Élisabeth d'Autriche/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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I,547] ELIZABET D'AUSTRICHE (1), REYNE DE FRANCE.

JE commenceray les Vies et les Eloges des Elizabets ou Isabelles par cette Reyne Tres-Chrestienne et Tres-Catholique, femme du Roy Charles IX. de glorieuse memoire, fille de l'Empereur Maximilien II. soeur des Empereurs Rodolfe II. et Mathias, et tante de Philippe III. Roy d'Espagne pere de nostre Reyne, qui a mené une vie digne du Ciel, sans offenser la divine Majesté, ainsi que nous avons remarqué de la Reyne Claude; car la main de Dieu n'est point racourcie, et la saison des Saints n'est pas passée, et les grands exemples ne se voyent pas seulement dans les vieilles Histoires. Le Cardinal Bellarmin avoit sujet d'appeller le 16. siecle, le siecle des Saints. Il nous a appris qu'il s'en trouve de toutes conditions, qu'ils ne sont pas tous au desert, qu'il s'en peut trouver à la Cour et dans le Louvre; et que les grandes, et les nobles parties du [548] Monde, sont aussi capables de vertu et de sainteté, que les petites et les basses: Pourquoy en seroient-elles incapables? Dieu n'est-il pas le Dieu des montagnes, aussi bien que le Dieu des vallées? n'y avoit-il pas de l'or autour du Sanctuaire? n'y avoit-il pas de la pourpre et des pierreries? JESUS-CHRIST n'a t-il point souffert à la teste, et pour la justification des testes couronnées? Les Roys et les Reynes doivent estre vertueux, et se sanctifier aussi bien que les plus petits de leurs Royaumes. Elizabet d'Austriche Reine de France leur en a donné un exemple qui ne reçoit point de contredit. Celuy qui mit les fondemens de Sion sur les montagnes, voulut que la majesté et la noblesse servissent de baze à l'ouvrage qu'il avoit à faire en elle. Il voulut qu'elle nâquist tres-hautement, et d'une Maison qui a donné treize Empereurs à l'Allemagne, un Roy à l'Angleterre, cinq Roys à l'Espagne, des Roys à la Hongrie et à la Boheme, et qu'elle entrast en une autre plus élevée, plus ancienne, et plus auguste, et qu'elle portast le diadéme des Lys, et le titre de Reyne du premier Royaume du monde, afin que sa lumiere fust regardée de plus loin; que ses bien-faits s'estendissent à plus de personnes; et que ses vertus éclatassent davantage.

La pieté, la douceur, la pureté, et les autres vertus d'Elizabet d'Austriche Reyne de France, m'obligent aussi de commencer les Eloges des Elizabets ou Isabelles illustres de ces derniers temps par cette Princesse que nostre Roy Charles IX. son mary appelloit sa Sainte, pour ses perfections et ses merites, et louoit Dieu et le remercioit tous les jours, pour luy avoir fait la faveur de luy donner pour femme la plus vertueuse, et la plus sage Princesse de l'Europe; sa vie a esté digne du Ciel. L'envie et la médisance ont beau regarder cette tres-vertueuse Reyne; de quelque costé qu'elles la regardent, dans les Cours de France et de l'Empire, dans les Cabinets, dans les Hospitaux, et dans les Monasteres, soit en la condition de fille, soit en celle de femme, soit en celle de veuve, elles ne trouveront que de la pieté: sa vie toute sainte n'a point laissé de tache à sa memoire.

Cette lumiere de nos jours vid la lumiere du jour le 5. de Juin 1554. à Vienne en Austriche, au grand contente-[549]ment de l'Empereur Maximilien II. son pere, qui témoigna bien de la joye à la naissance de cette tres-vertueuse Heroïne, qui fut soigneusement élevée à la vertu et à la pieté par sa mere l'Imperatrice Marie tres-sage Princesse, avec ses autres soeurs, entre autres Anne Reyne d'Espagne, 4. femme de Philippe II. (de laquelle j'ay écrit l'Eloge dans les Annes illustres) et Marguerite Religieuse au Monastere des Deschaussées de Madrid. L'on ne parloit non seulement dans la Cour de l'Empereur son pere, mais aussi par la Boheme, l'Austriche, la Hongrie, et l'Allemagne, que des vertus de cette Princesse, digne fille d'une si bon Prince (qui a esté appellé pour sa douceur et sa bonté comme Tite, les delices du monde) le Ciel l'ayant couronnée Reyne des Vertus avant qu'elle portast la Couronne de Reyne de France. La renommée ayant publié ses vertus par toutes les Cours de l'Europe, le Roy Charles IX. Prince prudent et avisé pour son jeune aage, ayant ouy parler des perfections et des vertus de cette Princesse, 2. fille de l'Empereur Maximilien, l'envoya demander en mariage à son pere, par deux Seigneurs qui estoient ses plus confidens, et dignes d'une Ambassade si celebre et si honorable (2). L'un estoit Albert de Gondy lors Comte de Raiz (qu'il honora l'an 1573. d'un baston de Mareschal de France) l'un des plus accomplis et des plus prudens Courtisans de son temps, qui gagna les bonnes graces de ce jeune Monarque son maistre, sans encourir la haine du peuple, qui posseda sa personne sans l'assieger, et que la fidelité de ses services rendoit si asseuré de l'affection de son Prince, qu'il n'empescha jamais personne de l'aborder: Ceux qui ont veu la vieille Cour sçavent qu'il laissoit à tous les Princes, et à tous les Grands la liberté de l'entretenir, et sçachant bien qu'il possedoit son coeur, il ne craignoit point de leur abandonner son oreille: Aussi sa faveur fut sans envie, parce qu'elle estoit sans violence, et elle dura non seulement pendant le regne de son Maistre, mais aussi de son frere et successeur, qui le crea Duc et Pair de France. Il a esté sans flaterie l'image d'un parfait Ministre, pour s'estre conduit avec tant de prudence en un temps [550] où l'heresie avoit divisé toute la France, qu'il n'eut point d'autres ennemis que ceux de l'Estat, duquel la puissance ne fut jamais fatale à aucun, et jamais ne voulut nuire à personne, quoy qu'il pust beaucoup dans cet Empire des Lys sous le regne de Charles, duquel ayant aimé la personne et l'Estat, on peut dire qu'il occupa seul auprés de sa Majesté les deux places que Craterus et qu'Ephestion occupoient auprés d'Alexandre. L'autre estoit Nicolas de Neufville Seigneur de Villeroy, dont le nom est celebre par tout le monde, pour avoir exercé fidelement la charge de Secretaire d'Estat, non seulement sous le Roy Charles son Maistre; mais aussi sous Henry III. et IV. et Louys XIII. Ces Seigneurs ayant obtenu ce qu'ils desiroient du bon Maximilien en faveur du Roy leur Maistre, ils firent sçavoir à sa Majesté la volonté de l'Empereur.

Charles à ces nouvelles donna le pouvoir à Ferdinand Archiduc d'Austriche et Comte de Tirol d'épouser en son nom sa niece la Princesse Elizabet. Les ceremonies de ces Royales fiançailles furent celebrées le 22. d'Octobre de l'an 1570. dans la grande Eglise de Spire, par Daniel Brendell Archevéque de Mayence, Prince Electeur et Chancelier de l'Empire par l'Allemagne, en presence de l'Empereur Maximilien II. de l'Imperatrice Marie, de plusieurs Princes et Seigneurs assemblez pour la Diete Imperiale (3): lesquelles estant achevées, Maximilien donna la charge à Jaques d'Eltz Archevéque de Treves, aussi Prince Electeur de la conduire en France, et l'assister durant son voyage avec Jean de Manderscheird, Evéque de Strasbourg: Charles Marquis de Bade: Philippe Duc d'Arschot: les Comtes de Hohenlo ou de Holach et de Zollern: Marguerite Comtesse d'Arenberg, veuve de Jean de Ligne de Barbançon, Dame de haute naissance et de rare vertu, qui l'accompagnerent jusques à Mezieres, ville frontiere de la Champagne, où le Roy Charles IX. la vint recevoir en presence de la Reine Caterine sa mere: des Ducs d'Anjou et d'Alençon freres: du Duc de Lorraine, beau-frere de sa Majesté: des Cardinaux de Bourbon, de Lorraine, et de Guyse: des Ducs de Guyse, d'Aumale, de Longueville, [551] de Montmorency et de Bouillon: de Jean de Morvilliers Garde des Sceaux de France, qui approuverent et ratifierent le contract de mariage passé à Madrid le Samedy 14. de Janvier de la mesme année 1570. en la maison de Didac ou Diego Cardinal de Spinosa, Evéque de Siguença, President du Conseil de Philippe II. Roy de Castille, et Inquisiteur general dans les Royaumes d'Espagne, entre Adam de Dietrestein Ambassadeur de l'Empereur Maximilien, suivant le pouvoir de sa Majesté Imperiale d'une part: et de l'autre de Raymond de Fourquevaulx (4) Chevalier de l'Ordre de Saint Michel, Ambassadeur de Charles IX. Roy de France, Gentil-homme de sa Chambre, et Gouverneur de Narbonne, en vertu du pouvoir que luy avoit donné sa Majesté Tres-Chrestienne, en presence de ce Cardinal là député par sa Majesté Catholique pour intervenir en son nom, et d'autres Prelats et Seigneurs Espagnols, entre autres Pierre Fernand de Cordova Duc de Feria, et Ruy Gomez de Silva Comte de Melito.

