille du Roy François I. et la soeur unique du Roy Henry II. qui estoit l'hon-[503]neur et les delices de la Cour, la voulut avoir auprés d'elle. Un Autheur de ce temps là (2) fait defendre par ces deux Princesses le bastion de la chasteté et de l'honnesteté des Femmes. Ce ne fut pas peu de bon-heur à Diane de France-d'Angoulesme d'avoir esté nourrie prés de la personne de cette tres-vertueuse Princesse (qui fut depuis Duchesse de Savoye) dont elle s'estudia tellement à imiter les moeurs, qu'elle n'eut pas seulement les vertus qui la rendoient recommandable en particulier et en public; mais aussi ses sentimens et ses inclinations, et sur tout son affection vers les sçavans, et les belles lettres. C'est pourquoy le Roy François I. son ayeul l'aima et la cherit, la voyant ornée de plusieurs belles qualitez dignes d'une Princesse de sa Maison et de son sang. Le Roy Henry II. son pere estant parvenu à la Couronne, il la fit assister au Couronnement et à l'entrée de la Reine sa femme: il la maria à Horace Farnese Duc de Castres, fils puisné de Pierre Louys Duc de Parme et de Plaisance, frere d'Octave Farnese Duc de Parme, et oncle d'Alexandre Prince et Duc de Parme, Gouverneur des Pays bas pour Philippe II. Roy d'Espagne, qui a acquis par sa valeur la reputation d'estre l'un des premiers et des plus excellens Capitaines du monde. Ce fut le Cardinal de saint George Legat en France du Pape Paul III qui selon les ordres de sa Sainteté, traita le mariage du Duc Horace de Farnese, neveu ou petit fils de Paul, et de Diane de France, fille naturelle du Roy Henry II. aprés avoir témoigné à sa Majesté le desir qu'avoit ce Pape là de se lier plus étroitement à ses volontez, et aux interests de sa Couronne. Horace Duc de Castres (lequel s'il eust vécu, n'eust pas receu moins d'honneurs et de gloire, que le renommé Prince de Parme son neveu) fut tué au siege de Hesdin, au mois de Juillet 1553. six mois aprés avoir épousé Diane legitimée de France, au grand regret de tous les François, mais particulierement du Roy son beau-pere, qui fit porter son corps avec éclat, et luy rendre les derniers devoirs dans l'Eglise de l'Assomption des Minimes d'Abbeville, capitale du Comté de Ponthieu.
Voila cette jeune, belle et chaste Princesse aussi-tost veu-[504]ve que mariée. Le decés inopiné de ce beau et vaillant Prince, qu'elle aymoit comme il le meritoit, pour sa generosité, sa noblesse, et l'affection qu'il avoit au bien de l'Estat et de l'Empire François, voulant unir estroitement les lys de Parme ou des Farneses aux fleurs de lys Royales, (car la Maison de Farnese (3) porte d'or semé de lys d'azur) l'affligea grandement, comme le Poëte Angevin chantoit en sa complainte;
Horace, qui pour ton Prince,
Le plus grand de ton soucy,
Parens, amis et Province
Avois delaissez icy.
Las! ton espouse dolente,
La fille d'un si grand Roy
Par une mort violente
Bien-tost est veuve de toy.
Le peu de temps qu'elle fut avec ce Prince Parmesans, ne luy fit point souhaiter de secondes noces: mais le commandement du Roy son pere, aprés trois ans de viduité, luy fit épouser François de Montmorency Duc, Pair et Mareschal de France, fils aisné d'Anne Connestable de France, et de Magdelaine de Savoye son épouse, qui fut Gouverneur et Lieutenant General de Paris et de l'Isle de France, Chevalier des Ordres de saint Michel et de saint George, qui sont les milices de France et d'Angleterre. Elle eut de ce brave Seigneur, Chef de la tres-illustre et tres-ancienne Maison de Montmorency (qui a fourny et donné tant de Mareschaux, d'Amiraux et de Connestables à la Monarchie Françoise, tres-fideles à nos Rois, et qui se vantent à bon droit d'estre issus du premier Gentil-homme converty à la foy Chrestienne par saint Denys l'Apostre de nos Gaules) un seul fils nommé Anne, en memoire de son ayeul paternel, qui ne véquit qu'un jour. François Duc de Montmorency son 2. mary mourut au Chasteau d'Escouen, le 5. jour de May 1579. et fut inhumé en l'Eglise Collegiale de Saint Martin de Montmorency.
Cette illustre Heroïne est digne de louange pour avoir rendu de grands devoirs au Duc de Montmorency son ma-[505]ry durant sa derniere maladie, quoy que ce Seigneur là eut aux premiers ans de son mariage eu de l'inclination plustost pour Mademoiselle de Piene (tres-belle fille et de bonne Maison, dont il estoit passionnément amoureux) que pour la sage Diane d'Angoulesme, que le Roy Henry II. et le Connestable Anne de Montmorency son favory avoient unis par mariage, et fait rompre les promesses que François de Montmorency avoit faites à la belle de Piene (4), de laquelle on a tant chanté les complaintes qu'elle faisoit pour l'absence de ce Seigneur là:
Mon bel amy vous souviene
De Piene,
Quand vous serez par delà.
La Duchesse Diane estant demeurée veuve pour la seconde fois de cet illustre Heros, que le President de Thou appelle le dernier des François, avec lequel elle demeura en mariage 22. ans entiers, passa le reste de ses jours en viduité, et a esté fort estimée pour les vertus et les belles qualitez qui reluisoient en elle.
