Perrette de Rouen/Aloïs Delacoux
De SiefarWikiFr
[130] PERRETTE (femme de THOMAS, de Rouen), ventrière jurée à Paris, en 1408. Quoique le nom de Perrette ne se trouve point dans l’histoire de la médecine ni dans les mémoires du temps, nous avons cru cependant devoir faire connaître cette sage-femme célèbre autant par son mérite et [131] ses talens, que par la condamnation flétrissante qui fut portée contre elle pour cause de magie et de sorcellerie; mais une partie de la peine portée contre cette infortunée lui fut remise, en raison de sa grande renommée et de son habileté dans les accouchemens. Le plus important de l’histoire de cette sage-femme se trouve tout entier dans les lettres de grâce accordées par Charles VI, le 17 mai 1408; lettres que nous avons exhumées du registre des chartes, à la section historique des Archives du royaume. Nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de leur donner tout au long cette pièce curieuse, cotée 223, qui a pour titre: Remissio pro Perreta uxore Thome de Rothomago.
«Charles, etc., savoir faisons à tous présens et avenir, nous avoir receu l’umble supplication de Perrette, femme de Thomas de Rouen, contenant que comme désja pieça (depuis quelque temps) elle se feust mise et appliquée à estre ventrière, et recevoir enfans naissans, pour secourir aux nécessitez de la vie de son dit mary, d’elle et de quinze enfens qu’ils ont eu en leur mariage, dont les aucuns sont encore en vie, lequel office icelle suppliante a fait et exercé bien et loyaument, par l’espace de vint ans ou plus, et par long temps a esté ventrière jurée de nostre ville de Paris, sans aucune complainte (plainte), maiz par sa loyauté, diligence et industrie a acquis l’amour et faveur de plusieurs nobles femmes, bourgeoises et autres; et il soit ainsi que dés environ la saint Jehan Baptiste derrenièrement passée, une femme nommée Jehanne Chantre dicte la Boudière, que la dicte Perrette congnoissoit à cause de ce qu’elle avoit receu d’elle trois enfans, se trahy (se transporta) par devers la dicte Perrette, et lui dist que se elle lui povoit faire finance (pro-[132]curer) d’un enfant mort né, elle la paieroit de tout ce qu’elle lui devoit pour avoir receu ses diz enfans, et si lui feroit donner vint escus: la quelle lui respondi qu’elle n’en pourroit, ne sauroit faire finance; mais la dicte Boudière lui dist lors que un grant seigneur de France estoit devenu si mesel (lépreux) qu’il ne s’osoit veoir en nostre court (cour), et avoit trouvé un mire (médecin) qui avoit promis à le garir, mais que on lui fist finance d’un enfant mort né, et que se la dicte Perrette lui en povoit faire finance elle lui feroit donner lesdiz vint escuz, et se ledit seigneur povoit garir il la feroit si riche femme que jamaiz elle n’aroit mestier de recevoir enfans; et tant pria de ce la dicte Perrette qu’elle lui accorda. Et ces choses dist la dicte Perrette à une ventrière (sage-femme) nommée Katherine la Petionne (petite), à la quelle la dicte Boudière paravant avoit de ce parlé, en lui disant que se aucun lui en venoit qu’elle lui apportast en sa maison. Et pour celle cause, la dicte Boudière par chascun jour, ou aumoins tres souvent, et par l’espace de deux moys ou environ, vint devers la dicte Perrette pour savoir se ledit enfant mort né lui estoit venu, dont la dicte Perrette, par annuy (ennui), dist à la dicte Boudière que dudit enfant mort né, elle ne pourroit, ne sauroit faire finance, et s’en descharga (déchargea). Et depuis par l’espace de six sepmaines ou environ, la dicte Katherine vint par devers la dicte Perrette, et en sa bourse (poche), lui apporta d’un enfant mort né du long d’une palme (main) ou environ qu’elle bailla à la dicte Perrette, et lui dist qu’elle le gardast tant que la dicte Boudière le venist querre (reprendre), et à tant s’en parti. Et assez tost après, la dicte Boudière vint par devers