Marie de Médicis/Hilarion de Coste

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[II,433] MARIE DE TOSCANE, REYNE DE FRANCE ET DE NAVARRE, Ayeule du Roy (1).
CETTE grande Reyne estoit fille de François de Medicis III. Duc de Florence, et II. Grand Duc de Toscane, et de Jeanne d'Austriche Reyne née de Hongrie et de Boheme, qui avoit esté accordée à Jean-Sigismond Zapoly, Roy ou Prince de Transylvanie (2). Le mariage de François et de Jeanne fut fait en la presence de l'Empereur Ferdinand I. Roy de Hongrie et de Boheme, pere de Jeanne, et ayeul de la Reyne Marie.
François fut un Prince accomply en plusieurs perfections, et loué pour son sçavoir par les Historiens, ayant [434] appris en perfection les langues Latine et Grecque, comme aussi la Françoise, l'Espagnole et l'Allemande, qu'il parloit avec autant de facilité que la Toscane: De maniere que pour ouir les Ambassadeurs des Princes Etrangers, il n'avoit point besoin d'Interprete, soit qu'il fallust répondre de vive voix, ou par écrit, l'un ou l'autre luy estant indifferent, semblable en cela à Mithridate Roy de Pont. Il estoit fils de Cosme, qui de Duc de Florence a le premier obtenu le titre de Grand Duc de Toscane du Pape Pie V. qui luy en envoya le Bref par le Cardinal Alexandrin son neveu. Marie de Medicis Reyne de France et de Navarre, estoit issue de cette Maison, que Cosme de Medicis, à qui, par ordonnance publique, le surnom de Pere de la Patrie a esté donné, a rendu illustre; duquel Pierre de Medicis, imitateur des vertus de son pere, n'a pas esté indigne successeur, ny Laurens le Grand, dit le Pere des Muses, et son frere Julien, appellé communément le Prince de la jeunesse; afin que je ne parle point de Jean, de Jules, de Jean-Ange, et d'Alexandre de Medicis, qui ayans esté élevez par leurs merites à la dignité Papale, ont pris les noms de Leon X. de Clement VII. de Pie IV. et de Leon XI. et n'ont pas apporté un petit ornement à la Maison de Medicis, comme aussi Ferdinand I. Grand Duc de Toscane, oncle de sa Majesté, et les Heros que j'ay nommez au commencement de la vie de la Reyne Caterine.
Sa mere Jeanne d'Austriche (dont j'ay fait l'Eloge en ce livre pour ses vertus) estoit fille de l'Empereur Ferdinand I. et d'Anne de Pologne Reyne de Hongrie et de Boheme sa femme, Princesse issue des Maisons de Jagellon et de Foix (familles et races illustres pour avoir donné des Rois à la Navarre, à la Hongrie, à la Pologne, et à la Boheme) à laquelle j'ay dedié le 2. des Eloges en ce livre. Jeanne se glorifie de Philippe le Bel Roy de Castille et Archiduc d'Austriche son ayeul, mary de Jeanne d'Espagne, heritiere de tant de Royaumes, comme j'ay fait voir en son Eloge, et de l'Empereur Maximilien I. son bisayeul, qui avoit épousé Marie de Valois ou de Bourgongne, heritiere des Provinces des Pais-bas, estant la seule fille de Charles [435] le Hardy Duc de Bourgongne, et d'Isabelle de Bourbon sa 2. femme. Entre les grands oncles de la Reyne Marie a esté l'Empereur Charles V. l'un des premiers, des plus heureux, et des plus illustres Heros de la Chrestienté. Ainsi l'on void d'où est sortie la Reyne Marie de Toscane, femme de Henry le Grand, mere de Louys le Juste, et ayeule de Louys Dieu-donné, tous trois Rois de France et de Navarre.
Son lieu natal est Florence, la plus belle ville de l'Italie, située sur la riviere d'Arne, et qui se vante d'avoir esté embellie par François Duc de Toscane pere de cette Reyne, qui la renouvella toute de bastimens magnifiques, et pouvoit à bon droit dire lors de son decés, ce qu'Auguste disoit de Rome: Qu'il laissoit une ville toute de marbre, qu'il avoit trouvée de bricque; de maniere que l'on pourroit dire à present avec plus de sujet que Charles Archiduc d'Austriche; Que Florence est une ville qui ne se doit monstrer qu'aux bonnes Festes. Cette belle ville est la capitale de la Toscane, anciennement appellée Etrurie, Province celebre à cause des Religions qui y ont eu du credit, et dont le peuple Romain a transferé à son usage les faisceaux, les robbes brochées de pourpre, les chaires d'yvoire, les anneaux, les casaques, et les ornemens de triomphe. En effet il estoit bien juste pour la gloire des François, qu'une tres-belle Princesse, qui devoit commander à tant de peuples, et estre la mere de tant de Rois, nasquist ailleurs qu'en la plus belle des villes de l'Hesperie, et en la Province, d'où Rome l'Emperiere du monde et la capitale de l'Univers, n'a point eu de honte d'emprunter les ornemens qui relevoient la dignité de l'Empire.
Elle nasquit l'an 1574. et dés l'aage de trois ans elle demeura orfeline, sa mere Jeanne d'Austriche Grande Duchesse de Toscane estant decedée au mois de Juin de l'an 1578. Princesse si sage et si vertueuse, qu'elle laissa dans les coeurs de ceux qui la connoissoient une grande opinion de sainteté, comme j'ay rapporté en son Eloge, en la V. Partie de ce livre.
Son pere la fit élever avec beaucoup de soin, et permit [436] qu'elle suivist ses inclinations curieuses, qui la porterent à vouloir apprendre les principes de la Mathematique, et à sçavoir quelque chose des arts qui sont honnestes et nobles; sçavoir la peinture, la sculpture, et la graveure. Les premiers divertissemens de son enfance estoient dans ces beaux exercices du pinceau, du ciseau, de la lime, et du burin; ayant aussi appris à connoistre les pierreries, et à discerner les vrayes d'avec les fausses; parce qu'il n'y a point de piperie plus utile à ceux qui la font, ny plus dommageable à ceux qui la souffrent.
Le Duc François son pere par sa mort inopinée, qui l'emporta de ce monde le 29. d'Octobre de l'an 1587. laissa la Princesse Marie entre les mains du Grand Duc Ferdinand I. Cet oncle, qui estoit d'un naturel jovial, et d'un entretien agreable, ayma cette niece comme sa fille, et l'honora comme sa maistresse. Elle eut ce bon-heur aprés le decés de son pere, d'estre nourrie par ce grand Duc Ferdinand, et sa femme Christine de Lorraine, cette sage et vertueuse Heroine, en la Cour desquels on voyoit éclater la liberalité des Valois, la generosité des Lorrains, et la magnificence des Medicis. Ils rejetterent (comme je diray plus bas) quelques partis qui se presenterent pour elle; et la reserverent pour un Roy, ou pour un Prince qui peust estre Empereur. Il luy manqua aprés quelques propositions; ayant esté destinée pour un Roy de France. Car dés la naissance de cette Princesse, la commune renommée, qui devance les evenemens, luy avoit destiné des Couronnes, et entre les Couronnes celle des Lys.
Dés sa premiere jeunesse cette pensée se logea en son ame; car l'on dit que se jouant avec ses soeurs, quoy qu'elle fust leur cadette, elle disputoit la preseance, et disoit; Je suis Reyne de France. Quelques-uns ont remarqué qu'une fille de Sienne nommée la Pasitée, luy dit en ses plus jeunes ans, qu'elle seroit femme de Roy, et mere de Roy. En cette confiance elle écouta fort froidement la poursuite de l'Empereur Rodolfe II. qui desiroit que la Maison de Medicis rendist la pareille à celle d'Austriche; c'est à dire que la Princesse Marie de Medicis fust mariée à sa Majesté Im-[437]periale, ou à quelque Prince de sa Maison, comme Jeanne d'Austriche avoit esté mariée à François de Medicis Grand Duc de Toscane. Il fit proposer le mariage de Ferdinand d'Austriche, fils aisné de Charles Archiduc de Gras et de Marie de Baviere, qui depuis a esté l'Empereur Ferdinand II. On parla aussi de la marier à quelque Prince du Sang de France; et entre autres (3) à Henry de Bourbon Prince de Dombes, qui depuis a esté le dernier Duc de Montpensier.Le Grand Duc Ferdinand fit proposer ce mariage au Roy Henry IV. dés les premieres années de son regne, pour faire paroistre son affection à sa Majesté et vers cette Couronne, durant les plus grands troubles de la Ligue. Mais le Ciel l'avoit aussi reservée à cet incomparable Monarque. Quelques-uns ont aussi remarqué, que Gabrielle d'Estrée Duchesse de Beaufort, l'incomparable beauté de tous les siecles, considerant un jour dans un cabinet les portraits d'Isabelle-Claire-Eugenie Infante d'Espagne (qui depuis a esté Archiduchesse) et de nostre Marie Princesse de Florence, du mariage desquelles on parloit avec le Roy Henry le Grand, elle dit ces paroles; Je ne crains pas cette brune Espagnole, mais cette belle Florentine. Son bel esprit ou la jalousie amoureuse luy faisant remarquer au visage de cette tres-belle et tres-aymable Princesse des traits de Royauté, et des attraits à ravir le Roy Henry IV. Enfin le jugement de cette Dame en fut comme une Prophetie. Aussi ce grand Monarque voulant satisfaire aux voeux de ses sujets, et particulierement de sa Cour de Parlement, qui desiroient que sa Majesté épousast quelque Princesse d'une Maison Souveraine qui luy donnast des successeurs.
Au mesme temps que la Cour de Parlement arresta de faire cette requeste au Roy Henry IV. le Pape Clement VIII. s'y employoit, et plusieurs grands Princes témoignoient par leurs Ambassadeurs le desir qu'ils en avoient. Celle mesme à qui cette proposition touchoit le plus, la favorisoit de ses voeux, et monstroit qu'elle estoit veritablement (comme j'ay dit en son Eloge, dans les Vies des illustres Marguerites) fille de France, et de cette branche tres-illustre, Royale et magnifique d'Angoulesme, dite de [438] Valois, qui n'a jamais rien plus aymé que de voir fleurir la grandeur de ce Royaume en elle: voicy encores un témoignage que donna la Reyne Marguerite, femme, et neantmoins éloignée du Roy Henry IV. par le consentement qu'elle y apporta, craignant de ne luy point laisser de lignée. Mais d'autant que ce n'est pas assez, et qu'il n'y a que Dieu qui puisse deslier ce qu'il a lié, ny disjoindre ce qu'il a conjoint, il fallut que celuy qu'il a estably son Vicaire en terre pour y gouverner les choses spirituelles, et regner sur icelles, y apportast son pouvoir et son authorité. Il fallut donc commencer par la dissolution du mariage qui avoit esté contracté entre le Roy Henry le Grand (lors Roy de Navarre) et la Reyne Marguerite. Le bon Pape Clement, dont la vie a esté une perpetuelle sollicitation de paix et de repos aux Princes de la Chrestienté, ordonna des Juges pour connoistre de la validité ou invalidité de ce mariage, qui furent Monsieur le Cardinal de Joyeuse, Horace de Monté Archevéque d'Arles (4), et Gaspar Evéque de Modene, Nonce du Pape, lesquels le declarerent nul par leur Sentence definitive du 17. Decembre 1599. comme j'ay rapporté en l'Eloge de la Reyne Marguerite: et sur leur Sentence le Pape Clement VIII. permit au Roy Henry IV. de se marier où bon luy sembleroit; dequoy sa Majesté envoya remercier sa Sainteté par feu Monsieur d'Hallincourt, Chevalier de ses Ordres; et par mesme moyen luy demander son avis touchant celuy de la Princesse Marie de Toscane, fille du Grand Duc François, et niece du Grand Duc Ferdinand I.
L'humeur amoureuse, et le naturel vertueux de cet incomparable Monarque, avoient arresté son coeur et ses yeux sur les excellentes beautez et les rares vertus de cette chaste Princesse de Florence, dont la renommée avoit publié par l'Univers les grandes qualitez, et sur le visage de laquelle on voyoit reluire une Royale gravité, accompagnée d'une beauté et d'une bonne grace nom pareille.
Elle estoit issue d'une Maison destinée au Gouvernement de l'Eglise, et à la Tutelle de nos Rois pupilles, ayant donné lors trois Papes à l'Eglise, et trois Rois à la France, et [439] en ayant paisiblement gouverné quatre. Cette Maison n'avoit jamais desiré le démembrement de la France, ny conspiré avec ceux qui avoient troublé son repos, et les affaires des Rois Henry III. et IV. qu'elle avoit mesme assisté contre la rebellion des mauvais François, comme j'ay remarqué (5) en l'Eloge de Christine de Lorraine Grand' Duchesse de Toscane. En un mot c'estoit une Maison feconde en Heros et en Heroines. Le grand Cosme, grand ayeul de cette Reyne, qui changea toutes ses gardes en l'amour des Florentins, qui trouverent enfin son joug plus agreable que leur pleine liberté; et la Reyne Caterine, qui sceut faire subsister la France à la façon de l'Univers, parmy les humeurs contraires de differentes factions.
Ferdinand I. Grand Duc de Toscane receut MM. de Sillery et d'Hallincourt Ambassadeurs de France, comme ceux qui apportoient en sa Maison le plus grand honneur qu'il pouvoit desirer; et bien qu'il luy tardast que tout fust fait, et que faire une chose promptement, soit une marque qu'on la fait de bon coeur; il y alla toutesfois au mesme pas de ses autres affaires, et ne changea rien de l'ordre dans lequel il tenoit et avoit eslevé cette belle et vertueuse Princesse. Ils demeurerent quatre jours à Florence sans la voir, et la premiere veue ne fut qu'en passant par la rue. Il les mena premierement par la ville à cheval, estant au milieu d'eux. Ils rencontrerent la Grand' Duchesse Christine qui alloit aux Stations de l'Annonciade portée en une chaire, parce qu'elle estoit grosse: la Princesse venoit aprés en carosse, le Grand Duc les fit arrester, pour donner temps aux Ambassadeurs de la voir, et luy parla quelque peu pour favoriser le desir des Ambassadeurs, qui avoient une extréme passion de la considerer et de l'ouir parler. Deux jours aprés ils eurent audience en la chambre du Grand Duc. La Princesse ayant ouy la harangue de Monsieur d'Hallincourt, répondit; Que le Roy l'obligeoit infiniment de cette élection, et qu'elle esperoit que le Ciel qui avoit tousjours entretenu en son ame l'esperance de cette bonne fortune ne l'en rendroit pas indigne. L'on remarqua qu'elle demeura un peu rouge quand elle dit ces paroles. Le mot d'Amour qu'avoit dit le sieur [440] d'Hallincourt en sa harangue, luy ayant fait venir cette couleur au visage: Cette Reyne ayant dit depuis que ce Seigneur là estoit le premier qui luy en avoit parlé. La pluspart de nos Historiens racontent au long toutes les particularitez qui se passerent entre sa Majesté, les Ambassadeurs de France, et le Grand Duc Ferdinand I. ausquels je renvoye les curieux.
Je diray seulement que le contract fut passé en la chambre de ce Prince, où il fit venir la Princesse; et s'estant assis le long de la table, la Grande Duchesse au dessous de luy, puis la Princesse, les sieurs de Sillery et d'Hallincourt, et au dessous d'eux Virginio Ursin Duc de Bracciano, tous d'un costé, et l'Archevéque de Pise au bas de la table debout; le Chevalier Vinta Secretaire d'Estat au haut de la table, et debout écrivit et leut le contract; puis le Grand Duc dit à la Princesse que c'estoit à elle à signer: ce qu'ayant fait, les Ambassadeurs signerent pour le Roy, et le Grand Duc, tant pour luy que pour la Princesse. Aprés cela le Grand Duc se leva de sa chaire, salua la Princesse, luy baisa la robe, et s'assit au dessous d'elle, et les Ambassadeurs demeurerent debout et découverts. Elle les pria de se couvrir et de s'asseoir, ils s'excuserent, ne pouvans pas estre autrement en presence de leur Maistresse, et que tel estoit l'ordre et le respect que les plus Grands de France luy devoient rendre. Le lendemain le sieur d'Hallincourt partit de Florence pour apporter au Roy Henry le Grand ces bonnes nouvelles, avec le portrait de la Reyne Marie, que Ferdinand et Christine, Duc et Duchesse de Toscane luy envoyerent, comme aussi ce grand Roy envoya au mesme temps le sien au Grand Duc par le Seigneur de Frontenac, de la Maison de Buade (6), qui alla servir la Reyne Marie de premier Maistre d'Hostel, et luy presenta la premiere lettre de la part du Roy Henry IV.
Le Dimanche, trois jours aprés le partement du sieur d'Hallincourt, le Grand Duc Ferdinand luy fit rendre les honneurs de Majesté, et publia avec solemnité le mariage. On chanta le Te-Deum au Palais de Pitty, puis à l'Annonciade, toute la ville fut en feste: La Princesse Ma-[441]rie disna à la Royale, et fut servie de mesme. Le Duc de Bracciano luy bailla à laver les mains, et le sieur de Sillery la serviette. Elle fut assise à table sous un dais, son oncle le Grand Duc estant assis beaucoup plus bas qu'elle. Aprés le disner on fit entrer la Musique, on courut la bague, et la journée se finit par une belle Comedie.
Henry le Grand fut fort content d'apprendre du sieur d'Hallincourt que la Reyne ne desiroit mener ny retenir en France à sa suite, que ceux qu'il plairoit à sa Majesté, et que toutes ses volontez dépendroient et prendroient la loy des siennes, et que si elle ne les pouvoit prevenir, elle ne manqueroit jamais de les suivre. Il envoya aussi tost Monsieur de Belle-garde Grand Escuyer de France, maintenant Duc et Pair, Seigneur digne d'une telle Ambassade.
Le Pape Clement VIII. fut aussi fort aise quand il sceut la nouvelle asseurée de cette alliance. Sa Sainteté eust bien desiré que sur l'occasion du Jubilé la Reyne Marie fust allée à Rome pour y recevoir la benediction des noces, et luy rendre les mesmes honneurs qu'il avoit rendu à Ferrare à Marguerite d'Austriche Reyne d'Espagne; il envoya son neveu le Cardinal Pierre Aldobrandin pour cet effect. Le Docteur Cayer, Mathieu, le Grain, du Pleix, et les autres Historiens décrivent au long toutes les pompes et les magnificences qui furent faites à Florence à la Reyne, au Legat Aldobrandin, et à Monsieur de Belle-garde Ambassadeur extraordinaire du Roy Henry le Grand. Je me contenteray de rapporter fidelement ce que Monsieur de Thou en a écrit en Latin au livre 125. de l'Histoire de son temps.
"Entre les diverses sollicitudes (dit-il) de la guerre, en laquelle on s'en alloit entrer; l'affaire du mariage du Roy avec Marie de Medicis, fille de François Grand Duc de Toscane ne fut point intermise. Le premier contracté 28. ans auparavant avec Marguerite, fille du Roy Henry II. et soeur de Charles IX. ayant esté declaré nul par la Sentence du Cardinal de Joyeuse, Nicolas Bruslard (7) Seigneur de Sillery, Ambassadeur du Roy prés du Pape, fut envoyé à Florence avec un ample pouvoir, pour souscrire au nom du Roy aux articles accordez entre eux. Puis aprés le Roy al-[442]lant en Savoye envoya une commission à Ferdinand Grand Duc de Toscane, oncle de Marie, pour faire les fiançailles par Monsieur de Belle-garde Grand Escuyer de France, qui partit de Marseille avec 40. Gentils-hommes, et arriva à Livorne le 20. de Septembre, et trois jours aprés à Florence, où il fut tres-magnifiquement receu par les Seigneurs Jean et Antoine, enfans naturels de la Maison de Medicis, Ferdinand aussi Grand Duc de Toscane, sortant du Palais de Pity, alla en personne au devant de luy avec toute sa Cour, et aprés les complimens de part et d'autre, ayant appris la charge que Monsieur de Belle-garde avoit du Roy, ils s'en allerent toutes deux en son Palais, où le Seigneur de Belle-garde estant conduit vers la Princesse Marie, luy bailla des lettres écrites de la propre main du Roy, et luy declara la plus ample commission qu'il avoit receue le deuxiéme jour d'Octobre; Vincent Duc de Mantoue arriva à Florence avec sa femme Eleonor soeur de Marie; et le lendemain le Cardinal Aldobrandin, destiné Legat vers le Roy, pour traiter de la Paix, passa par Florence, afin d'assister de la part du Pape aux ceremonies de ces épousailles; et le quatriéme du méme mois il entra en la ville avec une pompe solemnelle, le Grand Duc luy estant allé au devant jusques à la porte de la ville, non seulement avec sa Cour, mais aussi accompagné de tout le Clergé de Florence, et de là marchant à sa gauche jusqu'à la grande Eglise, où tous deux descendirent de cheval, et les prieres publiques achevées, s'en allerent ensemble au Palais Ducal. Aprés le souper qui fut fort magnifique, le Cardinal Aldobrandin s'en alla saluer la Princesse Marie. Le jour suivant furent celebrées les ceremonies des épousailles, le Legat luy mesme faisant l'Office, ayant à sa main droite la Princesse Marie, et à sa gauche le Grand Duc de Toscane son oncle."
Il faudroit des volumes entiers pour décrire toute la pompe des épousailles, ausquelles Ferdinand I. Grand Duc de Toscane fit paroistre sa magnificence. Il fit representer une Comedie qui cousta soixante mille escus, et en laquelle on vid le Parnasse avec ses fontaines, son Cheval aislé, et ses Muses, des boccages d'arbres verdoyans, une mer plei-[443]ne de lys, Neptune sur un Daufin, un Ciel empirée, d'où sortoit Jupiter monté sur l'Aigle, et 48. personnes qui faisoient un concert de musique, la Renommée sur le haut d'une montagne, qui peu à peu s'abaissoit aux pieds de la Reyne Marie, luy presentant un lys qui ne faisoit que naistre.
Sa dot fut de six cens mille escus, outre les bagues de grand prix, les ameublemens precieux, et la restitution de quelques places sur la mer Mediterranée, leur situation les rendant imprenables à la force, on les rendit à l'amour avant le Mariage.
Lors qu'elle fut preste de partir, le Grand Duc Ferdinand la fit accompagner par sa femme Christine de Lorraine (8). Elle partit de Florence le 13. d'Octobre, estant non seulement accompagnée de Christine Grand' Duchesse de Toscane, mais aussi de sa soeur Eleonor Duchesse de Mantoue, de Virginio Ursin Duc de Bracciano, et d'Antoine de Medicis son frere naturel. Elle s'embarqua avec eux à Ligourne le 17. du mesme mois, et monta dans sa galere qui estoit d'une merveilleuse structure, relevée à demy bosse, dorée, peinte, equipée de voiles et de cordages d'or et de soye; la chambre avoit pour tapisserie des fleurs de lys en broderie de perles; de sorte que l'on pouvoit la comparer avec celle de Ptolomée Philadelphe, tant celebrée par les anciens. Elle estoit gouvernée et conduite par Marc Antoine Colicati. Il y avoit long temps que la mer Mediterranée n'avoit porté une plus riche et plus superbe charge que cette galere de la Reyne. Elle ne parloit pas comme la Nef d'Argo; mais elle n'avoit rien qui ne meritast bien qu'on en parlast. Elle estoit de la longueur de 70. pas, et de 27. rames de chaque costé, dorée par tout ce qui se pouvoit voir au dehors, le bord de la poupe estoit marqueté de cannes d'Inde, de grenatines d'ébene, de nacre, d'yvoire et de lapils. Elle estoit couverte de 20. grands cercles de fer s'entre-croisans, enrichis de topases, d'emeraudes, et autres pierreries, avec un grand nombre de perles pour les distinguer. Au dedans, vis à vis du siege de sa Majesté, estoient eslevées les Armes de France en fleurs de lys de [444] diamans, et à costé celles de Medicis en cinq grands rubis, avec un saphir, une grosse perle au dessus, et une grande emeraude entre deux; au dessous il y avoit deux Croix, l'une de rubis, et l'autre de diamans, les vitres tout autour estoient de christal, les rideaux de drap d'or à franges, et les chambres de la Galere de mesme (9). Cette Royale Galere estoit suivie de cinq autres du Pape, autant de Malte, et de six du Grand Duc. La navigation fut depuis Ligourne jusques à Génes, où la Republique envoya des Ambassadeurs prier la Reyne de prendre terre en leur ville, pour se reposer durant les orages et les tempestes de la mer irritée contre cette superbe flotte, comme l'année precedente elle avoit aussi esté contre celle de Marguerite Reyne d'Espagne. Mais sa Majesté leur répondit qu'elle n'avoit point d'ordre du Roy, et demeura nuit et jour dans la Generale tout le temps de sa navigation, qui fut encore plus perilleuse en plusieurs endroits et destroits effroyables, depuis Génes jusques à Marseille. Elle vint de Final à Savone, et le lendemain au port d'Antibe, ville de France. De là à Frejus et à Tolon, où elle demeura deux jours: et finalement elle prit port à Marseille sur le soir du troisiéme de Novembre.
La Reyne Marie durant les perils effroyables des tempestes se rioit des flots, et se mocquoit des orages et des vents: et comme le Roy Henry le Grand se rendoit victorieux en terre, sur les rochers inaccessibles de la Savoye, et prenoit Montmelian la plus forte place de ce pais là; elle se rendit victorieuse des flots et des orages de la mer. Un Gentil-homme de qualité, qui fit tout le voyage à la suite de cette Princesse, dit deux choses au Roy Henry IV. sur ce sujet là. L'une, que qui ne l'auroit jamais veue ny ouy parler d'elle, à la voir seulement, jugeroit sans autre connoissance, ou que c'estoit une Reyne, ou qu'elle le devoit estre, si grande estoit sa majesté, et son port si Royal et si auguste: L'autre, que si le Roy estoit un Mars sur terre, elle estoit une Venus sur la mer, bravant les ondes, se monstrant maistresse des flots, et victorieuse des orages.
Au rencontre de ces deux noms de Mars et de Venus se [445] rapporte un Anagrame entier, qui est aux pages 9. et 74. du Labyrinthe Royal de l'Hercule Gaulois triomphant, ou de l'entrée de cette Reyne dans Avignon.