Sa constance à supporter les pertes de ses deux maris, et la prison du dernier; et la mort prematurée des Rois ses freres, et d'Henry d'Angoulesme Grand Prieur de France aussi son frere paternel, l'a rendue recommandable à la posterité. Jamais cette constante Diane parmy les disgraces des siens, et de sa famille n'a manqué de courage et d'adresse; car avec un masle courage elle a assisté le Roy Henry Troisiéme, lors que la pluspart de ses sujets s'estoient revoltez contre luy. Elle seule voyant le miserable estat des affaires du Roy son bon frere, moyenna l'accord entre sa Majesté, et Henry de Bourbon Roy de Navarre premier Prince du Sang, accord et reunion d'où dépendoit le salut de la France; de sorte que sans cette alliance, les affaires de ce Royaume estoient en un estat pitoyable. Elle seule pratiqua cette conjonction d'ames, et armes Royales: elle seule fit tous les voyages de Tours à Chinon (5); et par la creance qu'elle avoit acquise en l'esprit et bon naturel du Roy de Navarre (qui peu aprés monta sur le trosne Royal des fleurs de Lys, sous le nom d'Henry IV.) fit [506] en sorte que ce Prince tres-clement, oubliant tous les justes sujets de défiance qu'on luy avoit donné par le passé, à la premiere ouverture de reconciliation, il luy protesta qu'il ne desiroit point ouir parler de conditions aprés sa parole.
Durant tous les troubles et nos guerres civiles, mesme aprés la mort deplorable de son bon frere Henry III. Roy de France et de Pologne, elle suivit et servit fidelement le Grand Henry son successeur à cette premiere Couronne du Christianisme, lequel ayant recogneu son bon jugement, sa ferme et inviolable fidelité, l'honora tousjours du titre de sa soeur, et luy confia ses affaires plus importantes. Aussi cette genereuse Amazone avoit foulé aux pieds la consideration de son repos, son interest particulier, ses honnestes plaisirs pour suivre la fortune de ce Cesar: elle avoit preferé la retraite du petit Chasteau de Chinon en Touraine à la grandeur de Paris, et mieux aymé subir les incommoditez de sa personne, et voir sa famille qu'elle aymoit plus que soy-mesme toute dispersée, que d'encourir le blasme, d'avoir jamais adheré à autre party qu'à celuy de ses Rois. Le zele au service de nos Monarques, l'honneur à leur dignité, et l'affection envers leurs sacrées personnes ont tellement accompagné Diane Duchesse d'Angoulesme, qu'elle ne pouvoit ouir parler du feu Roy Louys le Juste, qu'on ne la vist saisie d'une joye extraordinaire, au recit de ses belles actions son coeur tressailloit d'aise, et témoignoit son extréme contentement par les larmes qu'elle faisoit couler de ses yeux.
Le sieur de Saint Germain n'a pas esté seul qui a loué cette Princesse (dans l'Oraison funebre qu'il a publiée à son honneur) pour avoir rendu de notables services à nos Rois: mais aussi tous nos Historiens modernes (6), entre autres les sieurs de Sainte-Marthe, qui ont fait son Eloge au livre 10. de l'Histoire genealogique de la Maison de France. Aubigné remarque au livre 2. de son Histoire universelle, comme aprés s'estre avancée jusques à Chastelleraud (où elle avoit quelque authorité et quelques droits sur ce Duché, et cette contrée là) pour traiter l'union des deux Rois, elle disposa pour le service de sa Majesté les principaux de [507] la ville qui la visiterent, fit venir à Pigareau en Poitou où elle estoit pour lors, un Gentil-homme nommé Preau qu'elle avoit nourry, et dressa une intelligence par le moyen de laquelle Chastelleraud demeura royale, et Argenton fut ostée à la Ligue. Et de tous les Historiens le President de Thou n'en parle jamais sans eloge. Il l'appelle au livre 5. de sa vie, Heroïne d'une vertu royale: au livre 95. de son Histoire, Femme genereuse et sincere, et d'un esprit ennemy de la brouillerie; et au 115. femme d'un courage masle, rapportant une action genereuse que fit cette Heroïne, quand le Roy Henry IV. Prince incomparable en clemence, receut à son service quelques Princes et Seigneurs qui avoient esté les principaux Chefs de la Ligue: et fit defense à Guillaume de Laubespine Seigneur de Chasteau-neuf, et Chancelier de la Reine Louyse, et à Louys Buisson son Procureur general, de s'opposer à la verification de l'Edit, par lequel il pardonnoit tous les crimes commis durant les fureurs de la guerre civile. Ce grand Monarque qui sçavoit l'affection que cette Princesse portoit à la memoire du Roy Henry III. la fit prier par Monsieur de Bellievre (qui depuis a esté Chancelier de France) de ne se point mesler de cette affaire là: mais jamais il ne pût fleschir son courage, ny changer son dessein. Car elle alla elle-mesme presenter une requeste à Messieurs de la Cour de Parlement qu'elle avoit écrite et signée de sa main au nom de la Reine Louyse, pour avoir justice des autheurs du parricide commis en la sacrée personne du Roy Henry III. et comme on luy eut proposé de faire voir l'ordre qu'elle avoit de la Reine, elle demanda un peu de temps, et envoya l'un de ses Gentils-hommes à Chenonceau en Touraine où estoit Louyse qui luy donna à l'instant. Et trois jours aprés elle revint au Parlement, où elle presenta la requeste de la Reine, comme l'on peut voir dans l'Histoire de ce President qui en a remarqué toutes les particularitez. Au livre 101. il rapporte comme elle fit donner avis au Roy Henry IV. par Philippe Cardinal de Lenoncourt, de quelques pratiques qui se faisoient à Tours contre le service de sa Majesté. Un Cavalier (7) écrivant à ce grand Monarque peu de jours aprés qu'il eut succedé [508] au Roy Henry III. luy mande le zele qu'elle avoit pour l'avancement de ses affaires contre ses ennemis couverts et découverts.
