Marguerite d'Angoulême/Hilarion de Coste : Différence entre versions

De SiefarWikiFr

[version vérifiée][version vérifiée]
(Import automatique)
 
 
Ligne 78 : Ligne 78 :
 
(14) Albret, escartelé de France et de gueules simplement.<br />
 
(14) Albret, escartelé de France et de gueules simplement.<br />
 
(15) Foix, d'or, à trois pals de gueules. Bigorre, d'or, à deux Lyons passans de gueules, armez et lampassez d'azur. Rhodez, de gueules, au Leopard ou Lyon leopardé d'or, armé et lampassé d'azur: ''D'autres disent'', au Leopard Lyonné.
 
(15) Foix, d'or, à trois pals de gueules. Bigorre, d'or, à deux Lyons passans de gueules, armez et lampassez d'azur. Rhodez, de gueules, au Leopard ou Lyon leopardé d'or, armé et lampassé d'azur: ''D'autres disent'', au Leopard Lyonné.
 +
 +
[[Catégorie:Dictionnaire Hilarion de Coste]]

Version actuelle en date du 8 mai 2011 à 17:54

[II,268] MARGUERITE DE FRANCE OU DE VALOIS ET D'ANGOULESME, Reyne de Navarre, et Duchesse d'Alençon, Trisayeule du Roy.
Le Virgile François dans une Eclogue qu'on peut appeller la Bergerie Royale (1), chantant les louanges et les bon-heurs de la France, la loue pour avoir esté la mere de trois grandes Princesses nommées Marguerites.

Que dirons-nous encor, France, de tes merites?

C'est toy qui as nourry trois belles Marguerites,
Qui passent d'Orient les perles en valeur:
L'une vit dans le Ciel exempte du malheur,
Qui entretient le siecle en querelles et noises,
Ayant regi long temps les terres Navarroises.
L'autre prudente et sage, et seconde Pallas,
Fidelle à son grand Duc, embellit de ses pas
Les hauts monts de Savoye, et comme une Deesse,
Marche par le Piémont au milieu d'une presse
Qui court à grande foule, afin de faire honneur
A ce sang de Valois, qui cause leur bon-heur.
L'autre croist sous sa mere, ainsi qu'un sion tendre
Sous l'ombre d'un laurier, qui doit bien tost estendre
Ses bras jusques au Ciel, et son chef spacieux,

Pour embausmer d'odeur et la terre et les Cieux.