Henricus Borbonius: Maria de Medicis.
Hem bini Dii Orbis, credo, Mars, ac Venus.

Henry le Grand, sur l'avis qu'il receut de son embarquement, fit pourvoir à sa reception à Marseille, et donna l'ordre de ses intentions à Charles de Lorraine Duc de Guyse et Gouverneur de Provence. Aussi la Reyne sortant de sa Galere le 3. de Novembre 1600. entra au theatre que l'on avoit dressé sur deux batteaux, auquel aboutissoit un pont qui regnoit jusques à son Palais. Henry Duc de Montmorency Connestable de France, que le Roy avoit envoyé de Lyon avec Pompone de Bellievre Chancelier de France, la receurent à Marseille en presence des Ducs de Guyse, de Nemours, et de Ventadour: des Cardinaux de Joyeuse, de Gondy, de Givry, et de Sourdis: des plus illustres Princesses et Dames de la Cour; entre autres d'Anne d'Est ou de Ferrare, mere de Princes de la Maison de Lorraine, et de Henry de Savoye Duc de Nemours: de Caterine de Cleves, mere du Duc de Guyse: de Louyse de Lorraine, soeur du mesme Duc, qui depuis a esté Princesse de Conty: de Charlote de Montmorency Comtesse d'Auvergne, et sa soeur Marguerite Duchesse de Ventadour. Le Chancelier de Bellievre en presence du Connestable porta la parole, et luy dit le commandement qu'il avoit du Roy, et luy souhaita toute sorte de felicitez et de gloire. Guillaume du Vair premier President du Parlement de Provence, qui depuis a esté Garde des Seaux, fut presenté avec les Deputez de cette Cour Souveraine par le Chancelier à la Reyne. Ce fut dans la salle du Palais que Monsieur du Vair fit son discours à la Reyne, qui fut loué des Princes, des Cardinaux, de toute la Cour, et admiré des Doctes. Sa Majesté avoit esté conduite en grande magnificence dans le Palais, sous un Poisle de drap d'argent, que le Viguier et les Consuls de Marseille luy presenterent, avec les clefs de leur ville, qui n'avoit jamais veu tant de galeres, ny ouy tant de canonnades, ny tant de clairons et de trom-[446]pettes, ny le son de tant de tambours, ny fait des magnificences pareilles à celles-cy. Les habitans de la ville, qui estoient au nombre de plus de dix mille hommes, estoient sous les armes. On voyoit le mouvement donné à plusieurs machines, et on passoit sous des arcs triomphaux, qui faisoient estimer l'esprit de ceux qui les avoient embellis d'emblémes et d'inscriptions, et découvroient les richesses de cette ville, qui est plus ancienne que Rome, et qui a tousjours fait paroistre sa magnificence aux entrées de ses Souverains.
Ce fut en cette ancienne ville des Ions ou des Phocenses que sa Majesté dit adieu aux Duchesses de Toscane et de Mantoue, qui se rembarquerent sur la mer, et arriverent heureusement chez elles, avec la satisfaction d'avoir marié si hautement leur niece, et leur soeur. Le lendemain la Reyne estant accompagnée de deux mil Chevaliers fit son entrée à Aix, capitale de la Provence, où Monsieur du Vair (10) luy fit une autre harangue de la mesme force que la premiere, lors que tout le Corps du Parlement l'alla saluer. Deux jours aprés elle fit son entrée à Avignon, ville Papale, qui non seulement ne voulut pas ceder aux plus affectionnées et plus belles villes de France, mais qui s'efforça de les surpasser en pompes et en galanteries; et fit paroistre d'asseurez témoignages de son affection vers cette Reyne, en consideration du Roy Henry IV. et de la Couronne de France. Ils firent depuis imprimer un livre intitulé le Labyrinthe de l'Hercule Gaulois, et triomphant sur le sujet des Fortunes, Batailles, Victoires, Trophées, Triomphes, Mariage, et autres faits heroiques et memorables de Tres-auguste et Tres-Chrestien Prince Henry IV. Roy de France et de Navarre, representé à l'entrée triomphante de la Reyne, en la Cité d'Avignon le 19. Novembre l'an 1600. où sont contenues les magnificences et les triomphes de cette entrée (11).
Ayant sejourné trois jours à Avignon, elle vint par terre à Valence, où l'Université luy fit la reverence; et de là à Roussillon, puis à Vienne. Le Samedy 2. Decembre elle arriva à la Guillotiere faux-bourg de Lyon, où elle estoit plus desirée qu'attendue. Cette ville opulente qui vouloit [447] recevoir sa Majesté avec plus de pompe que les autres, n'ayant eu que 15. jours de temps à disposer les preparatifs de l'entrée. Comme elle approchoit de Lyon Monsieur de la Guiche Gouverneur du Lyonnois, avec la Noblesse du pays luy alla au devant, et luy ayant fait la reverence en pleine campagne, remonta à cheval, et s'alla rendre au logis où elle devoit descendre. Là elle trouva des nouvelles du Roy, que Monsieur de Roquelaure (qui depuis a esté Mareschal de France) luy presenta de la part de sa Majesté un rang de perles d'inestimable valeur, qui embellit ses autres parures, le lendemain qu'elle entra en la ville. On avoit dressé à la Motte un theatre couvert et paré de riches tapisseries, au milieu duquel estoit élevé un Thrône où elle receut les honneurs, et entendit les voeux de tous les ordres de la ville. Le Chancelier de Bellievre (12) fut en cette action l'Interprete de la ville, qui se peut vanter de la naissance de ce grand homme de bien. L'Archevéque pour le Clergé harangua debout. Tous les autres Ordres, et les Corps à genoux, excepté ceux qui porterent la parole pour les Allemans, les villes Imperiales, les Suisses, et les Grisons. Le Chancelier leur dit qu'ils se missent au mesme devoir que les autres; ils luy repartirent qu'ils avoient ce privilege, et qu'il y avoit plus de cinquante ans qu'à l'entrée du Roy Henry II. ils avoient fait leur harangue debout; ce qui fut confirmé par Monsieur de la Guiche et les Magistrats de Lyon. Tous les Corps de la ville ayans protesté aux pieds de la Reyne Marie leur obeissance, et la fermeté de leur affection: sa Majesté entra aux flambeaux dans la ville par la porte où on reçoit les Daufins, sur laquelle on lisoit ces quatre vers.

Pour une Princesse si belle,
Je pouvois paroistre autrement;
Mais j'ay gardé mon ornement,
Pour le Daufin qui naistra d'elle.