Cette magnanime et genereuse Diane a esté grandement enrichie et ornée des dons de l'esprit et du corps. Le nom de Diane ne luy convenoit point mal, ayant souvent témoigné qu'elle aymoit l'exercice laborieux, et le plaisir innocent de la chaste Chasseresse, comme
A forcer par les bois un cerf au front ramé,
Enferrer un sanglier de defenses armé,
Voir levreter un liévre à la jambe pelue,
Voir pendre le faucon au travers d'une nue. (8)
Que si Diane est chaste, les personnes qui se plaisent à la chasse et à ses exercices, ne sont pas estimez incontinens; au contraire on sçait qu'ils ont en horreur les sales deportemens de Cupidon et de Bacchus: Diane Duchesse d'Angoulesme a fait paroistre sa chasteté et l'amour qu'elle portoit à cette belle vertu, car sa premiere viduité a esté aussi continente en sa jeunesse, que la seconde sur son vieil aage. Son Hostel estoit la maison de Diane. Plusieurs jeunes Dames ont esté nourries et eslevées par cette Heroïne, qui se sont rendues recommandables pour leurs merites et leurs perfections: sur toutes Madame Charlote Marguerite de Montmorency sa niece (estant fille de Henry Duc de Montmorency Connestable de France son beau-frere) Princesse tres-sage et tres-vertueuse, laquelle pendant les adversitez de Monseigneur Henry de Bourbon Prince de Condé son mary, prit une genereuse resolution d'y participer, et luy rendit des preuves signalées d'une si extraordinaire et si constante fidelité, que la posterité l'admirera: Et Marguerite de Foix Comtesse et heritiere de l'illustre Maison de Candale, qui a aussi fait paroistre son affection au Duc d'Espernon son mary, et son courage contre les mutins de la ville d'Angoulesme. Diane legitimée de France, avoit aussi toutes les vertus, qui sont ou meres ou filles de la pudicité, le mépris des delices, et la modestie. On pouvoit dire d'elle avec verité, ce que disoit avec vanité d'une autre Diane Joachim du Bellay touchant les flateurs, les [509] medisans, et les bouffons, car toutes ces sortes de gens estoient bannis de l'Hostel de Diane de France, laquelle affectionnoit les gens de lettres, leur portoit un singulier respect, et leur faisoit plustost du bien qu'aux ignorans.
Aussi elle estoit de la Royale Maison d'Angoulesme, dite communément la Race de Valois. Race dont la memoire est en benediction parmy tous ceux qui ont en recommandation la gloire des armes, et le lustre des lettres et des sciences; qualitez que tous les Rois et les Reines, les Princes et les Princesses de cette très auguste Maison, qui a prés d'un siecle entier regenté l'Empire François, ont possedées en eminence singuliere.
Diane à l'exemple des Princes et des Princesses de son sang, qui ont esté les excellens Genies des bonnes lettres et en ont à juste titre esté appellez les Peres, affectionnoit les sçavans, et faisoit profession des lettres: Car elle parloit les langues Italienne, Espagnole, et quelque peu la Latine; ayant dés ses plus jeunes ans esté portée à apprendre toutes choses bien-seantes à son sexe, et à sa condition, et rencontré de bons Precepteurs, ausquels elle procura de grands biens auprés du Roy son pere.
Elle estoit douée d'un jugement ferme et posé, et d'une heureuse memoire, mesme sur ses derniers ans. Peu de mois avant son decés elle dit un bon nombre de vers qu'elle avoit recitez estant encore fille, en une Comedie qui fut representée devant le Roy Henry II. Une autrefois elle dit un Sonnet qu'elle avoit donné au grand Roy François son ayeul en l'aage de 7. ou 8. ans.
Elle sçavoit tous les noms et surnoms de ses domestiques, et le temps qu'ils avoient demeuré à son service, bien qu'ils fussent en grand nombre, beaucoup y estans retenus plustost par charité que par necessité; bref elle n'oublioit rien que ses bien-faits.
Sa volonté n'estoit pas moins constante à aymer, que sa memoire fidelle à se souvenir; elle estoit portée d'un ardent amour et affection tendre envers ceux de son sang, leurs afflictions et leurs prosperitez luy estoient fort sensibles, elle les assistoit en leurs affaires avec grand soin, vivoit en [510] tres-grande inquietude lors qu'ils estoient en peine, ne se lassoit point de leur bien-faire, jamais ne les abandonnoit, prenoit un singulier contentement de les voir, et du plus loin qu'elle les appercevoit, mesmes en sa maladie derniere, son visage leur témoignoit le contentement de son coeur, ses dernieres volontez leur ont donné une grande preuve que cette affection estoit bien exprimée dans son ame.