Par ces trois Princesses nostre Poete entend Mesdames Marguerites de France: la 1. Marguerite Reyne de Navarre et Duchesse d'Alençon, soeur du Roy François I. la 2. Marguerite Duchesse de Savoye et de Berry, et Princesse de Piémont, la quatriéme fille de ce grand Monarque: et la 3. la feue Reyne Marguerite Duchesse de Valois, troisiéme fille du Roy Henry II. Je commence par la premiere: [269] Charles Comte d'Angoulesme, fils du bienheureux Comte Jean, épousa Louyse de Savoye, fille de Philippe Duc de Savoye et de Marguerite de Bourbon, dont il eut deux enfans, un fils, et une fille; le fils a esté nostre Roy François I. et premier en beaucoup de sortes; la fille nommée Marguerite est celle à laquelle je consacre cet Eloge, pour avoir esté la fleur et l'ornement des Princesses de son aage, douée de plusieurs rares vertus, et singulieres perfections; entre lesquelles celle-cy n'est pas des moindres, d'avoir (outre l'ordinaire de son sexe et de sa condition relevée) addonné la vivacité de son bel esprit à la connoissance des bonnes lettres et des sciences, imitant le Roy son frere en cette louable qualité.
La ville d'Angoulesme a veu naistre l'an 1492. cette sçavante Heroïne, qui perdit dés l'aage de trois ans son pere le Comte d'Angoulesme, lequel deceda à Chasteauneuf en Angoumois le 1. jour de l'an 1496. Ce Prince mourant, pria son cousin germain Louys Duc d'Orleans de prendre la protection de ses enfans, dont Louys s'acquita tres-fidelement; car estant depuis parvenu à la Couronne de France par le decés de Charles VIII. il fit venir à Chinon Louyse Comtesse d'Angoulesme avec ses deux enfans François et Marguerite, qu'il receut, non seulement comme ses plus proches parens du costé paternel, mais comme s'ils eussent esté ses enfans; car il les fit nourrir et élever aux bonnes moeurs avec un grand soin, premierement au Chasteau de Blois où il estoit né, et depuis en celuy d'Amboise, et à sa Cour.
Charles d'Austriche Comte de Flandre (qui depuis fut Roy d'Espagne et Empereur) estant nourry à la Cour du Roy Louys XII. aprés le decés de son pere Philippe Roy de Castille, voyant les perfections et les merites de cette belle Princesse la demanda en mariage, et ce par plusieurs instances; toutesfois ce dessein n'eut point de suite, pour plusieurs considerations: car au mois de Decembre de l'an 1509. elle eut pour premier mary Charles dernier Duc d'Alençon. Le Roy Louys XII. et la Reyne Anne de Bretagne honorerent de leur presence les ceremonies de ce [270] mariage, où se firent des Joustes et des Tournois. François Comte d'Angoulesme frere de Marguerite, ayant depuis succedé au Roy Louys XII. le Duc d'Alençon mary de cette Princesse fut le premier Prince du Sang, auquel pour sa louable fidelité ce grand Monarque porta une telle affection, qu'il fit tomber en ses mains les principales charges de la dignité de Connestable: de sorte qu'on disoit lors, qu'il estoit le Connestable en effet, où un autre ne l'estoit que de titre et de nom.
Ce Duc estant decedé à Lyon l'onziéme d'Avril 1525. de regret de la prise du Roy François, Marguerite de France ou d'Angoulesme fut saisie d'une extréme douleur et déplaisir de voir son cher époux au tombeau, et le Roy son bon frere prisonnier de l'Empereur. Ayant rendu les derniers devoirs au Duc son mary, elle fit paroistre sa pieté et sa charité vers le Roy, qu'elle aymoit autant et plus que sa vie: car elle le fut trouver à Madrid en Espagne, s'estant embarquée à Aigues-mortes, et estant arrivée assez heureusement à Barcelonne, elle fut en haste en Castille, où elle l'assista grandement dans sa maladie. Son intention estoit quand elle le fut visiter, ou de le delivrer, ou pour demeurer captive, et là finir ses jours avec luy: mais la paix qui suivit (à laquelle cette bonne Princesse contribua fort) delivra l'un et l'autre de cette peine.
