Antoinette d'Orléans-Longueville/Hilarion de Coste : Différence entre versions
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[I,148] ANTOINETTE D'ORLEANS, MARQUISE DE BELLE-ISLE. Fondatrice de la Congregation des Benedictines de Nostre Dame du Calvaire.
CETTE sage et vertueuse Princesse estoit la 2. fille de Leonor d'Orleans Duc de Longueville et Marquis de Rothelin, Comte de Neuf-chastel en Suisse, et de Marie de Bourbon Duchesse d'Estouteville, et Comtesse de Saint Paul sa femme. Elle fut nourrie à la pieté et aux bonnes moeurs par sa mere avec ses freres Henry Duc de Longueville, et François Comte de Saint Paul et Duc de Fronsac, et ses autres soeurs, Caterine et Marguerite, lesquelles n'ont point voulu d'autre époux que JESUS-CHRIST, et par leur sainte vie ont edifié toute nostre France, et Leonor Comtesse de Thorigny et de Matignon.
Antoinette estant en âge d'estre mariée épousa Charles de Gondy Marquis de Besle-Isle, fils aisné d'Albert de Gondy Duc de Rais, Pair et Mareschal de France et de Claude Caterine de Clermont de Vivonne sa femme. Ce brave Marquis ayant en divers occasions et rencontres donné de bonnes preuves de son courage et de sa valeur durant les guerres civiles, fut tué au Mont Saint Michel en Normandie l'an 1596. delaissant Antoinette sa femme mere d'un seul fils, Henry de Gondy Duc de Rais et de Beaupreau, qui a eu deux filles Caterine et Françoise de Gondy, de sa femme Jeanne de Sepeaux, fille et heritiere de Guy de Sepeaux Duc de Beaupreau et Comte de Chemillé et de Marie de Rieux. Caterine de Gondy a épousé avec dis-[149]pense son cousin Pierre de Gondy Duc de Rais et Comte de Joigny, fils aisné de Philippe Emanuel de Gondy Comte de Joigny, Marquis des Isles d'or, et General des Galeres de France, et de Françoise Marguerite de Silly, et Françoise de Gondy mariée au fils aisné de Monsieur le Duc de Brissac. Cette devote Marquize a mené une vie vrayement Chrestienne tant durant le temps de son mariage, que celuy de sa viduité: car pour avoir passé plusieurs années à la Cour, elle n'a jamais pris les moeurs de la Cour, estant de celles qui usent de ce monde, comme n'en usans point: car elle s'est conservée dans une grande pieté parmy tous les honneurs et les delices de la Cour. C'estoit une fontaine d'eau douce au milieu du sein de la mer, un Pirauste et une Salemandre dans les feux et dans les flames sans se brûler, un Alcion nichant sur les flots de la mer orageuse du monde sans se submerger: car encore qu'elle fût dans un Ocean d'honneurs, et de commoditez temporelles, neantmoins son coeur, ainsi qu'une mere perle, ne se nourrissoit que de la rosée du Ciel, sans contracter la salure des affections de la terre.
Comme bien instruite en la vie spirituelle, sçachant que la figure du monde se dissipe et sa convoitise se passe: trois ans aprés estre demeurée veuve estant inspirée d'enhaut, elle renonça aux Duchez, et fit profession de la vie Monastique, pour vaquer plus commodément à la contemplation, et quitta l'Auguste et Royal nom d'Orleans, pour prendre celuy de la soeur du Patriarche de la pluspart des Moines de l'Occident, estant nommée dans le Cloistre, Antoinette de Sainte Scholastique.
Ce fut dans le devot Monastere des Filles de Saint Bernard ou les Fueillantines de Tolose, qui avoit esté nouvellement institué, qu'elle prit le saint habit de Religion, où elle a mené une vie toute du Ciel, pratiquant les austeritez de la Regle ou des constitutions du Pere Saint Bernard, et de Dom Jean de la Barriere Abbé des Feuillans, comme je vous feray voir en cette vie.
La fidele servante de Dieu et tres-noble Princesse, laissa le monde entre 26. et 27. ans, en la fleur de ses [150] plus beaux jours, combatue de l'amitié et du soin de son fils unique, aymée cherement de ses parens qui tenoient rang entre les premiers du Royaume, estimée par toutes les personnes de merite, et en la vigueur de son jugement, pour ne se laisser pas emporter à une devotion volage. Aussi jamais une resolution ne fut poursuivie et executée avec plus de constance. Au desceu de tous, elle alla se rendre à Tolose avec les Meres Feuillantines (quasi à méme temps que le Duc de Joyeuse dit adieu à la Cour du Grand Henry pour rentrer dans l'Ordre des Capucins) ce lieu fort separé de toutes ses habitudes, et celebre par la renommée d'une grande aspreté et sainteté de vie, luy ayant agreé sur tous les autres.