Son affection estoit fort portée à ses domestiques, et ne faut pas craindre qu'elle ayt jamais encouru la malediction de saint Paul qui écrit à saint Timothée, que celuy qui n'a pas soin de ses domestiques, est pire qu'un infidele: Elle procuroit le bien de leur ame, donnant ordre à l'instruction des plus rudes, et prenant garde à la façon de vivre de tous. Sa maison estoit interdite aux vicieux; devenir libertin et déreglé en ses paroles, ou en ses actions, estoit poursuivre son congé, rien ne pouvoit retenir à son service, ny les hommes, ny les filles que la vertu: ceux qui se sont arrestez sur ce cube y sont demeurez de pere en fils, et jusques à la troisiéme generation: il s'en est trouvé à sa mort qui l'avoient servie, qui 50. qui 60. ans avec une grande fidelité. On peut dire à la louange de sa famille, que si on la considere depuis ceux qui avoient les premieres charges, ou de ses affaires, ou de sa personne, jusques à ceux qui estoient employez aux offices plus bas, il ne s'en assemblera long-temps une si paisible et si vertueuse. Ce qui la maintenoit estoit la grace que Dieu donnoit à toute la Maison en faveur de la maistresse, le bon exemple qu'elle leur donnoit, et les bien-faits que recevoient tous ceux qui estoient quelque temps à son service.
La pieté a aussi rendu cette Princesse recommandable; elle oyoit tous les jours la sainte Messe, prioit le matin une heure, et le soir autant. Elle prenoit, et comme sçavante et pieuse, un singulier plaisir à entendre la parole de Dieu, et lors que l'infirmité de son aage ne luy a peu permettre d'aller aux Predications publiques, les jours des Festes solemnelles, les premiers Dimanches des mois, en Caresme, et aux Advents, elle envoyoit querir un Pere Minime, pour luy faire et à ses domestiques qui ne pouvoient s'absenter de [511] sa chambre, à cause de ses indispositions et de ses maladies, une exhortation qu'elle écoutoit avec devotion; et frequentoit souvent sur la fin de ses jours les Sacremens de Penitence et de l'Eucharistie.
Elle honoroit les Prelats et les Prestres comme les Anges de Dieu. Ses bien-faits estoient communs à tous les Ordres des Religieux anciens et nouveaux: mais elle affectionnoit par dessus tous celuy des Minimes qu'elle a rendu depositaire de sa conscience, vivante et mourante, et qu'elle a obligée à Tours, à Abbeville, à Vincennes, et à Paris.
Elle prit durant les troubles la protection de la Royale Abbaye de Fleury ou de Saint Benoist sur Loire (9), et fit faire dés l'an 1583. une fort belle chasse pour y mettre la layette dans laquelle reposent les os de ce Patriarche des Moines de l'Occident, que le Cardinal de Chastillon avoit conservez et mis entre les mains du Prieur, et des Religieux de Fleury, quand les Huguenots bruslerent ce Royal Monastere dont il estoit Abbé.
Diane Duchesse d'Angoulesme a fait deux actes de pieté envers la memoire des defuncts, pour raison de quoy elle merite d'estre louée par tous ceux qui suivans les saints Conseils du Prince des Apostres, craignent Dieu et honorent les Rois, qui sont ses Oincts. Car non contente d'avoir suivy la bonne et la mauvaise fortune du Roy Henry III. son frere et son maistre jusques à sa mort; elle eut soin 20. ans aprés son decés que son corps fust apporté de l'Abbaye de Saint Corneille de Compiegne, où il estoit en depost, en celle de Saint Denys au tombeau de son pere et de ses freres (10), et voulut l'y voir mettre en sa presence. Ce qu'elle obtint par sa poursuite, du Roy Louys le Juste et de la Reine Marie de Medicis sa mere lors Regente, peu de jours aprés la mort lamentable du grand Henry. Dés l'année precedente elle avoit demandé à ce Monarque que le corps de la Reine Caterine de Medicis fust apporté de l'Eglise de Saint Sauveur de Blois à Saint Denys, où il fut inhumé le 5. du mois d'Avril de l'an 1609. dans la belle Chappelle qu'elle avoit fait bastir pour luy servir de Sepulchre, au Roy son mary, et aux Princes et aux Princesses de sa Maison.
[512] C'estoit une chose deplorable de voir le corps de ce grand Roy et de cette auguste Reine, femme et mere de nos Rois, qui avoient fait tant de biens durant leurs vies, et obligé par leur liberalité la pluspart de leurs sujets et serviteurs, privez du bien de la sepulture, qui n'est pas desnié aux plus miserables. Ils ne demandoient pas de reposer sous un si lourd fardeau que Mauzole, mais seulement un peu de terre, afin que ce peu fust leger à leurs os. Sans la pieté et la poursuite de Diane Duchesse d'Angoulesme, le corps de ce grand Monarque, le dernier Roy de la liberale Maison d'Angoulesme, dite de Valois, ne reposeroit pas encor dans une terre Royale avec ses predecesseurs, et de deux grands Royaumes n'auroit rien de reste que la couverture du Ciel, sans un monument qui recueillit ses cendres.
Ce n'est pas sans raison que l'on dit que l'amour est plus fort que la mort, parce qu'il survit le trespas, et dompte les dures loix du cercueil, ne s'abreuvant jamais des eaux infortunées de ce fleuve qui fait perdre la memoire. L'esprit de cette Princesse qui avoit tousjours aymé et honoré le Roy Henry III. et qui n'avoit jamais banny le souvenir de ses bien-faits, (car ce Prince luy avoit laissé le Duché d'Angoulesme, l'ancien heritage de ses peres, avant qu'ils fussent parvenus à la Couronne, avec le Comté de Ponthieu) ne fut jamais content qu'elle ne luy vist rendre les derniers devoirs en ce Temple sacré, honoré des reliques de l'Apostre Gaulois, et Patron de nos Rois.