la dicte Perrette, et lui demanda se la dicte Katherine lui avoit ap-[133]porté ledit enfant mort né: laquelle respondi que oil (oui), et le lui monstra; et à tant la dicte Boudière se parti, disant qu’elle l’aloit dire à ceulx qui de ce faire l’avoient chargiée. Et le lendemain, la dicte Katherine retourna devers la dicte Perrette, et lui dist qu’elle ne savoit que ses gens vouloient faire dudit enfant mort né, et que par son conseil elles ne leur bailleroient point, mais l’enterreroient: laquelle Perrette respondi que la dicte Katherine disoit bien, et pour ce, elles deux l’alèrent enterrer aux champs, et depuis, ce jour mesmes, la dicte Boudière vint devers la dicte Perrette, et lui demanda ledit enfant mort né: à quoy la dicte Perrette respondi que elle et la dicte Katherine l’avoient enterré aux champs, dont la dicte Boudière fu moult (très) courouciée, disant que la dicte Perrette la feroit tenir pour baveuse (bavarde) et manteresse, et menaça la dicte Perrette, disant qu’elle avoit mal fait, et qu’elle s’en repentiroit; et néantmoins pria la dicte Perrette qu’elle alast avecques elle par devers ceulx qui de ce faire l’avoient chargée, pour lui aidier à soy excuser devers eulx, laquelle Perrette lui accorda, et ala avecques la dicte Boudière en la rue de Rosiers, en un hostel où elle trouva un grant homme, et gros, vestu de gris, et un autre homme mandre (moins grand), aussi vestu de gris, et un autre vestu de noir, qu’elle ne congnoissoit, ausquelx la dicte Boudière dist que la dicte Perrette et Katherine avoient enterré ledit enfant mort né aux champs, dont lesdiz trois hommes furent moult courciez (courroucés), et derechief menacèrent la dicte Perrette de lui faire annuy (peine) et dommage; et néantmoins ledit grant homme vestu de gris, que depuis la dicte Perrette a oy (entendu) nommer Guiselin de Rebesnes, pria et requist la dicte Perrette qu’elle [134] voulsist (voulut) bailler ledit enfant, et lui jura et afferma (affirma) que ce n’estoit pour aucun mal faire, mais seulement lui mectroit on un peu d’oignement (d’onguent) en la main, et lui en feroit-on oindre le visage du seigneur qui estoit mesel (lepreux), et, par ce, sa raffle (croûte) lui charroit (tomberait) de son visage, et tantost après, ilz rendroient et restituroient à la dicte Perrette ledit enfant pour icellui enterrer. Et pour ce, la dicte Perrette, qui est simple femme, accompaigniée d’un jeune varlet (valet) dudit hostel, ala deterrer ledit enfant, et l’apporta oudit hostel, et le bailla à homme vestu de noir que on disoit estre le médecin, présens ledit Guiselin, l’autre homme vestu de gris, et la dicte Boudière qui ala en une des chambres dudit hostel, et apporta une heuque (robe de chambre) fourrée qu’elle bailla en gaige à la dicte Perrette qui ne la voult (voulut) prendre, mais la dicte Boudière dist et afferma qu’elle la prendroit, au moins pour mémoire; et pour ce, la dicte Perrette print la dicte heuque, et l’apporta en son hostel, et dedens deux ou trois jours après la dicte Boudière apporta deux frans qu’elle bailla à la dicte Perrette, et d’elle reprint et emporta la dicte heuque. Toutes lesquelles choses furent, et ont esté faictes au desceu dudit Thomas de Rouen, et pour ce qu’il est venu à congnoissance de justice que ledit Guiselin et ses complices, dudit enfant mort né, ont voulu faire sorcerie (sorcellerie) ou autre malefice, ledit Guiselin et plusieurs autres ont esté prins (pris) pour ledit cas, et emprisonnés ou chastellet de Paris, et entre les autres, la dicte Perrette de Rouen, par l’espace de six sepmaines, ou environ, pour ledit cas, a esté prisonnière oudit chastellet, à grant poureté, misère; et finablement, par la sentence de nostre prevost de Paris, la dicte [135] Perrette, avecques la dicte Katherine, a esté condempnée à estre tournée ou pillory, et privée dudit office de ventrière (sage-femme): laquelle