Mais avant la delivrance du Roy, Marguerite fit paroistre sa generosité (2): Premierement elle rejetta la proposition que l'Empereur luy fit de la marier avec le Duc de Bourbon, reconnoissant par cette demande, comme habile femme qu'elle estoit, que l'on la vouloit obliger à porter le Roy son frere à des conditions avantageuses à l'Empereur. Ce Prince accort et avisé ayant reconnu la force de l'esprit de cette Princesse, et qu'elle ne pouvoit pas gouster l'iniquité des conditions qu'il proposoit au desavantage du Roy et de la France, tascha de la faire arrester en Espagne (3), aprés luy avoir octroyé un saufconduit pour retourner en France, sous ce faux pretexte qu'elle avoit tasché de faire evader le Roy. On dit que Charles ayant honte de commettre cette perfidie et indignité à la face de sa Cour, l'amusa du-[271]rant quelques jours, faisant son compte que le temps du saufconduit seroit expiré quatre jours avant qu'elle sortist de l'Espagne; mais elle ayant découvert sa malice se mit en chemin, et par sa diligence arriva avant le temps expiré à Saulses prés de Perpignan, sur la frontiere de France, où le Seigneur de Clermont de Lodesve (sur l'advis qu'elle luy en avoit donné) la vint recevoir avec une bonne escorte que les Espagnols n'oserent entreprendre d'arrester.
Ce grand Monarque fit aussi voir l'estime qu'il avoit de l'affection et de la vertu de cette Princesse, par son Edit fait à Madrid au mois de Novembre de l'an 1525. par lequel il substitua à Louyse sa mere, cette Duchesse d'Alençon sa soeur, pour estre Regente et Gouvernante du Daufin son fils aisné, avec les mesmes honneurs et pouvoirs, comme il le declara par ces paroles: "Et s'il advenoit que nostre dite Dame et mere par maladie et indisposition ou autre empeschement, ou par mort (à quoy Dieu par sa grace et bonté veille obvier) ne peust exercer ledit Commandement autour de nostredit fils, et autres nos enfans: NOUS en ce cas voulons et ordonnons que nostre tres-chere et tres-amée soeur unique Marguerite de France Duchesse d'Alençon et de Berry, en toutes choses concernant ledit commandement, succede au lieu de nostredite Dame et mere, et faire tout ce que cy-dessus est dit, et ait semblable pouvoir, commandement, et authorité que nostredite Dame et mere." Mais les affaires ayant changé de face par la liberté du Roy François, ce Prince estant de retour en France, au grand contentement de son peuple, pour témoigner l'obligation qu'il avoit à Marguerite sa chere soeur, luy fit épouser Henry d'Albret Roy de Navarre, et Prince de Bearn (4). Par le traité de ce mariage passé au Chasteau de Saint Germain en Laye, le Roy François promit et accorda qu'il sommeroit l'Empereur de rendre à ce Prince son Royaume de Navarre, avec les anciens ressorts d'iceluy; et qu'à son refus il luy fourniroit d'une armée suffisante pour s'en rendre maistre. Outre ce, le Roy luy donna en mariage les Duchez d'Alençon, de Berry, et le Comté d'Armagnac (5), pour estre ce beau Comté propre aux descendans, tant masles que femelles, [272] qui sortiroient de ce mariage; duquel nasquirent quatre enfans, un fils unique nommé Jean, qui mourut aagé seulement de deux mois, (Marguerite sa mere est fort louée pour avoir porté constamment la mort de ce petit Prince) et trois filles, dont deux nées avant terme, decederent le jour de leur naissance: de sorte qu'une seule survéquit Jeanne d'Albret Reyne de Navarre, mere du Roy Henry le Grand, ayeule du Roy Louys le Juste, et bisayeule du Roy Louys Dieu-donné. La Reyne Marguerite eut ce contentement avant que mourir, de voir cette fille unique qu'elle aymoit tendrement, mariée à Antoine de Bourbon Duc de Vendosme, qui estoit en son temps le diamant entre les Princes pour sa valeur, ayant tousjours esté plus jaloux de l'honneur que de la vie.