Sa pieté et charité envers Dieu ne pouvoit estre sans celle que nous devons au prochain, qui consiste à ne faire mal à personne, et faire bien à tous, à pardonner, et à donner volontiers, qui est tout ce qu'elle pratiquoit. Elle avoit un roolle de ceux qui recevoient ses aumosnes ordinaires, et sa bourse estoit tousjours ouverte aux necessitez extraordinaires, toutes les autres despenses estoient reglées chez elle, excepté celles de la charité, laquelle dismoit ses revenus, et avoit les clefs de ses coffres pour delivrer les prisonniers, assister les enfermez, soulager les passans, et secourir les honteux, ausquels elle envoyoit ses aumosnes dans des rouleaux qu'elle prenoit plaisir d'agencer, et pour plus [513] grande seureté, les cachetoit de son sceau. Ses liberalitez ne s'arrestoient pas aux necessiteux; mais s'estendoient jusques aux personnes, qui meritoient bien du public, et sur tout à ceux qui luy rendoient quelque service. Dieu luy avoit donné un coeur large comme à Salomon: aussi estoit-elle issue de Princes de la Maison de France de la branche d'Angoulesme, dite de Valois, ausquels la liberalité a esté de tout temps naturelle. Tous les Princes et les Princesses de cette Royale Maison, entre autres les Rois François I. Henry II. Charles IX. Henry III. et Elizabet de la Paix Reine d'Espagne ont creu que toutes les vertus sont obscurcies en une belle ame, si la liberalité ne les éclaire, et que les Grands ne peuvent mieux imiter la divine Majesté qu'en faisant du bien. Ses dons estoient (comme ceux de Dieu) sans repentance, avec choix, prudence, promptitude, affection et joye: qualitez qui les rendoient plus recommandables, et plus grands.
La justice regloit les definitions de son conseil, et l'examen de son trebuchet donnoit la resolution de toutes les affaires qui s'y presentoient, et qui n'estoient pas en petit nombre, à cause des belles terres dont elle jouissoit. Pour les parties casuelles, la Justice en ordonnoit, et la liberalité executoit, tant pour ses domestiques que pour les Etrangers.
Elle a fait cognoistre les vertus de prudence et de constance en plusieurs adversitez: mais particulierement lors qu'elle receut à Tours la nouvelle de la mort de son bon frere le Roy Henry III. elle eut tant de courage que de dissimuler sa douleur deux jours, et tant de sagesse, que de retenir ses larmes, de peur qu'elles n'ébranslassent les coeurs de plusieurs citoyens qu'elle sçavoit estre pratiquez par le party contraire. La nature appella au Conseil la prudence devant que lascher la bonde de ses yeux, la prudence commanda à la constance de les retenir pour quelque temps, et la constance laissa à la nature ses justes regrets, lors que la prudence le permit. Cette sagesse a paru sur la fin de ses jours en l'élection qu'elle a fait des executeurs de son testament, ayant choisi pour cet effet deux personnes que la ca-[514]pacité, la probité, et l'integrité rendoient recommandables; sçavoir, Jean Jaques de Mesme (11), Seigneur de Roissy, Conseiller du Roy en ses Conseils: et Antoine Bouchet (12) sieur de Bouville aussi Conseiller d'Estat, qui a dignement par plusieurs années exercé l'Office de Conseiller en la Cour de Parlement, aussi est-il decedé estant parvenu en son ordre en la place de Doyen des Conseillers. Mais cette Princesse a fait éclater sa sagesse par les dispositions qu'elle a apporté de longue main pour se preparer à la mort, ayant couronné sa bonne vie par une fin tres-pieuse et tres-heureuse. Quelques années avant son decés elle écrivit son testament dans lequel elle ordonna de sa sepulture et de ses funerailles. On vit sa devotion et ses aumosnes croistre tous les jours, l'affection aux choses de la terre diminuer, et son ame se détachant peu à peu du corps paroistre plus divine, ainsi qu'il arrive aux ames des sages, comme dit Platon: lors qu'elle se sentit saisie de la fiévre, causée par une espece de pleuresie et inflammation de poulmon, elle cogneut que Dieu frappoit à sa porte pour l'appeller à soy: son premier soin fut de recourir aux armes avec lesquelles les Chrestiens combattent Satan au dernier passage.
Elle se confessa le second jour au Reverend Pere Olivier Chaillou, Religieux Minime, et petit neveu de Sainct François de Paule, (qui avant qu'entrer en l'Ordre estoit Chanoine de Nostre-Dame de Paris, et avoit refusé l'Evéché de Laon). Le méme jour elle receut le Sainct Sacrement pour viatique des mains d'Antoine Fayet Curé de Saint Paul, et Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, et de la Maison de Navarre: et le troisiéme elle receut l'Extréme-Onction du méme Docteur, ayant l'esprit aussi libre qu'en pleine santé, et un ressentiment de devotion si grand, que tous les assistans jettans des larmes de tristesse, les siennes estoient de pieté et de joye: on n'eust pas dit qu'elle se disposoit pour mourir; mais qu'aprés avoir épousé un grand Prince, elle se preparoit pour faire son entrée dans la meilleure de ses villes.