Si la Cour de France fut fort estonnée qu'Henry Duc de Joyeuse et Comte du Bouchage luy avoit faussé compagnie: elle s'estonna encore davantage du mépris qu'Antoinette Marquise de Belle-Isle fit de sa vie, s'estant retirée à petit bruit et à petit train de Bretagne, pour se venir rendre dans un Convent. Genereuse resolution à une Princesse issue des Maisons si illustres que celles de Bourbon et de Longueville.
Comme par la mort du Marquis de Belle-Isle son mary, elle se vid en la liberté d'une triste viduité: elle fit voir qu'elle n'estoit plus pour les hommes, ny pour les grandeurs du monde, ny pour les vanitez de la Cour. Deslors l'Amour de Dieu (dont elle avoit esté saisie parmy les plus grands honneurs et les plus charmantes delices de la terre) s'empara de son coeur si absolument, qu'il ne luy en resta rien pour penser au monde, pour voir le monde, pour parler au monde, ny demeurer au monde. Elle se dépouilla de toutes les affections mondaines, et n'en reserva qu'un seul desir de voir son fils Henry Duc de Rais et de Beaupreau, élevé à la Vertu comme à la Pieté, et aux bonnes moeurs autant qu'aux bonnes lettres et aux armes. Pour executer ce dessein là, elle rompit courageusement toutes les racines qui la retenoient en terre, et l'empéchoient de s'élever au Ciel, elle passa sur les puissances du Monde, de la Chair et du Diable. Antoinette d'Orleans traversa les mémes empeschemens [151] qui se presenterent à sainte Paule, quand elle voulut changer le sejour de Rome à celuy de Bethleem, et quitter les lys, les oeillets et les roses de la Cour, pour cueillir les ronces et les épines du Calvaire. Les difficultez furent grandes en sa maison, plus grandes au voyage, tres-grandes à l'arrivée. J'ay appris de Mathieu au livre second de l'Histoire d'Henry IV. qu'elle rencontra l'Evéque de Bayonne, lequel la méconnut, et creut, comme elle vouloit faire croire, qu'elle n'avoit autre dessein que de la poursuite de ses affaires au Parlement de Tolose. Mais quand à la 2. ou 3. journée ce Prelat la reconnut, et qu'il la traicta en Princesse, elle demeura estonnée, comme celuy auquel le masque tombe sans y penser, et se plaignoit à toute heure qu'estant une simple Demoiselle qui alloit à Tolose, pour des procez qu'elle avoit à ce second Parlement de France, il la traictoit pardessus sa qualité. Elle ne craignoit point de dissimuler pour tromper le monde, qui se fust efforcé de l'arrester en ses tromperies, et ne croyoit point que le mensonge fust mauvais, qui profitoit à la justice de son dessein, et n'offensoit pas celuy qui l'écoutoit. Il reconnut non seulement ce qu'elle estoit, mais encore ce qu'elle vouloit devenir, et le changement qu'elle projettoit. Il en écrivit promptement au Premier President de Tolose pour l'empécher, et defendre aux Feuillantines de la recevoir: mais elle avoit si bien pris ses mesures, et si bien pourveu à ces accidens, que sa devotion eut le devant, et gagna tous les conseils qu'on prenoit pour la retenir. Le méme Mathieu remarque, comme aussi le President de Thou, Cayer et du Pleix, que son frere le Comte de Saint Paul et ses beaux freres, coururent aprés pour l'en détourner, mais elle estoit desja dans le Convent resolue d'y finir ses jours: ils n'en rapporterent autre chose que l'estonnement d'une si difficile resolution, parmy des austeritez incroiables: Elle estoit si constante et si contente en la vie Religieuse, qu'elle les pria de ne se soucier plus d'elle, parce qu'en un contement [sic] si parfait et un bon-heur si accomply, elle n'avoit pas besoin de chose du monde.
Elle arriva au Convent des Feuillantines de Tolose, [152] comme ces fideles servantes de Dieu encores en petit nombre, jettoient les fondemens de l'exacte observance de la Regle de Saint Benoist (duquel Saint Bernard Religieux de l'Ordre de Cisteaux, et Patron de la Congregation de Nostre Dame des Feuillans estoit disciple) avec une tres-profonde humilité, une pauvreté tres-estroite, et la pratique de toutes les autres vertus, capables de contenter une ame, comme estoit la sienne, qui aspiroit à aymer Dieu parfaitement. Deslors la Divine Majesté voulut qu'Antoinette fit son apprentissage en cette bonne escole, et que contribuant à l'edifice temporel et spirituel de ce tres-devot Monastere, elle apprit comme il faudroit tracer le plan de plusieurs autres, qu'elle devoit fonder avec des travaux d'autant plus grands, qu'ils auroient plus grande estendue.
