Autour des discours des souveraines européennes, XVIe-XVIIIe siècles
Paris (5-6 juin 2023), avant le 15 janvier 2023

Université Paris-Est-Créteil
 (Unités de Recherche : Lettres, Idées, Savoirs ; Centre de Recherche en Histoire Européenne Comparée)
Colloque international

Les XVIe-XVIIIe siècles voient l’avènement au pouvoir en Europe de nombreuses souveraines, qui constituent, pour l’analyste, une catégorie différente de ces autres femmes illustres que représentent les femmes de rois, les favorites ou les femmes de l’ombre. C’est à la prise de parole publique de ces reines régnantes (ruling queens), corpus encore inexploré, que nous nous intéresserons principalement, mais aussi à leur réception. Qu’elles aient participé à la composition de leurs discours ou non, les souveraines les ont prononcés et incarnés. En raison de cette mise en voix et en corps, la question du genre est beaucoup plus saillante qu’elle ne le serait dans un questionnement sur l’écriture féminine.
Ce colloque international se propose de mesurer la place de la parole dans l’exercice du pouvoir de ces souveraines, mais aussi d’analyser leurs stratégies discursives, en cherchant la part du stéréotype féminin (assumé, réfuté ou ignoré) dans ces discours, et leurs modèles discursifs.
Dans la mesure où il n’a jamais été étudié auparavant pour lui-même, ce corpus demande à être constitué et envisagé de préférence sous l’angle d’études de cas. Parmi ces femmes, Mary Tudor, Élisabeth 1ère d’Angleterre, Anne d’Angleterre, Christine « roi de Suède », Marie-Thérèse d’Autriche « roi de Hongrie », Élisabeth 1ère de Russie, Catherine II de Russie, auxquelles associer les régentes de France, d’Espagne, du Portugal et de Russie, et les souveraines de la Péninsule italienne.  Il s’agira d’en faire émerger les différents points de saillance : la langue employée dans les discours, l’éducation de chacune et la culture de leurs conseillers, le mode de gouvernement, les différentes assemblées politiques (conseil réduit, parlement, cour étrangère), le moment politique dans lequel s’inscrit la prise de parole (cérémonies, crises, gestion quotidienne de réception des ambassadeurs ou de participation aux réunions d’une assemblée politique) et l’événement que constitue le discours.
Les études de cas sont privilégiées, mais les comparaisons entre souveraines, ou entre une souveraine et un souverain, sont également les bienvenues. 
Si les discours restent au cœur des réflexions, l’iconographie (peintures de commande, médailles frappées) constituera également un angle d’approche tout à fait intéressant du point de vue de la rhétorique de l’image et complémentaire de la rhétorique de l’écrit.
Pour chaque discours, un éventail de questions possibles est ici suggéré : 

·             L’élaboration de l’image des souveraines
Au moment où elles endossent une fonction traditionnellement dévolue aux hommes et souvent associée à la virilité, les souveraines prennent soin de leur image.  La réflexion sur ce point se nourrira de l’étude des représentations que s’en font les thuriféraires et les détracteurs et de leur circulation. Quelle est incorporation des stéréotypes de la femme en général, de la femme au pouvoir, mais aussi de l’image qui circule d’elle (ethos prédiscursif) ? Comment se construit la confrontation entre ce qu’elles disent d’elles-mêmes dans un discours (ethos dit) et ce qu’elles montrent à travers leur discours (ethos montré) ? Les souveraines s’inscrivent-elles dans la lignée de la « galerie des femmes fortes » (Pierre Le Moyne) ? Quelle maîtrise montrent-elles de leur image ? Un prolongement de ce questionnement pourrait mener à étudier la rhétorique de l’image dans les tableaux de commande et dans les médailles frappées.

