Rosalba Carriera/Pierre-Jean Mariette

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[I,329] CARRIERA (Rosalba) Zanetti m'a écrit presqu'au moment de la mort de la Rosalba, arrivée le 15 avril 1757, qu'elle étoit alors âgée de 84 ans et quelques mois; par conséquent sa naissance doit être de l'année 1673. Cependant il m'est venu un mémoire, qui a été dressé à Venise par la femme de Pellegrini, soeur de Rosalba, et suivant lequel il paroit que cette habile fille est née en janvier 1670 (1671), ce qui lui donne, à sa mort, 86 ans et quelques mois, et je suis tenté de m'en tenir à ces dernières dattes.

Vleughels, ami de Rosalba, m'a dit qu'avant de se mettre à peindre, cette savante fille n'avoit d'autre occupation que de faire des desseins pour les dentelles appelées Points de Venise, et que, la mode s'en étant passée, elle se trouva assez embarrassée, car il falloit subsister, et ni elle, ni ses parents n'en avoitent le moyen. Dans cette détresse, un peintre françois, nommé Jean Steve, et à Venise, M. Jean, qui peignoit des tabatières, dont la mode s'établissoit, lui persuada d'en faire autant,et, comme elle avoit déjà des principes de dessein et de couleur, elle suivit son avis et s'en trouva bien. C'est ainsi que les grandes choses sont amenées par les plus [I,330] petites. Zanetti contredit pourtant cette anecdote, mais je ne scais s'il a raison.

Rosalba Carriera est venue en France en 1720 et a été reçue à l'Académie Royale de Peinture et Sculpture, le 26 octobre de cette année. Elle avoit été reçue à l'Académie de St Luc de Rome, le 27 septembre 1705, et à celle de Bologne, le 14 janvier 1720. Je trouve que dans ses airs de têtes (celles des femmes) Mlle Rosalba a beaucoup mis de la manière de Pietro Liberi ; ce sont souvent les mêmes caractères, les mêmes formes de bouche surtout, avec cette différence, que les têtes de la Rosalba sont beaucoup mieux coloriées que celles de Liberi, qu'elles ont plus de fraîcheur et plus de vérité. Leur belle couleur fait oublier leurs incorrections, car, il faut l'avouer, la Rosalba est fort incorrecte ; mais il en est d'elle comme du Correge, ses incorrections visent au grand, et lui sont, ce semble, permises. Ceux qui lui mirent le crayon à la main étoient ou des disciples, ou des amateurs de Liberi, dont les ouvrages jouissoient de la plus grande réputation; lorsque Mlle Rosalba entra dans la carrière de la peinture, ils durent lui proposer, pour modèles, les tableaux de ce maître, et, comme on ne se défait pas aisément de la première manière qu'on a contractée, il n'est pas surprenant que Mlle Rosalba s'en soit ressentie toute sa vie. En tout cas, elle ne risquoit rien à la conserver; la manière étoit agréable. Elle fit le voyage de Vienne en 1735, y fut très accueillie et eut l'honneur de donner des leçons de pastel à l'Impératrice régnante; cela se met volontiers dans une vie d'artiste et sert à la re-[331] lever, quoyqu'apprécié à sa juste valeur, ce ne soit pas grande chose.

Sa soeur cadette Giovannina, qui peignoit comme elle en miniature et qui lui aidoit à préparer des fonds, des drapperies, etc., est morte le 9 may 1737. C'étoit la meilleure fille du monde, qui étoit la meilleure amie de la Rosalba, et qu'elle n'a pas encore oubliée. Elle même est morte à Venise, le 15 avril 1757, et elle a été enterrée dans l'Eglise de St Vitto, sa paroisse. Elle avoit pour amie la Signora Luisa Bergalli, qui s'est distinguée dans la Poësie. M. Apostolo Zeno, excellent juge en cette matière, fait, en plusieurs endroits de ses lettres, l'éloge des pièces de poésie Italienne de cette savante fille. Apparemment que Mlle Rosalba lui avoit appris à peindre, car M. Apostolo Zeno, lui demandant son portrait au nom du Comte Collalto, lui dit qu'il le souhaiteroit peint par la Rosalba ou par le vieux Bellucci, mais au cas, ajoute-t-il, que vous le vouliez faire vous même, il le recevra avec encore plus de plaisir. Lett. del Zeno, t.2, n°168

Rosalba avoit été appelée en 1723 à Modène, pour y faire le portrait des princesses. Elle les fit, autant que je puis m'en souvenir, à la sollicitation de Mad. d'Hanôvre, leur grand mère, que Mlle Rosalba avoit connue à Paris, et qui avoit en cela ses veues; elle leur vouloit chercher des maris.

Ce fut en 1746 qu'elle perdit la veue. Peu de temps auparavant, elle avoit peint au pastel cette belle tête d'un jeune homme, dont elle m'a fait présent, qui est digne du Correge, et que la circonstance du tems, où elle a été faite, rend encore plus intéressante. En 1749, elle se résolut à souffrir l'opération des cataractes. Elle se fit au mois de may, et au mois d'aoust suivant, je reçus une lettre de sa main où elle m'annonçoit elle-même le succès; elle retomba bientost [332] dans son premier état d'aveuglement et n'en sortit plus.

- Deux pastels, la Paix et la Justice, la poësie religieuse et la poësie enjouée, vendus chez M. de Tallard, 2,800 liv. inspirent cette note à Mariette: Il y a bien du beau, mais on voudroit que la Rosalba y eut employé davantage de ses teintes brillantes, qui rendent si piquants ses autres pastels, d'ailleurs les compositions ne sont pas heureuses; elle se reposoit sur le Pellegrini, son beau-frère. Avec un peu moins de modestie, elle auroit pu faire quelque chose de plus agréable. (Cat. Tallard)

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