Aprés que cette Princesse eut passé 7. ans en ce desert delicieux, où reluisante en toutes les vertus Religieuses, elle exerçoit la charge de Prieure, avec un contentement indicible de toutes ses soeurs: Dieu inspira le Pape Clement VIII. qui avoit appris de bonne part comme Antoinette de Sainte Scholastique avoit fait un signalé progrez en la vie spirituelle dans cette Maison des Meres Feuillantines de Tolose: il luy commanda de quitter ce Monastere, afin de prendre l'Administration de la celebre Abbaye de Fontevraud sur les limites de ces trois Provinces, l'Anjou, le Poictou et la Touraine, aprés le decez de Leonor de Bourbon Abbesse, tante unique du Roy Henry le Grand. A quoy elle eut beaucoup de peine à se resoudre, faisant de continuelles remonstrances à sa Sainteté, pour luy faire sçavoir qu'elle n'estoit pas capable de commander; aussi nous verrons en cette vie, qu'elle ne voulut jamais prendre la qualité d'Abbesse ny de Coadjutrice, tous les sept années qu'elle y a demeuré, jusques au decez d'Eleonor qui mourut l'an 1611.
Cette devote Princesse ayant donc esté tirée à toute force par le commandement du Vicaire de Dieu en terre, de son Monastere de Tolose, pour estre mise comme une lampe ardente sur un haut chandelier, et pour faire voir la lumiere de ses bons exemples, dans le grand Ordre de [153] Fonte-Evraud peuplé maintenant de 53 Monasteres. Congregation sainte, qui dépend immediatement du Saint Siege, et s'est jadis répandue en Angleterre, en Espagne et au Levant, et a esté gouvernée en ces derniers siecles par plusieurs Princesses de la Maison de France, à sçavoir Isabelle de Valois, Marie de Bretagne, Anne d'Orleans ou de Valois soeur du Roy Louis XII. Renée, Louise, et Eleonor de Bourbon, une autre de Bourbon Lavedan, et Jeanne Baptiste legitimée de France, qui tient aujourd'huy la Crosse de cette Abbaye là et gouverne cet Ordre sacré, lequel s'est maintenu dans l'observance reguliere durant les guerres civiles.
Antoinette de Sainte Scholastique ou d'Orleans Longueville, s'opposa premierement le plus fortement qu'elle pût, aux desseins du Pape Clement VIII. du Roy Henry IV. et d'Eleonor de Bourbon Abbesse de Font-Evraud, sur la resolution et le zele qu'elle avoit prise de ne se point départir de son premier institut. Ce qui fut cause que le bon Pape Clement ne luy envoya qu'un Bref, par lequel il luy commandoit expressément de sortir du Convent des Feuillantines, pour aller à Font-Evraud assister et soulager l'Abbesse Eleonor en qualité de Vicaire pour un an: luy permettant de vivre en sa regle et en son habit, comme elle avoit supplié sa Sainteté avec instance. Antoinette n'eust pas si tost receu le commandement du Pape Clement, qu'elle sortit du Monastere des Feuillantines pour venir à Font-Evraud, où elle arriva le 25. d'Octobre de l'an 1604. estant accompagnée de son cousin Charles Comte de Soissons, et de sa soeur Mademoiselle de Longueville, qui travailloit en cette saison là à la fondation de l'Ordre des Carmelites en France. Le méme jour le Pere Raymond d'Estrictis Jesuite, qui par le commandement du Roy Henry IV. luy avoit tenu compagnie depuis Tolose, leut le Bref de Clement VIII. tout haut devant la grande Grille, avant qu'elle entrast dans ce Monastere là.
Trois jours aprés estre arrivée elle commença à exercer sa charge, tousjours la premiere au choeur: et aprés les Matines (qui par tout l'Ordre de Font-Evraud se disent à mi-[154]nuict) elle passoit quasi le reste de la nuict en oraison: avoit un soin particulier des malades, leur rendoit toutes sortes d'offices, et dans les sept ans qu'elle a esté au grand Monastere de Font-Evraud, il n'est point mort aucune Religieuse qu'elle n'ait ensevely.
Eleonor de Bourbon et toutes les Religieuses de cette Royale Abbaye, furent si edifiées de sa sainte vie et bonne conversation, qu'ils supplierent Paul V. au commencement de son Pontificat, de commander à cette religieuse Princesse, de demeurer dans l'Abbaye de Font-Evraud, non pour une année, mais tous les jours de sa vie.