Ayant muny son ame des Sacremens, elle donna ordre à quelques affaires domestiques, avec un jugement fort sain, [515] et une memoire admirable, remplit ce qui estoit vuide en son testament, et interpreta ce qui pouvoit estre obscur. Le 4. et 5. jour se passerent aux recommandations de ses serviteurs, et en prieres continuelles qu'elle faisoit à Dieu, regardant sans cesse un Crucifix qui estoit sur son buffet, vers lequel elle avoit accoustumé de tourner ses yeux lors qu'elle faisoit ses Oraisons dans sa chambre ou dans son lit: que s'il arrivoit que quelqu'un se mist devant ce tableau, elle luy faisoit signe avec la main de se retirer; action qu'elle fit deux ou trois fois une heure avant que mourir. Elle continua deux jours et deux nuits en cet exercice de priere, faisant de temps en temps le signe de la Croix sur sa bouche avec le poulce: ce qui luy estoit assez ordinaire lors qu'elle estoit en santé, et que saint Hierôme remarque avoir esté pratiqué par sainte Paule, lors qu'elle estoit sur le poinct de rendre l'esprit.
Elle fit de belles remonstrances à tous ses serviteurs d'aymer et de craindre Dieu, se garder de l'offenser, et faire paroistre aprés son depart, que ce n'estoit pas sa presence, et la crainte de luy déplaire qui les empeschoit de mal faire; mais celle de Dieu, lequel estant par tout, et ne pouvant mourir employera sa cognoissance pour nous accuser devant sa Justice. Aprés le service de Dieu, elle leur recommanda soigneusement celuy du Roy, et de ne se departir jamais de son obeissance. Ainsi cette bonne Princesse, comme un Cigne mourant sur le Mince ou sur le Meandre, ne chanta jamais mieux, que lors que d'un méme gosier, elle poussa sa vie et sa voix toute ensemble, le Vendredy onziéme jour de Janvier 1619. à l'heure de midy, ayant ses yeux, ses mains, son coeur vers le Ciel, et sa bouche prononçant les noms de JESUS et de MARIE, estant aagée de 80. ans et quelques mois: son depart fut si doux qu'on eut peine à le recognoistre, la mort ne luy donna aucune secousse violente, et ne changea rien à la serenité de son visage. Une heure devant que mourir elle avoit donné pour la seconde fois la benediction à tous ses domestiques, non seulement comme tres-bonne maistresse: mais comme mere tres-affectueuse.
[516] Ainsi a vécu, ainsi est morte cette incomparable Princesse Diane de France Duchesse d'Angoulesme. Son corps estoit d'assez petite taille, son port grave, son visage riant, son nez un peu aquilin; mais bien tiré, le front ouvert, l'oeil gay et vif, la bouche vermeille, le teint fort blanc; l'aage luy avoit un peu courbé la teste. Son habit estoit fort simple, ce qui témoignoit (selon le precepte de saint Hierôme) qu'elle n'aimoit ny la vanité ny l'ordure, et n'affectoit non plus de paroistre humble que grande. Qui eust veu la beauté de l'ame, eust mesprisé celle du corps: Car elle a tousjours esté veritable en ses paroles, elle haïssoit par dessus toutes choses le mensonge, et son ame sincere ne pouvoit pas supporter ceux qui ont un double coeur, comme les perdrix de Thrace. La médisance, la raillerie, les discours trop libres, et la tromperie n'ont jamais logé en sa bouche, ny en ses oreilles: la courtoisie, la douceur et l'affabilité habitoient en son visage, et paroissoient en tous ses propos. La gardienne de toutes ces belles qualitez estoit l'humilité. Cette Princesse estoit grande au Ciel devant les yeux de Dieu et des Anges, et dans le monde devant les yeux des hommes; mais fort petite devant les siens, jamais sa langue n'a lasché parole de mépris d'autruy, ny advancé discours à sa louange; sa conversation, et toutes ses actions n'estoient que témoignage d'humilité, laquelle faisoit que la pauvreté, qui est un empeschement pour entrer aux chambres des orgueilleux, qui viennent bien souvent de bas lieu, estoit la clef pour ouvrir celle de cette Princesse, fille et soeur de Rois, et que le Grand Henry, cet incomparable Monarque appelloit sa soeur; et la vertueuse Isabelle-Claire Eugenie, Infante d'Espagne et Princesse des Pays-bas, sa bonne tante.
Elle a esté enterrée dans sa Chapelle qu'elle avoit fait bastir en l'Eglise des Minimes de la Place Royale, où on luy a erigé une riche sepulture de marbre, sur laquelle son effigie est élevée par cet excellent Sculpteur Thomas Boudin, avec cette inscription Latine, que je mettray en nostre langue en faveur des Dames.