sentence a esté exécutée en tant que touche le pillory, et, par ce, la dicte Perrette délivrée de prison; par quoy, elle et son dit mary sont en voye de user le remenant (reste de leur vie) en grant reprouche et deshonneur, et en très grant poureté et misère, et mesmement que ledit Thomas, qui est viel homme, menestrel, doresenavant, peut pou ou néant gaignier à son mestier, et par ce, leur conviendra fouir (fuir), et laissier ce pays dont ilz sont nez, se de nostre grâce et miséricorde, ne leur est sur ce pourveu, en nous humblement requerant que d’icelle nostre grâce leur vueillons pourveoir. Pourquoy nous, ces choses considérées, voulans miséricorde estre, en ceste partie, préférée à rigueur de justice; et que la dicte Perrette, par tout son temps, a esté preude (honnête) femme, de bonne vie, renommée et honeste conversacion, sans ce que onques mais, elle feust, ou ait esté reprinse, blasmée ou souspeçonnée d’aucun autre blasme, ou reprouche, et que elle avoit fait, ou commiz les choses dessus dites plus par simplesce et ignorance que par malice; attendu en oultre, que en ce fait, n’a eu aucune partie bléciée, fors seulement justice, et que la dicte Perrette, tant par détencion de longue prison, comme pour la paine et honte dudit pillory a esté, et est grandement pugnie, et que son service, office, ou industrie est bien nécessaire à la chose publique, et mesmement que plusieurs femmes grosses se confient moult (beaucoup) en sa science et diligence, et de jour en jour, la viennent, et font requérir (demander) pour leurs enfans recevoir, à icelles Perrette de Rouen, ou cas dessus dit, de nostre grâce espécial et auctorité royal, avons [136] quictié, remis et pardonné, et, par la teneur de ces présentes, quictons, remectons et pardonnons le fait, cas et offense dessus diz, avecques la pugnicion de son dit office, et la restituons à sa bonne fame (réputation) et renommée à son dit office ou mestier de ventrière, sans être jurée, et à ses biens non confisquez, satisfacion faicte à partie civilement se aucune en y a, et faicte n’est. Si donnons en mandement à nostre prevost de Paris, et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenants présents et à venir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartiendra, que de nostre présente grâce, rémission, pardon et réhabilitacion, facent, sueffrent (souffrent) et laissent à la dicte Perrette joir et user plainement et paisiblement; sans lui faire, ne souffrir estre fait, mis, ou donné doresenavant, en corps, en biens, en exercice dudit mestier ou office, ne autrement, aucun destourbier (obstacle) ne empeschement; laquelle chose se faicte estoit, lui mectent, ou facent mectre tantost, et sans delay, à plaine délivrance, et au premier estat et deu: et imposons sur ce silence perpetuel à nostre procureur. Et affin que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mectre nostre scel à ces présentes; sauf en autres choses nostre droit, et l’autruy en toutes. Donné à Paris, le XVIIe jour de may l’an de grâce, CIϽ [sic] CCCC et huit, et de nostre règne le XXVIIIe.
Par le roy à la relacion du conseil. CHARRON.»
L’histoire du moyen-âge nous montre sans cesse la superstition aux prises avec la raison, en d’autres termes les esprits faibles faisant la guerre aux esprits forts. Eu égard aux moeurs du temps, le fait imputé à Perrette était plus qu’une profanation, un crime même, c’était un sortilége. Cette infortunée [137] ne dut la rémission d’une partie de sa peine qu’à sa supériorité dans l’art qu’elle exerçait et au besoin qu’on avait de son habileté, sans lesquels elle n’eût point trouvé grâce. Perrette vécut peu de temps après sa réhabilitation et mourut en CIϽ [sic] CCCC XI, rue Aubribouché, dont on a fait Aubry-le-Boucher, et fut inhumée aux charniers, selon la chronique de la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Boucherie.