Eleonor le fit demander à sa Sainteté par son neveu le Roy Henry le Grand: De sorte qu'elle obtint jusques à 3. Brefs du Pape Paul, pour obliger Antoinette à ne point quitter Font-Evraud; le dernier estoit le plus pressant; car il portoit injonction sur peine de desobeïssance, et menace d'excommunication; ce qui l'obligea à prendre la resolution d'obeïr aux volontez de ce successeur du Prince des Apostres, et de rompre la dureté et opiniastreté de son humilité, qui ne luy pouvoit pas persuader qu'elle fust propre pour commander dans l'Ordre de Font-Evraud: mais qu'elle devoit vivre dans l'obeïssance au Monastere des Feuillantines de Tolose, où elle avoit pris l'habit et fait profession de l'Ordre de Cisteaux. René Gautier sieur de Boumois, Conseiller du Roy en ses Conseils (lors Advocat general au grand Conseil) lequel a fait honneur à son pays d'Anjou, et obligé toute la France, par tant de Livres de Devotion et de Pieté, qu'il a traduits en nostre langue, fut sur la fin de l'an 1605. envoyé à Rome en qualité de grand Procureur de l'Ordre de Font-Evraud, pour obtenir les Lettres de Coadjutorerie à future succession; et revint au bout de 3. mois l'an 1606. Les Lettres qu'il apporta furent leues le 29. Septembre, feste de Saint Michel de l'an 1607. dans le Chapitre de Font-Evraud, en presence de plusieurs personnes de qualité. La lecture des Lettres de sa Sainteté ayant esté faite depuis à Antoinette, elle prit l'habit de l'Ordre de Font-Evraud, de la main de l'Abbesse Eleonor dans le logis Abbatial; et puis elle fut conduite dans [155] le Chapitre par la grand'Prieure et les Religieuses anciennes, où elle fit le serment qui est couché au long dans l'Histoire de l'Ordre de Font-Evraud, qu'a écrite le Reverend Pere Honorat Nicquet de la Compagnie de JESUS. Antoinette d'Orleans ayant fait le serment fut mise en possession de l'Abbaye, aprés que le Cantique de Saint Ambroise et de Saint Augustin fut chanté. Estant conduite au siege Abbatial dans le choeur, son humilité se contenta de se mettre à genoux sur la seconde marche: elle fit le méme aux autres endroits destinez au siege de l'Abbesse, cependant cette vertu d'humilité qui possedoit veritablement le coeur de la Religieuse Princesse, luy donnoit mille et mille regrets de vivre en superiorité: comme une condition opposée aux extremes abaissemens de celuy qui s'est humilié jusques à la mort, et à la mort de la Croix. C'est pourquoy elle fit tant envers Paul V. par le moyen du Cardinal de Joyeuse qui la favorisa en son dessein, qu'elle obtint secretement de sa Sainteté sa demission l'an 1610. quelques mois devant le decez d'Eleonor de Bourbon, qui mourut le 26. de Mars de l'année 1611. Elle ne fit point paroistre son Bref qu'elle avoit obtenu du Pape, par la faveur du Cardinal de Joyeuse, qu'aprés avoir rendu les derniers devoirs et les honneurs funebres à Eleonor de Bourbon. Ce fut le Dimanche octave de Pasques, qu'ayant assemblé dans la Chapelle de Saint Benoist, tout le Convent et nombre de Religieux; elle supplia toute la compagnie d'avoir agreable sa deposition, Qu'elle jugeoit necessaire pour son salut, tant elle estoit(ce sont ses paroles) dépourveue des conditions requises en une personne qui se doit charger du gouvernement des autres, sur tout d'un si grand Ordre comme esteluy[sic] de Font-Evraud. Ces discours d'Antoinette d'Orleans, donnerent une indicible douleur au coeur de ces Religieuses, qui par leurs larmes témoignerent comme elles estoient saisies de tristesse en leurs ames, par une nouvelle si triste et si inesperée que celle-là. Mais la resolution de cette tres-vertueuse Princesse estoit à l'épreuve des plus rudes atteintes. Elle avoit écrit au Roy Louis XIII. et à la Reyne Marie de Toscane sa mere (lors Regente) pour supplier leurs Majestez, de [156] vouloir agreer qu'elle se retirast de Font-Evraud, et que l'Abbaye et tout l'Ordre fust pourveu d'une personne capable. Armand Jean du Plessis Evéque de Luçon, (depuis Cardinal de Richelieu) receut les ordres de leurs Majestez, pour aller faire sçavoir leurs volontez à Font-Evraud, où ce Prelat estant arrivé, il fit assembler toutes les Religieuses au choeur, le soir aprés Complies, l'onziéme de May veille de l'Ascension. Il conjura cette Dame là de vouloir continuer en la charge qu'elle avoit si heureusement commencé d'exercer, qu'il y alloit de la conscience, que telle estoit la volonté du Roy et de la Reyne. Mais cét eloquent Prelat ne pût jamais luy persuader de demeurer à Font-Evraud pour y tenir la Crosse. Cette religieuse Princesse n'a qu'une raison, qui est qu'elle ne peut plus vivre dans le commandement, mais dans l'obeïssance: c'est pourquoy elle demande avec instance d'estre déchargée de ce pesant fardeau de l'Abbaye de Font-Evraud. L'Evéque de Luçon admirant la constance d'Antoinette entra en Chapitre, le lendemain de la Feste suivant les ordres du Roy, pour faire lecture des Lettres de sa Majesté, par lesquelles il leur permettoit de faire élection de deux Religieuses de l'Ordre, nommées dans sa Commission.