Louyse de Savoye Duchesse d'Anjou et d'Angoulesme assista avec un grand contentement aux noces de cette Reyne Marguerite sa fille unique, qui épousa Henry II. du nom Roy de Navarre, fils aisné du Roy Jean d'Albret et de Caterine de Foix heritiere de ce Royaume là. Louyse fut heureuse pour avoir esté cherie et honorée par ses deux enfans nostre Roy François le Grand, et Marguerite Reyne de Navarre, qui sont louables d'avoir grandement respecté cette Duchesse leur mere, que quelques Ecrivains modernes blasment tant dans leurs Histoires, en faveur de Charles Duc de Bourbon, disans que sous les regnes des Rois de la Maison de Valois ou d'Angoulesme, descendans de cette Princesse, l'on n'osoit pas en parler mal: mais ils devroient considerer que nos Rois Henry le Grand et Louys XIII. sont aussi descendus de cette Princesse; car le Roy Henry IV. estoit fils de Jeanne d'Albret, et Jeanne estoit fille de Marguerite de France ou d'Angoulesme, et Marguerite fille de Louyse de Savoye.
Marguerite de France et Henry d'Albret Roy de Navarre se retirerent en leur Royaume, où ces nouveaux mariez se delibererent d'en faire valoir ce qui leur restoit, et mettre le Bearn (6) en tout autre estat qu'il n'estoit. Ce païs fertile et bon de sa nature, qui pour armes porte des vaches pour en monstrer l'abondance, ou en memoire de saint Volu-[271 sic]sian Apostre des Gascons demeurant en assez mauvais estat, inculte et sterile par la negligence des habitans, changea bien tost de face par leur soin. On y attira de toutes les Provinces de la France des gens de labourage qui s'y accommoderent, amenderent et fertiliserent les terres: ils y firent embellir et fortifier les villes, bastir des Maisons et des Chasteaux; celuy de Pau entre autres, avec les plus beaux jardinages qui fussent pour lors en l'Europe. Aprés s'estre bien logez, ils donnerent ordre à la Police de la vie, et aux Loix; ils establirent pour les differens de leurs sujets une Chambre pour les juger en dernier ressort; et firent reformer le Fort d'Oleron, qui sert de Coustume et de Loy au païs, laquelle depuis sa derniere reformation, qui estoit de l'an 1288. avoit esté grandement depravée. Par leur conversation et leur Cour ils y rendirent le peuple plus civil. Et pour se garantir d'une nouvelle usurpation du costé de l'Espagne, ils se couvrirent de Navarrins, ville sur l'un des Gaves, qu'ils firent fortifier de bons rempars, de bastions, et de demy-lunes, selon l'art qui pour lors estoit en usage.
Cette Princesse des plus accomplies de son temps, et instruite aux langues, ayant fait contre l'ordinaire des femmes et des Dames de maison et de qualité, bonne provision des sciences et des lettres; elle mit en lumiere plusieurs livres, entre autres sa Marguerite des Marguerites (c'est ainsi qu'elle a intitulé sa Poesie) par laquelle cette sçavante Princesse fit paroistre (comme remarquent fort bien les freres jumeaux Scevole et Louys de Sainte-Marthe) combien peut l'esprit d'une femme, quand il s'exerce à bien faire: outre ce elle donna encor au public ses autres oeuvres, sçavoir le Triomphe de l'Agneau, et le Miroir de l'ame pecheresse. Elle cherit les gens de sçavoir, les éleva aux charges et dignitez, dont elle est louée par les uns, et blasmée par les autres. Car comme elle estoit bonne, mais trop facile, elle receut chez elle, retira en ses terres, et voulut que sa maison servist d'azile à ceux que le Roy son frere Prince tres-Catholique, vouloit faire punir pour leurs erreurs, pensant bien faire, et non par aucune mauvaise volonté qu'elle eust à l'ancienne Religion de ses peres et ayeuls les Comtes d'Angou-[272 sic]lesme, les Ducs d'Orleans, et nos Rois Tres-Chrestiens. Elle presta l'oreille aux discours de Jaques le Fevre, et Gerard Roussel, et autres Heretiques, qui du commencement estoient specieux, et non pas si hardis et temeraires que depuis: elle entretenoit de bonne foy (comme elle estoit fort liberale et pitoyable) plusieurs d'entre eux aux estudes, non seulement en France, mais aussi en Allemagne. Elle secourut avec un soin admirable les refugiez et bannis de Paris et de Meaux à Strasbourg, à Zuric, et à Geneve. C'est là où elle envoya aux doctes en une seule fois quatre mille francs d'aumosne. C'estoient les effets de sa bonté et pieté, et des témoignages de sa bonne et Royale nature, comme la closture de sa vie, et son depart de ce monde l'ont monstré.
