Marie de Pech/Fortunée Briquet

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CALAGE, (Mademoiselle de) née à Toulouse, vécut dans les premières années du 17e. siècle. Son talent pour la poésie, lui méritait une célébrité dont elle n'a point joui. Ses pièces de vers remportèrent plusieurs fois le prix aux Jeux floraux de Toulouse. Elle composa: Judith, poëme en huit parties. Cette production, l'ouvrage de sa jeunesse, ne fut imprimée qu'après la mort de l'auteur. L'éditeur, Mademoiselle l'Héritier, la dédia à Anne d'Autriche, mère de Louis XIV, alors régente du royaume. A la suite de ce poëme, on trouve un morceau de poésie, ou plutôt un chant de victoire, intitulé: Cantique de Judith. Pour donner une juste idée du mérite poétique de Mademoiselle de Calage, il ne faut pas se restreindre à parler de ses vers, il faut les citer. Elle dit, en parlant d'Holopherne:

Il porte dans ses mains la foudre et le trépas, La crainte et la terreur volent devant ses pas.

Holopherne adresse à Alcior, chef de Ammonites, les paroles suivantes:

«Tu sentiras bientôt la peine de tes crimes. Lorsque j'immolerai les Hébreux à mon roi, Je jure ici par lui de commencer par toi: Va respirer chez eux ta dernière journée....»

Quelle image dans ces deux vers:

Le front couvert de cendre et les larmes aux yeux, La face contre terre et le coeur vers les cieux...

On lit dans le poëme des Jardins, de Delille:

Et le corps sur la terre, et l'esprit dans le ciel.

Dans le poëme de Judith, un ange emprunte un corps à forme humaine, dont la beauté efface tout ce que les yeux des hommes ont vu:

D'un rayon lumineux il couronne sa tête,.... Et tous ses traits font voir son immortalité. Du haut du firmament il se trace une voie, A peine à l'oeil du jour son aîle se déploie, Que le ciel réfléchit ses brillantes couleurs. Les airs sont parfumés des plus douces odeurs..... Plus prompt que la pensée, au milieu des éclairs, Il a franchi les cieux et traversé les airs.

Judith passe dans l'appartement qu'elle habita dans des jours plus heureux; elle va s'y dépouiller de ses vêtemens de deuil:

Elle touche, et cent fois elle arrose de larmes, L'habit dont son époux voulut parer ses charmes, Quand aux yeux des Héraux, s'avançant à l'autel, Tous deux se sont jurés un amour éternel. Qu'un soin bien différent l'agite et la dévore! Ah! ce n'est pas pour plaire à l'objet qu'elle adore, Que Judith a recours à ces vains ornemens: Elle entend tout-à-coup de longs gémissemens; Son bras avec effroi comme enchaîné s'arrête; Elle frémit, soupire et détourne la tête: D'un nuage confus son oeil est obscurci; D'un tremblement soudain tout son corps est saisi. A la pâle lueur d'une sombre lumière, Un fantôme effrayant vient frapper sa paupière: C'est Manassès qui s'offre à son coeur attendri, Tel que ses yeux l'ont vu, quand cet époux chéri Exhala dans ses bras son ame fugitive.

L'apparition de l'ombre de Manassès a fait dire à Sauvigni: «Je ne crois pas que, dans tous les poëmes épiques que le siècle de Louis XIV a produits, il se trouve rien d'aussi heureusement imaginé.» Holopherne aime Judith. Mademoiselle de Calage compare le coeur de ce général à un labyrinthe. Plus il veut s'efforcer d'en sortir, plus il s'y égare:

Il se cherche lui-même et ne se trouve plus.

Racine a mis depuis dans la bouche d'Hippolyte ces deux vers:

Moi-même pour tout fruit de mes soins superflus, Maintenant je me cherche et ne me trouve plus.

Judith a quitté Holopherne pour quelques heures:

L'absence de Judith dure trop longuement, Et chaque heure est un siècle à ce nouvel amant.

Holopherne est plongé dans la plus honteuse ivresse, et Judith touche au moment d'exécuter son dessein:

Son courage redouble; un feu divin l'embrase. Ce n'est plus cet objet dont le charme vainqueur Du farouche Holpherne avait séduit le coeur: Sa démarche et ses traits n'ont rien d'une mortelle, Une sombre fureur en ses yeux étincelle, Ses cheveux sur son front semblent se hérisser, Un pouvoir inconnu la force d'avancer. Elle voit sur le lit la redoutable épée, Qui dans le sang hébreu devait être trempée; Elle hâte ses pas, et prend entre ses mains Ce fer victorieux, la terreur des humains, Observe avec horreur ce conquérant du monde, S'applaudit en voyant son ivresse profonde; Puis soulève le fer, l'arrache du fourreau, Et le coeur enflammé par un transport nouveau, Croit entendre la voix du ciel qui l'encourage: «Tu le veux, Dieu puissant, acheve ton ouvrage.» Elle dit, et d'un bras, par Dieu même affermi, Frappe d'un fer tranchant son superbe ennemi....

Il est extraordinaire que ces vers aient été écrits dans un tems où la langue n'était point encore fixée, dans un tems où Corneille était le seul qui, par la supériorité de son génie, se fut élevé au-dessus de son siècle. Cependant l'ouvrage fut condamné à l'oubli, tandis que les poëmes de Saint Louis, d'Alaric, de la Pucelle, de la Magdeleine et de Clovis donnèrent quelque célébrité à leurs auteurs.

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