Marie Le Jars/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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[II,668] MARIE DE JARS, DEMOISELLE DE GOURNAY. SI plusieurs sçavans hommes ont écrit à la louange de cette tres-docte Heroïne de son vivant, je croy estre obligé de luy consacrer cet eloge aprés sa mort. Elle naquit environ l'an 1565. de parens nobles et honorables: son pere s'appelloit Guillaume de Jars sieur de Neufui et de Gournay, et sa mere Jeanne de Haqueville, qui n'estoit pas d'une moindre Maison. Elle estoit soeur de Monsieur de Haqueville President au grand Conseil, et tante de Monsieur d'Onzenbray Premier President au Parlement de Paris, et de Charles de Haqueville Evéque de Soissons (1).
Dés sa naissance les Muses et les Graces luy firent un si favorable accueil, que plusieurs Princes et Seigneurs de ce Royaume l'ont infiniment estimée: et les plus polis et les plus doctes personnages de l'Europe l'ont respectée et honorée comme un Oracle. Michel Seigneur de Montagne Chevalier de l'ancien Ordre du Roy, et Maire de Bordeaux, trouva en elle tant de vertus et tant de belles qualitez qu'il la nomma sa fille d'alliance; et Eleonor de Montagne Vicomtesse de Gammaches fille du Seigneur de Montagne voulant faire honneur au jugement de son pere et au merite de Mademoiselle de Gournay l'appelloit aussi sa soeur d'alliance. Cette docte fille si capable de donner de l'envie aux plus doctes de tous les hommes luy a dedié le Bouquet de Pinde, et l'on peut dire avec raison que par un si rare present elle a bien payé les honneurs que luy fit Monsieur de Montagne, et ensuite madame de Gammaches. Juste Lipse l'honneur des lettres humaines en fait une merveilleuse estime en ses lettres. Jule Cesar Capace Secretaire de la Ville de Naples, et Charles Pinto excellent Poëte Latin au méme Royaume luy ont fait des eloges durant sa vie, celuy-là en prose, celuy-cy en [669] vers. Dominique Baudius la nomme la Sirene Françoise et la dixiéme Muse. Aussi elle passoit les jours et les nuits en l'étude des belles sciences. Cette fille n'ignoroit rien de tout ce qui rend les hommes sçavans. Elle conferoit souvent par lettres avec plusieurs Cardinaux, Evéques, et hommes doctes non seulement de France; mais aussi d'Italie, d'Alemagne, de Flandre et de Hollande, qui en parlent tous avec eloge dans leurs écrits. Aprés son decez l'on a trouvé dans son cabinet plusieurs lettres qui luy ont esté écrites par les Cardinaux du Perron, Bentivole (2) et de Richelieu: de François de Sales Evéque de Geneve: de Henry-Louis de Chasteigner de la Roche-Pozay Evéque de Poitiers: d'Antoine Godeau Evéque de Grasse: de Charles I. Duc de Mantoue: de Louis de Valois Comte d'Alais: de Charles de Gontaut Duc de Biron: de Gabriel de Barthelemy de Gramon President au Parlement de Tolose: de Monsieur le President Janin; de Juste Lipse: d'Eric du Puy: de Jean Louis de Balzac: de Monsieur Mainard: de Daniel Heinsius: d'Anne Marie de Schurman: de Marie de Blaineau Dame des Loges: et quantité d'autres dont les originaux sont entre les mains de Monsieur de la Mothe le Vayer Historiographe du Roy, qu'elle fit executeur de son testament.
Ses oeuvres ont esté imprimées plusieurs fois sous le titre de l'Ombre de la Demoiselle de Gournay, et depuis en deux volumes sous celuy d'Avis.
Elle mourut à Paris le Jeudy 13. de Juillet l'an 1645. estant aagée de 80. ans, aprés avoir receu tous ses Sacremens avec ferveur et pieté, en presence de Monsieur de Pompignan et des Adrets de l'ancienne et illustre Maison de Beaumont en Daufiné (3), et des sieurs de l'Estoile et Regnault. Elle a receu les honneurs de la sepulture en l'Eglise Paroissiale de saint Eustache. Dom Pierre de saint Romuald Religieux de l'Ordre des Peres Feuillens, et Louis Jacob de l'Ordre des Peres Carmes ont fait l'eloge de cette sçavante Demoiselle, celuy-là au 3. Tome de son Thresor Historique, et celuy-cy dans sa Bibliotheque des femmes illustres par leurs écrits. Plusieurs chers nourris-[670]sons d'Apollon et des Muses ont fait des Epitaphes en diverses langues, Grecque, Latine, Françoise à sa memoire; entre autres MM. François et Charles Oger, Gilles Menage, Adrien Valois, Guillaume Colletet, Monsieur des Marests, Guy Patin Docteur en Medecine de la Faculté de Paris, et autres sçavans hommes. Celuy de Monsieur le Prieur Oger Predicateur du Roy dit en un mot toutes les qualitez de cette Demoiselle.
Mariae Gornacensi, quam Montanus ille Filiam; Justus Lipsius, adcóque omnes docti sororem agnovere. Vixit ann. 80. Devixit anno MDCXLV. Umbra aeternum victurâ.
C'est à dire,
A Marie de Gournay que Monsieur de Montagne appelloit sa fille, Juste Lipse et tous les doctes leur soeur. Elle a vécu 80. ans, elle est decedée l'an 1645. elle vivra perpetuellement dans la memoire des sçavans.