Estant affectionnée aux lettres, et caressant les personnes de sçavoir et de merite, elle recevoit les livres qu'ils luy envoyoient et presentoient par ses Dames. A la persuasion de Roussel, qu'elle fit pourvoir de l'Evesché d'Oleron et de l'Abbaye de Clairac, elle leut la Bible, lors grossierement tournée en François; ce qu'elle fit avec tel plaisir et contentement, qu'elle composa une traduction Tragicomique presque de tout le Nouveau Testament, qu'elle faisoit representer en la Salle du Chasteau de Pau devant le Roy son mary; ayant recouvré pour cet effet des meilleurs Comediens qui fussent lors en Italie. Et comme ces bouffons ne sont nez que pour donner plaisir, et faire passer le temps, ils entremesloient tousjours, pour faire rire la compagnie, plusieurs Rondeaux et Virelais contre les Ecclesiastiques, particulierement contre les Moines et les Religieux, les Curez, et les Prestres des villages. Les Comediens estans sifflez par ceux qui semoient sourdement l'heresie estans du commencement bien receus, les Ministres tascherent de se glisser dans la Cour de cette Reyne.
Roussel maistre de Calvin, revenant d'Allemagne (où il avoit conferé avec Luther) fut receu par malheur au service de cette Princesse, et commença à discourir en chambre de la pureté de la Religion, et la porta facilement du mépris du Pape (dont le nom estoit odieux pour la perte du Royaume de Navarre) à celuy des traditions, et peu [273] à peu à l'aneantissement des Sacremens de l'Eglise. Elle n'alloit à la Messe que pour s'en mocquer, et quitta son ancienne pieté; et cela fut cause que les Cardinaux de Grammont et d'Armagnac (quelques Historiens (7) disent de Foix et de Grammont, mais lors il n'y avoit point de Cardinal de Foix) se retirerent de sa Cour, et en donnerent avis au Roy François I. qui s'en offensa, et luy manda qu'elle vinst le trouver; ce qu'elle fit, estant accompagnée du Seigneur de Burie Gouverneur de Guyenne, qui favorisoit aussi l'heresie, comme il a fait voir depuis au rapport du Mareschal de Monluc. Elle mena son Roussel en sa compagnie, qui paroissoit homme de bien, et autres tels hommes, qui sous apparence de reformation et de pieté se vantoient d'avoir trouvé la perle de l'Evangile. Le Roy la tança fort, quoy qu'il l'aymast infiniment (comme j'ay remarqué cy-dessus) aussi l'appelloit-il tousjours sa mignonne. Il luy remonstra le tort qu'elle se faisoit de quitter la vraye pieté, pour suivre celle qui n'avoit que l'exterieur et l'escorce, et qu'il n'y avoit rien, que les Dames, mais sur tout les Princesses et les Reynes, deussent avoir plus en horreur que les semeurs de nouvelles doctrines. Il luy dit qu'il sçavoit tout le beau ménage qui se passoit à Pau, et luy apprit que la sacrée Faculté de Paris (dont Navarre et Sorbonne sont les deux premiers Colleges) avoit censuré son livre intitulé le Miroir de l'ame pecheresse. Elle répondit en Catholique; toutesfois elle parla au Roy de la Messe à sept points, dont on faisoit tant de bruit en ce temps là.
Quelques Autheurs (8) disent que cette Reyne de Navarre avoit conduit le Roy Henry d'Albret son mary des Comedies de la Salle aux exhortations de sa Chambre, (qui se faisoient, tant par Roussel, que par un Carme fugitif de Tarbe nommé Solon) et de ces prieres elle le fit descendre aux manducations (c'est ainsi qu'ils appelloient lors leur Cene) dans la cave, ou pour le moins és lieux plus secrets de la monnoye, qui est sur la pante du taulus du Chasteau de Pau. Mais que ce bon Prince ne s'écarta pas long temps du grand chemin, et reconnut bien tost sa faute; car il véquit tousjours, et mourut fort Catholiquement.
[274] Les autres (9) rapportent que Henry II. Roy de Navarre n'assista jamais aux Manducations, ny mesme aux prieres, et qu'ayant esté averty que l'on faisoit en la chambre de la Reyne sa femme quelque forme de priere et d'instruction contraire à celle de ses peres, il y entra resolu de chastier le Ministre, et trouvant que l'on l'avoit fait sauver, les ruines de sa colere tomberent sur sa femme qui en receut un soufflet, luy disant, Madame vous en voulez trop sçavoir, et en donna tout aussi tost avis au Roy François.