Ce jeune Monarque des François avoit une grande passion d'avoir pour femme cette vertueuse Princesse Elizabet d'Austriche: Aussi j'ay appris de plusieurs de nos Historiens (5), qu'il envoya le 23. Novembre 1570. les Ducs d'Anjou, d'Alençon, et de Lorraine, et le Grand Prieur de France son frere naturel, pour la recevoir sur les frontieres de France et de Luxembourg, qui furent suivis de ceux de Guyse; à sçavoir les trois Maisons de Guyse, d'Aumale, et d'Elboeuf, et d'un nombre infiny de Seigneurs. Ils ont aussi remarqué que Charles se trouva en habit déguisé, et le visage couvert de son manteau, dans la cour du Chasteau de Sedan où il estoit venu en poste, et passa par une cazemate quand la Reyne Elizabet descendit de son carosse pour monter les degrez de ce Chasteau là, et que le Duc d'Anjou s'en estant apperçeu, il fit voir à la Reyne le costé du Chasteau, pour la faire tourner le visage, afin que le Roy la regardast plus facilement. Charles retourna à l'instant à Mezieres, où il dist à la Reyne sa mere que cette Princesse estoit selon son desir.

Elizabet ayant esté bien receue à Sedan par les ordres du [552] Duc de Bouillon, elle le fut encore avec plus d'honneur à Mezieres (comme rapportent les mémes Historiens, et un Secretaire d'Estat qui a dressé l'ordre qui fut observé aux ceremonies de ce mariage là (6)) où aprés avoir fait son entrée dans cette ville là, le 25. de Novembre, elle fut conduite en une salle richement tapissée et parée, à l'entrée de laquelle sa Majesté fut receue par la Reine mere du Roy Charles, accompagnée de Mad. la Duchesse de Lorraine, et de Mad. Marguerite, ses filles: de la Duchesse de Montpensier: des Princesses Daufin, et de la Roche-sur-Yon: de la Douairiere de Guyse: des Duchesses de Nemours, de Guyse, de Nevers, de la Connestable et de la Duchesse de Montmorency, et une infinité d'autres grandes Dames, qui estoient en cette salle là: d'où elle fut conduite par la Reine Caterine en une autre grande salle haute, encore plus richement parée, et de là en la chambre qui luy estoit preparée, où on la laissa un peu reposer. La Reyne mere y amena le Roy Charles avec Messieurs ses freres, le Duc et la Duchesse de Lorraine, et Madame Marguerite seulement. L'on ne peut pas exprimer par des paroles, les honneurs que receut cette Princesse du Roy Charles son mary, quand il la salua, et la mena en son antichambre, et depuis à la salle où le souper estoit preparé, auquel le Roy invita l'Electeur de Treves, l'Evéque de Strasbourg, le Marquis de Bade, et le Comte de Zolern, qui s'en excuserent, estant lassez du travail qu'ils avoient eu ce jour là pour la pluye, et le mauvais temps qu'il avoit fait.

Le lendemain matin le Dimanche 26. de Novembre la Reyne Elizabet richement vestue et habillée à l'Espagnole d'une robe de satin blanc, en broderie d'or, qu'elle avoit apportée d'Allemagne, fut conduite dans l'Antichambre du Roy par l'Electeur, et les autres Seigneurs que je viens de nommer, et plusieurs autres Comtes et Seigneurs Allemans, où estoient le Roy Charles, la Reyne sa mere, Messieurs ses freres, le Duc et la Duchesse de Lorraine, Mad. Marguerite ses soeurs, les Princes du Sang, les autres Princes et Seigneurs, et ceux du Conseil de sa Majesté: [553] L'Archevéque Electeur de Treves, et les autres Deputez de l'Empereur presenterent la Reyne Elizabet, et la mirent entre les mains du Roy Charles, suivant le pouvoir qu'ils en avoient par écrit de sa Majesté Imperiale, aprés que l'Orateur de l'Empereur eut fait une harangue Latine: le Roy et la Reyne sa mere receurent avec une tres-grande et cordiale affection la Reyne Elizabet qu'ils mirent entre leurs Majestez. Quelques Historiens (7) remarquent que le Secretaire Bruslard (qui avoit le departement d'Allemagne) fit la lecture de la Commission du pouvoir de l'Electeur, et des autres Deputez, et qu'aprés le Garde des Seaux de Morvilier ayant receu la response du Roy, dit en Latin que sa Majesté avoit veu et entendu le contract de mariage qu'il approuvoit, et recevoit avec grand contentement Isabelle pour femme, laquelle il promettoit aymer et traiter comme son épouse.

Le Secretaire Pinart ne fait point mention que le pouvoir de l'Empereur fut leu par le Secretaire Bruslard: mais que le Roy et la Reyne sa mere, aprés avoir ouy le pouvoir des Deputez de l'Empereur, leurs Majestez commanderent au Garde des Seaux de Morvilier, de respondre en Latin à la Harangue de l'Orateur de l'Empereur, comme il fit tres-eloquemment, à la grande satisfaction, non seulement des Deputez de sa Majesté Imperiale, mais aussi de toute l'assistance.

Jean de Morvilier (8) ayant au nom du Roy remercié l'Electeur de Treves, et les autres Deputez de l'Empereur, la Reyne Elizabet fut ramenée dans sa chambre par la Reine Mere, où elle fut vestue à la Royale, portant un grand manteau de velous violet, semé de fleurs de lys d'or, bordé d'hermines moucheté, dont la queue tenoit plus de vingts aulnes de long, et couronnée d'une tres-riche Couronne à l'Imperiale, enrichie de pierreries d'un prix inestimable. Le Maistre des Ceremonies aprés avoir fait ordonner tout ce qui estoit necessaire, on alla à la grande Eglise en cet ordre: Premierement marchoient les cinquante Tudesques que la Reine avoit amenez d'Allemagne portans les couleurs de sa Majesté; puis les Gardes des Suisses du Roy, [554] les Trompettes, les Hauts-bois, les Violons, les Gentils-hommes servans, les Gentils-hommes de la Chambre, et les Chevaliers de l'Ordre, les Ambassadeurs conduits et accompagnez par les plus anciens Conseillers du Conseil Privé: Sçavoir celuy de Venise par Sebastien de Laubespine Evéque de Limoges: celuy d'Escosse par le sieur de Lansac: celuy d'Espagne par le sieur de Tavanes: le Nonce du Pape par le sieur de Morvilier. Aprés suivoient les Ducs d'Aumale et de Montmorency, et entre eux deux le Grand Maistre de l'Empereur. Le Prince Daufin et le Duc de Longueville, et entre eux deux l'Evéque de Strasbourg. Les Cardinaux de Lorraine, et de Guyse: les Ducs de Lorraine et de Montpensier: Aprés eux estoient les Herauts, avec leurs cottes d'armes: les Huissiers de la Chambre portans leurs masses: le Duc de Guyse avec son baston de Grand Maistre: et quelque espace aprés marchoit le Roy, ayant à sa main gauche l'Electeur de Treves; et auprés de sa Majesté le Marquis de Mayenne grand Chambellan, et le sieur de Nancey Capitaine des Gardes à costé: et aprés la Reyne Elizabet estoit menée et soustenue par les Ducs d'Anjou et d'Alençon freres du Roy. La Duchesse de Montpensier, les Princesses Daufin, et de la Roche-sur-Yon portoient la queue de son manteau Royal. La Reine mere estoit conduite par le Duc d'Uzez, et la queue de son habillement portée par Madame de Bressuyre. Aprés marchoient la Duchesse de Lorraine soeur du Roy, menée par le sieur de Bryon, le sieur de la Rocheguyon portant la queue de sa robbe. Mad. Marguerite aussi soeur du Roy, conduite par le sieur d'Aserat l'aisné, le Comte de Rochefort portant aussi la queue de sa robbe. Et suivirent aprés la Douairiere de Guyse, les Duchesses de Nemours, de Guyse, de Nevers, la Connestable, la Duchesse de Montmorency, avec lesquelles estoient les Comtesses d'Aremberg, et de Chalant, qui estoient venues d'Allemagne, et toutes les Dames et Demoiselles de la Maison de la Reyne, et de la Reyne mere.