Antoinette de sainte Scholastique, se retira le jour de sainte Anne de l'an 1611. à l'Encloistre en Gironde Maison de l'Ordre de Font-Evraud, d'où elle sortit pour établir un nouvel Ordre en l'Eglise, et vivre dans une plus estroitte solitude en la Congregation de Nostre Dame du Calvaire. C'est dans la Royale et sainte Abbaye de Font-Evraud, et dans cét Ordre là, où la fervente Congregation des Benedictines du Mont de Calvaire, s'est élevée comme une grande flame, qui se porte au loin, et dont la vigueur ne se peut borner dans le lieu où elle commence, le premier feu semblable au feu perpetuel du Sanctuaire, qui servoit pour allumer les autres feux, y ayant esté apporté du Monastere des Feuillantines de Tolose.
Le sacré Ordre de Font-Evraud fut comme le saint Temple, auguste pour son antiquité et sa pieté, dans lequel ce brazier fut assemblé, et où le souverain Prestre qui parut à [157] Ezechiel vestu de lin tres-blanc, Jesus l'Epoux des Vierges, prit du milieu des roues des Cherubins, ces vifs charbons enflammez par les inspirations et comme par le souffle des Anges, pour les épandre de sa main parmy les villes et les peuples, afin qu'ils bruslent et qu'ils fassent monter le parfum d'une Oraison et Mortification continuelle, sur les Autels qu'il luy plaist bastir de nouveau, en la memoire et en l'union du dessein de celuy que luy méme dressa sur le Mont de Calvaire.
Ce que l'on peut approprier aux Religieuses de la Congregation de Nostre Dame du Calvaire, si elles répondent dignement à leur vocation: car il semble par plusieurs notables indices, que Dieu les ait appellées à cette fin excellente, qu'il daigna deslors inspirer à Antoinette d'Orleans leur Fondatrice, selon qu'il a de coustume de verser avec abondance dans les premiers autheurs des oeuvres de sa Grace, ainsi que dans la source, l'esprit qu'il veut faire couler dans les ruisseaux de la posterité.
L'ame de cette tres-devote et tres-religieuse Princesse, fut tousjours vivement touchée de deux forts mouvemens, ordinaires en tous ceux que Dieu employe pour entremetteurs de sa gloire, et ausquels il veut confier ses secrets. Le zele de servir à étendre le Royaume celeste luy transperçoit le coeur, le regret de voir l'honneur de Dieu tant delaissé, luy estoit pour ainsi dire ce glaive de douleur, qui entama si avant l'esprit de la Vierge, languissante et demy-morte au pied de la Croix de son Fils, non tant par le déplaisir de sa mort, comme pour voir l'ingratitude et la double condamnation de ceux pour lesquels il donnoit sa vie.
Mais aussi le desir de la solitude la tiroit si violemment, que ce luy estoit comme une chaisne passée et nouée bien estroitement à l'entour de toutes ses affections: De sorte qu'il faut advouer, qu'elle estoit captive en quelque lieu qu'elle fust hors de sa cellule, encore qu'elle fust occupée pour la gloire de Dieu.