Elle fut conduite par les rues où estoient dressez les theatres, et les arcs de triomphe; et estant arrivée à l'Eglise de Saint Jean, on y chanta le Te-Deum; de là elle fut logée à l'Archevéché, où elle attendit huit jours le Roy Henry IV. [448] qui estoit occupé au siege du Fort de sainte Caterine, avec l'impatience que luy pouvoit donner le juste desir de voir celuy qu'elle avoit aymé sans le voir, à qui elle s'estoit donnée sans le connoistre, et luy avoit juré la fidelité conjugale pendant qu'il estoit en Savoye.
Elle demandoit à tous momens quand elle verroit le Roy, et en cette attente les heures luy sembloient des années. Sur les trois heures du Samedy 9. Decembre, le Chancelier qui avoit eu avis de l'embarquement du Roy sur le Rosne, luy vint dire que le Roy venoit en diligence, et arriveroit le mesme jour. Elle soupa plustost que de coustume, et se retira à la chambre prochaine où le Roy se rendit incontinent habillé en soldat, qui durant qu'elle soupoit la vid à l'ombre de la presse et de quelques Gentils-hommes tellement disposez, qu'il la pouvoit voir sans qu'elle le vist.
Le Roy entrant dans la chambre de la Reyne, elle se jetta à ses pieds, et luy fit une tres-profonde reverence. Sa Majesté la releva à l'instant, et aprés peu de paroles, sur le desir de cette veue, et du contentement que tous deux en recevoient et en esperoient, il raconta les peines de son voyage, et le fruit de ses armes; et la pria de luy faire part de son lit, le sien n'estant pas encore venu. Il faut avouer que toutes les galanteries de ce Prince estoient admirables.
Et bien que le mariage fust parfait, le Roy Henry le Grand l'ayant ratifié à Florence par Procureur, et par paroles du present, et qu'il ne fust pas necessaire d'y adjouster d'autre ceremonie, il voulut neantmoins que son peuple eust sa part de cette publique resjouissance. C'est pourquoy il écrivit au Cardinal Aldobrandin Legat du Pape qui estoit à Chambery, pour le convier à venir celebrer les dernieres ceremonies de son mariage: ce que le Cardinal receut à grand honneur. Le Roy luy fit faire une entrée tres-magnifique à Lyon le 16. Decembre, où il entra ayant à sa main droite François de Bourbon Prince de Conty, et à sa gauche Henry de Bourbon Duc de Montpensier. Le lendemain la solemnité des épousailles fut faite dans l'E-[449]glise de Saint Jean, où se trouva une fort grande assemblée de Princes, de Seigneurs, de Princesses, et de grandes Dames, comme aussi des Ambassadeurs des Princes Etrangers; entre lesquels estoit Charles de Ligne Comte d'Aremberg de la part des Archiducs (13). Et le soir on fit le festin nuptial, où le Roy fut servy par Charles de Bourbon Comte de Soissons, qui faisoit sa charge de Grand Maistre de France, et le Duc de Montpensier et le Comte de Saint Paul. La Reyne fut servie par Charles Duc de Guyse, Claude Prince de Joinville, maintenant Duc de Chevreuse son frere, et le Comte de Sommerive son cousin. Les jours suivans se passerent en toute sorte de divertissemens, de course de bagues, de balets, et de festins. Ce mariage fut si heureux, et accompagné d'un bon-heur si extraordinaire, que la Reyne avant que partir de Lyon conceut un Daufin, et dans 9. mois aprés en fit un heritier à la Couronne de France. Elle arriva à Paris le 9. de Fevrier 1601. au temps de la Foire de Saint Germain: son premier logis fut celuy de Gondy son premier Gentil-homme d'honneur, maintenant l'Hostel de Condé: le 2. celuy de Zamet sur-Intendant de sa Maison, maintenant l'Hostel de Lesdiguieres; et le troisiéme, mais non pas le dernier, fut le Louvre. La ville de Paris avoit proposé de luy faire une entrée digne d'une Princesse qui n'avoit point de pareille, et d'un Paris sans pair; mais le Roy Henry le Grand trouva bon, que ce qui s'emploiroit en une chose de peu de durée, se reservast pour une oeuvre plus durable. Il la mena voir ses belles Maisons de Saint Germain et de Fonteine-bleau; et de là à Orleans gagner le Jubilé de l'année sainte, que le Pape Clement VIII. y avoit ordonné. L'on vid leurs Majestez donner de bons exemples à leurs Noblesses et à leurs sujets par leurs devotions incomparables. Le Roy Henry le Grand mit lors la premiere pierre de l'Eglise de sainte Croix d'Orleans: de là il mena la Reyne à Blois, et au Chasteau de Chambort, deux autres Maisons Royales, et puis il la ramena à Fonteine-bleau, où elle accoucha heureusement d'un Daufin (14) le 27. de Septembre feste de saint Cosme, l'un des Patrons de la Maison de Toscane ou de Medicis, auquel jour vint au [450] monde l'an 1369. le grand Cosme, l'un des plus illustres Heros des Medicis.
Cette heureuse naissance de l'heritier presomptif de la Couronne de France, fut suivie de celles de deux freres et de trois soeurs. Les masles estans donnez de Dieu pour la tranquillité du Royaume; et les filles pour l'affermir par de grandes alliances.
Elle accoucha au mesme lieu de Fonteine-bleau le 22. Novembre 1602. de sa fille aisnée Madame Elizabet de France, qui depuis a esté Reyne d'Espagne; Princesse de qui les vertus surpassent toutes les louanges humaines. En suite elle accoucha au Louvre le 10. de Fevrier de l'an 1606. de sa 2. fille Madame Christine de France, maintenant Reyne de Cypre, et Regente de Savoye et de Piémont pour son fils le Duc Charles Emanuel II. Elle épousa le 10. Fevrier 1619. à Paris Victor Amedée Prince de Piémont, et depuis Duc de Savoye et Roy de Cypre, dont elle a eu six enfans, sçavoir deux masles, et quatre filles, comme j'ay remarqué à la fin de l'Eloge de l'incomparable Marguerite (15). Il faudroit des volumes entiers pour parler des perfections et des merites de cette grande Princesse et Reyne de Cypre, particulierement de la constance et de la generosité, qu'elle a fait paroistre à la mort du Duc son mary, decedé l'an 1637. et du Duc Louys Amedée son fils aisné, qui mourut l'année suivante, et depuis és guerres de Piémont et d'Italie, et à la reprise de Turin pour le Duc Charles Emanuel son second fils.
Le 16. d'Avril 1607. elle accoucha à Fonteine-bleau de son second fils N. de France Duc d'Orleans, qui fut le mesme jour baptisé par le Cardinal de Sourdis. Il mourut le 17. de Novembre de l'an 1611. au grand regret de sa Majesté.
Le 25. du mesme mois de l'an 1608. feste de saint Marc (qui est le jour natal de saint Louys) elle accoucha au mesme lieu de Fonteine-bleau de Gaston-Jean-Baptiste de France, premierement Duc d'Anjou, et maintenant d'Orleans, de Valois et de Chartres, et Comte de Blois, le plus noble Prince de la Chrestienté, ayant l'honneur d'estre fils, frere, et oncle de nos Rois: lequel a rendu de notables services [451] à la France, ayant osté aux Espagnols plusieurs places en Artois, et en Flandre, entre autres la forte ville de Graveline. Ce Prince (dont nous parlerons encore dans cet Eloge) a esté marié deux fois; la premiere à feue Madame Marie de Bourbon Duchesse de Montpensier, Princesse de Dombes, et Daufine d'Auvergne, dont je feray l'Eloge en cette VII. partie. La 2. à Madame Marguerite de Lorraine, qui est une des plus belles et des plus vertueuses Princesses de la Chrestienté, et de laquelle on peut dire ce que Platon disoit de Charmides, que celuy qui verroit la beauté de son ame, mépriseroit celle de son corps. Il a eu de la premiere, Mademoiselle Anne-Marie-Louyse d'Orleans Duchesse de Montpensier, tres-belle et tres-vertueuse Princesse; et de la 2. Mademoiselle N. d'Orleans, jeune Princesse.
Elle accoucha au Louvre le 26. de Novembre de l'an 1609. de sa troisiéme fille Henriette Marie de France, qui a épousé l'an 1625. avec la dispense du Pape Urbain VIII. Charles Roy de la Grand'Bretagne et d'Irlande, dont elle a trois beaux Princes, et quatre belles Princesses; sçavoir, Charles Prince de Galles: Jaques Duc d'Iorc: Henry de la Grand'Bretagne. Henriette-Marie de la Grand' Bretagne, qui a épousé Guillaume de Nassau Prince d'Orange, fils aisné de Henry-Federic de Nassau Prince d'Orange: N. de la Grand'Bretagne, fille: Elizabet de la Grand'Bretagne, née l'an 1639. N. de la Grand'Bretagne, fille.
Cette Princesse, vraye fille de la Maison de France, a tant de merites, qu'il faudroit des volumes entiers pour parler de ses vertus, et particulierement de son zele vers la vraye Religion, qui l'a fait sortir de son Isle pour se retirer en France; mais je ne fais pas icy les Eloges des vivans. C'est pourquoy je retourne à ceux de la mere, qui receut beaucoup de joye à la naissance de ses six enfans. Certes la consolation de cette Reyne ne se peut exprimer, lors que Dieu luy envoyoit tout ce qu'elle pouvoit choisir, si le nombre et la qualité des enfans eussent esté à son choix. En suite de cette prosperité elle voyoit un regne, que la paix et l'obeissance des sujets rendoient heureux; qui estoit abondant en richesses, agreable pour les honnestes divertisse-[452]mens, et honoré par les Ambassades qui venoient de toutes les parties de l'Europe, et mesme de l'Asie, comme sçavent ceux qui ont vécu sous le regne du Grand Henry, ou qui ont leu Monsieur le President de Thou, et les autres Historiens modernes, ausquels je renvoye ceux qui en veulent sçavoir toutes les particularitez. Elle receut un grand contentement au Baptéme de son Daufin, depuis nostre Roy Louys XIII. et de ses deux filles aisnées, où elle parut avec éclat (16).
Toutes ces felicitez furent couronnées par le Couronnement de cette grande Reyne, fait avec la plus grande pompe que la France ayt jamais veu, et qui surpassa toutes les magnificences que l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne avoient fait à Ferrare aux noces de Marguerite Reyne d'Espagne. Une autre Reyne, fille, petite fille, et soeur des Rois de France, y assista avec plusieurs Princes et Princesses du sang de France, et de quelques Maisons Souveraines, avec les Ducs, Pairs et Officiers de la Couronne, et quatre Cardinaux, dont celuy de Joyeuse (qui depuis a esté Doyen du sacré College) fit la ceremonie, que j'ay creu estre obligé de rapporter tout au long en cet Eloge, à cause que ny Mathieu, ny le Grain, ny Dupleix, ny pas un de nos Historiens, ny l'Autheur du Mercure François ne l'ont décrit en leurs livres.
Le Roy et la Reyne arriverent à la ville de Saint Denys le 12. du mois de May 1610. où aprés s'estre rafraischis au logis Abbatial; la Reyne fut à l'Eglise. Les Religieux estoient revestus de leurs aubes et chapes, qui la receurent à l'entrée de l'Eglise avec la Croix et l'eau beniste; ils luy presenterent, et luy firent baiser une riche Croix. Estant entrée dans le Choeur, elle s'agenouilla devant le grand Autel pour y faire ses prieres, durant lesquelles les Religieux chanterent le Te-Deum, aprés quoy sa Majesté se retira. Le lendemain 13. du mois, fut le jour de la solemnité du Sacre et du Couronnement.
Plusieurs jours avant le Sacre furent employez à preparer l'Eglise, et sur tout le Choeur, où la ceremonie se devoit faire. Ce grand vaisseau fut tout tendu et couvert de riches [453] et superbes tapisseries de velours en broderie d'or et d'argent, et de haute lice d'or et d'argent.
Il y avoit un grand eschaffaut au milieu du Choeur de cette Eglise, posé droit devant le grand Autel, de la hauteur de 9. pieds sur 28. de long, et 22. de large, qui estoit garny de barrieres tout autour, excepté à l'endroit de l'escalier par où on y montoit du costé du grand Autel, et vis à vis d'iceluy. Il estoit de 16. marches, au haut desquelles se trouvoit une espace d'environ six pieds de long, et de pareille largeur que l'escalier. De là on montoit à une autre marche pour entrer à ce grand eschaffaut, vers le milieu duquel il y avoit un marche-pied de la hauteur d'un pied ou environ de neuf à dix pieds de long, où l'on montoit deux marches sur lequel fut mise la chaire pour asseoir la Reyne, laquelle estoit couverte de veloux violet, semé de fleurs de lys d'or en broderie, et au dessus un grand dais de semblable parure; les costez des barrieres au dedans de l'eschaffaut, estoient tendus de riches tapis de la Chine, et par dehors de tapisseries tres-riches, relevées d'or et d'argent; le marche-pied, et les marches pour y monter, et le fons de l'eschaffaut jusques à l'escalier, estoit couvert de veloux violet, semé pareillement de fleurs de lys d'or en broderie un peu plus grandes, et plus éloignées les unes des autres.
A main droite et à main gauche du marche-pied de la Reyne, il y avoit deux chaires de chaque costé couvertes de drap d'or frizé; la premiere de la main droite estoit pour Monseigneur le Daufin; l'autre pour Madame sa soeur, fille aisnée de France, qui depuis a esté Reyne d'Espagne: et la premiere de la main gauche pour Monseigneur le Duc d'Anjou, à cause de l'indisposition le Monseigneur le Duc d'Orleans, la 2. pour la Reyne Marguerite.
A un pied prés de la chaire de Madame à main droite, il y avoit un long banc couvert de drap d'or frisé pour y seoir Madame la Princesse de Condé, Madame la Duchesse de Montpensier, Madame la Duchesse de Guyse, veuve, et Mademoiselle de Mayenne. A l'autre costé à main gauche, aussi à un pied prés de la chaire de la Reyne Marguerite, il y avoit un pareil banc pour y seoir Madame la Princesse de [454] Conty, Madame la Duchesse de Vendosme, et Mademoiselle de Vendosme, maintenant Duchesse d'Elbeuf.
Devant le marchepié de la Reyne un peu à gauche, il y avoit un escabeau couvert de drap d'or frisé, et dessus un carreau de velours violet semé de fleurs de lys d'or, ordonné pour reposer la grande couronne aprés qu'elle seroit ostée de dessus le chef de la Reyne, et qu'on luy auroit baillé la petite.
A l'entrée de cet eschaffaut, mais un peu plus avant que le banc de main gauche, il y avoit un autre escabeau couvert pareillement de drap d'or frisé, pour asseoir Madame Antoinette de Pons (17) femme en premieres noces de Monsieur le Comte de la Roche Guyon, et en secondes de Monsieur de Liancourt premier Escuyer de la petite Escurie, appellée ordinairement Madame de Guiercheville Dame d'honneur de la Reyne.
Aux 2. costez de l'escalier de ce grand eschaffaut il y en avoit deux petits plus bas, celuy de main droite pour plusieurs Gentilshommes, et celuy de main gauche pour les filles de la Reyne.
De chaque costé du choeur depuis le grand eschaffaut jusques vers le Maistre Autel, il y en avoit deux autres separez de presque semblable hauteur; le I. du costé de main droite qui estoit le plus petit, et le plus approchant du grand Autel, estoit pour Messieurs les Cardinaux de Gondy, de Sourdis et du Perron grand Aumosnier de France, qui y furent durant la ceremonie assis dans des chaires, revestus de leurs chapes rouges à longue queue, et derriere eux plusieurs Archevéques et Evéques qui estoient precedez de Messire Henry de Gondy Evéque de Paris.
L'autre eschaffaut plus approchant du grand, estoit pour Monsieur le Duc de Guyse, et pour Messieurs les Mareschaux de France, Chevaliers de l'Ordre, et autres grands Seigneurs.
Le I. du costé de main gauche vis à vis de Messieurs les Cardinaux, estoit pour les Ambassadeurs d'Espagne, de Venise, et de Savoye, Messieurs les Secretaires d'Estat, et plusieurs de Messieurs les Conseillers d'Estat.
[455] L'autre eschaffaut vis à vis de celuy des Mareschaux de France, et des Chevaliers, estoit pour Mesdames les Mareschales de France, et entre autres celles qui devoient porter les offrandes, comme il sera dit cy-apres.
Les barrieres de tous les eschaffauts estoient parées diversement de velours brodé d'or et d'argent et de diverses tapisseries. Du mesme costé assez prés du grand Autel y avoit un autre eschaffaut caché pour les chantres de la Chapelle du Roy, et tendu par dehors d'une fort belle tapisserie.
Et au bas du mesme costé vis à vis de l'autre, il y avoit une table richement parée, où furent posez le Sceptre, la Main de Justice, la grande et la petite Couronne, avec l'anneau ordonné pour le Sacre, qui furent consignez à Monsieur de Frontenac, comme premier Maistre d'Hostel de la Maison du Roy, lequel s'en chargea sur un livre qui luy fut presenté par quelque Religieux environ les dix heures du matin, comme aussi pour y mettre le pain, le vin, et le cierge destinez pour l'offrande.
Un peu plus haut estoit une autre table honorablement couverte d'une nappe, sur laquelle estoit l'argenterie de la Chapelle qui devoit servir pour la Messe.
Outre ces eschaffauts il y en avoit un vis à vis du grand Autel à main droite plus eslevé que les autres, couvert et fermé de toutes parts, ayant des fenestres vitrées, tapissé tant par dehors qu'en dedans de velours en broderie d'or, qui servit au Roy pour voir la ceremonie.
Tout le choeur estoit environné par dehors de grands eschaffauts élevez de plusieurs marches, remplis de toutes sortes de personnes de qualité. Le grand Autel estoit superbement et magnifiquement paré et enrichy par haut de plusieurs reliques: tous les paremens, pantes et custodes estoient de toile d'argent blanche, comme aussi tous les habits Pontificaux et Sacerdotaux, et autres choses servans au ministere spirituel du Sacre. Et à costé de l'Autel y avoit une chaire pareillement couverte de toile d'argent brodée et frangée d'or (comme aussi tout le reste) avec deux oreillers de mesme pour y seoir Mre François de Batarnay Car-[456]dinal, dit de Joyeuse, faisant l'Office.
Environ sur les onze heures Monsieur le Cardinal du Perron, comme Grand Aumosnier de France, benit tout ce qui devoit servir à l'Autel.