Le Cardinal de Bourbon se trouva à la principale porte de l'Eglise, revestu et accompagné fort honorablement, [555] qui sous le portail à l'entrée de cette Eglise là, en confirmant le mariage, et ce qui avoit esté passé à Spire, épousa le Roy Charles et la Reyne Elizabet; et puis s'acheminerent tous au Choeur de l'Eglise qui estoit richement tapissée, où le Cardinal de Bourbon celebra la Messe, laquelle le Roy et la Reyne ouirent estant à genoux à costé l'un de l'autre, sous un haut dais à costé droit. Et derriere leurs Majestez plus bas, aussi sous le mesme dais estoient les Ducs d'Anjou, d'Alençon, et de Lorraine, et un peu derriere les autres Princes, Chevaliers et Seigneurs. A la main gauche il y avoit aussi un haut dais, sous lequel estoit la Reyne mere, et Mesdames soeurs du Roy, et assez prés derriere, les autres Princesses, et grand nombre de Duchesses, de Comtesses et de Dames: Et au costé droit de l'Autel l'Electeur de Treves, l'Evéque de Strasbourg, et le Comte de Zolern sur des bancs couverts de drap d'or; et derriere eux les Comtes et les Seigneurs Allemans qu'ils avoient amenez. A main gauche estoient assis les Cardinaux de Lorraine et de Guyse; le Nonce du Pape, et les autres Ambassadeurs avec ceux du Conseil qui les accompagnoient.

La Messe dite, et le reste des ceremonies des épousailles fait, l'on retourna au mesme ordre que l'on estoit venu, droit à la salle du festin Royal, où furent assis sous un grand dais le Roy Charles, et à sa main droite la Reyne Elizabet son épouse, à costé d'elle à main droite les Ducs d'Anjou et d'Alençon, Mad. de Montpensier, le Cardinal de Bourbon, la Princesse de la Roche-sur-Yon, le Cardinal de Lorraine, la Duchesse de Nemours, le Cardinal de Guyse, la Duchesse de Nevers, l'Evéque de Strasbourg, la Duchesse de Montmorency, le Grand Maistre de l'Empereur, les Comtesses d'Aremberg et de Chalant.

Et à la main gauche à costé du Roy, la Reyne sa mere; prés d'elle l'Electeur de Treves, au dessous Madame de Lorraine, le Duc de Lorraine, la Princesse Daufin, le Duc de Montpensier, la Douairiere de Guyse, et la Duchesse de Guyse. Vis à vis de Mesdames de Lorraine et Marguerite, estoient assis le Nonce, et les autres Ambassadeurs.

Le festin Royal fut servy avec un grand ordre, les clai-[556]rons et les trompettes sonnoient à chaque service, marchans devant lesdits services.

Suivoient aprés les Herauts avec leurs cottes d'armes, les Maistres d'Hostel ordinaires du Roy et des deux Reynes. Et aprés le Duc de Guyse portant son baston haut, et servant de son estat de Grand Maistre: le Marquis de Mayenne son frere servant aussi de son estat de Grand Chambellan. Le Prince Daufin servoit le Roy de Pannetier: le Duc de Longueville d'Eschanson: le Duc d'Aumale d'Escuyer tranchant: le Duc de Montmorency servoit la Reyne de Pannetier: le Duc de Rouennois d'Eschanson: Monsieur de Brion d'Escuyer tranchant. Le Duc d'Uzez servoit la Reyne mere du Roy de Pannetier: Mr de Meru d'Eschanson: Monsieur de Thoré d'Escuyer tranchant. La viande estoit portée par les Chevaliers de l'Ordre, et Gentils-hommes de la Chambre, et marchoient tousjours les trois Panetiers de front: et peu aprés les graces, que prononça Jaques Amyot Evéque d'Auxerre grand Aumosnier du Roy (9), le grand Bal commença: le Roy mena la Reyne son épouse. Le semblable fut fait à souper. Les deux jours suivans l'Electeur de Treves, et tous les Deputez et Seigneurs Allemans furent traitez splendidement, et receurent des presens du Roy Charles dignes de sa Majesté, dont ils furent fort contens, et si satisfaits qu'ils en eurent la France en beaucoup plus d'admiration.

Le Roy Charles avant que partir de Mezieres, donna pour Dame d'honneur à la Reyne, Magdelaine de Savoye, veuve d'Anne de Montmorency, de laquelle je feray l'Eloge dans les illustres Magdelaines, et à son absence la Dame de Dampierre, mere de la Comtesse de Raiz; et pour Chevalier d'honneur le Comte de Fiesque. Elizabet fut receue avec joye par tous les habitans des villes où elle passa, et principalement des Parisiens.

Elle eut le contentement de voir l'Entrée triomphante dans Paris du Roy Charles son mary, le 6. de Mars de l'an 1571 (10). Et le 25. du mesme mois elle fut sacrée et couronnée en la Royale Eglise de Saint Denys, avec tous les honneurs deus à sa Majesté (comme a remarqué exactement celuy [557] qui en a écrit toutes les particularitez) duquel j'ay appris qu'il faisoit beau voir aller la Reyne Elizabet à ce Temple-là.

Car premierement marchoient les Suisses de la garde des Ducs d'Alençon et d'Anjou freres du Roy, et ceux de sa Majesté: les deux cens Gentils-hommes de la Maison du Roy: les Gentils-hommes de la Chambre: les Chambellans, et parmy eux un grand nombre de Seigneurs et de Capitaines qui assisterent au Couronnement. Ils estoient suivis des Chevaliers de l'Ordre, ayant le grand Ordre au col. Des Trompettes et des Herauts revestus de leurs cottes d'armes: de Nambur Huissier de l'Ordre et de la Chambre du Roy: et de Boisrigault, aussi Huissier de la mesme Chambre portans leurs masses: le Marquis d'Elboeuf, le Duc de Nemours, et le Prince Daufin suivoient les Huissiers: le Duc de Guyse marchoit aprés à main droite, portant haut le baston de Grand Maistre, et le Marquis de Mayenne son frere comme grand Chambellan de France. Puis la Reyne menée et soustenue par les Ducs d'Anjou et d'Alençon, estans aussi à costé d'elle plus derriere les Cardinaux de Bourbon et de Guyse, qui luy aidoient à soustenir les pans de son manteau Royal de velous bleu, semé de fleurs de lys d'or en broderie, fourré d'hermines, ayant la queue de ce manteau sept aulnes de long. Son ornement de teste estoit tout garny de pierreries, son corset aussi de velous bleu, couvert de fleurs de lys d'or traict, et son surcot garny et enrichy de gros diamans, de rubis, et d'emeraudes d'un prix inestimable. Les Princesses Daufin et de la Roche-sur-Yon, et la Duchesse de Nemours portoient la queue du manteau Royal, et trois Seigneurs portoient celles de ces trois Princesses.

Aprés marchoient Madame la Duchesse de Lorraine, et Madame Marguerite soeurs du Roy, les queues de leurs manteaux portées; à sçavoir celle de Madame de Lorraine par Messieurs de Meru et de Thoré, et celle de Mad. Marguerite par Messieurs de Candale et de Turenne. Elles estoient suivies de trois Duchesses, celle de Guyse, au milieu, de Nevers à main droite, et de la Connestable [558] Duchesse de Montmorency à main gauche, les queues de leurs manteaux portées par des Seigneurs.

La Reyne Elizabet estant en cet ordre là arrivée à l'Eglise de Saint Denys, sa Majesté s'agenouilla devant le grand Autel sur un oreiller qui luy fut presenté par le Marquis de Mayenne, où elle trouva le Cardinal de Lorraine revestu de ses habits pontificaux, accompagné des Cardinaux de Pellevé et d'Est, et d'un grand nombre d'Evéques, d'Abbez, et d'autres Prelats. Le Cardinal de Lorraine Abbé de Saint Denys bailla à baiser le reliquaire à la Reyne, ce que sa Majesté fit avec un grand respect. L'oraison achevée en cette ceremonie là par le Cardinal de Lorraine, la Reyne fut menée sur le grand Theatre eslevé devant le grand Autel par les Ducs d'Anjou et d'Alençon qui la soustenoient, et les Cardinaux de Bourbon et de Guyse à ses costez.

Aprés que la Reyne fut assise, la Duchesse de Lorraine, et Madame Marguerite soeurs du Roy luy firent une grande reverence, et aussi toutes les autres Princesses, puis elles s'assirent; la Duchesse de Lorraine dans une chaire à main droite du dais de la Reyne, et Madame Marguerite dans une chaire à main gauche. La Princesse Daufin, et les Duchesses de Nemours et de Nevers sur un banc couvert de drap d'or frizé, qui estoit à un pied prés de la chaire de Madame de Lorraine. Et la Princesse de la Roche-sur-Yon, et de la Duchesse de Guyse sur un autre à main gauche, éloigné de pareille distance de la chaire de Madame Marguerite.