Et combien que ce fust ce seul object, dans lequel il luy faisoit reluire sa volonté par les commandemens exprés du Pape Paul V. reiterez tant de fois, qui la tinst separée de [158] sa premiere et plus douce retraitte entre les meres Feuillantines: si est-ce que jamais elle ne cessa jusques au dernier soûpir de sa vie, de tourner les yeux vers ce lieu, comme vers sa patrie et sa Jerusalem, se reputant par tout ailleurs estre en exil: comme assujettie sous une tres-dure servitude, d'autant plus difficile à supporter, qu'elle se voyoit appellée dans l'Ordre de Font-Evraud pour y commander. Ce qui ne procedoit pas de quelque inclination naturelle et imparfaite, qu'elle eut de retourner aux Feuillantines de Tolose: mais pour ce qu'elle estimoit qu'elle y pourroit jouir de la conversation divine, avec un repos plus tranquille: desirant beaucoup plus s'il eust esté à son choix, d'estre novice pour jamais, que Fondatrice et maistresse de tant de filles, qu'elle a institué en la vie spirituelle.
Dieu seul autheur de ces deux mouvemens, connoist la grandeur des souffrances et des merites qu'ils ont apportez à ceste ame là: ce furent eux qui la guiderent comme deux Astres lumineux en la nuict obscure, dans laquelle il pleut à Dieu tenir long-temps cet oeuvre caché à tous les jugemens humains, ne luy en permettant la veue à elle méme, que par quelques esclairs. Ce furent eux qui la persuaderent de fonder le dessein de cét Ordre naissant, sur deux rochers tres-fermes, l'un desquels est le saint Mont de Calvaire, où le Sauveur nous ouvrit le chemin du Ciel, l'autre, celuy où Saint Benoist trouva cette grotte si aspre et si sauvage, en laquelle il commença sa maniere de vie angelique.
Ce ferme bastiment est hautement loué par l'Escriture, quand elle dit, Que les Commandemens de Dieu dans le coeur d'une sainte femme, sont comme des fondemens eternels sur la pierre solide. Or quel object pouvoit mieux convenir au zele de cette bonne ame pour la gloire de Dieu, que celuy d'imiter sa Mere sur le Mont de Calvaire? C'est là que cette grande Reyne acquist la couronne du martyre d'amour par dessus tous les Anges et tous les hommes: c'est là que nous presentant ce glaive de douleur qui luy traversa la poitrine, elle apprend aux chers serviteurs de son fils, de ne se donner jamais repos qu'ils ne s'emploient à l'advancement [159] de son regne au travers de mil perils, et qu'ils doivent ressentir les offenses que l'on commet contre son nom, comme si l'on enfonçoit dans leurs flancs autant de pointes de tranchantes espées.
Tels furent les ressentimens de cette fidelle servante de Jesus-Christ crucifié, laquelle outre son souhait general de l'heureux estat de l'Eglise, eut tousjours en recommandation tres-particuliere, le recouvrement de la terre Sainte, comme du pays natal du fils de Dieu, et de sa Mere, et le restablissement de l'Ordre de Saint Benoist, sur tout entre celles de son sexe, comme estant obligée, puis qu'elle estoit sa fille legitime, d'estre soigneuse de l'honneur de son pere.
La maniere qu'elle observa, et qu'elle apprit à ses Soeurs, pour advancer le progrez de toutes ces saintes affaires, fut tres-conforme à celle que pratiqua la Sainte Vierge le jour de la Passion, où dans un profond silence, recueillant toutes ses forces au fonds de l'esprit, sans autre bruit que celuy que faisoit la pluye de ses modestes larmes, et l'air animé de ses doux souspirs, elle joignit au dessein de nostre Seigneur pour le salut du genre humain, tous les actes les plus vigoureux de toutes les vertus les plus excellentes.
Tousjours cette ame ayma mieux agir que parler, toûjours elle eut beaucoup plus d'effet que d'éclat; et par tout le cours de sa vie dans la Religion, l'on remarqua en elle beaucoup plus d'attraits vers la retraite, la retenue, et la fuite de se monstrer, que vers la recherche des occasions de faire paroistre son zele, lequel comme un feu renfermé en augmentoit sa chaleur et sa violence.
Et quant à l'amour de la solitude et de l'éloignement de toutes les creatures pour s'unir à Dieu plus immediatement; elle en estoit possedée si puissamment, que plusieurs fois elle delibera de se retirer de France pour chercher quelque desert, et lieu devotieux, où elle peust vivre inconnue, pour eviter principalement l'honneur qui luy estoit un faix insupportable; et si cela n'eust esté empesché par diverses occurrences que la Providence Divine luy oppo-[160]sa pour l'employer à l'oeuvre qu'elle en pretendoit, elle eust tenté tous les moyens licites de l'executer.