·             L’argument du féminin
Nous souhaiterions à nouveau réfléchir à l’enjeu du féminin, comme cela a déjà été montré dans de multiples études sur le pouvoir au féminin, mais cette fois-ci en se fondant essentiellement sur l’étude de ces discours. On sait que les reines avaient su brouiller les frontières des définitions de genre et les attentes de rôle. On peut penser à Élisabeth 1ère d’Angleterre[1] : « Je sais que mon corps est celui d’une faible femme, mais j’ai le cœur et l’estomac d’un roi », discours devant ses troupes à l’approche de l’Invincible Armada, 1588. On a également montré la différence entre féminin et maternité, le maternel pouvant être associé à l’autorité[2]. On a également évalué la féminité par rapport à la virilité, au modèle masculin. En partant de cet état de la recherche, nous voudrions interroger à nouveaux frais ces discours et les comparer aux discours d’autres souverains masculins pour interroger la répétition des caractéristiques, positives et/ou négatives, associées à l’une et à l’autre.  
                  Ces questionnements permettraient d’évaluer la présence ou absence de l’argument genré dans la définition de la fonction royale et de la souveraineté. Les prises de parole sont-elles neutres et non genrées ? Comment s’accommodent-t-elles de la mobilisation fréquente du stéréotype du féminin ? Si l’argument du « féminin » est présent, s’agit-il de motifs traditionnels comme la maternité et la féminité, la douceur et la force morale, ou en trouve-t-on d’autres ? Sont-ils marqués par des stéréotypes négatifs ou positifs comme la faiblesse et la vulnérabilité, ou au contraire le courage ? Cet argument genré est-il mobilisé dans l’argumentation ? De quelle manière ? Est-il fort ou concessif ? Et finalement, quelle est la pertinence même de l’argument genré pour étudier ces discours ? peut-être retrouve-t-on des caractéristiques applicables à un roi (paresse d’Elisabeth I de Russie, érudition de Christine de Suède, problèmes élocutoires liés à la non-maîtrise de la langue russe pour Catherine II).

·             La maîtrise de l’éloquence
On essaiera d’abord d’établir une typologie des discours prononcés, entre discours officiels et discours improvisés[3].  Les premiers, préparés voire ritualisés, mettent en œuvre une éloquence d’apparat et une parole cérémonielle, dont il serait intéressant de chercher aussi l’éventuel cadrage institutionnel[4]. Les seconds, prononcés devant une assemblée, comme Christine de Suède devant le Sénat ou devant un groupe, comme Élisabeth de Russie devant les grenadiers, mobilisent de toute évidence une autre stratégie discursive. Une étude de celle-ci est nécessaire : choix de la langue selon les moments et les destinataires, style de parole, soin apporté à la rhétorique ou au contraire, rejet de celle-ci comme chez Catherine de Russie.
On cherchera également à mettre en évidence les spécificités de ces discours :  sont-ils caractérisés par de longues phrases (vs brièveté[5]) conformément à la faconde topique attribuée aux femmes, ou par des aphorismes ? Quels principes rhétoriques suivent-ils (entre véhémence et douceur) et quels ressorts argumentatifs activent-ils ? 
On s’interrogera sur les modèles suivis dans les discours. Ressortent-ils de l’imitation ? Sont-ils pétris de rhétorique grecque ou latine, dessinent-ils un nouveau modèle d’éloquence royale puisé chez les tragédiennes ou les personnages de fiction ? Servent-ils eux-mêmes de modèles à des discours postérieurs ? Nous pourrions également en retrouver la trace dans des témoignages contemporains, entre mémoires et rapports diplomatiques. À cet égard, l’étude des prises de parole non conventionnelles, telles que celle d’Élisabeth d’Angleterre au moment où le conseil aborde la question de son mariage, ou le discours d’abdication de Christine de Suède, est particulièrement recommandée, afin de déterminer si ces prises de parole correspondent à des hapax ou si elles suivent des modèles rhétoriques décelables ailleurs.  
On tentera de décrire autant que possible l’actio de la reine oratrice (voix, débit, gestuelle), pour en mesurer le degré d’élaboration et le souvenir qui en est resté aux auditeurs.
      On cherchera enfin à évaluer l’efficacité des discours sur le public et sa portée dans l’action politique. Lever des fonds, tel est le dénominateur commun de plusieurs d’entre eux. Quelle place doit être accordée à la parole de la souveraine dans sa manière de gouverner, et dans son rapport à l’autorité ? 