Tandis que les Dames s'assirent, les Cardinaux de Bourbon et de Guyse descendirent et allerent à leur banc ordonné pour eux. Les Ducs d'Anjou et d'Alençon s'assirent en deux chaires garnies de toile d'or, mises derriere celle de la Reyne, et hors de son haut dais, se tenant prests quand sa Majesté se levoit ou agenouilloit pour luy ayder à soustenir son grand manteau, et la Couronne qui luy fut mise sur la teste. Le Duc de Guyse, et le Marquis de Mayenne se mirent tout debout aux deux costez de l'entrée de l'escalier, l'un à la main droite, et l'autre à la gauche. Le sieur de Chemaux Maistre des ceremonies, estoit auprés du Duc de [559] Guyse pour recevoir ses commandemens durant la ceremonie.

Peu de temps aprés les Cardinaux de Bourbon et de Guyse se leverent, et furent querir la Reine, laquelle accompagnée des Ducs d'Anjou et d'Alençon alla au grand Autel, où elle fut sacrée et couronnée avec les mesmes ceremonies que nous avons remarqué au Sacre et Couronnement des Reines Claude, Eleonor et Caterine. L'Evéque de Bayeux presenta l'Ampoule au Cardinal de Lorraine: celuy de Saint Papoul la Platine: Mesdames de Lorraine et Marguerite servirent au Sacre. L'Evéque de Digne presenta l'anneau au Cardinal qu'il mit au doigt de la Reine: l'Evéque d'Auxerre Amyot Grand Aumosnier de France le Sceptre et la Main de Justice: l'Evéque de Paris la grande Couronne, que le Cardinal mit sur la teste de la Reyne y tenant la main. Estant cependant soustenue par les Ducs d'Anjou et d'Alençon, et depuis fut mise és mains du Prince Daufin. Les Ducs d'Anjou et d'Alençon en mirent depuis une plus petite toute couverte de pierreries sur la teste de sa Majesté, qui lors se deschargea du Sceptre és mains du Duc de Nemours, et de la Main de Justice en celles du Marquis d'Elboeuf.

La Reine estant assise en sa chaire, le Cardinal de Lorraine officia, et dit la Messe. La Connestable de Montmorency Dame d'honneur de sa Majesté luy presenta ses heures, et son livre d'oraisons. L'Evéque d'Avranche chanta l'Epistre: celuy de Meaux l'Evangile: le Cardinal de Bourbon porta le Livre à baiser à la Reyne.

Les Duchesses de Guyse et de Nevers ayant receu des mains de la Dame d'honneur, l'une les deux pains, et l'autre le vin, et le cierge où estoient les 13. pieces d'or, les presenterent à la Reyne, quand sa Majesté alla à l'offrande. La Mareschale d'Anville, les Comtesses de Candale et de Fiesque avoient porté ces presens là à la Dame d'honneur.

La Reyne aprés la Messe (où elle communia avec une grande devotion et ferveur) s'en retourna en sa chambre, marchans devant sa Majesté le Duc de Nemours avec le [560] Sceptre, le Marquis d'Elboeuf avec la Main de Justice, le Prince Daufin avec la grande Couronne, le Marquis de Mayenne portant l'oreiller, et le Duc de Guyse marchant devant elle avec le baston de Grand Maistre, Monsieur le Duc d'Anjou la tenant par dessus le bras droit, et celuy d'Alençon par dessous le gauche.

Le Nonce du Pape, les Ambassadeurs d'Espagne, d'Escosse et de Venise assisterent à cette Royale ceremonie, où sur la fin de la Messe fut criée dans l'Eglise, largesse de par la Reyne, et l'un des Herauts jetta par plusieurs fois une bonne somme d'or et d'argent au peuple.

Le Jeudy suivant 29. du mesme mois la Reine Elizabet fit son entrée Royale dans Paris, où aprés avoir ouy à saint Lazare les Harangues des Deputez de la part de ceux de l'Université, de la Ville, et des Cours Souveraines, ausquelles le President de Birague, qui avoit la garde des Seaux, fit les responses pour sa Majesté.

Le mesme (11) qui a écrit les particularitez du Sacre de la Reyne Elizabet, a aussi publié celles de l'entrée, et l'ordre auquel marcherent devant sa Majesté les Religieux, et les Parroisses de Paris, l'Université, toutes les Cours Souveraines, et la Cour de Parlement la derniere, les Presidens ayans les Mortiers en teste, et Christofle de Thou (12), premier President, ayant pour difference des autres, trois petites bandes de toile d'or sur l'espaule gauche: Les Gentils-hommes des Princes et des Princesses qui assistoient à l'entrée. Les Gardes et les Officiers des Maisons des Ducs d'Alençon et d'Anjou, et de celle du Roy, et parmy eux plusieurs Capitaines et grands Seigneurs tres-richement vestus, jusques au nombre de mille, qui estoient suivis des Huissiers de la Chancellerie, des Secretaires, et des Maistres des Requestes, habillez de robbe longue de satin. Le Garde des Seaux de Birague marchant aprés vestu d'une robbe de velous rouge cramoisy, monté sur une mule harnachée de velous, et couverte d'une housse de mesme couleur à franges d'or. Tous les Ambassadeurs qui avoient assisté au Sacre estans conduits par des Seigneurs suivoient aprés. Le Comte de Maulevrier frere du Duc de [561] Bouillon menoit les Suisses de la garde du Roy, des Ducs d'Anjou et d'Alençon: aprés eux marchoient les trompettes et les clairons, qui estoient des Herauts et Rois d'armes, tous revestus de leurs cottes.

Les Herauts estoient suivis de deux Pages de la Reine nues testes, vestus, et leurs chevaux harnachez et couverts de toile d'argent jusques en terre. Le 1. ayant devant luy à l'arçon de la selle de son cheval le Porte-Manteau de sa Majesté, et le 2. la boëtte aux bagues derriere luy, sur la crouppe de son cheval: joignant eux l'un des Escuyers de sa Majesté, vestu de velous blanc, monté sur un beau cheval couvert de toile d'argent comme ceux des deux Pages. Le cheval de croupe et la haquenée de parade toute blanche, et couverte de toile d'argent frisée. Aprés marchoit le sieur de Quelus Lieutenant des deux cens Gentils-hommes de la Maison du Roy, qui le suivoient à pied, ayans tous des robbes de drap de soye enrichies de passemens d'or et d'argent, et la pluspart d'eux de grosses chaisnes d'or au col; et joignant eux le Comte de Raiz, et le Seigneur de Lansac leurs Capitaines, aussi tres-richement vestus et parez, portans le grand Ordre de Saint Michel: ils estoient suivis des valets de pied de la Reine, teste nue, habillez de toile d'argent, et aprés eux le Prevost de Paris bien vestu et bien monté.

Aprés venoient les Cardinaux d'Est, de Pellevé, de Guyse, de Lorraine et de Bourbon, revestus de leurs rochets, et portans les Chapeaux de Cardinaux sur leurs testes. Le Comte de Fiesque Chevalier d'honneur de la Reine, estoit devant la litiere de sa Majesté sur la main gauche fort bien vestu et monté. Le Duc de Guyse Grand Maistre de France tres-richement vestu, portant en sa main le baston de Grand Maistre estoit sur la main droite, plus prés de la litiere de la Reine, monté sur un beau cheval d'Espagne. Les deux Huissiers de la Chambre du Roy vestus de velous blanc estoient à pied portans leurs masses.

La Reine venoit aprés seule dans sa litiere découverte, dont le fond estoit couvert de toile d'argent traisnant en terre: les mulets qui la portoient tous couverts de toile [562] d'argent frisée, aussi traisnant en terre, et les Pages qui montoient les mulets et menoient la litiere habillez de toile d'argent, les testes nues. Sa Majesté estoit habillée de surcot d'hermines, couvert de pierreries d'un prix inestimable, de corset et manteau Royal, portant sur la teste une Couronne d'or enrichie d'une infinité de perles et de diamans tres-exquis curieusement appliquez. Les Ducs d'Anjou et d'Alençon freres du Roy, marchoient aux deux costez de la litiere Royale, celuy-là aussi Lieutenant du Roy à la main droite, et celuy-cy à la gauche, tous deux tres-richement vestus, et leurs habits semez d'une infinité de pierreries, et montez sur de grands chevaux d'Espagne (13). Les 4. Escuyers d'escurie de la Reine, tous habillez de velous blanc, et de soye d'argent marchoient à pied joignant sa litiere: les 24. Archers de la garde du corps du Roy aussi à pied, revestus de leurs hoquetons tous blancs, faits d'orfeverie. Madame de Lorraine, et Madame Marguerite soeurs du Roy suivoient aprés dans une litiere couverte et parée comme celle de la Reine, leurs Altesses vestues de surcot et de manteau Ducal, enrichis d'un nombre infini de pierreries, estans accompagnées du Duc de Lorraine à main droite, et du Prince Daufin à main gauche.