La grotte solitaire de Saint Benoist luy estoit tousjours empreinte en l'esprit, ce luy estoit un contentement si doux d'y penser, qu'elle le soupçonnoit quelquefois d'amour propre. Nulle demeure en ce monde ne luy sembloit plus agreable, que d'habiter en ces aspres deserts, que de voir ces rochers sauvages, ces torrens emportez d'une cheute rapide par le fonds des vallées, ces vives fontaines, ce lac d'eau claire, ces arbres touffus ombrageans le coupeau des hautes montagnes; non tant pour recreer sa veue, qu'elle avoit de long-temps fermée à tous les vains plaisirs, que pource qu'il luy sembloit que dans ces lieux si écartez, elle seroit plus garantie de l'abord du monde, et verroit Dieu plus à loisir.
Ainsi qu'elle se défioit grandement de la fragilité humaine, laquelle aprés quelques foibles efforts pour se redresser à une plus exacte pratique de la vertu, se panche bien tost par nostre naturelle decadence, du plus grand bien au moindre, et de l'amoindrissement du bien dans le commencement du mal, elle enseignoit les Religieuses de la Congregation, ou de l'Ordre de nostre Dame du Calvaire tres-prudemment, que puisque Dieu leur avoit inspiré le mouvement de la perfection, elles devoient la puiser dans les sources d'ont l'une estoit la montagne de Calvaire, toute ruisselante du sang de leur Epoux; et l'autre estoit la grotte de saint Benoist leur Patriarche, toute arrousée de ses larmes. Qu'il ne falloit pas se contenter de se mouiller le bord des levres, et le bout du pied dans le fleuve de la Penitence, mais qu'il falloit s'y plonger tout le corps, pour faire que l'esprit surnage dans les pures delices du divin amour; qu'il falloit faire comme l'Aigle qui se baignant pour renouveller sa jeunesse, s'enfonce tout dans l'eau, hormis la teste, et le dessus des aisles, qui volent plus legerement, se seichant aux rais du Soleil, quand le bain luy a fait tomber la mousse des plumes inutiles. Et afin de leur mieux graver en la memoire, qu'elles devoient apprendre la vertu en ces deux saintes Esco-[161]les, le Calvaire, et la grotte de Saint Benoist, elle voulut que la Congregation ou l'Ordre qu'elle a étably et fondé en l'Eglise de Dieu fust dedié à l'honneur, et qu'il portast le nom de Nostre Dame du Calvaire (comme j'ay desja remarqué cy-dessus) prenant aussi pour Patrone speciale sainte Scholastique (dont elle avoit pris le nom dés son novitiat en l'Ordre des Feuillantines) qui demeuroit proche du rocher de son frere Saint Benoist, grande maistresse d'oraison et d'austerité.
La zelée Antoinette d'Orleans ordonna, que tous les Monasteres de ses Religieuses Benedictines fussent nommez du titre de Calvaire, et que ses soeurs n'eussent rien plus à coeur que d'honorer et perpetuer entre elles le souvenir, qu'elles estoient appellées à cette haute dignité d'accompagner sur ce saint Mont la douloureuse et amoureuse Vierge, et de celebrer avec elle comme ses filles d'honneur, les obseques de son tres-cher fils, et la solemnité de sa glorieuse Resurrection, en mourant avec luy au monde, et renaissant avec luy en la vie celeste.
Elle voulut aussi qu'en tous les Monasteres de sa Congregation des Benedictines de Nostre Dame du Calvaire, il y eust une Cellule faite exprés au lieu le plus tranquille et à l'écart, qui fust nommé la grotte de saint Benoist, et laquelle en portast la ressemblance, autant que cela se peut faire commodément, et où au moins cette histoire, et la description de cette solitude fust representée, avec tous les traits principaux des mes-aises et de la pauvreté, que l'on peut croire que saint Benoist souffroit en un lieu si peu assisté des commoditez de la terre. Et c'est dans cette Cellule ou Hermitage, que les meres et les soeurs de la Congregation du Calvaire, passent souvent quelque temps de retraitte plus speciale les unes aprés les autres, pour de nouveau renaistre et croistre en l'esprit de la perfection de leur Ordre, et afin de prier Dieu avec plus d'attention, pour les necessitez et pour l'accroissement de son Eglise et aussi de l'Ordre sacré de Font-Evraud, ayant par une gratitude digne d'une fille de cette Religion là établie en l'Eglise par le B.[bénédictin] Robert d'Abruissel, institué des prieres parmy ses Religieuses de la Congregation [162] du Calvaire pour l'Ordre de Font-Evraud, par le mouvement particulier qu'elle avoit de l'accroissement de la gloire de Dieu en cet Ordre là, en consideration que sa Congregation de nostre Dame du Calvaire en est issue.