Marguerite Reyne de Navarre, non seulement fit son profit des remonstrances du Roy son frere, et du Roy son mary, mais comme sage et avisée Princesse, douée d'un admirable jugement, elle reconnut quelques années avant son decés les ruses et les finesses de ceux qui se vantoient faussement estre les vrais Chrestiens et fidelles à l'Eternel, et se retira du precipice où ils la vouloient faire tomber, reprenant sa premiere devotion et pieté Catholique qu'elle avoit fait paroistre, non seulement estant Duchesse d'Alençon, mais aussi depuis qu'elle estoit Reyne de Navarre.
Theodore de Beze le favory et le cher Ganimede de Calvin luy reproche qu'elle a obscurcy sa gloire, s'estant laissée decevoir par des personnes, lesquelles, comme dit cet Archiministre, abusoient de sa facilité. Le sieur de Remond Conseiller au Parlement de Bordeaux, nous apprend que la Vicomtesse de Riberac bonne et vertueuse Dame de l'illustre Maison de Candale, laquelle avoit esté nourrie à la Cour de cette grande Reyne, luy a dit que Calvin l'exhorta souvent et par lettres, et par messagers de vouloir maintenir la verité: et comme elle l'eut prié de la venir voir pour luy faire connoistre son erreur, cet Heresiarque timide, et qui craignoit le fagot n'osa pas sortir de Geneve de peur d'estre saisi au collet: car il animoit les siens au Martyre, dont il ne vouloit point gouster. L'Histoire Ecclesiastique de Geneve ou des Eglises pretendues reformées, dont Beze est estimé l'autheur, dit qu'elle retourna à sa premiere idolatrie, abandonna Dieu, et se perdit tout à fait.
Bien-heureuse fut la perte, puis qu'en les perdant elle se [275] sauva. Louable et sainte l'idolatrie, puisque sur ses derniers ans, elle frequentoit les Sacremens de Confession et de l'Autel en l'Eglise des Blancs-manteaux à Paris, ou comme portent quelques Memoires que j'ay veus, elle se confessoit à François le Picard Doyen de Saint Germain de l'Auxerrois et Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, de la Maison de Navarre, grand defenseur de la Religion Catholique, et extirpateur des heresies, communioit de la main de ce saint personnage, aprés avoir ouy sa Messe et sa Predication. Sainte idolatrie, puis qu'elle employoit ses deniers à faire bastir des Autels et des Temples pour l'honneur de la vraye Eglise, unique Epouse du Fils unique de Dieu, ayant basty et fondé à ses despens sur ses derniers jours des Eglises et des Hospitaux, entre autres celle des Enfans rouges à Paris , où sont nourris et eslevez les enfans orphelins qu'elle fit nommer les enfans de Dieu le Pere (10). Sainte idolatrie, puis qu'estendue au lit de la mort au Chasteau d'Odos en Bigorre le 21. du mois de Decembre feste de saint Thomas Apostre 1549. aagée presque de 59. ans, elle receut avec devotion le Corps de son Createur, et rendit l'ame prononçant trois fois le saint Nom de JESUS, et embrassant la Croix qu'elle avoit sur son lit, aprés avoir receu les saintes Huiles que luy donna le Pere Gilles Caillau Religieux de l'Ordre de saint François d'Assise, personnage ferme et zelé en la vraye Religion (11).
Son corps fut porté d'Odos à Pau, ville capitale de la Principauté de Bearn, et enterré en la principale Eglise. Tous les chers nourrissons des Muses aprés son decés ont celebré la memoire de cette illustre Heroïne, qui a esté l'une des plus sçavantes Princesses de son aage. Charles de Sainte-Marthe Lieutenant Criminel d'Alençon et Maistre des Requestes de l'Hostel de cette Princesse, fit une Oraison funebre en sa louange, qu'il publia en Latin et en nostre langue, et aussi diverses poesies. Jean Dorat, Nicolas Denisot, Mathieu Pacius, et Pierre de Mireurs, et autres sçavants l'ont louée pour son sçavoir et ses merites, mais ce n'estoit pas assez; il falloit qu'une grande Reyne et vertueuse Princesse fust encor louée par d'autres Prin-[276]cesses, ces trois Graces et Charites Angloises, Anne, Marguerite et Jeanne de Seymer, qui luy firent plus de cent distiques Latins, depuis tournez en plusieurs langues par du Bellay, Dorat, Baif, et autres. Valentine d'Alsinois luy fit aussi cet Epitaphe.