Aprés marchoient la Princesse de Condé, la Duchesse de Montpensier, la Princesse Daufin, la Princesse de la Roche-sur-Yon, les Duchesses de Nemours et de Guyse, et la Connestable Dame d'honneur de la Reine, habillées de surcots d'hermines, corsets, manteaux, et cercles de Duchesses, montées sur des haquenées blanches, accompagnées d'un Prince ou d'un Seigneur: leurs Escuyers marchans à pied aprés elles tous revestus de velous blanc, et chacune d'elles suivies de deux laquais de mesme parure. Celles qui estoient veuves n'avoient point d'enrichissemens sur leurs manteaux et habits.

Ces Princesses estoient suivies des Mareschales de Danville, de Cossé, de Tavanes; des Comtesses de Fiesque, et de Raiz; des Dames de Villequier, de Biron, de Froze, et de la Tour: elles estoient vestues et parées de toile d'argent, enrichies d'une infinité de perles, et montées sur des ha-[563]quenées blanches couvertes de housses de mesme parure.

Aprés ces Dames là suivoient quatre chariots, dans lesquels estoient six Demoiselles de la Reine, toutes vestues de robes de toile d'argent, enrichies d'une infinité de boutons d'or, de perles, et de pierreries: ces chariots estoient attelez et tirez chacun de 4. chevaux hongres, harnachez de toile d'argent, conduits par des cochers Hongres de nation, vestus de mesme façon à la Hongroise. Les Capitaines des Gardes du Roy avec leurs Lieutenans, Enseignes et Guidons: les Exempts et tous leurs Archers, montez à cheval, et revestus de leurs hoquetons d'orfeverie, avec la devise du Roy Charles IX. terminoient cette pompe Royale.

La Reine estant arrivée à Nostre-Dame descendit de sa litiere pour faire son oraison dans l'Eglise, où sa Majesté fut receue avec les mesmes honneurs que l'on a rendu aux autres Reynes. De là elle alla au Palais, où se fit le souper Royal, au mesme endroit qu'avoit esté le Roy Charles le jour de son entrée, et sous le mesme dais de velous bleu, semé de fleurs de lys d'or. Les Princesses de Condé, et Daufin, la Duchesse de Nemours, et la Connestable estoient assises à sa main droite: la Duchesse de Montpensier, la Princesse de la Roche-sur-Yon, et la Duchesse de Guyse à sa gauche. Le lendemain sa Majesté alla ouir la Messe à Nostre-Dame, accompagnée de la Duchesse de Lorraine, et de Madame Marguerite, et des autres Princesses et Dames, et d'un nombre infiny de Seigneurs et de Gentils-hommes, où le Prevost des Marchans, et les Eschevins l'ayant prié de leur vouloir faire l'honneur de prendre son disner en la salle de l'Hostel Episcopal, qui estoit enrichie de belles peintures de l'Histoire de Cadmus, et de sa femme Harmonie, expliquée en plusieurs distiques par Jean Dorat Poëte du Roy: ce que leur ayant accordé sa Majesté, elle y fut conduite par une gallerie faite exprés, regnant depuis la porte de l'Eglise jusques au grand escalier où estoit le festin preparé, auquel le Roy voulut assister avec les Ducs d'Anjou et d'Alençon, où aprés le bal les Prevost des Marchans et les Eschevins firent une excellente collation, à la fin de [564] laquelle ils presenterent six Histoires faites de sucre de la deesse Minerve, et luy firent present d'un buffet d'argent vermeil doré, bien cizelé et enrichy de diverses Histoires, digne d'estre presenté à une si sage et si vertueuse Princesse, qu'ils appelloient la Minerve Pacifique, et le bon-heur de la France. Les Muses de Ronsard, de Dorat, de Bouquet, et d'autres, celebrerent par leurs vers, les merveilles de cette entrée Royale, et de celle du Roy Charles IX. comme celles de François Baudouin, et de Scevole de Sainte-Marthe avoient chanté les honneurs de l'Epithalame de leurs Majestez.

Cette bonne Reyne accoucha à Paris le 27. d'Octobre l'an 1572. d'une fille qui fut baptisée le 2. de Fevrier de l'année suivante en l'Eglise de Saint Germain de l'Auxerrois. Le Parrain fut Emmanuel Philebert Duc de Savoye: et les deux Marraines Marie d'Espagne ou d'Austriche, Imperatrice, mere de cette bonne Reyne, et Elizabet Reine d'Angleterre, qui luy donnerent leurs noms de Marie-Elizabet par leurs Deputez. Celuy de la Reine d'Angleterre estoit le Milord de Vincestre Catholique; et celuy de l'Imperatrice porta l'enfant au Sacre, auquel servirent François de Bourbon Prince de Conty, et Charles de Bourbon Comte de Soissons, qui estoient lors fort jeunes.

Madame Marie Elizabet de France aprés avoir esté baptisée, fut conduite au Chasteau d'Amboise pour y estre nourrie et eslevée. La Reine Elizabet avant que partir de France, pour se retirer en Allemagne, alla voir sa fille en ce Chasteau là, où elle arresta quelque peu de temps. Un jour sa Majesté dit que l'on apportast sa fille, ce que l'on vouloit faire incontinent, et le Gentil-homme qui la portoit ordinairement la voulant prendre, luy dit que la Reine sa mere la demandoit; l'enfant se prit à crier bien fort, disant "Non Madame n'ira pas, Madame n'y veut pas aller", donnant de ses pieds contre l'estomac du Gentil-homme, et de ses mains luy frappant sur la teste: cela dura si longtemps, que la Reine commença à s'ennuyer, et dit à ceux qui estoient presens, "D'où vient que ma fille ne vient point"; on fut contraint de luy dire qu'elle estoit un peu opinia-[565]stre: sa Majesté repliqua, "N'y a t-il point moyen de luy oster cela?" on luy dit, "Ouy, Madame, mais on n'ose pas user avec les enfans des Rois comme on feroit avec d'autres": lors la Reine se tournant, et regardant Mademoiselle Carbonniere qui estoit gouvernante de Madame, luy dit ces paroles, A cause qu'elle est fille du Roy de France, il luy faut souffrir quelque chose de mauvaise grace, je n'entens pas cela. Je veux qu'on luy donne de la crainte; ne sçavez-vous pas bien que c'est la vertu et les bonnes moeurs qui rendent les Grands excellens. Il y a bien moyen de luy faire peur sans luy faire du mal. Aprés le partement de la Reine Isabelle, cette jeune Princesse fut amenée à Paris, où elle mourut à l'Hostel d'Anjou l'an 1578. n'estant aagée que de cinq ans et demy.

Elle rendit de grands devoirs au Roy son mary durant qu'il fut malade à Saint Germain en Laye, à l'Hostel de Raiz, et à Vincennes, où aprés avoir receu devotement ses Sacremens comme Roy Tres-Chrestien et Tres-Catholique, il passa de ce Royaume terrestre au celeste sur les trois heures aprés midy, le 30. de May 1574 (14).

Aprés le decés de ce Monarque, elle ne manqua pas de luy rendre les derniers devoirs à sa memoire aux Eglises de Nostre-Dame de Paris, de Saint Denys, et des Celestins (15); et quand le Roy Henry III. fut de retour de Pologne, et qu'il fut sacré à Reims, et marié à la Reine Louise de Vaudemont, elle demanda congé à sa Majesté de se retirer à Vienne prés de l'Empereur son pere; mais elle ne voulut point partir de France qu'elle n'eust esté à Amboise visiter (comme j'ay rapporté cy-dessus) Madame Marie Elizabet de France sa fille unique, qui estoit lors aagée de trois ans: elle donna charge à sa Gouvernante de veiller soigneusement sur les actions de cette Princesse, et principalement quand elle seroit un peu plus aagée.