L'humilité de cette religieuse Princesse a esté telle, qu'elle a tousjours eu cette creance avec excez d'estre du tout incapable et inutile au monde: Mais aussi elle avoit une confiance en Dieu et un espoir contre son espoir, qui luy faisoit la victoire de toutes les difficultez en la force de son invincible bonté. En quoy Antoinette d'Orleans ou de Sainte Scholastique ne fut pas deceue, et afin que le secours divin fust plus apparent, au lieu de laisser long-temps cette Fondatrice parmy les ames qui l'avoient receue de luy pour leur Mere, comme tous les Instituteurs sont demeurez pour l'ordinaire plusieurs années avec leurs disciples, et ont veu leurs oeuvres fort avancées avant que de les quitter de leur assistance et presence visible; il l'osta de ce monde aprés peu de temps, ainsi que Beatrix de Sylva Institutrice de l'Ordre de la Conception, comme nous verrons en l'Eloge de cette Demoiselle Portugaise. Et combien qu'Antoinette ayt employé 14. ans à fonder cet edifice spirituel, dans un abysme de toutes sortes de travaux, à peine estoit-il hors de terre, et elle n'avoit encore esté que six mois dans le Monastere de Poitiers, qui est le premier où la Congregation de Nostre Dame du Calvaire a commencé, que Dieu voulut la retirer de la terre le 25. du mois d'Avril Feste de l'Evangeliste saint Marc de l'an 1618. pour luy donner le Ciel. Aussi c'estoit là que les vrays fondemens de ce bon oeuvre estoient posez, sans que les accidens humains y puissent atteindre pour les renverser, c'estoit là où se faisoit le fort de la besongne, où la principale ouvriere y devoit porter la main utilement. Elle a fait comme le Phoenix, qui en mourant ne laisse que des cendres, mais chaudes et animées d'une seconde renaissance. Ce peu de Religieuses qui resterent aprés son trépas, devoient estre plus mortes qu'Antoinette de sainte Scholastique leur Fondatrice, selon le jugement des hommes, tant elles estoient demeurées sans aucun ayde de la part des creatures, dans un profond abysme de difficultez.
[163] Le Soleil de la divine Providence, lequel tira la mere à soy, et la consomma dans ses rayons comme le Phoenix, ayant fait connoistre à chacun, que l'extréme desir qu'elle avoit de témoigner à Dieu l'amour qu'elle luy portoit, par la rigueur qu'elle exerçoit envers soy-mesme, avoit abregé ses jours, qui est un blâme commun à tous les Saints. Ce méme Soleil dis-je fit sortir ses Religieuses de son tombeau et où la douleur les avoit renfermées, et les remplir d'en-haut d'une vigueur et generosité nouvelle, pour se fortifier au dessein de la perfection.
Son Ordre est multiplié depuis sa mort, duquel on voit dix neuf Convents en France; deux à Paris, le premier au faux-bourg de saint Germain, fondé par la pieuse liberalité de la Reyne Mere du Roy Louis XIII. prés de son Palais et Hostel de Luxembourg, l'autre dans les marais du Temple; deux aussi à Poitiers (comptant l'Abbaye de la Trinité, qui est unie et incorporée à cette Congregation) un à Orleans, un à Vendosme, un à Loudun, un à Angers, un à Tours, un à Chinon, un en la ville de Mayenne dans le Diocese du Mans; sept en Bretagne, 4. en la haute, à Rennes, à Nantes, à Redon et à saint Malo, et 3. en la basse, à saint Brieu, à Morlaix et Quinpercorentin. Le Convent des Benedictines de Baugé est aussi associé à cette devote Congregation, où vivent plusieurs saintes Religieuses dignes filles spirituelles de cette Princesse de la Maison de Longueville, de laquelle la vie a servy de bon exemple à plusieurs Dame. Le Père Louis Richeome Theologien de la Compagnie de JESUS, écrivant contre les Ministres en son livre de l’Idolatrie Huguenote leur fait ce reproche*, /Monstrez moy quelque saint Bernard, quelque saint Antoine, quelque sainte Agathe, quelque sainte Caterine : ou si n’en pouvez fournir du patron de ces anciens là, donnez en de plus modernes ; quelque Henry de Joyeuse, qui ayt quitté les richesses et pompes du monde, les Comtez, les Duchez, les Gouvernemens, les Mareschaussées, pour se vestir d’un sac, se ceindre d’une corde, afin de servir Dieu de tout son coeur en rare austerité, démelé des soucis de toute chose mondaine : quelque ANTOINETTE de sainte Scholastique, qui ayt quitté les Marquisats, et se soit consacrée au mesme Seigneur, pour la mesme fin./
- Le Père Louis Jacob en fait mention honorable en sa Bibliothèque des Femmes illustres par leurs escrits.