Peu aprés Monsieur le Cardinal de Joyeuse se vint faire vestir devant l'Autel ceremonieusement de tous ses habits Pontificaux, et au mesme instant les Archevéques et les Evéques assistans furent aussi parez et revestus ailleurs et derriere l'Autel, d'où ils se vinrent seoir aux costez du maistre Autel, et Monsieur le Cardinal de Joyeuse au coin de l'Autel sur la premiere marche, où ils attendirent la Reyne. Tout le parterre du Choeur, depuis le haut de l'escalier du grand eschaffaut jusques à l'Autel, estoit couvert de satin violet semé de fleurs de lys d'or: Et au pied des marches de l'Autel y avoit un grand marchepied d'environ six pieds en quarré, et un prie-Dieu, couverts de velours violet semé de fleurs de lys d'or en broderie, destiné pour agenouiller la Reyne arrivant à l'Eglise, à son sacre, à l'offrande, et à la Communion, au dessus duquel y avoit un grand daiz de mesme parure.
Environ les onze heures le Roy entra presque seul et sans gardes dans l'Eglise, où trouvant tout fort paisible, il dit d'une voix fort intelligible et assez haute, voyant tant de monde haut et bas, mesmement considerant le grand silence, Il me souvient du grand et dernier Jugement, Dieu nous fasse la grace de nous bien preparer pour ce jour là:Ce fut lors qu'il fit cacher un Seigneur Huguenot en un lieu fort commode, pour luy faire veoir et interpreter (par le Reverend Pere Cotton son Confesseur) les saintes ceremonies de la Messe.
Sur le midy Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis sortirent de leurs places pour aller vers la Reyne, qu'ils trouverent en ses habits Royaux, vestue d'une robbe de velours violet semée de fleurs de lys d'or en broderie, d'un corset et surcot d'hermines parsemé de grand nombre de riches diamans, et de son manteau Royal, aussi de velours violet semé de fleurs de lys en broderie fourré d'hermines, ayant la queue de dix aulnes de long pour le moins. Elle estoit accompagnée de plusieurs Princes et Princesses, [457] Seigneurs et Dames, tous tres-richement parez.
Messieurs les Cardinaux de Gondy et d'Escoubleau Sourdis, menerent la Reyne avec les Princes et les Princesses, depuis la Chambre de son Hostel jusques à la porte de l'Eglise, en cet ordre.
Premierement, marchoient les Suisses de la Garde du Roy, vestus de veloux doublé de taffetas, des couleurs du Roy et de la Reyne. Les deux cens Gentils-hommes de la Maison du Roy, tous deux à deux, avec leur baston couvert de veloux tanné ou bleu, à petits cloux dorez, dont la hampe aussi dorée, est à bec de corbin ou de faucon; chaque Compagnie se discernoit par sa livrée, car les cent Gentils-hommes estoient vestus de satin tanné, avec la cape de taffetas noir. Monsieur de Rambouillet Vidame du Mans et Monsieur de la Bourdeziere leurs Capitaines, marchoient à leurs testes. Ils estoient suivis des Gentils-hommes de la Chambre, et Chambellans, et parmy eux de plusieurs Seigneurs, Capitaines et autres Gentils-hommes, qui estoient tres-bien parez pour cette ceremonie.
Apres eux alloient les Chevaliers du sainct Esprit, ayant le grand Ordre au col.
Les douze trompettes revestus de leurs sayes de veloux tanné, et les douze Herauts de leurs cottes d'armes, de veloux violet cramoisy, semé de fleurs de lys d'or, leur baston peint et doré en la main.
Les Tambours tant des Gardes Françoises, qui gardoient les advenues de l'Eglise, que des Suisses, vestus de livrées, comme aussi les Hautbois et les Cornets, qui se faisoient ouyr alternativement, avec les tambours et les trompettes.
Les Huissiers de l'Ordre et de la Chambre du Roy, aussi vestus de livrée portoient sur leurs espaules, les masses d'argent doré et cizelées. Ils s'allerent seoir derriere le petit parterre de la Reyne, plus haut que le Jubé.
Plus suivoient Monsieur le Prince de Conty, Monsieur le Duc de Vendosme, Monsieur le Chevalier de Vendosme, Monsieur le Duc de Guyse, Monsieur le Chevalier de Guise, et aprés eux, Monsieur le Comte de [458] Sainct Paul, à main droite portant haut le baston de Grand Maistre, pour l'absence de Monsieur le Comte de Soissons; et Monsieur le Duc d'Elbeuf comme grand Chambellan, pour l'indisposition de Monsieur le Duc d'Esguillon, tous superbement parez de toile d'or et d'argent, enrichie de pierreries.
La Reyne marchoit d'une majesté plus que Royale: elle estoit conduite par mesdits sieurs les Cardinaux, sur lesquels elle s'appuioit, et accompagnée de Monseigneur le Daufin, et de Monseigneur le Duc d'Anjou, lequel à cause de son bas âge, estoit porté par un Gentil-homme. A ses costez estoient Messieurs de Vitry, et de Praslin, Capitaines des Gardes du Corps du Roy richement parez avec la cape et la toque, l'Espée au costé et le baston à la main, et Monsieur de Chasteauvieux, (auquel sa Majesté tesmoigna lors, qu'au milieu de ses pompes, elle ne pensoit qu'à la mort, et qu'en peu de jours elle pouvoit estre inhumée dans cette mesme Eglise) Chevalier d'honneur de la Reyne, la queue du manteau Royal de laquelle estoit portée par Madame la Princesse de Condé la veuve, Madame la Princesse de Conty, et Madame la Duchesse de Montpensier; et la queue du manteau Ducal de Madame la Princesse de Condé, fut portée par Monsieur le Marquis de Noirmoutier, celle de Madame la Princesse de Conty par Monsieur de Bassompierre, et celle de Madame la Duchesse de Montpensier, par Monsieur le Comte de Fiesque. Aprés la Reyne suivoit Madame, la queue de son manteau Royal estoit portée par Monsieur le Duc de Longueville, et Monsieur de Montmorency.
Puis la Reyne Marguerite, la queue de son manteau Royal estoit portée par Messieurs les Comtes de Curson, et de la Rochefoucaud.
Madame la Duchesse de Vendosme, la queue de son manteau Ducal estoit portée par Monsieur N. Madame la Duchesse de Guise, la queue de son manteau Ducal estoit portée par Monsieur de Carrouges Comte de Tillieres.
[459] Mademoiselle de Vendosme, la queue de son manteau Ducal estoit portée par Monsieur le Marquis d'Alluie fils de feu Monsieur de Sourdis.
Mademoiselle du Mayenne, la queue de son manteau Ducal estoit portée par Monsieur de Crevecoeur Marquis de Bonnivet.
Madame et la Reyne Marguerite, avoient des Couronnes sur leurs testes, elles estoient habillées d'un corset de toile d'argent, et d'un surcot d'hermines, enrichy de pierreries, et d'un manteau Royal de veloux violet cramoisy, fourré d'hermines et bordé de deux rangs de fleurs de Lys d'or en broderie.
Madame la Princesse de Condé, et Madame la Duchesse de Montpensier, avoient des chaperons de veloux noir, dont la queue pendoit derriere, et avoient des nages au devant comme veuves: et sur leur teste un Cercle ou Couronne Ducale d'or, mais fort simple: pourtant elles avoient des manteaux semblables à ceux de Madame, et de la Reyne Marguerite, sans toutesfois aucune fleur de Lys; mais comme Princesse du Sang, leur corset aboutissoit en fleurs de Lys, et leur surcot estoit d'hermines.
Madame la Duchesse de Guise, avoit pareille coeffure et ornement de teste, que Madame la Princesse de Condé, et Madame la Duchesse de Montpensier, mais la pointe de son corset n'aboutissoit pas en fleurs de Lys; son manteau Ducal estoit aussi de veloux violet. Madame la Princesse de Conty, Madame la Duchesse de Vendosme, et Mesdemoiselles de Vendosme, et de Mayenne, avoient le corset de toile d'or, enrichy (comme aussi le surcot) de pierreries, et estoient coeffées en cheveux, portant sur la teste une Couronne de pierreries; ces Princesses ne differoient entre elles, sinon que le corset de Madame la Princesse de Conty, aboutissoit en fleurs de Lys: les manteaux de Mesdames de Vendosme et de Guise, estoient comme ceux de Madame la Princesse de Condé, et de Madame de Montpensier, mais ceux de Mesdemoiselles de Mayenne, et de Vendosme, estoient de toile d'argent.
[460] La Reyne ainsi accompagnée, arrivant à l'Eglise, s'agenouilla devant le Maistre Autel, au lieu qui estoit lors preparé sur un oreiller de veloux violet cramoisy, semé de fleurs de Lys d'or, en broderie, qui luy fut presenté par Monsieur le Duc d'Elbeuf, comme Grand Chambellan, auquel lieu elle trouva Monsieur le Cardinal de Joyeuse, revestu de ses habits pontificaux, accompagné des Archevéques, des Evéques, et d'autres Prelats: qui luy presenta (sa priere finie) une riche Croix et reliquaire, qu'elle baisa avec un grand respect, mondit sieur le Cardinal disant l'Oraison pour ce ordonnée. Aprés elle fut menée sur le grand eschaffaut au méme ordre que j'ay rapporté cy dessus, où elle prit sa place, comme aussi les Dames, qui la suivoient aux lieux dont nous avons parlé.
Derriere la Reyne estoient Monsieur de Vitry, Capitaine des Gardes lors en quartier, Monsieur de Chasteauvieux premier Chevalier d'honneur, et Monsieur Conchine, premier Escuyer de la Reyne, et à costé deux Archers du Corps de la Garde Escossoise, revestus de leur hoquetons blancs en broderie, la pertuisane à la main. Et derriere les Dames, estoient ceux qui avoient porté leurs queues tous tres superbement parez d'habits enrichis de broderie d'or, de pierreries, et d'enseignes de diamants sur leurs capes tant au bord qu'au milieu.
Monsieur le Daufin, et Monsieur le Duc d'Anjou, s'assirent aux deux chaires, aux deux costez de celle de la Reyne un peu plus derriere hors de son marche-pied.
Monsieur le Comte de sainct Paul, Monsieur le Duc d'Elbeuf, demeurerent debout aux deux costez de l'entrée de ce grand eschaffaut, Monsieur le Comte de sainct Paul tenant la main droite, et Monsieur le Duc d'Elbeuf, la gauche.
Pendant que lesdites Dames s'assirent Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis descendirent de ce grand eschaffaut, et allerent au banc qui leur estoit ordonné, comme aussi les autres Princes, qui avoient marché devant la Reyne allant à l'Eglise, chacun à leur eschaffaut.
[461] La Reyne estant assise, Madame et la Reyne Marguerite luy firent chacune une grande reverence, et pareillement toutes les autres Princesses et Dames, auparavant que de prendre leur place.
Peu aprés Monsieur de Rodes Grand Maistre des Ceremonies, et Monsieur Viole de Roquemont son Lieutenant amenerent Messieurs les Cardinaux de Gondy, et de Sourdis à la Reyne, devant laquelle lesdits sieurs de Rodes et de Roquemont, firent de fort grandes reverences, aprés lesquelles lesdits sieurs Cardinaux conduisirent la Reyne, accompagnée comme dessus, devant l'Autel, où Monsieur le Duc d'Elbeuf, luy ayant presenté son oreiller et s'estant agenouillée sur iceluy, elle prosterna sa face vers la terre faisant devotement son oraison; laquelle achevée, elle se releva sur ses genoux inclinant son chef pour ouyr l'oraison que prononça Monsieur le Cardinal de Joyeuse, lequel l'aiant dite il prit la saincte Onction qui luy fut presentée, à sçavoir l'Ampoulle où elle estoit, par Monsieur Henry de Gondy fils du feu Duc de Rets, Evéque de Paris, et la platine où elle fut versée par Messieurs les Evéques, qui servirent de Diacres et Sous-Diacres cy-aprés nommez.
Durant cette oraison Monsieur le Comte de saint Paul, et le sieur de Rodes allerent querir Madame et la Reyne Marguerite pour servir au Sacre: elles venues, Monsieur le Cardinal de Joyeuse versant le sainct huile sur la platine en oignit le chef et la poitrine de la Reyne (qui furent descouvertes par ces deux Princesses) disant l'oraison.
Puis mondit sieur Cardinal prit l'anneau qui luy fut presenté par Messire Philippe Hurault Evéque de Chartres, le mit au doigt de la Reyne disant l'oraison pour ce ordonnée: Il luy bailla par aprés le Sceptre, et la Main de Justice qui luy furent presentez, à sçavoir par Messire Claude de Bellievre Archevéque de Lyon Primat des Gaules, et la Main de Justice par Messire Henry d'Escoubleau de Sourdis Evéque de Maillezais Commandeur de l'Ordre du sainct Esprit, qu'elle tint en ses mains, Monsieur le Car-[462]dinal de Joyeuse disant l'oraison. Aprés, Monsieur le Cardinal de Joyeuse prit la grande Couronne qui luy fut baillée par Messire Jean de Bonzy Gentil-homme Florentin Evéque de Beziers, et grand Aumosnier de la Reyne, et la presenta sur le chef sans la lascher, estant cependant soustenue par Monsieur le Daufin et par Monsieur le Duc d'Anjou, et depuis il la mit és mains de Monsieur le Prince de Conty, et au lieu d'icelle il en posa une autre sur la teste de la Reyne de beaucoup plus petite toute de diamants (estimée deux cens mil escus) laquelle luy fut presentée par Messire René Potier du Blancmesnil, Evéque et Comte de Beauvais, Pair de France: la Reyne se deschargea lors du Sceptre és mains de Monsieur le Duc de Vendosme, et de la Main de Justice, en celles de Monsieur le Chevalier de Vendosme, son frere.
Le Sacre finy la Reyne retourna en sa place où elle fut remenée en pareille ceremonie qu'elle en estoit partie, par Monsieur le Daufin, le Duc d'Anjou, et les Cardinaux de Gondy et de Sourdis suivis desdites Dames. Monsieur le Prince de Conty marchoit devant la Reyne tenant la grande Couronne eslevée, et Messieurs les Duc et Chevalier de Vendosme portant le Sceptre et la Main de Justice, et devant eux Monsieur le Duc d'Elbeuf portant l'oreiller, Monsieur le Comte de sainct Paul le baston de Grand Maistre.
La Reyne ainsi conduite en sa chaire sur le grand eschaffaut, et s'estant assize, Messeigneurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis s'allerent seoir à leurs Sieges. Monsieur le Prince de Conty posa la grande Couronne sur l'oreiller et tabouret à ce destiné, se tenant à genoux prés ledit escabeau; comme aussi Messieurs les Duc et Chevalier de Vendosme estant à genoux des deux costez, tenant l'un le Sceptre à main droite, et l'autre la Main de Justice à main gauche.
La Messe fut celebrée par Monsieur le Cardinal de Joyeuse ayant deux Sous-Diacres, Messire Benjamin de Brichanteau de Beauvais-Nangis, Abbé de sainte Geneviéve, [463] Evéque de Philadelphe, et Coadjuteur de l'Evéché de Laon, chanta l'Epistre; Messire Charles de Balsac Evéque et Comte de Noyon, Pair de France l'assistoit: et à deux Diacres, Messire Charles de Vieuxpont Evéque de Meaux dit l'Evangile, et Messire André Fremiot Archevéque de Bourges qui l'assistoit.
Au commencement de la Messe Madame de Guiercheville Dame d'honneur de la Reyne, se leva de sa place sur le grand eschaffaut, et aprés avoir fait une grande reverence quasi jusques à terre devant l'Autel, et une semblable devant la Reyne, elle presenta les Heures de la Reyne à Mademoiselle de Vendosme, en luy faisant une grande reverence; puis retournant de l'autre costé elle fit pareille reverence devant l'Autel, et devant la Reyne, et porta le livre d'Oraisons à Mademoiselle de Mayenne, lesquelles Demoiselles de Vendosme et de Mayenne furent presenter à la Reyne l'une aprés l'autre lesdites Heures et livre d'Oraisons, et lors se firent plusieurs grandes reverences tant par elles que par les autres Princesses.
Peu avant l'Evangile Monsieur le Cardinal de Joyeuse donna la benediction à Monsieur l'Evéque de Meaux, qui le chanta, durant lequel la Reyne et toutes les autres Dames furent debout. L'Evangile finy ledit sieur Evéque de Meaux presenta le livre à Monsieur le Cardinal de Gondy, lequel accompagné des deux Evéques Diacres, et des deux Sous-Diacres, fut conduit par le Maistre des ceremonies et son Lieutenant à la Reyne, laquelle baisa le livre des Evangiles, s'estant pour ce faire agenouillée sur l'oreiller que luy presenta Monsieur le Duc d'Elbeuf. Durant l'Evangile furent aussi debout Monsieur le Daufin, et Monsieur le Duc d'Anjou, comme aussi Monsieur le Prince de Conty tenant en ses mains la grande Couronne eslevée, qu'il avoit auparavant posée sur l'escabeau, et Messieurs les Duc et Chevalier de Vendosme tenant le Sceptre et la Main de Justice.
Le Credo dit, le Maistre des ceremonies, son Lieutenant, et un autre Gentil-homme porterent sur trois gran-[464]des toillettes de damas blanc frangées d'or, chacune de cinq aunes de long, les offertes: à sçavoir à Madame la Mareschale de la Chastre deux pains, dont l'un estoit doré et l'autre argenté, ornez des armes de la Reyne: deux barils pleins de vin, l'un aussi doré, et l'autre argenté, pareillement aux armes de la Reyne, à Madame la Maréchale de Lavardin; et à Madame la Maréchale de Boisdaufin le Cierge blanc, auquel estoient fichez treize bezans d'or faits exprés, chacun de treize escus la piece. Lesdites Dames Maréchales porterent ces offrandes à Madame de Guiercheville, et à mesure qu'elles montoient elles faisoient deux grandes reverences, à l'entrée du grand eschaffaut, l'une vers l'Autel et l'autre vers la Reyne: Madame de Guiercheville les ayant receus l'une aprés l'autre, les porta avec pareilles reverences, sçavoir le pain à Mademoiselle de Mayenne, le vin à Mademoiselle de Vandosme, et le cierge à Madame de Vandosme.
Aprés la Reyne fut menée par Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis, accompagnez du Maistre des ceremonies, et de son Lieutenant qui la furent querir sur le grand eschaffaut, où toutes les Dames se leverent, et luy faisant une profonde reverence la suivirent, quelques-unes d'elles portant la queue du manteau Royal de sa Majesté, les autres portant les Offrandes: Comme aussi Messieurs le Daufin et le Duc d'Anjou, Messieurs les Princes allant devant la Reyne, portant la grande Couronne, le Sceptre, la Main de Justice, l'oreiller et le baston de Grand Maistre, la Reyne estant arrivée comme les autres fois à l'Autel, elle presenta les Offrandes que tenoient en leurs mains les Dames dont j'ay parlé, et Monsieur le Cardinal de Joyeuse, à chaque fois que sa Majesté luy presentoit les Offrandes luy faisoit baiser un anneau: aprés elle retourna à sa place chacun reprenant son lieu, et lors Messieurs les Cardinaux revindrent aussi à leur place.