Plusieurs Demoiselles de la Reine Elizabet prirent congé de sa Majesté, durant le voyage qu'elle fit de Paris à Amboise, pour se renfermer dans des Cloistres, et servir Dieu en des maisons Monastiques. Cette tres-Religieuse Princesse leur fit voir le contentement que sa Majesté recevoit de ce qu'elles prenoient cette resolution, leur disant, Je [566] loue Dieu qu'il vous a donné cette bonne inspiration, si je sors de France, je vous recommanderay à Madame ma fille, et à mes Officiers. Ces filles-là ont ressenty les effets des paroles de leur bonne Maistresse; car ses Officiers ont tousjours eu un soin tres-particulier de ces Religieuses, qui avoient eu l'honneur d'estre au service de cette bonne Reine, lesquelles durant les troubles de ce Royaume, elle a voulu retirer en Allemagne dans les Monasteres qu'elle y a fondez, et la Reine Louyse en sa consideration leur a témoigné beaucoup d'affection. Il ne faut pas s'estonner si la plus grande partie des Dames et des Demoiselles de la Reine Elizabet, ne sont sorties de sa maison que pour entrer dans des Monasteres, comme si elles n'avoient servy cette Princesse qu'aux gages de sa pieté pour s'enrichir eternellement, puis qu'elle leur avoit si bien appris à sa suitte et en son Palais l'art de mépriser les honneurs et les vanitez du monde; ce que sa Majesté fit genereusement, menant une vie de Religieuse, plustost que de Reine dans le beau et le devot Convent de sainte Claire, qu'elle a basti et fondé à Vienne en Austriche.

Elizabet d'Austriche Reine douairiere de France, estant de retour d'Amboise à Paris, elle sortit le Lundy 6. de Decembre 1575. par la porte Saint Antoine (16), et fut conduite par le Roy Henry III. tous les Princes, les Cardinaux, et les Seigneurs jusques à Saint Maur des Fossez, maison de la Reyne mere Caterine, où elle fut traitée fort splendidement: et le lendemain elle prit congé du Roy, des Reynes Caterine et Louyse, et de tous les Princes et Seigneurs, laissant un regret de si tost abandonner la France, et les François, et les Parisiens particulierement, témoignans le desplaisir qu'ils avoient de l'absence de cette tres-vertueuse Princesse qu'ils appelloient le bon-heur de la France.

Et de vray elle pouvoit estre ainsi nommée, ayant esté tout le cours de sa vie un miroir et un parfait exemplaire de douceur, d'humilité, de pudicité, de modestie, de charité, et de toutes les vertus Chrestiennes, ayant vécu avec une grande integrité estant fille, mariée et veuve. Le President de Thou au livre 60. de son Histoire l'appelle femme de pro-[567]bité antique, encore qu'elle fust tres-jeune: il veut dire que cette Reine estoit recommandable pour sa haute vertu, et de ce bon temps auquel les Vertus encore Vierges, estoient sans fard et sans tache. Et au 104. il fait son Eloge en ces termes; Sur la fin de Janvier (de l'an 1592.) mourut doucement au Seigneur Elizabet fille de Maximilien II. soeur de Rodolfe II. et veuve de Charles IX. Roy de France, femme vrayement pieuse et genereuse, recommandable pour sa gravité, et la sainteté de ses moeurs. Elle a esté justement comparée à Elizabet de Thuringe, pour avoir employé la troisiéme partie de ses revenus en aumosnes et en autres oeuvres pieuses. Il la loue aussi pour n'avoir point voulu penser à de secondes noces, ny jamais permis la vente des offices. On la pouvoit nommer sans flaterie, la Reyne des Vertus, car elle les avoit toutes.

La douceur est une des vertus qui s'apprend dans l'escole de Nostre Seigneur: il s'en est luy-mesme proposé comme l'exemple, et de tant de vertus qu'il a pratiquées, il n'y a que celle-cy de laquelle il a dit: Apprenez de moy que je suis doux et humble de coeur; il a voulu que les Saints, qui dans l'ancien Testament ont eu l'honneur d'estre ses figures, fussent eminens en cette vertu; et l'Escriture sainte remarque que Moyse estoit le plus doux de tous les hommes, et David le plus clement de tous les Rois. Aussi faut-il advouer que ç'a esté la vertu particuliere de nostre Reine Elizabet, que c'estoit le caractere qui la discernoit des autres, et qui servoit de lustre à toutes les vertus dont le Ciel l'avoit honorée. Les occupations et les affaires fascheuses, qui font perdre aux ames plus tranquilles, quelque chose de leur douceur, ne servoient qu'à augmenter celles de nostre Reine; son visage (comme j'ay appris de ses domestiques) respiroit mesme cette vertu, et toutes ses actions et ses paroles en estoient tellement remplies, qu'il y avoit du plaisir à la regarder et l'entendre. Elle recommandoit la mesme vertu à ses Dames et à ses Demoiselles, elle vouloit que la tranquillité de leur esprit parut sur leur visage. Elle defendoit à ses gardes de n'user point de violence, ny de ne frapper jamais les pauvres qui approchoient de sa Majesté. Il advint durant son voyage d'Allemagne pour venir en [568] France, qu'un pauvre vieillard se presenta à sa Majesté avec une belle jeune fille (17), dont la mere estoit decedée. Cette debonnaire Princesse fut touchée de si grande compassion, qu'à l'heure mesme elle prit la fille, et la recommanda à ses Dames, et la fit eslever avec soin, et à sa suitte bien instruire à la pieté; puis luy ayant demandé si elle desiroit estre mariée ou Religieuse, et ayant choisi cette derniere vocation, elle la fit recevoir et donner l'habit au Royal Monastere de Poissi, où la Signora Basque et les Demoiselles de sa Majesté assisterent à la ceremonie de sa vesture.

Si la Reyne Elizabet a esté si bonne, il ne faut pas s'estonner si elle l'a esté humble; car la douceur et l'humilité sont jumelles, ces deux soeurs naissent en un mesme temps dans les ames, il est bien difficile d'en posseder l'une quand on ne possede pas l'autre, et d'estre doux quand on n'est pas humble. Le Sauveur les a jointes ensemble, quand il nous les a proposées, et il semble qu'il nous a voulu faire voir par là, qu'elles estoient inseparables. En effect, c'est la raison qui m'oblige de faire voir l'humilité de cette grande Princesse en ces trois conditions de fille, de femme, et de veuve, aprés avoir parlé de sa douceur.

On ne sçauroit décrire combien elle estoit obeissante à l'Empereur son pere, et à l'Imperatrice sa mere avant qu'elle épousast le Roy Charles IX. et les respects et les devoirs qu'elle a rendus aprés estre mariée à ce Monarque, qui se vantoit (comme j'ay dit) d'avoir pour épouse la plus douce, la plus sage, et la plus humble femme du monde. Ces deux vertus la douceur et l'humilité de la Reine Elizabet, eurent tant de pouvoir sur Charles IX. qu'il quitta toutes les amours qu'il avoit pour les autres Dames, dont quelques-unes se voyent chez le Poëte Vandosmois sous les noms d'Eurimedon et de la belle Calirée. Il n'ayma plus que la Dame de Belle-ville, dont il a eu deux enfans, dont l'un est Charles de Valois Duc d'Angoulesme et Comte d'Auvergne, encor pour obliger la Reyne sa femme, il envoya cette Dame là en Daufiné au Chasteau de Fayet (18) où elle accoucha le 28. d'Avril 1573. de ce Prince-là. Il quitta aussi les violens exercices de la chasse, ausquels il [569] se plaisoit grandement, comme a fort bien remarqué le sieur Pasquier en l'un de ses Sonnets.

En tous climats je suis le Roy des Rois,
Disoit Amour d'une brave hautesse:
Tu ments (luy dit la Dame Chasseresse)
J'ay tout pouvoir dessus toy dans mes bois.
Lors eux picquez, jettent arcs et carquois,
Et se harpants, or de force, or d'adresse,
A qui mieux mieux, chacun d'eux s'entrepresse,
Et jà ces Dieux estoient presque aux abois:
Quand Isabel se met de la partie,
Et des carquois et traits s'est assortie,
Puis de deux traits sur Charles decocha:
De ces deux coups dedans luy elle enchasse,
Ensemblement et l'Amour et la Chasse,
Et dans son coeur l'Amour chaste ficha.

Aussi cette Princesse avoit de belles qualitez au rapport du grand Scevole de Sainte Marthe en sa poësie Royale (19),

Dame qui joint à la beauté
La grandeur et la Royauté,
Et qui porte peinte en sa face
La majesté de ses ayeux,
Et qui loge en ses chastes yeux
L'amour, l'honneur et la grace.

Elle fut fort obeissante à ses Confesseurs et à ses Directeurs; sur tous elle honoroit le docte Pere Jean Maldonat de la Compagnie de JESUS, l'un des premiers Theologiens de ce siecle là: toute la plus grande peine qu'avoit ce Pere là en la conduite de cette ame, c'estoit de luy faire relascher de ses jeusnes et de ses austeritez. Estant de retour en Boheme et en Austriche, elle servoit avec une grande humilité les malades aux Hospitaux, et les captifs aux prisons, vestue comme une femme de basse condition. Cette humilité luy fit fidelle compagnie jusques à la mort, car elle desira que l'on ne luy mit aucun eloge sur sa tombe au Choeur de l'Eglise de sainte Claire de Vienne, sinon ces paroles; Cy gist Soeur Isabelle Reine de France.