[517 colonne de gauche] PIIS MANIBUS memoriaeque sacrum
Dianae Franciae Ducissae Engolismensis, Christianissimi Regis Henrici II. natura filiae, et in jura legitimorum naturalium adscriptae, quae primùm Horatii Farnesii Ducis Castrensis in obsidione Hedina caesi paucis diebus uxor, postmodum Francisco Momorantio Illustrissimae familiae Principi elocata, susceptóque ex eo unius diei et longi moeroris filio vidua relicta, diu superstes fuit, cùm aliarum virtutum concursu, tum integra pudicitiae fama insignis cultúque in Deum Regémque incomparabili: cujus vel maximum documentum dedit cùm sub initia civilis belli deposito apud illam fidei pignore inter duos potentissimos Reges Henricum III. Francorum, et ejus mox successorem Henricum Navarrorum Regem mutua concordia atque amicitia stabilita est; tandem ut quod acerbo prolis occasu perdiderat adoptione resarciret, moriens Franciscum Valesium ex Regia stirpe pronepotem sibi heredem ex asse instituit, eíque, incertae mortalium vitae memor, Lu-[518 colonne de droite]dovicum Fratrem non minus virtutis quàm sanguinis conjunctione germanu substituit. Obiit octogenaria major anno salutis supra mille sexcentos undevigesimo 3. Idus Ian.
[517 colonne de droite] A LA MEMOIRE
de Diane de France Duchesse d'Angoulesme, fille naturelle du Roy Tres-Chrestien Henry II. et honorée du titre des enfans legitimez, laquelle premierement fut femme durant peu de jours d'Horace Farnese Duc de Castres, tué au siege de Hesdin; puis aprés mariée à François de Montmorency Chef d'une tres-illustre Maison, duquel ayant eu un fils d'un jour, mais d'une longue douleur et tristesse, est demeurée veuve, et a vécu plusieurs années, recommandable pour ses vertus, comme aussi pour sa pudicité, sa pieté envers Dieu, et sa fidelité envers le Roy, de laquelle elle donna un asseuré témoignage, quand au commencement de la guerre civile elle établit une ferme paix et union entre deux puissans Rois Henry III. Roy de France, et Henry IV. Roy de Navarre, qui fut aprés son successeur, lesquels avoient deposé leur foy entre ses mains. Enfin pour recouvrer par l'adoption ce qu'elle avoit perdu par la mort tres-amere de son seul fils, mourant elle institua heritier universel François de Valois, Prince de la Maison Royale son petit neveu, et memorative de l'incertitude de la vie des mortels, luy substitua Louys son [518 colonne de gauche] frere germain, non moins par sa vertu que par la noblesse de son sang. Elle est morte aagée de plus de quatre-vingts ans, l'onziéme de Janvier de l'an mil six cens dix-neuf.
Ces paroles sont gravées en une plaque de cuivre sur son cercueil.
Diane L. de France, fille et soeur legitimée des Rois, Duchesse d'Angoulesme, douairiere de Montmorency, decedée à Paris l'onziéme de Janvier 1619.
Le 5. de Fevrier de la mesme année on fit ses pompes funebres en l'Eglise des Minimes de la Place-Royale, ausquelles Christofle de l'Estang (13) Evéque de Carcassone celebra la grand' Messe, où assisterent les Evéques d'Angers, de Sées, de Grenoble, et autres en grand nombre: son neveu Charles de Valois Duc d'Angoulesme et Comte d'Auvergne, ses deux enfans l'Evéque d'Agde et le Comte d'Alais, la Duchesse d'Angoulesme, la Connestable de Montmorency, et plusieurs Princesses et Dames. La Musique du Roy chanta le De profundis, et Mathieu Morgues sieur de Saint Germain, Docteur en Theologie, Predicateur ordinaire du Roy, et nommé par sa Majesté à l'Abbaye de Gondon, prononça l'Oraison funebre qu'il a donnée au public.
L'onziéme de Janvier de l'an 1620. on celebra l'anniversaire, où se trouverent Mesdames les Princesses de Condé: le Duc d'Angoulesme, ses deux enfans l'Evéque d'Agde, et le Comte d'Alais: le Duc et la Duchesse de Montmorency: la Connestable de Montmorency: l'Amirale et Duchesse d'Anville: le Comte de Coligny, et plusieurs autres Chevaliers de l'Ordre.
Quelques Ecrivains appellent cette Princesse Diane de Poitiers ou de Valentinois, Duchesse d'Angoulesme; d'autres l'ont creu (peut-estre pour avoir leu ces Autheurs là) fille de Diane de Poitiers Duchesse de Valentinois, ce qui n'est pas; sa mere estoit une Dame Piémontoise (comme j'ay remarqué cy-dessus) et il y a bien de la difference entre Diane legitimée de France, Duchesse d'Angoulesme, [519] douairiere de Castres et de Montmorency, et Diane de Poitiers (14) Duchesse de Valentinois, Comtesse de Maulevrier, Dame d'Anet, et de Saint Valier.
Diane de Poitiers estoit fille de Jean de Poitiers, Seigneur de Saint Valier, et de Jeanne de Batarnay, sa premiere femme (15): elle fut mariée à Louys de Brezé, Comte de Maulevrier, Seigneur d'Anet, Gouverneur et grand Seneschal de Normandie, duquel elle eut deux filles Françoise de Brezé Duchesse de Bouillon, et Louyse de Brezé Duchesse d'Aumale. Aprés la mort de Louys de Brezé son mary, le Roy Henry II. qui l'aymoit grandement, et qu'elle possedoit entierement, luy donna le titre de Duchesse de Valentinois, dont elle jouit jusques au jour de son decés, qui fut le 26. Avril de l'an 1566. et fut inhumée dans la belle Chapelle qu'elle avoit fait bastir en son Chasteau d'Anet (que les Poëtes de son temps appelloient Dianet) aprés avoir partagé ses biens entre sa 2. fille Louyse Duchesse d'Aumale, et les enfans de l'aisnée. Par son testament elle a ordonné que si elle decedoit à Paris son corps fust premierement porté à l'Eglise des Filles Penitentes, et de là à Anet; et fait voir l'aversion qu'elle avoit de la Religion Pretendue Reformée (16).