Peu aprés Monsieur de Rodes amena à la Reyne Monsieur l'Evéque de Beziers son grand Aumosnier, lequel accompagné d'un autre Aumosnier, luy porta diverses [465] Hosties dans un riche corporalier, où elle en choisit une, de laquelle Monsieur de Beziers ayant fait l'essay il retourna à l'Autel.
Lors de l'eslevation du saint Sacrement la Reyne se leva de sa chaire pour s'agenouiller sur l'oreiller que luy presenta Monsieur le Duc d'Elbeuf, et tous les Princes et les Princesses, avec les Seigneurs et les Dames qui luy firent une grande reverence, le Sceptre, la Main de Justice, et la grande Couronne estant eslevées durant l'eslevation; et quand la benediction fut donnée par Monsieur le Cardinal de Joyeuse, à l'Agnus Dei Monsieur le Cardinal de Gondy alla à l'Autel recevoir (comme firent aussi les Evéques assistans) le baiser de paix, qu'il porta, accompagné du Maistre des ceremonies à la Reyne, qu'il baisa à la joue, elle s'estant pour cet effet derechef agenouillée sur l'oreiller qui luy fut presenté par Monsieur le Duc d'Elbeuf. Aprés la Communion de Monsieur le Cardinal de Joyeuse, Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis furent menez par Monsieur de Rodes à la Reyne, pour la conduire devant l'Autel au mesme ordre que les autres fois, où elle receut en grande humilité et reverence le Corps de nostre Redempteur, par les mains de Monsieur le Cardinal de Joyeuse; puis son oraison finie elle retourna au grand Eschaffaut en pareille ceremonie qu'elle en estoit venue, et acheva d'ouir la Messe à genoux en grande devotion.
Aussi tost que la Messe fut finie, les Herauts estans au Jubé crierent largesse, jettant des poignées de pieces d'argent monnoyées, en l'une des faces desquelles estoient empreintes l'image de la Reyne, avec l'inscription, Maria Dei gratia Franciae et Navarrea Regina; et au revers une couronne qui jette un espy et deux branches d'olives, avec ce mot, Felicitas: Il s'en fit aussi quelques autres d'or, qui furent données à quelques Seigneurs de la Cour, à Messieurs du Conseil, et aux Ambassadeurs.
Incontinent aprés la Reyne descendit du grand échaffaut en grande ceremonie, marchans devant elle les Princes portans le Sceptre, la Main de Justice, la grande Couronne, le baston de Grand Maistre et l'oreiller, et sa queue [466] portée et suivie des autres Princesses et Dames comme auparavant. Le Roy de son cabinet (duquel nous avons parlé) commanda dés la fin de la Messe à Monsieur le Duc de Guyse, et à Monsieur le Chevalier son frere de remener la Reyne; ils la furent prendre à sa chaire, d'où ils la conduisirent en son logis, en la mesme façon que Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis l'en avoient amenée.
Durant le Sacre, le Couronnement, et les autres ceremonies, les queues des Princesses et des Dames qui y servirent allant et venant par l'Eglise n'estoient point portées, elles traisnoient; et les Seigneurs et Gentils-hommes qui les portoient quand elles entrerent et sortirent de l'Eglise, se tenoient derriere elles sans faire aucun empeschement (18).
Mais helas, ce jour ne fut pas plus heureux et agreable à toute la France que le lendemain luy fut funeste; car le Vendredy 14. de May, le Roy Henry le Grand allant voir les Arcs triomphaux preparez pour l'entrée Royale qui se devoit faire le 16. suivant, il fut malheureusement et inopinément assassiné de deux coups de cousteau qu'un monstre d'enfer luy porta, l'un vers l'espaule, et l'autre dans la veine interieure vers l'oreille du coeur. Le carosse de ce grand Prince s'estant arresté au milieu de la rue de la Feronnerie, pour l'embarras d'une charette qui traversoit cette rue: Toute la ville estant pour ce desastre tellement esmeue, qu'il y avoit grand sujet d'en craindre un evenement dangereux. La Reyne par sa prudence, et estant tres-bien assistée des principaux Officiers de la Couronne, pourveut incontinent à la seureté de la ville et de l'Estat; et presque à l'instant mesme elle fut declarée Regente par le Parlement, et la nuit elle mit ordre aux armes, à toutes les Provinces, et aux principales villes du Royaume.
Le Samedy 15. de May elle alla à la Cour de Parlement, (qui seoit lors aux Augustins) où elle mena le Roy Louys XIII. son fils tenir son Lit de Justice, où par un second Arrest elle fut declarée Regente en presence de plusieurs Princes, et des premiers Officiers de la Couronne; entre autres du Connestable et du Chancelier.
Je ne rapporteray pas icy ces deux notables Arrests, à [467] cause qu'on les peut voir en plusieurs Autheurs et Historiens. Mais je ne puis me defendre de dire que ce fut un étrange changement, et que la posterité à peine pourra croire ce qui arriva à Paris le 14. de May de l'an 1610. par le funeste, et à jamais deplorable et detestable coup qui nous priva du grand Henry, le Roy le plus aymé de ses peuples, le plus recherché de ses voisins, et le plus redouté des Etrangers. Car le matin où l'on ne voyoit que des joyes et des contentemens pour l'appareil des pompes et des magnificences Royales de l'entrée de la Reyne Marie; au contraire sur les quatre heures du soir on ne vid jamais tant de souspirs, tant de regrets et de larmes. Le beau jour s'estoit changé en une nuit obscure, et le plaisir en une tristesse extréme (19). Il est vray que par une grace extraordinaire du Ciel, les François receurent une grande consolation de voir cette Princesse, veuve de Henry le Grand, declarée Regente en ce Royaume durant le bas aage du feu Roy Louys XIII. son fils, qui n'avoit lors que huit ans, sept mois, et dix-sept jours.
Le Roy Louys XIII. allant au Parlement fut assisté du Prince de Conty et du Comte d'Anguien (qui depuis a esté Comte de Soissons) Princes du Sang; des Ducs de Guyse, de Mayenne, de Montmorency, d'Espernon, de Montbazon, de Sully, tous Pairs de France, et celuy de Montmorency, Pair et Connestable, du Chancelier de Sillery, du Duc d'Elbeuf, representant le Duc d'Aiguillon Grand Chambellan; des Cardinaux de Joyeuse, de Gondy, de Sourdis, et du Perron; de Louys de Lorraine Archevéque de Reims, Duc et Pair; des Evéques de Beauvais, de Chaalons, de Noyon, Comtes et Pairs; de l'Evéque de Paris, de l'Evéque de Beziers; des Mareschaux de Brissac, de Lavardin, et de Bois-Daufin; de Monsieur de Souvray Gouverneur de ce jeune Monarque, de Monsieur de Harlay premier President, des Presidens Forget, de Thou, Seguier, Molé, et Camus ou de Jambeville; du Baron de Chapes Prevost de Paris, des sieurs de Chasteauneuf de Laubespine, Camus de Pont-Caré Conseillers d'Estat, et de plusieurs Maistres des Requestes, et des Conseillers de la [468] Cour, au nombre de plus de six-vingts.
La Regence tomba entre les mains de cette Princesse par des moyens presque divins: ce qui fit visiblement connoistre que Dieu aymoit cette Reyne, et la reservoit pour le salut de la France, et pour la conservation de la personne du Roy son fils, et de tous ses sujets: Aussi cette action estoit toute miraculeuse et pleine de la conduite particuliere de Dieu, et de l'admiration non seulement des François, mais de tous les peuples nos voisins, et mesme des nations les plus éloignées; car peu de jours auparavant Dieu disposa plusieurs Princes, et les premiers Officiers de la Couronne, et les Gouverneurs des Provinces de ce Royaume de se trouver à Paris pour assister au Sacre et à l'entrée de cette Reyne là, et luy donner des forces au delà de sa condition, pour se rendre capable du Gouvernement de la France. Qui eust jugé que l'appareil qu'on faisoit pour son entrée, et qui se devoit faire le 16. du mesme mois deust estre rompu? Et au lieu des triomphes de l'entrée de la ville capitale de cet Empire des Lys, qu'il luy donnast entrée au plus grand Gouvernement de la Chrestienté, et à la Regence d'un Royaume qui n'a point de pareil? Qu'il luy deust assujettir en un moment tant de villes, tant de Provinces, et tant de peuples qui sont depuis les Pirenées jusques à Calais et au bord de l'Ocean Septentrional; depuis les Alpes Maritimes de Daufiné et de Provence, jusques aux rives de la mer de Bretagne? Et qu'en un clin d'oeil tant d'ames, tant de corps, tant de personnes de tous sexes, de tous aages, de toutes qualitez, les Parlemens mesmes, les Chefs les plus Souverains de nostre Estat, tant de Barons, tant de Comtes, tant de Marquis, tant de Ducs, tant de Pairs, tant de Princes de la Maison Royale, ou des autres Maisons Souveraines, et des grands Seigneurs qui sont sortis d'Empereurs et de Rois, la deussent reconnoistre pour Regente et Gouvernante du Royaume, et pour celle à qui justement ils devoient obeir comme Reyne, et la mere du Roy leur souverain Seigneur et Maistre? Ce sont des coups de la main du Tres-puissant, ce sont des merveilles de sa dextre, et des jugemens de ses conseils eternels.
[469] La Reyne Marie ayant donc esté sans aucune contradiction declarée et receue Regente du Royaume, et Tutrice du Roy Mineur, les triomphes de la plus belle entrée qu'on ait jamais veu à Paris, furent convertis en l'appareil des funerailles du Roy Henry le Grand, auquel cette Princesse fit faire de magnifiques pompes funebres au Louvre, à Nostre-Dame de Paris, et à Saint Denys, où il receut les honneurs de la sepulture le I. de Juillet de l'an 1610.
Deux jours aprés l'enterrement elle sortit du Louvre pour aller à Nostre-Dame, afin d'assister au Service qu'elle luy fit dire: Elle entra premierement à l'Evéché, d'où elle alla à l'Eglise: Plusieurs Princes et Seigneurs marchoient devant sa Majesté; Monsieur le Prince de Conty, et Monsieur le Comte de Soissons la conduisoient: Mesdames la Princesse de Condé douairiere, la Princesse de Conty, et la Comtesse de Soissons portoient la queue de son deuil, qui estoit longue à cinq à six aulnes: Madame Elizabet de France sa fille aisnée suivoit, puis la Reyne Marguerite, vestues en deuil, et plusieurs Princesses et Dames: Ce Service estant finy elle retourna au Louvre. Au mois d'Octobre de la mesme année elle mena à Reims le Roy son fils aagé de neuf ans, où il fut sacré et couronné le 17. du mesme mois par le Cardinal et Duc de Joyeuse, avec les honneurs et les pompes ordinaires.
Les richesses que le Roy Henry le Grand avoit laissées, firent dire que le commencement de cette Regence estoit un siecle d'or; et donnerent moyen à la Regente d'appeller et d'appaiser les éloignez et les mécontens, de gratifier ceux qui pouvoient et vouloient bien servir, et de mettre à leur aise tous les Princes et les Grands que le Roy Henry IV. avoit par maxime d'Estat tenus dans la mediocrité. On ne voyoit, et on ne publioit dans Paris et dans la France, que les effets de la liberalité de la Regente, qui appuyoit son authorité par les bien-faits, et relevoit la majesté de son Gouvernement par cent Gentils-hommes de sa garde, couverts de hocquetons de veloux brodez d'or et d'argent, avec de belles devises, comme je rapporteray plus bas, et par une suite, dans laquelle tous les Princes et les Princesses qui s'y [470] trouvoient, prenoient pour des faveurs singulieres ses oeillades, et pour un sujet de vanité une de ses paroles. Sa puissance estoit absolue et heureuse: les premieres années elle appaisa quelques troubles dans les Provinces, et les querelles entre les Princes et les Grands, qui pouvoient apporter des desordres et des confusions dans l'Estat, comme durant les minoritez des Rois Charles VIII. et IX. Elle crea les Cardinaux en les recommandant au Pape Paul V (20). Elle nomma les Prelats; elle donna les Gouvernemens des Provinces et des places, les premieres charges de la Maison du Roy, et dans le Royaume toutes celles de la Justice, des Finances, et de la Police; afin que ses divertissemens fussent profitables, comme ils estoient honnestes; ils ne s'employoient qu'à élever des bastimens superbes, et à parachever les ouvrages que la mort inopinée de Henry le Grand avoit laissé imparfaits, comme je feray voir parlant de la magnificence de cette Heroine, dont la plus relevée pensée durant sa Regence, fut d'asseurer la paix du Royaume de France par la double alliance avec l'Espagne du Roy Louys XIII. son fils, avec l'Infante Anne-Marie-Maurice d'Espagne, maintenant nostre incomparable Reyne Regente, et de sa fille aisnée Elizabet de France, avec Philippe-Dominique-Victor Infant, et à present Roy d'Espagne (21). Nonobstant toutes les oppositions, son courage termina ce glorieux dessein, qui donna au Roy son fils une si belle, si vertueuse, et si sage Princesse pour femme; et à la France une Reyne accomplie de tant de vertus et de perfections, qui est maintenant Regente de ce grand Estat.
Aprés la conclusion des traitez de mariage, cette grande Reyne Regente ordonna des demonstrations de resjouissance si extraordinaires, que nous pouvons dire en verité, que depuis cinq cens ans, non seulement la France, mais l'Europe, n'a rien veu de si magnifique que ce qu'on appella Carouzel, qui durant les trois jours du 5. 6. et 7. d'Avril de l'an 1612. cousta plus de quatre millions de livres à la Reyne Marie, ou aux Princes et aux principaux Seigneurs qui furent les Chefs des Compagnies ou Escadrilles des Tenans et des Assaillans, qui firent leur entrée en cet ordre [471] dans le Camp de la Place-Royale la I. 2. et 3. journée du Carouzel, où le sort du billet avoit donné le rang à chacun.
Les Chevaliers de la Gloire, qui estoient Messieurs
Le Duc de Guyse, le Duc de Nevers, (qui depuis a esté Duc de Mantoue,) le Prince de Joinville, (maintenant Duc de Chevreuse) MM. de Bassompierre (22) (aujourd'huy Mareschal de France) et de la Chastaigneraye (23), furent les Tenans, et firent les premiers leur entrée dans cette belle Place, sortans du Palais de la Felicité, aprés que Monsieur de Praslin de la Maison de Choiseul (24), Chevalier des Ordres, leur Mareschal de Camp (qui depuis a esté Mareschal de France) eut obtenu la permission du Roy Louys XIII. et de la Reyne sa mere.
Les Tenans estans placez, les Chevaliers du Soleil firent leur entrée, qui avoient pour Chef Monsieur le Prince de Conty, sous le nom d'Aristée, qui envoya le Mareschal de Lavardin son Mareschal de Camp demander à leurs Majestez le Camp pour son Escadrille, de laquelle il leur presenta la response au Cartel des Tenans, ausquels il l'avoit fait voir passant prés du Palais de la Felicité, et puis entre le premier bout de la lice et la tente des Tenans (25). Aprés il en donna deux à Mesdames Elizabet et Christine de France, puis à Monsieur le Connestable, et aux Mareschaux de Bouillon, de Brissac, de Bois-Daufin, et de Lesdiguieres Juges du Camp. Cela fait, il presenta à la Reyne Marguerite une de ces responses, puis il s'en retourna vers sa troupe pour la faire entrer.
Quand la premiere troupe des Assaillans fut logée (26), celle des Chevaliers du Lys, dont Mr le Duc de Vendosme estoit le Chef, fit son entrée, ayant pour Mareschal de Camp Monsieur de Sourdeac de la Maison de Rieux, et Chevalier des Ordres du Roy. Mr le Marquis de la Valette, (à present Duc d'Espernon) MM. Zamet, de Pont-Chasteau, de Pluvinel, et de Benjamin estoient de cette Escadrille, dont j'ay desja parlé en la Vie d'Elizabet de France Reyne d'Espagne.
L'Escadrille des Amadis fit son entrée aprés celle des Chevaliers du Lys; elle avoit pour Chefs le Comte d'Ayen [472] de la Maison de Noailles, et le Baron d'Uxelles de la Maison du Blé-Chalon (27); et pour Mareschal de Camp Monsieur de Varennes de la Maison de Nagu (28). La 4. troupe des Assaillans estoit celle de Monsieur le Duc de Montmorency, sous le nom du Persée François, qui avoit pour son Mareschal de Camp Monsieur de Bouteville, laquelle s'estant retirée à la place qui luy avoit esté destinée, on courut.
Le lendemain six troupes, dont on avoit reservé les entrées au second jour, la firent dans cette Place.
La I. estoit celle des Chevaliers de la Fidelité, qui avoit pour Chefs MM. le Duc de Raiz, le Comte (maintenant Duc) de la Roche-Foucaud, le Comte de Joigny General des Galeres, les Marquis de Seneçay et de Ragny; et pour Mareschal de Camp Monsieur de Themines, Chevalier des Ordres du Roy, qui depuis a esté Mareschal de France.
La 2. celle du Chevalier du Phoenix, qui estoit Monsieur le Duc de Longueville, sous le nom de Cleontée, et avoit pour Mareschal de Camp feu Monsieur d'Hallincourt.
La 3. celle des quatre Vents, qui avoit pour Chefs MM. le Marquis de Beuvron, de Chastillon, de Bocard, et de Balagny (sa blessure, qui causa depuis sa mort, l'empescha d'y estre en personne;) et pour Mareschal de Camp Monsieur d'Andelot, depuis Chevalier des Ordres.
La 4. celle des Nymphes de Diane, qui estoient Messieurs le Comte de Schomberg, depuis Mareschal de France et Sur-Intendant des Finances; le Colonel d'Ornano (aussi depuis Mareschal et Gouverneur de Monseigneur le Duc d'Orleans,) de Crequy (aussi depuis Mareschal, Duc et Pair de France,) de Saint Luc, aussi depuis Mareschal, et le Marquis de Rosny, fils et pere des Ducs de Sully; Monsieur de Meuvy estoit le Mareschal de Camp de cette Escadrille.
La 5. celle des Chevaliers de l'Univers, dont les Chefs estoient les sieurs d'Effiat (depuis Mareschal de France, et Sur-Intendant des Finances) et Arnaud; et pour Mareschal de Camp le sieur de Bebesé.
La 6. et derniere, celle des Cesars ou des illustres Romains, qui estoient MM. le Marquis de Sablé, le Duc de Rouan-[473]nois, de la Boissiere (depuis Comte de Lannoy,) le Marquis de Courtenvaut, (maintenant de Souvray) le Marquis de Beauvais Nangis, le Baron de Monglat, les Marquis de Narmontier et de Bressieux, et le Comte de Monravel, qui avoient le Marquis de Tresnel de la Maison des Ursins, Chevalier des Ordres, pour leur Maistre de Camp, qui presenta des vers de leur part au Roy, à la Reyne, et à Madame, depuis Reyne d'Espagne. Il dit à la Reyne Marie:

Grande Reyne il suffit de vous monstrer icy
La face des Cesars, et leur triomphe aussi,
Pour connoistre leurs faits où leur gloire se fonde,
Comme il suffit de voir vos rares qualitez,
Pour connoistre des Dieux les liberalitez
Qui vous font estimer la merveille du monde.

La 3. journée fut employée aux courses de la bague; mais je suis obligé de remarquer que deux Seigneurs, Monsieur de la Valette et Monsieur Zamet parurent ce jour là avec un equipage nouveau, et vindrent au Camp tous les derniers, ayant pour Mareschal de Camp le brave Auguste de Belle-garde Baron de Termes, qui depuis a esté Chevalier des Ordres. Il faut des volumes entiers pour décrire toutes les particularitez de ces pompes et magnificences, où les rares feux d'artifices n'y furent pas oubliez. Les courses, les joustes, les bals, avec tout ce que l'art et l'invention des meilleurs ouvriers du monde peut s'imaginer de plus rare et de plus beau, y furent representez, et les plus charmantes musiques y furent données à la veue et au contentement des assistans, où toutes les Sibylles dans le char triomphant de la Gloire, chanterent souvent cette reprise en l'honneur de cette grande Reyne:

A ce coup la France est guerie;
Peuples fatalement sauvez,
Payez les voeux que vous devez
A la sagesse de Marie.

En suite se firent les magnifiques Ambassades des Ducs de Mayenne et de Pastrane, comme j'ay remarqué en la Vie d'Elizabet Reyne d'Espagne, la fille aisnée de cette Reyne, et le ballet de cette Princesse, où ceux qui y assisterent [474] virent des Palais enchantez, des machines qui faisoient voir le Ciel en terre, la terre dans le Ciel, et mesler les Elemens sans les confondre. Sa Majesté fit baptiser le 15. de Juin de l'an 1614. Monsieur le Duc d'Anjou (29), maintenant Duc d'Orleans, qui eut pour parrain Monsieur le Cardinal de Joyeuse, et pour marraine la Reyne Marguerite, qui le nommerent Gaston-Jean-Baptiste: et sa 3. fille, maintenant Reyne de la Grand'Bretagne et d'Hibernie, qui eut pour parrain Monsieur le Cardinal de la Roche-Foucaud, et Madame Elizabet de France, qui depuis a esté Reyne d'Espagne, qui la nommerent Henriette-Marie.
Aprés cette ceremonie elle fit voir au Roy son fils la Touraine, le Poitou, la Bretagne, l'Anjou, et le Maine, où par leur presence ils appaiserent heureusement les divisions qui estoient en quelques endroits de ces Provinces là.
Au retour de ce voyage sa Regence fut couronnée par le remerciement du Roy son fils dans le Parlement, où il fut declaré Majeur le 2. d'Octobre de la mesme année, en presence de Monsieur, du Prince de Condé, du Comte de Soissons, et d'autres Princes, Cardinaux et Officiers de la Couronne, et par des Lettres Patentes remplies de louange, pour les sages conseils et la prudence de son gouvernement; et depuis par les Estats generaux du Royaume, tenus à Paris sur la fin de la mesme année, et aux premiers mois de la suivante, où Monsieur de Pont Saint Pierre, I. Baron de Normandie de la Maison de Roncherolles, qui harangua pour la Noblesse, la compara à Amalazonte, tant renommée dans les Histoires, pour avoir si heureusement conservé durant sa Regence le Sceptre au Roy son fils. Plusieurs favoris d'Apollon et des Muses celebrerent sa bonne conduite par leurs vers; entre autres le plus celebre de nos derniers Poetes (30).

O Reyne qui pleine de charmes,
Pour toutes sortes d'accidens,
As borné le flus de nos larmes
En ces miracles evidens:
Que peut la fortune publique,
Te vouer d'assez magnifique,
[475] Si mise au rang des immortels,
Dont ta vertu suit les exemples,
Tu n'as avec eux dans nos Temples
Des Images et des Autels?

Il y a en la vie des Rois et des Reynes, comme en la Musique, des notes blanches et des noires; je veux dire qu'il y a des journées heureuses et malheureuses; et en celles-cy les faveurs et les traverses paroissent à leur tour. Car pour estre Roy ou Reyne (comme j'ay desja dit en la vie de la Reyne Louyse) l'on n'est pas exempt d'adversité. Nous avons jusques icy tousjours parlé des honneurs qu'a receus cette grande Reyne dans ses prosperitez, il faut les voir maintenant parmy ses afflictions et ses déplaisirs.
Elle perdit sa mere en sa premiere enfance. Cette perte ne se peut estimer, et les filles en ressentent les effets tant qu'elles vivent: le soin d'une mere estant beaucoup plus fidele et plus exacte, que ne peut estre celuy d'une Gouvernante. Ce qui affligea davantage cette Princesse, fut la conduite du Grand Duc son pere, qui par un excés d'amour, ou pour mieux dire d'aveuglement, ayant fait monter au lit de la fille d'un Empereur, une simple Demoiselle Venitienne nommée Blanche Capella (31), aprés l'avoir entretenue, et eu d'elle un fils naturel nommé Antoine: La generosité de la Princesse Marie ne pouvoit pas souffrir cet abaissement fait par le poids d'un amour déreglé, qui luy donnoit pour belle-mere une courtizane, et la veuve d'un Bourgeois de Florence. La mort inopinée du Duc son pere qui arriva assez subitement le 29. d'Octobre 1587. les autres disent le 8. du mesme mois, et qui fut suivie de cinq heures de celle de cette femme, luy apporta encore beaucoup de déplaisir et d'affliction.
A la sortie de l'enfance, elle se vid envelopée dans un accident bien estrange, le foudre estant tombé trois fois dans sa chambre: une fois il cassa les vitres en sa presence; une autre fois il blessa une de ses femmes de chambre; et pour la troisiéme il brusla les rideaux de son lit. Aprés ces attaques de feu et de l'air, les tremblemens de terre secouerent rudement par trois fois en divers temps le Palais [476] du Grand Duc où elle estoit. S'estant voulue promener sur la mer de Pise, elle faillit à se perdre.
Estant Reyne elle courut une grande fortune d'estre noyée vis à vis de Neully, au bord de la riviere de Seine, le 9. de Juin de l'an 1606. comme elle revenoit de Saint Germain avec le Roy Henry IV. car leurs Majestez qui estoient accompagnées de la Princesse de Conty, des Ducs de Montpensier et de Vendosme, n'ayans pas voulu descendre du carosse pour entrer dans le bac, à cause de la pluye: il arriva qu'en entrant les deux derniers chevaux tirans trop à costé, tomberent dans l'eau, et de leur poids emporterent le carosse, dans lequel la Reyne se trouva plus enfoncée que la Princesse de Conty et le Duc de Montpensier: car dés aussi tost que le Roy vit pancher le carosse, il jetta dehors le Duc de Vendosme, et se jetta aprés. Elle fut tirée de l'eau par un valet de pied, les autres disent par Monsieur de la Chastaigneraye (32), qui la prit par les cheveux, laquelle n'eut pas si tost pris l'air pour respirer, que jettant un souspir, elle demanda où estoit le Roy; parole qui monstroit que ses flammes conjugales estoient aussi vives dans les eaux que sur la terre, et qu'elle estoit plus troublée du peril où elle craignoit que fust le Roy son cher époux, que du sien propre. Quelques-uns ont écrit qu'elle estoit lors grosse de feu Monsieur le Duc d'Orleans, qui mourut aagé de 4. ans et six mois: mais cela ne peut pas estre; car elle accoucha de ce Prince seulement le 16. d'Avril de l'an 1607. qui estoit un tres-bel enfant (33), mais qui devint fort mal sain, à cause du changement de nourrices, et qu'on les luy ostoit continuellement par certaines jalousies de Cour, les uns voulans qu'il fust nourry par des bourgeoises, et les autres par des paysanes. Je n'ignore pas que la Philosophie et l'experience enseignent, que les femmes peuvent porter leur fruit dans le 10. mois; et mesme qu'il s'en est trouvé qui sont allées jusqu'au 14. Toutesfois, parce que cela est contre l'ordinaire, il n'y a point d'apparence que la Reyne Marie fust lors grosse de ce Prince. Une autre fois sa Majesté estant au Chasteau de Rosny, une ravine de pluye fit un tel desbordement, que la maison fut sur le poinct d'estre em-[477]portée, et on fut contraint de la sauver par une eschelle appliquée aux fenestres. Durant son heureux mariage elle eut quelques fascheries, à cause que le Roy Henry le Grand son époux, s'abandonnoit quelquesfois aux plaisirs de l'amour; ce Prince tres-bon et tres-vaillant, estant foible à resister aux charmes de la beauté des femmes. Mais la plus sensible de ses afflictions fut en la mort étrange de cet incomparable Monarque, l'Hercule François, le Pere de son peuple, l'Arbitre de la Chrestienté, et la merveille du monde.
Sa Regence eut des commencemens heureux; mais les suites (comme chacun sçait) furent remplies de beaucoup de traverses. Enfin le 24. d'Avril de l'an 1617. sept ans aprés le decés du Roy son mary, elle receut une grande disgrace par le moyen d'une femme de basse condition de Florence, (qui n'estoit pas la fille de la nourrice de cette Princesse, comme plusieurs ont écrit) (34) mais que sa Majesté avoit eslevée par une inclination particuliere qu'elle avoit pour elle; en suite dequoy son mary fut avancé dans les plus grandes charges du Royaume; et enfin exposé à la fureur populaire, et sa femme entre les mains d'un bourreau: ce qui jetta sa Maistresse dans le plus étrange malheur que pouvoit recevoir une Princesse de sa naissance, et fille de Souverain, Reyne par son mariage, la femme, et la mere de grands Rois.
Elle fut ensuite envoyée au Chasteau de Blois, d'où aprés 22. mois elle sortit la nuit du 21. et 22. de Fevrier 1619. pour se retirer à Angoulesme, où elle n'eut pas une petite affaire à appaiser les divisions qui survindrent parmy ceux qui se disoient ses partisans et ses serviteurs. Là elle receut fort courtoisement Monsieur le Cardinal de la Roche-Foucaud, Monsieur de Bethune, et le Reverend Pere de Berulle (qui depuis a esté Cardinal) qui furent envoyez par le Roy son fils, comme personnages zelez pour le repos de cet [478] Estat; aussi tout ce qui se passa lors dans les armées ne fit qu'un peu de bruit, et moins encore de mal. Victor Amedée Prince de Piémont (qui depuis a esté Duc de Savoye) ayant épousé à Paris (comme j'ay rapporté cy-dessus) Madame Christine de France, seconde soeur du feu Roy Louys XIII. et seconde fille de la Reyne Marie, desira d'aller voir sa Majesté à Angoulesme, ce que le Roy agrea. La Reyne Marie luy fit un si bon accueil, qu'il promit à sa Majesté d'embrasser ses interests, et le Prince témoigna qu'il en avoit receu tant de satisfaction, que Monsieur de Luynes en eut quelque défiance; ce qui fit haster le depart de leurs Altesses.
Tout cela s'estant passé à Angoulesme, le Roy Louys XIII. et la Reyne sa mere se virent à Coursieres en Touraine. Aprés cette entreveue, la Reyne qui avoit quitté le Gouvernement de Normandie se retira à Angers, aprés avoir visité par devotion l'Eglise des Ardilliers prés de Saumur, pour y accomplir un voeu qu'elle avoit fait à la Vierge. Dix mois aprés elle se trouva engagée dans une guerre, où furent défaites au Pont de Cé quelques troupes de son party, le plus grand que l'on ait jamais veu en ce Royaume; mais qui fut bien tost dissipé, tant par la jalousie des Chefs, et le grand nombre des partisans, dont plusieurs s'estoient plaints du gouvernement de cette Princesse et de ses Ministres lors qu'elle estoit Regente, que par des intrigues de Cour, dont plusieurs ont écrit et parlé. Ce trouble estant appaisé, la Reyne eut la consolation de saluer le Roy son fils à Brissac, et de revenir auprés de luy, et gouster les plaisirs de tant d'heureux progrés que fit ce Monarque és années 1621. et 1622. contre les Religionnaires rebelles de Poitou, d'Aunis, de Guyenne, et de Languedoc, ausquels il osta de fortes places, dont ils s'estoient emparez depuis qu'ils avoient commencé leurs revoltes sous les regnes des Rois Charles IX. et Henry III. La mort du Duc de Luynes Connestable de France, qui deceda le 15. Decembre 1621. luy donna encor plus de credit et de faveur. Durant lequel temps sa troisiéme fille Henriette-Marie de France fut mariée au mois de May de l'an 1625. à Charles I. Roy [479] d'Angleterre. Sa Majesté l'accompagna jusques à Amiens, où elle luy dit adieu. L'année suivante Monsieur le Duc d'Anjou épousa au commencement du mois d'Aoust dans la ville de Nantes Mademoiselle Marie de Bourbon Duchesse et heritiere de Montpensier; mais comme il n'y a rien d'asseuré aux choses de ce monde, cette alliance fut de peu de durée: car cette tres-vertueuse Princesse (comme je diray en son Eloge) ne véquit pas long temps avec le Duc son époux, au grand regret de la Reyne sa belle-mere, et de tous les bons François. Au mesme temps que Gaston de France épousa Mademoiselle de Montpensier, le Roy Louys XIII. son frere luy donna les Duchez d'Orleans et de Chartres, avec le Comté de Blois; ce qui luy fit quitter le titre de Duc d'Anjou qu'il portoit auparavant, et prendre celuy de Duc d'Orleans, de long temps affecté aux freres puisnez de nos Rois.
Six ou sept semaines aprés le decés de feue Madame la Duchesse d'Orleans, cette Reyne receut deux grandes afflictions, l'une par la dangereuse maladie dont le Roy son fils fut surpris à Villeroy; et l'autre, par la descente inopinée d'une armée navale Angloise, sous la conduite du Duc de Boukingham: mais Dieu exauça les voeux de cette grande Reyne, par l'heureuse convalescence du feu Roy Louys XIII. et la défaite des Anglois qui avoient assiegé les Forts de Saint Martin et de la Prée dans l'Isle de Ré.
Aprés cette déroute, le Roy Louys XIII. fit mettre le siege devant la superbe Rochelle, que l'on estimoit imprenable, où ce grand Monarque (aprés avoir visité la devote Chapelle de Nostre-Dame des Ardilliers) alla en personne, et ne quitta point le siege: les affaires reussirent si heureusement, que sur la fin d'Octobre de l'an 1628. les Rochellois furent contraints d'ouvrir les portes de leur ville au Roy, qui y fit son entrée le premier jour de Novembre, avec l'esclat et la magnificence que chacun sçait.
Durant ce siege memorable, la Reyne Marie sa mere fit celebrer plusieurs Messes pour la prosperité des armes du Roy son fils, et fit encore pour ce sujet plusieurs neufvaines à Nostre-Dame de Paris, où elle alloit avec la Reyne sa [480] belle-fille (maintenant nostre Reyne Regente) faire chanter le Salut qui duroit une heure. Elle fit voeu d'aller à Chartres visiter le plus ancien Temple de la Chrestienté, et où la sacrée Vierge a signalé ses merveilles depuis plusieurs siecles, pour y presenter à Dieu et à sa Mere la ville de la Rochelle en argent de relief; elle y communia, et tous les ans depuis le jour de sa reddition, elle a tousjours observé religieusement cette particuliere devotion. La joye qu'elle receut de la reduction de cette Place si importante, fut suivie de celle qu'elle eut pour la reduction de plusieurs autres villes de Guyenne, de Languedoc, de Vivarais, et de Daufiné, qui furent ostées l'an 1629. aux Religionnaires rebelles, par la valeur et la bonne conduite du Roy son fils, et le conseil et la valeur de ses Ministres et de ses fidelles serviteurs. Mais au mois d'Octobre de la mesme année, le Cardinal de Berulle, que la Reyne honoroit de sa confidence, et auquel elle avoit procuré cette eminente dignité, passa de cette vie à une plus heureuse. Au mois de Septembre de l'an 1630. le Roy Louys XIII. tomba malade à Lyon au retour de son voyage de Savoye qu'il avoit conquise. On douta quelques jours de la vie de ce Prince, et on fut sur le poinct de luy donner l'Extréme-Onction. Jamais on ne vid verser tant de larmes que firent les deux Reynes. Aussi n'y en a-t'il point de plus justes que celles d'une mere et d'une épouse, puis qu'il n'y a point d'amour plus violent, ny plus naturel que celuy-là (35). Une Muse Françoise n'a pas oublié dans ses Poesies de faire cette remarque (36):