Sa conversation ordinaire estoit avec Dieu, et ses serviteurs: [570] demeurant en France elle conversoit avec les Religieuses, particulierement avec les Cordelieres de Saint Marceau, les Filles de sainte Claire, dites de l'Ave Maria, celles de Long-champ, et les Filles Penitentes, ausquelles elle fit de grandes aumosnes, quand la Reyne mere les fit changer de maison. Elle disoit à ses Dames que jamais elle n'estoit plus contente que quand elle pouvoit aller visiter les maisons de Religion, et pour ce sujet les visites des Princesses luy estoient importunes, d'autant qu'elles l'empeschoient d'aller s'entretenir avec ces servantes de JESUS-CHRIST. Entre tous les Religieux elle honoroit les Peres Jesuites, les Cordeliers, les Minimes, et les Capucins. Elle donna aux Jesuites du College de Clermont ses robes de noces pour en faire des chasubles et paremens pour la decoration des Autels. Leur College de la ville de Bourges est aussi une marque de la pieuse et royale liberalité de cette tres-devote et tres-charitable Reyne. Aprés avoir quitté la France, elle ne se contenta pas de bastir à Vienne en Austriche l'Eglise et le Monastere de sainte Claire, mais elle bastit et fonda encore l'Eglise de Toussaints à Prague, ville capitale du Royaume de Boheme. Estant à Paris elle envoyoit tous les Vendredis visiter les prisonniers par ses Dames, et employoit ses liberalitez à delivrer ceux qui estoient detenus pour debtes. Elle se servoit en ces oeuvres de pieté et de charité de la Sennora Basque, ou bien de la Sennora de Carence, Dames Castillanes, par le moyen desquelles sa Majesté assistoit secrettement de pauvres filles, afin qu'elles peussent estre honnestement mariées, ou que celles qui avoient fait quelque faute n'en fissent point une seconde. La Reyne Isabelle qui honoroit la vertu de la Sennora Basque sa Gouvernante, luy communiquoit toutes les actions de charité que sa Majesté vouloit faire en faveur des pauvres honteux, ou des pauvres Demoiselles qui desiroient avoir quelque argent pour estre receues dans les maisons de Religion. Aprés le decés de la Sennora Basque, qui mourut avant le Roy Charles, elle se servit de la Sennora de Carence pour faire ses aumosnes et ses liberalitez plus secrettes: car j'ay appris des Dames qui ont eu l'honneur de ser-[571]vir cette tres-charitable Princesse, qu'elle avoit à sa suitte cinq Dames Espagnoles. La premiere estoit la Sennora Basque, qui estoit sa Gouvernante, Dame fort sage et fort pieuse. La seconde, la Sennora de Carence, qui n'estoit pas de si grande authorité, neantmoins qui faisoit avec sa Majesté comme la Sennora Basque. Le 3. la Sennora Sidoyne: La 4. la Sennora Constance: Et la cinquiéme la Sennora Madelenie.

Si cette devote Heroïne a vécu si saintement dans la Cour de France, elle a continué de rendre les mesmes devoirs en celle de l'Empereur, et d'exercer sa charité envers les pauvres par l'espace de 18. ans qu'elle a esté veuve: car ceux qui ont pratiqué la Cour de Rodolfe II. ou qui ont leu les plus celebres Ecrivains de l'Histoire de nostre temps, sçavent bien qu'Elizabet d'Austriche, veuve du Roy Charles IX. s'est entierement addonnée aux exercices de devotion et de pieté, mariant honnestement les filles de maison qui n'avoient pas assez de moyens, et faisant distribuer le tiers de son revenu aux pauvres. Elle ne voulut jamais permettre la vente des offices de Judicature qui estoient en sa disposition aux Duchez de Berry et de Bourbonnois, aux Comtez de Forests, de la Marche, et autres Seigneuries, sur lesquelles son douaire estoit assigné, et les fit donner gratuitement aux personnes d'honneur et de merite, qui estoient recommandables, tant pour leur suffisance, que pour leur probité. Sa Majesté partant de France pria instamment Pierre de Gondy Evéque de Paris (qui depuis a esté Cardinal) auquel elle avoit donné l'intendance de sa Maison, en memoire du Roy Charles son mary qui avoit affectionné cette Maison là, de tenir la main à ce que ses ordonnances fussent exactement gardées, et nulles charges et offices vendus ou donnez aux incapables. Elle laissa en France pour son Agent et Procureur Auger de Ghislin, Seigneur de Boesbecq, natif de Commines en Artois, dont il s'est acquité dignement durant les 18. ans qu'il a demeuré en France, tandis qu'a vescu cette Princesse; aussi sa Majesté fit voir la bonté de son jugement au choix qu'elle fit de ce grand homme si renommé [572] pour son sçavoir et sa probité, et duquel les plus illustres Ecrivains ont fait les Eloges (20): mais cet Agent de la Reyne Elizabet est si recommandable par luy-mesme, que leurs louanges ne peuvent rien adjouster à l'avantage de ses merites qu'il a fait paroistre estant Agent en France de cette Reyne et de l'Empereur Rodolfe, Conseiller des Empereurs Ferdinand I. et Maximilien II. Gouverneur des Archiducs Mathias (depuis Empereur) Maximilien, Albert, et Vinceslas, et estant Ambassadeur ou Agent de leurs Majestez Imperiales à la Porte des Ottomans à Constantinople et à Amasie (21): Mais quittons les eloges du serviteur pour parler de ceux de la Maistresse que l'on ne peut assez louer, qu'avouant qu'elle surpasse toute louange, pour avoir fait donner les charges, sur tout celles de Justice, aux vertueux et aux capables; car le plus grand defaut qui puisse arriver en un Estat, c'est quand les Magistrats se font par argent, et non par le merite et la capacité. Pline a remarqué que l'Empire Romain alla tousjours florissant et s'estendant, tant que les charges furent gratuitement données à la vertu et aux merites: et tousjours en ruine et en decadence, quand les Offices furent venaux. L'Empereur Alexandre Severe fut extrémement exact à prendre garde que personne n'entrast aux Offices par la porte dorée, disant estre necessaire que celuy qui achete en gros la Justice, la revende puis aprés en détail. Jules Cesar à son advenement à l'Empire, ou pour couvrir son ambition à la Dictature perpetuelle, commença sa police par cette reformation, faisant punir avec severité ceux qui pour parvenir à quelque grade mandioient les suffrages du peuple par argent ou par prieres. Le mesme Cesar estant jeune avant sa fortune, comme Sylla le voulut reprendre de quelque chose, le menaçant de luy faire sentir l'authorité de sa charge: Tu as raison, luy respondit-il, de l'appeller tienne, l'ayant payée de ton argent, comme luy faisant le plus grand reproche qui se peut lors faire à un homme d'honneur.

Du temps de nos ayeux avant que cette miserable et pernicieuse coustume de vendre publiquement les Estats fust receue en France, c'estoit non seulement une vergongne, [573] mais comme ils avoient les ames entieres, et les consciences tendres, ils eussent estimé un grand peché de penser seulement à vendre ou acheter un Office, et lors les Rois (comme remarque fort bien le Mareschal de Monluc sur la fin de ses Commentaires, parlant du Roy Louys XII.) estoient bien mieux servis: car la distribution leur appartenant, tous ceux qui y aspiroient, outre qu'ils taschoient de se signaler par les sciences, par la valeur, et par les merites, ils se rendoient souples, complaisans et fideles, et les Princes obligeoient aussi leurs sujets.

Elizabet, Reine douairiere de France, estant retirée à Vienne, fut recherchée en mariage par plusieurs grands Princes, et mesme par deux puissans Monarques, Philippe II. Roy d'Espagne, veuf d'Anne sa 4. femme, et soeur aisnée d' Elizabet: Sebastien Roy de Portugal, et des Algarbes, jeune Prince bien nay: elle ne voulut jamais entendre à tous ces partis là, et persista en viduité, quoy quelle fust demeurée veuve à l'aage de 19. à 20. ans, gardant constamment sa fidelité à son premier et unique époux; la perte duquel elle regrettoit tous les jours avec larmes, faisant continuellement prier Dieu pour le repos de son ame. Son frere l'Empereur Rodolfe tascha par plusieurs fois de la persuader d'épouser ces Monarques qui la desiroient pour femme: mais cette bonne Princesse fut si constante, qu'elle demeura tousjours en sa resolution, d'estre veuve de Charles Roy de France, dans le tombeau duquel elle avoit enfermé toutes ses affections, ses plaisirs, et ses amours, disant plus veritablement que cette autre,

Tant que la rose en l'espine naistra,
Tant que dans l'eau la Baleine paistra,
Tant que les Cerfs aimeront les ramées,
Et tant qu'Amour se nourrira de pleurs,
Tousjours au coeur ton nom et tes valeurs,
Et tes vertus me seront imprimées.