Les devises de Diane Duchesse de Valentinois, estoient plus propres à Diane Duchesse d'Angoulesme. La premiere estoit un dard ou une fléche, (symbole des armes de la chaste Diane, Deesse de la Chasse) avec ces mots Latins, sur un ruban qui entouroit le dard, CONSEQUITUR QUODCUMQUE PETIT, Elle obtient tout ce qu'elle demande. Elle témoignoit par cette devise la faveur qu'elle avoit prés du Roy Henry II. et le pouvoir qu'elle avoit sur l'esprit de ce Prince, qui ne luy pouvoit rien refuser; comme aussi sur tous les Grands de ce Royaume, et vers le Roy François I. ayant obtenu de ce Monarque la grace pour son pere le Seigneur de Saint Valier, qui pour avoir favorisé la retraite de Charles Duc de Bourbon hors de la France, fut arresté prisonnier par le commandement du mesme Roy, et condamné à avoir la teste trenchée. Ce qui toutesfois ne fut pas executé, sa Majesté luy ayant envoyé sa grace à l'instance de cette Dame, de laquelle ce Seigneur Daufinois, de la [520] noble et ancienne Maison de Poitiers (qui a possedé les Comtez de Valentinois, et de Diois, et issue des anciens Comtes de Poitiers, et Ducs de Guyenne) eust jouy pleinement, si l'apprehension qu'il avoit conceue de sa mort ne l'eust desja reduit en telle fievre, que peu de mois aprés il deceda, d'où est venu le Proverbe, De la fiévre de Saint Valier (17).
Diane Duchesse d'Angoulesme, non par ses appas, ses attraits, ses charmes, et ses artifices; mais bien par sa vertu, et son merite, a obtenu plusieurs graces et faveurs signalées de ces trois Henrys, II. III. et IV. pour plusieurs Princes et Seigneurs ses parens et alliez, particulierement pour François Duc de Montmorency son second mary, et a esté pour ses perfections en estime et en honneur par tous les Princes et les Princesses, non seulement de ce Royaume, mais aussi des pays étrangers. L'Infante Elizabet Archiduchesse sa niece (estant la fille aisnée de sa soeur Elizabet de France, Reine d'Espagne) la choisit entre les autres Princesses de France, pour la representer aux ceremonies du Baptéme des Enfans de France faites l'an 1606. au mois de Septembre à Fontaine-bleau, où elle nomma pour cette Princesse Duchesse de Brabant, Madame Elizabeth de France, fille aisnée du Roy Henry le Grand, et de la Reine Marie de Toscane, qui depuis a esté Reine d'Espagne.
Diane de Poitiers avoit encore cette autre devise, de laquelle le corps estoit un tombeau, d'où sortoit une fléche entourée de quelques branches et surgeons d'un arbre verdoyant, avec ces mots: SOLA VIVIT IN ILLO, En iceluy elle vit seule, comme voulant dire que la seule esperance de la resurrection nous fait vivre au plus profond des sepulchres. Cette belle devise, ny la troisiéme, qui estoit une Diane victorieuse de Cupidon, qu'elle avoit terrassé et mis sous ses pieds, avec cette inscription Latine, OMNIUM VICTOREM VICI, J'ay vaincu le vainqueur de tous(18), ne furent pas pratiquées en effet par Diane Duchesse de Valentinois; mais bien par Diane Duchesse d'Angoulesme.
(1) Cette Princesse portoit de France, d'azur à 3. fleurs de lys d'or, 2. et 1. brisé d'un filet d'argent en barre.
(2) François de Billon en son Fort inexpugnable du sexe feminin.
(3) Farnese, d'or à six fleurs de lys d'azur 3. 2. 1.
(4) En ce temps là le Roy Henry II. fit les ordonnances contre les mariages clandestins.
(5) Le sieur de Morgues en l'Oraison funebre de cette Princesse.
(6) P. Mathieu. J. B. le Grain. J. de Serres. Du Pleix. J. Charron.
(7) Le sieur du Plessis Mornay en ses memoires.
(8) Ronsard.
(9) Guillaume Morin en son Histoire de Gastinois.
(10) J. Doublet en ses Antiquitez de Saint Denys.
(11) De Mesme, au 1. d'or, au croissant montant de gueules: au 2. et 3. d'argent à deux lyons leopardez de gueules: au 4. d'or, à une estoile de sable, au chef de gueules, et à la pointe ondée d'azur.
(12) Bouchet, d'argent, à une merlete de sable, au chef de gueules, chargé de trois besans d'or.
(13) De l'Estang en Limosin, d'azur, à deux carpes d'argent posées en fasce. Ce Prelat écarteloit de sable au rocher d'or, qui est de Jouyé, et sur le tout, d'or à la fasce de gueules accompagnée de 3. treffles de sinople, 2. en chef, et 1. en pointe.
(14) Poitiers, d'azur, à six besans d'argent 3. 2. 1. au chef d'or.
(15) A. du Chesne en son Histoire genealogique des Seigneurs de saint Valier.
(16) Testament de la Duchesse de Valentinois.
(17) Louys d'Orleans en ses ouvertures de Parlement. Est. Pasquier en ses Recherches.
(18) Au cabinet des Medailles de la Bibliotheque des Minimes de la Place Royale.