D'autre part les Reynes surprises
D'un mal qu'on voyoit sans secours,
Estoient pour donner à nos jours
Deux memorables Artemises;
Leur douleur émouvoit les Cieux,
Desja sur les bords de leurs yeux,
Leurs esprits ennuyez de vivre,
Deliberoient avec leur foy,
S'ils devoient prevenir, ou suivre
Les funerailles de mon Roy.

[481] Mais Dieu exauça les voeux et les prieres de ces deux Reynes, et le Roy receut sa parfaite santé, pour vivre et regner encore treize ans, et nous donner un successeur.
La Cour estant de retour à Paris, il arriva au mois de Novembre de la mesme année des brouilleries qui changerent bien les affaires; car le 23. de Fevrier de la suivante 1631. la Reyne mere du Roy eut ordre de demeurer à Compiegne, d'où elle sortit le 19. de Juillet pour se retirer en Flandre vers l'Infante. Sa Majesté voulant passer par la Capelle, eut avis, estant au village de Sein, par un Gentil-homme du Marquis de Vardes, que le Seigneur de Vardes le pere estoit entré dans le Chasteau, d'où il avoit chassé son fils et sa femme; ce qui l'obligea d'aller à Avenes, ville de Hainaut, où le Baron de Creve-coeur Gouverneur de cette place la receut, et la traita trois jours entiers.
Deslors que sa Majesté fut arrivée en cette ville du Comté de Hainaut, tout le peuple d'alentour y accourut en foule à dessein de voir cette grande Reyne, la veuve, la mere, et la belle-mere des premiers Rois du monde. Il y eut quelques Dames qui se déguiserent en bergeres à mesme intention, croyant que cet habit leur donneroit plus de liberté, et moins de contrainte en cette curiosité. L'accueil que la Reyne leur fit les recompensa prodigalement de la peine qu'elles avoient prise. Le Prince d'Espinoy de la Maison de Melun (37), la vint saluer à Avenes, en qualité de Gouverneur general du Pays de Hainaut; pour avoir occasion en luy rendant ce devoir, de luy renouveller les protestations de l'ancienne servitude, qu'il avoit vouée en ses jeunes ans à sa Majesté, ayant esté nourry et eslevé en France auprés du Roy Henry le Grand: et la supplier par mesme moyen de venir dans la ville de Monts, capitale de son Gouvernement; comme un lieu dont le sejour luy seroit plus agreable et plus commode: mais sa Majesté s'excusant sur le besoin qu'elle avoit de se reposer, sejourna encore quelques jours dans Avenes. Cependant elle dépescha le Baron de Guespray pour porter le premier compliment de sa Majesté à son Altesse, et la remercier des honneurs qu'elle avoit receus dans sa ville d'Avenes. L'Archiduchesse ne [482] manqua pas aussi, deslors qu'elle eut appris les nouvelles de l'arrivée de la Reyne, de l'envoyer visiter par le Marquis d'Aytone de la Maison de Moncada (38), Ambassadeur ordinaire de sa Majesté Catholique, (qui aprés le decés de cette Princesse a esté Gouverneur des Pays-bas) avec commandement exprés d'offrir à sa Majesté de la part de son Altesse, la mesme puissance et la mesme authorité qu'elle avoit sur les Pays-bas, pour en disposer absolument. Il y a des volumes entiers (39) où sont décrits tous les honneurs et les magnificences que la Reyne Marie receut aux villes des Pays-bas, à Monts, à Brusselle, et à Anvers par les ordres de l'Infante.
Je ne puis pas obmettre les particularitez de l'entreveue de ces deux grandes Princesses. La Reyne suivie de toute sa Cour, et accompagnée du Prince d'Espinoy (qui l'avoit receue et logée splendidement dans cette ville capitale de son Gouvernement) et de toute la Noblesse du pays de Hainaut, alla au devant de l'Infante demy-lieue hors de la ville. Philippe Albert de Velasque (40) ne manqua pas de s'y trouver avec toute sa Compagnie de Gend' armes. Aux approches des carosses de ces deux Princesses, l'Archiduchesse descendit la premiere, et marcha quelques pas en avant: et la Reyne ne perdit point de temps pour aller à sa rencontre. Mais en cet abord, l'amour plus puissant que le respect, defendit les ceremonies: car sur le poinct que son Altesse s'abaissa pour saluer la Reyne plus respectueusement, sa Majesté la releva avec les efforts de ses embrassemens, dont l'action, quoy que muette, estoit si eloquente pour exprimer en son langage les secrets sentimens d'une parfaite affection, qu'elle n'avoit pas besoin d'interprete; leurs caresses reciproques firent les premiers complimens, se trouvans également muettes par un excés de joye, dont la passion doucement violente leur imposoit le silence. L'Infante recouvrant peu à peu la parole, qu'un extréme contentement luy avoit ostée, asseura la Reyne de cette mesme verité, et luy persuada de croire que son coeur avoit fait sa premiere harangue; n'ayant jamais pû exprimer à son abord la joye qu'elle en ressentoit. Son discours fut [483] suivy des offres de tout ce qui estoit sous sa puissance, dont elle fit dés l'heure mesme le present; mais de si bonne grace, qu'encore que la Reyne fust une des plus genereuses Princesses du monde, elle fut alors touchée de l'apprehension de devenir ingrate, à force d'estre trop obligée. Elle se revencha toutefois en quelque façon de ces témoignages de bonne volonté, par de nouvelles asseurances qu'elle luy donna, d'une parfaite et d'une eternelle amitié pour sa personne, et d'un pareil desir à chercher les occasions pour parvenir un jour à quelque sorte de reconnoissance.
La Reyne remonta dans son carosse avec l'Infante, et toutes deux ensemble, suivies chacune de sa Cour, firent leur entrée dans la ville de Monts, dont les Bourgeois tous en armes firent encor une feste pareille à celle qu'ils avoient desja faite à l'entrée de la Reyne, que l'Infante accompagna jusque dans la maison du Prince d'Espinoy, où sa Majesté logeoit. Estant dans sa chambre, elle ne voulut jamais s'asseoir à costé de la Reyne, luy deferant par tout mille honneurs avec tant d'humilité et tant de grace, qu'on ne se pouvoit jamais lasser d'en admirer l'action.
La ville de Brusselle ne voulut point ceder à celle de Monts en magnificences pour recevoir la Reyne Marie, qui fut voir la belle ville d'Anvers, où sa Majesté visita un grand nombre de belles et de riches Eglises, entre autres celle des Peres Jesuites. Sa Majesté estant de retour à Brusselle avec l'Infante, fit son sejour ordinaire en cette ville du Brabant, où deux ans aprés elle receut une sensible affliction par la mort de cette tres-sage et tres-vertueuse Princesse, qu'elle assista charitablement durant sa maladie, comme j'ay remarqué en l'Eloge de cette pieuse Heroine.
Aprés avoir demeuré sept ans en Brabant, elle prit la resolution aux mois de Juillet et d'Aoust de l'an 1638. de quitter ce pays là, et les autres Provinces sujettes au Roy d'Espagne pour aller en Angleterre. Elle passa premierement sur les terres des Estats des Provinces unies, où sa Majesté fut bien receue par Henry Federic de Nassau Prince d'Orange, par les Bourgeois des villes de Bois-le-Duc, de Gorcom, de Dordrecht, de Roterdam, de Delft, de la Haye, de Haer-[484]lem, d'Amsterdam, de Leyden, celebre Université de Hollande, et par Messieurs des Estats generaux, qui luy firent de magnifiques entrées en ces villes-là, et principalement en celle d'Amstredam (41), qui fut plus splendide que les autres. Les habitans de cette ville si opulente et si riche, creurent ne pouvoir pas rendre assez d'honneur à la petite fille de l'Empereur Maximilien I. qui a donné le privilege à leur ville de porter une Couronne Imperiale sur ses armes; se representants qu'elle estoit la femme de Henry le Grand, et la mere de Louis le Juste, à qui leur ville estoit grandement obligée, comme ils reconnoissoient par ces vers Latins:

Caesaream felix abavo donante coronam,
Et decus à vestro sanguine grande tuli.
At te praeteriti redeat nunc gratia facti,
Et non immemorem, maxima Neptis, habe.
Sic placui defensa tuo Regina marito,
Sic nato de Te Rege beata fruor.

C'est à dire,

Cette Couronne d'or dont on me void parée,
Marque des Empereurs,
Avec ces grands honneurs dont je suis entourée,
Me vient de vos Majeurs.
Pour n'estre point ingrate, agreez mes services,
Et les remerciemens
Que je dois aux bien-faits, et mille et mille offices
Receus de vos parens.
C'est ainsi qu'autrefois j'ay eu pour favorable
Le Roy vostre mary:
C'est ainsy maintenant que je suis agreable
Au rejeton d'Henry.

