Émilie

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Émilie
Dénomination(s) « Émilie »
Biographie
Date de décès vers 1700
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Évelyne Arnault-Robert et Brigitte Bonnet, 2021

« Émilie » est une des nombreuses correspondantes et maîtresses du comte d’Argenson (1696-1764) Celui-ci a exercé plusieurs fonctions d’État (lieutenant général de police, chancelier, ministre de la Guerre) et a conservé une bonne partie de sa correspondance privée passive, dont près de cinquante lettres d’une énigmatique inconnue. Celle-ci ne signe jamais. Cependant elle se donne un prénom – réel ou d’emprunt – « Emilie », et cela une seule fois, un 23 septembre sans indication d’année : « pour quoy nemepas dire mon chere enfan machere Emilie, ne cuige pas avous ». Ces lettres sont, pour l’instant, la seule source disponible pour identifier leur rédactrice.
Pendant les deux ans (1731-1733) que semble avoir duré cette relation épistolaire, le comte est chancelier du duc d’Orléans et a d’autres amantes : la duchesse de Gontaut (1734-1737), madame de Reynel (1733-1735), madame de Séchelles (1736-1751). Émilie est elle aussi une femme mariée. Son mari, qu’elle dit « extravagant », semble avoir un domicile à Charenton. Elle possède ou a possédé une maison à Paris et elle est servie par au moins une personne nommée Brodin qui facilite ses échanges de lettres avec le comte. Émilie serait belle, (selon madame de Narbonne), jeune (« je peut Etre imprudente, a mon age onest pardonable »), capricieuse et de santé fragile : « livronnous auplaisir vous davoire la taille fine ? Et moy le teinClaire », « pasdont bien mefache, machetivesanté est sidérangé ». Sa mère vit encore, seule personne de sa famille qu’elle évoque. Emilie, fort cultivée mais à l’orthographie incertaine, fréquente l’opéra, le théâtre, demande des livres au comte et s’intéresse à la littérature (notamment aux écrits du « petit Crébillon »). Elle semble très amoureuse du Comte : « je vous adore detoute maforCe jemeurdenvie devous mordre de vous Croqué » et elle doit imaginer des plans pour le rencontrer.
Émilie met-elle en danger sa réputation de femme mariée dans un monde où l’adultère est fréquent ? Une procédure judiciaire dont on ne sait précisément qui en prit l’initiative, est en cours entre elle et son mari. Dans l’attente d’un procès qui doit se dérouler « après Pâques », elle loge dans différents couvents et, pendant un séjour « aux Cordeliers », elle demande de l’aide au comte : « je seroy vraiment perduë apres les simoy, il pourait en venire, Encore sisautre ». Par ailleurs, elle évoque une lettre de cachet qui devrait la protéger du comportement de son mari. À sa demande, elle quitte des lieux conventuels non identifiés, refuse d’aller à la Miséricorde et semble avoir vécu chez un grand nombre de gens, en ville ou à la campagne. Elle nomme madame de Narbonne qui a probablement écrit en sa faveur, ainsi que monsieur de Narbonne. Elle parle d’un hôte qui l’effraie : j’ai « une peure aurible aureste Cest un fort honetehomme,qui ne fait pas bonne chere, il est vrait /quil nest pas petit maitre, Cest quelque Chose, son ajustement delit est simple et unique, Cest adire quil Couche sans ridaus, avec uneredingote rouge, et pour rendre letout parfait, un bonois denuit sisale, que le Cœur menbondit, Cest dommage ». Elle compte sur son procureur, un Mr Lebeuf, sur le gouverneur Felez, sur son avocat. Elle cite aussi des personnes qui lui sont inconnues mais qui pourraient, dit-elle, l’aider : monsieur de Carignan, duc de Savoie, la « Générale Lamotte », le président Hénault, messieurs de Maurepas et de Lamotte. Émilie échafaude des plans de fuite, part sans bagages et demande au comte de lui faire parvenir tissus, robes, papier, vin, pâté. Elle ne veut pas aller en « Provence » où on prévoit de l’envoyer. Émilie est jalouse des femmes qui entourent son amant et en particulier de « la. Caucos » qu’elle traite de chienne, mais elle excuse néanmoins les absences du Comte, tant que ses manquements peuvent s’expliquer par ses occupations ou sa santé. Petit à petit, le ton des lettres laisse imaginer que cette relation s’est achevée au bout de deux ans.
Émilie est une inconnue en quête d’identité. Sa relation clandestine avec un personnage important du règne de Louis XV révèle le sort de nombre de femmes de l’aristocratie, mal mariées mais combatives et procédurières. Le ton passionné de ses lettres, leur graphie particulière (notamment sa manière de segmenter les mots), la vivacité des faits qu’elles évoquent, rendent très attachante une épistolière dont l’anonymat mérite d’être levé par des recherches collectives.

Oeuvres

  • Bibliothèques universitaires de Poitiers (France), fonds ancien, archives d’Argenson : P 94. Soit au moins 49 lettres de la même écriture, dont 48 sont adressées au comte d’Argenson et une à madame « la Générale Lamotte ». Une seule lettre est signée et elle l’est du prénom « Emilie ». Seuls les quantièmes du jour et du mois sont parfois indiqués.

Choix bibliographique

  • Argenson, Françoise d', Caron, Philippe, Traineau-Durozoy, Anne-Sophie, et autres, « Le comte d'Argenson et les dames. La place des femmes dans les réseaux du secrétaire d'état à la guerre à travers les archives d'Argenson », Revue historique du Centre-Ouest, 2020, t. XVIII, p. 7-86.
  • Caron, Philippe, Traineau-Durozoy, Anne-Sophie, Pellegrin, Nicole, et autres, « Des femmes à leur écritoire au XVIIIe siècle : les épouses d’Argenson », Revue historique du Centre-Ouest, 2016, t. XV, p. 7-87.
  • Combeau, Yves, Le Comte d'Argenson (1696-1764), ministre de Louis XV. Préface de Michel Antoine, Paris, École des Chartes, 1999.
  • Martin, Georges, Histoire et généalogie de la maison de Voyer de Paulmy d’Argenson, Lyon, chez l’auteur, 1997.
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