Pour se delivrer des importunitez de l'Empereur Rodolfe qui la pressoit fort de choisir pour mary Philippe Roy d'Espagne qui l'en prioit instamment, et auquel le Pape en avoit accordé la dispense: elle envoya un homme exprés à [574] la Reyne Caterine sa belle mere pour sçavoir sa volonté, (comme j'ay rapporté en la vie de Caterine) laquelle ayant apprise par Sancerre qui luy rapporta la response. Elle dit à l'Empereur, Mon frere je vous prie de ne me plus parler de mariage; car je ne veux plus de mary: Et dit adieu au monde, à l'exemple des saintes Isabelles de Portugal et de Hongrie, ausquelles elle se conformoit, non seulement de nom, mais par ses moeurs et ses aumosnes: Elle fit bastir à Vienne en Austriche un beau Monastere pour les Filles de sainte Claire, avec lesquelles elle se retira, et passa le reste de ses jours en grande integrité, voire mesme sainteté de vie, avec l'estonnement et l'admiration de la Cour Imperiale: Car Elizabet pour l'ordinaire menoit une vie solitaire et retirée avec les bonnes Religieuses de ce Convent là, assistoit à toutes les fonctions Monastiques avec ces bonnes Dames bien nées, dont elle avoit remply la Maison qu'elle avoit bastie, son Palais n'en estant separé que par une galerie. La jeunesse renvoye souvent les pensées de la mort, et elle qui estoit en un aage florissant de 20. ans, ne voulut plus penser qu'à cela, estimant que l'on ne pouvoit apporter trop de soin et de consideration à ce qui ne se fait qu'une fois, il faut tousjours vivre au mesme estat, où l'on voudroit estre à l'heure de la mort: Dieu ne voulut pas qu'elle languist en une si grande carriere, il en retrancha plus de la moitié.

La memoire de cette Reyne Tres-Chrestienne est et sera à jamais dans l'Austriche, la Hongrie, et la Boheme en veneration parmy les Catholiques de ces Royaumes là, qui l'estiment une sainte. Ayant tousjours bien vécu, elle deceda aussi fort Chrestiennement, sa mort fut de celles qu'on appelle, Precieuse devant Dieu. Ce fut le 22. de Janvier de l'an 1592. estant aagée de 38. ans, qu'elle laissa les despouilles de cette mortalité, pour s'en aller jouir de son tres-aymé JESUS, lequel elle avoit aymé seul, aprés le decés du Roy son tres-cher époux, cherché toute sa vie, et desiré en sa mort; mort regrettée de tous les gens de bien, et principalement des pauvres et des necessiteux: Toute la Cour de l'Empereur Ro-[575]dolfe II. son frere en fit un grand deuil, et pleura la perte d'une si sainte Reine, et l'Empereur mesme ne sortit long temps aprés de son cabinet, tant il estoit triste et affligé; son corps fut porté en l'Eglise de sainte Claire qu'elle avoit bastie, où durant qu'elle estoit en santé elle ne manqua pas un seul jour d'aller de son Palais pour assister à tous les Offices divins, et au Service qui se faisoit tant de jour que de nuit, affligeant son corps tres-tendre et tres-delicat par jeusnes, disciplines, et austeritez qu'elle pratiquoit estant nostre Reine, ainsi que j'ay appris de quelques Dames qui ont eu l'honneur de la servir, lesquelles m'ont dit qu'elle n'a jamais voulu porter de masque, ayant à mespris la conservation de son visage: et que mesme du vivant du Roy Charles à une feste de la Chandeleur, Madame de Frose qui estoit sa Dame d'atour, vint dire à la Sennore Basque dans sa chambre, que la Reine par devotion vouloit prendre le cierge, et aller à la Procession les mains nues sans prendre de gans. Cette Dame Espagnole fut trouver sa Majesté, et luy dit ces paroles; Madame, l'on ne peut pas approuver ces devotions là, vous devez plustost regarder aux Princesses et à tous ceux qui sont dans le Louvre qu'à vostre mouvement. Il fait un froid extréme, vostre Majesté qui est foible et delicate tombera sans doute malade, et elle est obligée de conserver sa santé, et de ne la point alterer par tant de veilles, de jeusnes, et d'autres austeritez qu'elle fait tous les jours: Depuis la Sennore Basque dit aux Demoiselles, et filles de la Reine, "Mes amies j'ay esté bien aise de trouver l'occasion de faire cette remonstrance à la Reine; afin qu'elle quitte les penitences qui sans doute luy avanceront ses jours".

François Serdonati en ses Vies des Dames Illustres, remarque en l'Eloge de nostre bonne et vertueuse Reyne Elizabet, qu'estant à Vienne elle a souvent quitté ses riches vestemens, et esté en pauvre habit (sans estre cogneue) à pied, et avec peu de gens visiter les malades aux Hospitaux, et les prisonniers és prisons, et avoit un soin particulier des affligez, et que de tout son pouvoir elle s'employoit pour obtenir des graces et des faveurs de l'Empereur son frere, pour tous ceux qui luy sembloient dignes de com-[576]passion et de pitié. En ces saints et louables exercices (comme dit le mesme Autheur) elle finit saintement ses jours, et mourant laissa par son testament de grandes recompenses à tous ceux qui l'avoient servie. Elle voulut estre ensevelie au Monastere qu'elle fit bastir, et ordonna qu'on mist ces paroles prés de son tombeau.

Peccantem me quotidie, et non me paenitentem timor mortis conturbat me, quia in inferno nulla est redemptio, miserere mei Deus, et salua me. Voyant que je peche tous les jours, et que je n'en fais point penitence, la crainte de la mort me trouble, et m'inquiete, pource que dans l'enfer il n'y a nulle redemption. O Dieu ayez pitié de moy, et me sauvez.

La Reyne Elizabet avoit pour devise ou symbole un temple rond, couvert en dome, devant lequel estoit debout une Dame vestue de long, qui la representoit avec une Colombe toute entourée de rayons, qui sembloit luy parler avec ces mots Latins: IN DEO SPES MEA, Mon esperance est en Dieu, pour témoigner à tout le monde les ressentimens de son ame, les affections de son coeur, les resolutions de son esprit; et qu'estant par la mort du Roy son mary reduite en l'estat de veuvage, elle renonçoit aux choses de la terre pour vivre toute en Dieu.

D'autres donnent pour devise à cette tres-pieuse Princesse, une Fortune, telle à peu prés que l'antiquité nous l'a peinte: sçavoir une femme toute nue et déchevelée, à genoux toutesfois sur un globe (mais un globe celeste avec ses cinq cercles, ses zones, et ses meridiens) tenant son voile avec ses mains au dessus, et comme d'une nuée sortoit et souffloit un vent qu'elle recevoit dans son voile, et qu'elle mesnageoit en faveur de sa conduite. C'estoit un enigme et embleme mysterieux de ses actions, tant libres que naturelles, et necessaires, lesquelles estans desengagées de la terre elle vouloit estre toutes divines et celestes: elle voulut encore qu'elles fussent simples et humbles, comme témoignent sa nudité et son maintien, et animées des inspirations favorables de l'Esprit divin, conduites par la prudence Chrestienne, et par les regles d'une sainte justice, ce que [577] declaroit le mot Latin, VOLENTE, le voulant, qui faisoit sa devise: par laquelle elle declaroit qu'elle s'assujettissoit à tous les evenemens qu'il plairoit à Dieu de luy envoyer.

(1) Austriche moderne, blazonné en la p. 523.
Austriche ancien ou Haspurg, d'azur à six cailles ou alouettes d'argent, 3. 2. et 1. Les autres disent 5. alouettes d'or posées en sautoir.
Cette Princesse portoit écartelé au 1. et 4. de Hongrie, au 2 et 3. de Boheme blazonné en l'Eloge d'Anne Jagellon Reine de Hongrie et de Boheme, et sur le tout d'Austriche moderne party de Bourgongne ancien, blazonné en l'Eloge de Marguerite de Bourgongne ou d'Austriche Duchesse de Savoye.
(2) Le Roy Charles IX. envoia premierement Monsieur de Villeroy, puis Mr le Duc de Raiz pour faire la demande de la Reyne Isabelle.
(3) J. A. Thuanus. M. Piguerre. Belle-forest.
(4) Il s'appelloit Raymond de Pavie, et estoit Baron de Fourquevaulx.
(5) Thuanus. Belle-forest. M. Piguerre. La Popeliniere.
(6) L'ordre observé aux ceremonies du Roy Charles IX. avec Elizabet, fille de l'Empereur, par Monsieur Pinart Secretaire d'Estat.
(7) M. Piguerre. Belle-forest.
(8) Morvilier ou Morviliers, d'argent, au Sanglier ou à la laye de sable. à partir "d'argent", le texte disparaît comme si la limite de capacité était atteinte.