·             Modalités de transmission des discours
Les régimes de discours sont très variés d’une souveraine à l’autre. Certaines ont prononcé des harangues, des exhortations ou tenu des discours qui ne sont parvenus jusqu’à nous que sous forme de discours rapportés : discours indirect pour les plus détaillés, discours résumés pour les plus évasifs. Sur le plan méthodologique, de nouvelles archives sont-elles mobilisables ? C’est l’occasion d’évaluer la validité des mémoires, dépêches diplomatiques, rapports d’ambassadeurs, gazettes, dans la transmission de ces discours. Quel crédit donner au discours direct ou indirect par lequel sont rapportés plusieurs discours, à une époque où l’art de mémoire rendait crédible la mémorisation d’un long discours ? Et si une prise de parole publique n’apparaît que sous forme d’allusion, qu’en reste-t-il ? La parole représente un acte dont il convient de mesurer le statut d’événement.

Contacts :

Claire Fourquet-Gracieux, MCF stylistique du français moderne (Université Paris-Est-Créteil)
Marie-Karine Schaub, MCF HDR en histoire moderne, (Université Paris-Est-Créteil) 
Merci d’envoyer votre proposition avant le 15 janvier 2023, aux adresses suivantes : claire.fourquet-gracieux@u-pec.fr ; schaub@u-pec.fr. Nous vous répondrons avant la fin du mois de janvier.
Il s’agit surtout de présenter votre domaine de compétence (histoire, sciences politiques ; rhétorique, analyse du discours) et la zone géographique et / ou l’époque, voire la souveraine que vous souhaiteriez étudier. L’une des ambitions de ce colloque étant de faire travailler ensemble historiens (ou politistes) et rhétoriciens (ou analystes du discours), nous vous demanderons d’accepter le principe d’une intervention en tandem. La mention d’un discours-source est encouragée mais nullement obligatoire car nous sommes en train de constituer le corpus. 
La publication des discours sous forme d’anthologie commentée est à l’horizon de ce colloque.

Comité scientifique :
Lucien Bély (Sorbonne-Université) 
Fernando Bouza (Universidad Complutense de Madrid)
Anna Carlstedt (Université de Stockholm)
Guillaume Coatalen (Université de Cergy)
Séverine Delahaye-Grelois (Université Paris-Est-Créteil)
Isabelle Fernandes (Université Clermont Auvergne)
Matthieu Gellard (Sorbonne-Université)
Francine-Dominique Liechtenhan (CNRS)
Dominique Maingueneau (Sorbonne-Université)
Christine Noille (Sorbonne-Université)
Anne Régent-Susini (Sorbonne-Nouvelle)

 
[1] Carole Levin, The Heart and Stomach of a King: Elizabeth I and the Politics of Sex and Power, University of Pennsylvania Press, 2013, p. 148.
[2] Voir Julie Doyon, « ‘À l’ombre du Père’ ? L’autorité maternelle dans la première moitié du XVIIIe siècle », Clio, n°21, 2005, p. 162-173.
[3] Voir les travaux de Dominique Maingueneau sur les genres institués et conversationnels, et sur les discours constituants.
[4] Pierre Zoberman, « La parole cérémonielle », dans Les mises en scène de la parole aux XVIe et XVIIe siècles, G. Siouffi et B. Louvat-Molozay, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2007.
[5] Dans la lignée de Marc Fumaroli (« Aulae Arcana. Rhétorique et politique à la Cour de France sous Henri III et Henri IV », Journal des savants, 1981, 2, p. 137-189), voir Philippe-Joseph Salazar (éd.), Projet d’éloquence royale de Jacques Amyot, nouvelle édition, précédé d’un essai critique, Le Monarque orateur, Paris, Les Belles Lettres, 1992.