Musarum decima, et Charitum quarta, inclyta regum

Et soror et conjux, Marguaris illa jacet.
Soeur et femme de Roy la belle Marguerite,
Des Muses la dixiesme, et leur plus cher soucy,
Et la quatriesme Charite,

La Reyne du sçavoir gist sous ce marbre icy.

Mais entre les illustres Ecrivains qui ont loué aprés son decés nostre Marguerite de France, des uns dite Marguerite de Valois, par les autres Marguerite d'Orleans, et par d'autres Marguerite d'Angoulesme; Scevole de Sainte-Marthe, et Pierre de Ronsard sont les plus celebres et renommez: celuy-cy le Prince et le Pere de nos Poetes François, connu de toutes les nations de la terre habitable, où les moeurs sont cultivées, a chanté ses vertus et ses merites en cette belle Ode qu'il nomma Hymne Triomphal, et qui se trouve au 5. livre de ses Odes, et dans son Eclogue 6. Celuy-là l'un des meilleurs et des plus polis Ecrivains de son siecle, comme sçavent ceux qui ont leu ses Eloges, ses Odes Pindariques, sa Pedotrophie, et ses autres oeuvres, tant Latines que Françoises, a dressé en son honneur un Eloge particulier, luy ayant dans son oeuvre des Personnes Illustres aux lettres, qui ont fleury en ce Royaume pendant le siecle dernier, donné la place et le rang merité: Cet Eloge a esté depuis quelques années traduit en François par le sieur Colletet.
Cette grande Princesse qui a esté Reyne de Navarre, Princesse de Bearn, Duchesse d'Alençon, de Berry, d'Armagnac, d'Albret (12), Comtesse de Foix (13), de Bigorre (14), de Rhodez (15), Vicomtesse de Limoges, avoit deux belles devises.
[277] Par la premiere elle faisoit voir une fleur de Lys à la Françoise, accollée de deux Marguerites sous une mesme couronne, avec ces mots à l'entour, MIRANDUM NATURAE OPUS, Merveilleux ouvrage de la nature, pour nous donner à entendre à quelle perfection la nature avoit eslevé cette Princesse par la condition et de sa naissance et de sa personne representée par les deux plus nobles fleurs que la nature ait jamais produites; le Lys, lequel pour sa beauté, sa grandeur, et sa force est tenu pour le Roy des fleurs; la Marguerite, que la nature a rendue invincible aux efforts de la froidure, et la plus mignarde avec cela de toutes les fleurs domestiques, dont la premiere estoit la marque de son extraction, et la seconde des qualitez qui luy estoient personnelles.
Par son autre devise ou symbole elle representoit le Soleil, et un Soucy tourné, et comme panché de son costé, avec ces mots du Poete, NON INFERIORA SECUTUS; ce qui signifie, Ne s'arrestant point aux choses basses. Par cette belle devise cette sçavante Reyne vouloit monstrer qu'elle rapportoit toutes ses actions, ses pensées, ses volontez, et ses affections au grand Soleil de Justice, qui est Dieu Tout-puissant, se relevant journellement en la contemplation des choses hautes, celestes, et spirituelles. (1) Ronsard és premieres editions.
(2) Ferron.
(3) Du Pleix.
(4) Navarre, de gueules, à l'escarboucle pommetée d'or, ou aux doubles chaines d'or posées en orle, pal, sautoir, et fasce.
(5) Armagnac, d'argent, au Lyon de gueules.
(6) Bearn, d'or, à deux vaches passantes de gueules, accornées, accollées, et clarinées d'azur.
(7) F. de Remond. P. Mathieu. C. Bernard.
(8) Flor. de Remond.
(9) C. Bernard.
(10) H. Spondanus in Annal. Eccles.
(11) P. Mathieu.
(12) J. du Breuil en ses Antiquitez de Paris.
(13) Fl. de Remond. Carol. Sammarthanus. Fl. de Remond, l. 7 de la naissance de l'heresie.
(14) Albret, escartelé de France et de gueules simplement.
(15) Foix, d'or, à trois pals de gueules. Bigorre, d'or, à deux Lyons passans de gueules, armez et lampassez d'azur. Rhodez, de gueules, au Leopard ou Lyon leopardé d'or, armé et lampassé d'azur: D'autres disent, au Leopard Lyonné.

Outils personnels