Et Monsieur Colletet (4):

Si l'on a tant chanté la vertu des Sibylles,

Et fait passer leurs jours pour des siecles tranquilles,
Pour monstrer leur merite, et l'heur qu'elles ont eu;
Tu remportes, GOURNAY, cet illustre advantage
D'égaler en mourant les Sibylles en aage,
Et d'avoir en vivant surmonté leur vertu.

SUR MADEMOISELLE DE GOURNAY, et sur son livre intitulé, les Advis, etc.
SONNET.
L'ASTRE qui presidoit au point de sa naissance
A la favoriser épuisa ses efforts,
Pour nous monstrer en elle une illustre alliance
Des beautez de l'esprit et de celles du corps.
Le Ciel luy departit ses plus riches tresors,
Elle les cultiva de toute sa puissance,
Et l'on ne vid jamais avecque la science
L'humilité former de si charmants accords.
Critique injurieux, vain pedant, monstre infame.
Toy qui crois pour estre homme, estre plus qu'une femme.
[671] Abbaisse ton orgueil, escoute ses Advis.
Ton Platon, ton Seneque, et ces autres Idoles
Qu'avec tant de respect encensent tes escoles,
Tireroient vanité de les avoir suivis.

FRANÇOIS DE LA MOTHE LE VAYER, fils de FRANÇOIS DE LA MOTHE LE VAYER.


POUR MADEMOISELLE DE GOURNAY.
SONNET.
ELLE eut sur tout son sexe une entiere victoire,
Son esprit égala celuy des plus sçavans:
Sa mort nous a laissé des miracles vivans
Dés long-temps consacrez au temple de memoire.
Le siecle qui la veid avoit peine à le croire;
C'est un estonnement pour les aages suivans,
Et ses livres fameux dans la rouille des ans
Jamais n'obscurciront le lustre de leur gloire,
Admirons maintenant le penetrant esprit
De ce pere qui sage autresfois entreprit
De nouer avec elle une illustre alliance.
Il conneut son merite, il en jugea le prix
Ayant veu seulement les jeux de son enfance,
Que n'auroit-il pas fait ayant leu ses écrits?

FELIX DE LA MOTHE LE VAYER.


AUTRE.
ARRESTE icy passant, admire ce Tombeau,
Il ne renferme pas une cendre vulgaire,
C'est une autre Pallas qu'un pere extraordinaire
A produite icy bas de son docte cerveau.
C'est elle dont Montagne annoblit le berceau,
Qu'il adopta pour fille, et que par ce Mystere
Des graces de l'esprit il rendit heritiere
Pour laisser de soy méme un immortel tableau.
[672] Du depuis s'esloignant de la route commune,
Elle ayma la vertu, mesprisa la fortune,
Et le pompeux esclat qu'elle estale à nos yeux.
Elle fit grand amas des richesses de l'Ame,
Enfin elle quitta la terre pour les Cieux,
Et ne put retenir un esprit tout de flame.

FELIX DE LA MOTHE LE VAYER.


SONNET
Pour feue MADEMOISELLE DE GOURNAY.
QUE le cizeau travaille aprés ce monument,
Faites qu'il soit orné de quelque marbre antique;
Que tout ce que vostre art a de plus magnifique
En faveur de GOURNAY soit mis en ornement.
Tout ce qu'un bel esprit peut avoir de charmant
Tout ce qui peut gagner une estime publique
Fait que son nom par tout est un nom heroïque,
Par tout la Renommée en parle hautement.
Enfin je vous invite à travailler pour elle;
DE GOURNAY ne fut point une fille mortelle,
Quittez ce triste soin ainsi que vostre dueil. [sic]
Ses vertus, son sçavoir se treuvent sans exemples,
Vous pouvez pour quelque autre élever un cercueil,
Mais pour elle il faudroit ne bastir que des Temples.

DU PELLETIER Parisien, Advocat au Parlement.

(1) Haqueville, d'argent, au chevron de sable chargé de cinq aiglons d'argent, que d'autres disent pigeons à vol estendu, accompagné de trois testes de paons: d'autres disent d'aigles arrachées d'azur.
(2) Bentivole, écartelé au I. et 4. d'argent à l'Aigle de sable couronné de méme; au 2. et 3. de gueules, party et endenté ou emmanché d'or de 4. pieces et une demie.
(3) Beaumont, de gueules, à la fasce d'argent chargée de trois fleurs de lys d'azur.
(4) Colletet, d'azur au cocq d'or, cresté, barbé et armé de gueules, passant sur une gerbe de bled d'argent liée de sinople, en chef un croissant montant aussi d'argent.

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