Gaspar Barleus a écrit en Latin l'Histoire de la reception faite à sa Majesté par les Bourg-Maistres et la Bourgeoisie de cette ville-là: Et M. Puget de la Serre a écrit en François non seulement les honneurs qu'elle receut à Amstredam, mais aussi par toutes les autres villes de Hollande. Il n'a pas oublié de remarquer, comme avant que d'arriver à Bois-le-Duc, l'Altesse du Prince d'Orange Henry-Federic de Nassau vint saluer sa Majesté, et avec quels respects ce grand Capitaine mit pied à terre abordant la portiere du carosse de la Reyne pour la saluer, [485] et luy offrir à mesme temps tout ce qui dépendoit et de son authorité et de sa puissance. Aprés que tous les principaux Seigneurs qui avoient accompagné son Altesse eurent fait la reverence à la Reyne, elle remonta à cheval, et entretint sa Majesté à la portiere du carosse durant le chemin. Il ne se pouvoit rien voir de plus beau que la Cavalerie de l'armée de ce Prince, rangée en divers escadrons dans une grande plaine, qui servoit d'une nouvelle escorte d'honneur à sa Majesté aux approches de Bois-le-Duc. Son Altesse la Princesse d'Orange Emilie Comtesse de Solms, accompagnée de Monsieur le Prince Guillaume son fils, de Mademoiselle Louyse d'Orange sa fille, et des plus grandes Dames du pays, qui toutes ensemble remplissoient 20. carosses, arrivant quelque temps aprés, vint rendre aussi en chemin ses devoirs à sa Majesté. Son Altesse mit pié à terre à la veue du carosse de la Reyne, qui à l'instant fit arrester le sien, et abattre les portieres: Madame la Princesse faisant la reverence à sa Majesté elle l'embrassa étroitement, luy témoignant par ses caresses l'extréme joye qu'elle avoit en cette rencontre. La Princesse d'Orange presenta ses Dames et ses Demoiselles à sa Majesté pour luy faire la reverence, comme aussi Mademoiselle Mauricete de Portugal, la Comtesse de Solms, Madame de Brederode, et beaucoup d'autres; et en suite la Reyne priant la Princesse d'entrer dans son carosse, elle y prit place; de sorte que sa Majesté poursuivit son chemin jusques à Bois-le-Duc avec cet accroissement de pompe. Durant tout ce voyage sa Majesté fut accompagnée de la Princesse d'Orange, de la Princesse de Portugal, du Comte de Culembourg, (qui mourut peu de temps aprés) du Seigneur de Brederode, de sa soeur qui estoit veuve du sieur de Potles, de sa fille aisnée, du sieur de Heenvliet Grand Veneur de Hollande, et Ruard de Patten, et d'autre Noblesse. A la Haye Elizabet Stuart ou de la Grand'Bretagne Reyne de Boheme, avec les Princesses ses filles, vint saluer sa Majesté, qui la receut à la porte de sa chambre, et la baisa. Elle embrassa les Princesses Elizabet, Louyse, et Henriette ses filles, qui luy firent la reverence. En suite la Reyne fit donner une chaire [486] à la Reyne de Boheme, et des tabourets aux Princesses ses filles, et à Mademoiselle d'Orange: leurs Majestez estans assises avec son Altesse, on vid un cercle digne d'admiration; puis la Reyne de Boheme presenta à sa Majesté ses Dames, qui luy firent la reverence.
La Princesse d'Orange accompagna la Reyne jusques à Heenvliet, où sa Majesté et son Altesse se separerent avec des ressentimens d'un sensible regret, et d'une extréme affection. La Reyne partit de Heenvliet sur les 9. heures du matin, et arriva à Hellevoetstuys sur les onze heures et demie, où le grand batteau du Prince l'attendoit pour la mener dans le Navire de guerre; mais le temps luy parut si beau, qu'elle se servit d'une chalouppe, d'où elle monta par un pont de planches fait exprés, à l'ayde de ses Escuyers; le Navire estoit fort superbe, et richement meublé.
Le vent estoit fort favorable cette nuit là, et le mesme Navire de la Reyne fit voile jusques à la hauteur de Dunkerke,et s'il eust continué six heures, on eust pû gagner le Port de Douvre, où le Roy et la Reyne de la Grand'Bretagne avoient fait de somptueux preparatifs pour y recevoir sa Majesté. Mais le lendemain la bonace fut si grande, que le Navire ne pouvoit voguer qu'à l'ayde de la marée. Le jour suivant 21. d'Octobre le vent fut si contraire, qu'il fallut relascher en Zelande, passant sur les six heures devant Flessingue sur le Vlacq, où le Capitaine mouilla l'ancre: mais le vent s'estant levé tout à coup fit lever l'ancre, et reprit son chemin du costé d'Angleterre. Le vent la porta heureusement jusques à la hauteur d'Ostende; mais venant à changer tout à coup avec violence, ses renforts causerent une grande tempeste, qui fut toute autre que celle que sa Majesté eut sur la mer Mediterranée, depuis Ligourne jusques à Marseille. Mais cette grande Reyne, aprés avoir esté sept jours entiers sur l'Ocean le jouet des vagues et des vents, surgit heureusement dans le Port de Harwich en Angleterre, au plus fort de la tempeste, par une grace particuliere du Ciel, en qui seul sa Majesté avoit mis son esperance. Aussi cette vertueuse Princesse parut comme insensible aux fatigues de la mer, par une force d'esprit et de [487] corps nom pareille, et se fit admirer de tout le monde avec son visage et sa majesté ordinaires.
Le Duc de Lenox, Prince de la Maison de Stuart ou d'Escosse, arriva à Harwich sur le soir du mesme jour avec une belle compagnie de Noblesse, et vint saluer sa Majesté, à laquelle il dit ces paroles: Que le Roy son beau-fils, et la Reyne sa fille se resjouissoient également de son heureuse arrivée, et de sa bonne santé, et qu'il avoit commandement de l'asseurer de leur part, qu'elle seroit aussi absolue qu'eux-mesmes sur les terres de leur obeissance.
Le mesme sieur de la Serre a décrit les entrées, qui furent faites à la Reyne par les ordres du Roy de la Grand'Bretagne és villes de Colchester et de Londres, et aux Chasteaux de ce Royaume là. Le Roy son beau-fils estant accompagné du Comte de Pembrok son grand Chambellan: du Comte d'Hollande, (que nous avons veu Ambassadeur extraordinaire en France;) et du Comte de Morton son Capitaine des gardes: de beaucoup d'autres Seigneurs et Chevaliers; comme aussi d'un grand nombre de Gentils-hommes de la Chambre de sa Majesté, la vint saluer au Chasteau de Mildemay, et faire offre de sa personne pour l'honorer et la servir selon la passion qui luy estoit demeurée, aprés luy avoir fait offrir à l'entrée de son Royaume tout le pouvoir qu'il y avoit. La Reyne, qui estoit accompagnée de Madame de Sourdeac sa Dame d'honneur, et d'autres Dames, le receut avec sa civilité naturelle, en laquelle sa Majesté estoit si bien instruite, qu'elle ne cedoit en cela à aucune Princesse de la Chrestienté.
La Reyne ayant receu les honneurs que les habitans de Londres luy firent à son entrée, elle fut logée au Palais de saint James, où la Reyne sa fille, qui estoit lors enceinte, descendit de la chambre où elle estoit, jusques au bas du grand degré avec deux de ses fils le Prince de Galles, le Duc d'Iorc, et de deux de ses filles, suivie de toutes ses Dames.
La Reyne estant montée dans la salle, fut assise au milieu, ayant à son costé droit le Roy de la Grand'Bretagne, et la [488] Reyne sa fille à l'autre, et tous ces Princes et ces Princesses au devant de leurs Majestez. Toute la chambre estoit remplie des plus grands Seigneurs et des plus grandes Dames d'Angleterre; ce qui rendoit encore le sejour plus agreable. Mais enfin cette Royale compagnie se separa, en rompant un grand Cercle, où comme dans un Ciel, trois beaux Astres de mesme éclat luisoient tous ensemble. Leurs Majestez de la Grand'Bretagne, avec les Princes et les Princesses leurs enfans s'en retournerent à Whithall, laissant la Reyne en Angleterre avec un honorable entretien, que le Roy son beau-fils luy continua jusques à ce que l'assemblée du Parlement menaça son Royaume de grands troubles; et fit connoistre à la Reyne que les Puritains (la plus pernicieuse de toutes les nouvelles sectes, et mortelle ennemie de l'Estat Monarchique) s'offensoient de la liberté qu'elle prenoit pour l'exercice de la Religion Catholique, que le zele de cette bonne Princesse rendoit quasi public. Elle fut donc obligée de sortir d'Angleterre, aprés y avoir sejourné plus de trois ans, prevoyant les troubles qui desja menaçoient ce Royaume insulaire, où l'insolence des peuples infectez de l'heresie est montée à un tel poinct, que de porter les armes contre son Roy, chasser la Reyne sa femme, et de mépriser entierement l'authorité Royale.
La Reyne Marie se retira à Cologne, aprés avoir passé par la Hollande, et témoigné dans tous ses voyages une constance invincible parmy les orages des mers, et les continuelles agitations des ondes. La perte de son ancien Confesseur le Reverend Pere Jean Suffren de la Compagnie de JESUS, homme de grande vertu, qui l'a tousjours fidelement servie et assistée en ses exercices de pieté, luy fut plus sensible que toutes ses disgraces. Il mourut à Flessingue en Zelande. A la verité la mort de ce Predicateur Apostolique luy fit penser à son depart de ce monde; et estant plus malade depuis le 14. de Juin 1642. la mort, qui paroissoit laide à cette grande Princesse, lors que l'on luy en parloit en santé, par un changement qui ne pouvoit venir que de la main de Dieu, se presenta belle à ses yeux. Elle embrassa cette [489] fin de sa vie avec toutes les tendresses de son coeur, l'ayant purifié par une exacte confession qu'elle fit au Pere Benoist de Liege, Gardien des Capucins de Cologne: l'ayant fortifié par le saint Viatique (que luy donna le mesme Pere) l'ayant fait armer pour le combat d'entre la chair et l'esprit; et s'estant despouillée de toutes les affections humaines, pour se revestir du seul Jesus Christ crucifié, elle se resolut à cet effroyable moment de la nature, en parfaite Chrestienne; et ceux qui l'ont assistée à son heure derniere, sont encore dans l'admiration de la force extraordinaire de son coeur. Elle fit son testament le 2. de Juillet, veille de son decés, avec une merveilleuse tranquillité d'esprit, et une solidité de jugement incomparable, et le fit signer par les témoins qui estoient presens, sçavoir Charles Archevéque de Tarse, un autre Evéque, Nonces ordinaire et extraordinaire du saint Siege: Frere Benoist du Liege, Gardien des Capucins de Cologne qui l'avoit confessée et donné le Viatique; Frere Simon de saint Paul, Prieur des Carmes deschaussez de Cologne: Frere Denys du Liege, Predicateur, Capucin; et Dom Jule de Medicis. Par ce testament elle donna une double benediction au feu Roy Louys XIII. son fils aisné, et le declara avec l'Altesse Royale Monsieur le Duc d'Orleans, heritier de sa dot, de ses acquisitions, de ses meubles precieux, et de son magnifique Palais de Luxembourg. Elle donna à ses autres enfans et petits enfans des marques d'une amoureuse souvenance: sçavoir; A la Reyne sa belle-fille, le diamant avec lequel sa Majesté avoit esté mariée: A la feue Reyne d'Espagne le livre de diamant, où il y avoit du Sang de Nostre Seigneur. A la Reyne de la Grand'Bretagne, sa vraye Croix, qui est entourée de diamans et de rubis: A Madame la Duchesse d'Orleans une bague d'un diamant fait en coeur: A Madame la Duchesse de Savoye son diamant, où il y a plusieurs reliques: et à Mademoiselle, elle ordonna qu'on luy rendist les perles qui luy appartiennent. Elle n'oublia pas aussi ses serviteurs qui l'avoient assistée en ses voyages, et voulut qu'ils eussent des témoignages de sa justice et de sa reconnoissance.
Ayant disposé de tout ce qu'elle abandonnoit en terre, son esprit fort libre ne pensa plus qu'à s'ouvrir le chemin [490] pour le Ciel, où elle envoya beaucoup de souspirs et de prieres. Peu de temps avant sa mort elle dit à sa premiere femme de chambre: Je me souviens de la pratique de bien mourir, que j'ay appris du Pere Suffren; demanda le Crucifix que saint Charles Borromée portoit aux mourans, et qu'il tenoit en sa main lors qu'il rendit l'esprit à Dieu. Ainsi mourut Marie de Medicis ou de Toscane, Reyne de France et de Navarre, mere ou belle-mere de trois Rois, dans la ville de Cologne, que le vulgaire appelle la ville des trois Rois, le 3. de Juillet de l'an 1642. ayant vécu 68. ans. On celebra dans Cologne six mille Messes pour le repos de son ame, comme sa Majesté avoit ordonné par son testament. Ferdinand de Baviere, Archevéque et Prince Electeur de Cologne son parent, a eu soin de faire rendre aprés sa mort, les respects que meritoit un corps, duquel on peut dire que tous ceux des grands Princes et des grandes Princesses sont sortis. Ce corps qui servit de matiere à toutes les grandeurs humaines, fut porté de Cologne à Saint Denys en France le 8. ou 9. de Mars 1643. où il a receu la sepulture, prés de celuy du Roy Henry le Grand son mary, comme elle avoit ordonné par son testament. Elle avoit eu le soin de faire rendre les honneurs de la sepulture au Roy Henry III. et à la Reyne Caterine de Medicis, que le vulgaire a estimé sa tante; et que le malheur du siecle avoit assez nonchalamment traittez. Son coeur repose en l'Eglise des Peres du College de la Compagnie de JESUS à la Flesche, prés de celuy du Roy son mary, pour marque de l'amitié qu'elle portoit à la memoire de ce tres-bon Prince, et aussi à cette grande Compagnie qu'elle a honorée de sa protection durant sa Regence, et aussi de ses bien-faits, particulierement aux Colleges de la Flesche et de Moulins, dont elle est Fondatrice. On luy a fait les pompes funebres, non seulement dans les Eglises des Parroisses et des Monasteres de Paris, mais aussi en celles des autres villes de ce Royaume et publié en France et ailleurs des Oraisons funebres en son honneur; entre autres Mathieu Morgues sieur de Saint Germain, Predicateur du Roy, et premier Aumosnier de cette Reyne, a mis en lumiere son discours funebre, intitulé, Les deux Faces de la [491] vie et de la mort de Marie de Medicis Reyne de France et de Navarre. Aussi la vie de cette Princesse, la femme, la mere, l'ayeule, et la belle-mere de Rois; la petite fille, la niece, et la cousine germaine d'Empereurs, est une Medaille à deux faces, où (comme dit celuy qui a fait son Eloge) l'on void Henry le Grand le premier party de l'Univers, des enfans sur les plus hauts Throsnes de l'Europe, des thresors, des pouvoirs, et des gloires sans fin. De l'autre on contemple des fleurs de Lys qui se tournent en espines, une longue tissure de Croix, des agitations sans nombre, et des abandonnemens sans mesure: mais elle n'a jamais esté abandonnée de son coeur invincible qui brava son malheur; d'une devotion tres-constante, qui luy fit prendre les plus rudes dispositions du Ciel avec amour et respect, et d'une genereuse debonnaireté, qui ferma sa bouche à la mort qui luy ouvrit le Ciel.
Les vertus Morales, qui ont le plus éclaté en cette grande Reyne, ont esté la liberalité et la magnificence, les ayant heritées du grand Cosme, l'honneur des Medicis, son grand ayeul; du Duc Cosme son ayeul, et du Duc François son pere, et des autres Princes de sa Maison; et aussi de sa mere Jeanne Archiduchesse d'Austriche, qui avoit esté nourrie à la Cour des Empereurs Ferdinand I. et Maximilien II. celuy-là son pere, celuy-cy son frere (42). Sa liberalité paroissoit en ses presens, qui surmontoient les demandes et les esperances. Sa magnificence Royale s'est fait remarquer principalement dans les bastimens: elle a fait achever tous ceux que le Roy Henry le Grand avoit commencez; sçavoir le grand Pavillon des Tuileries, la gallerie du Louvre, le Pont-neuf de Paris, Saint Germain, Fonteine-bleau, et la Place-Royale. Elle a fait conduire du village de Rongis par un aqueduc de trois lieues les Fonteines qui embellissent et rafraichissent la ville de Paris. Elle y a fait planter pour le plaisir des promenades, qu'on appelle le Cours, des allées d'une demy-lieue, bordées de quatre rangs d'arbres apportez avec grand soin et dépense d'Ypre au Pais-bas. Il faudroit un volume entier pour décrire son Palais de Luxembourg au faux-bourg de Saint Germain, le plus rare ornement de la mesme ville, et le plus superbe que la terre porte: les meilleurs Architectes de l'Europe l'ont dressé, les [492] plus rares Sculpteurs d'Italie l'ont embelly, le plus sçavant Peintre des Pais-bas Pierre-Paul Rubens, l'Appelle de ce siecle, l'a orné: les plus beaux esprits de France ont fait les inscriptions et les devises qui se voyent dans les lambris. Les platfonds sont tous rehaussez d'or, ayant dans les enfoncemens des tableaux des meilleurs Maistres du monde. Les pavez sont marquetez comme les plus riches cabinets d'Allemagne. Les vitres sont de cristal de roche, enchassées dans l'argent: et les ameublemens d'Hyver et d'Esté, recherchez dans toutes les parties de la terre. Les jardins, les parterres, les vergers, les bocages, les pallissades, les espaliers, et les Monasteres enfermez et voisins, font remarquer dans la curiosité, la pieté de cette industrieuse et Religieuse Reyne. Sans cette vertu de Religion, qui est la premiere de toutes les Chrestiennes; tout cecy seroit un excés, le propre de la pieté estant de purger l'ame de vanitez, ausquelles la creature est encline, mesme contre sa volonté, comme a dit fort bien saint Paul. Il ne faut pas douter que cette Reyne s'estant rendue recommandable à Dieu, à sa glorieuse Mere, et aux Saints, pouvoit expier tout le mal auquel, ou la foiblesse de la vie, ou la puissance de la Royauté l'avoient rendue sujette. Sa pieté envers Dieu paroissoit en ce qu'elle recevoit ses plus severes dispositions, non seulement avec patience, mais avec respect et amour. Elle communioit pour le moins 20. fois l'année, avec des grands ressentimens de pieté et d'humilité, jusques à pleurer bien souvent. Son plus grand soin estoit, de faire parer en sa presence ses Chapelles et ses Oratoires, dans lesquelles elle passoit tout le temps de sa solitude en meditation et priere. Son Confesseur avoit tous les Vendredis une conference de deux ou trois heures avec sa penitente, qui luy rendoit compte exact de l'estat de son ame, luy demandoit les remedes à ses imperfections, les moyens pour se maintenir en la grace de Dieu, et pour resister aux tentations.
Sa Majesté ayant une parfaite connoissance, que la tres-sainte Vierge est le canal des benedictions, desquelles JESUS-CHRIST son Fils est la source, elle cherchoit dans cet Ocean de toute sorte de biens, les rafraichissemens [493] des consolations, et les richesses du Ciel; tirant les premieres de l'exemple, et les autres de l'intercession de sa grande Patrone. Elle estoit si reconnoissante des bien-faits de la liberale Reyne des Anges et des hommes, qu'il n'y avoit point d'Eglise en France où la Vierge ait fait paroistre plus particulierement son credit, qui ne fust embellie par quelque marque de sa pieté. Nostre-Dame de Paris, de Chartres, de Liesse, des Ardilliers, des Champs, des Vertus, et de Bonnes Nouvelles en la basse Chapelle de la Vierge dans l'Eglise de saint Victor, et plusieurs autres Chapelles miraculeuses l'ont veue pelerine, et sont ornées de ses presens (43): On les void aussi dans Nostre-Dame de Lorette, de Mont-ferrat, du Puys, de Grace, et en plusieurs autres pays éloignez. Tous les Samedis en France et en Flandre, elle visitoit quelque lieu dedié à la Vierge, et taschoit d'augmenter son culte par tout. Elle a voulu que plusieurs Chapelles qu'elle a fait dresser dans plusieurs Monasteres de Paris, et des autres villes de ce Royaume, luy fussent dediées: Elle a aussi esté soigneuse de faire tailler quantité de belles Images des bois de Montaigu et de Foix, les ayant fait enrichir d'or, de diamans et de perles, pour les envoyer en divers endroits, afin qu'elles attirassent la devotion des peuples. Ses principaux Patrons, aprés cette Mere de misericorde, estoient saint Jean Baptiste Protecteur de Florence, sainte Magdelaine, saint Dominique, saint François d'Assize et de Paule, sainte Terese, et le bienheureux Louys de Gonzague (qui avoit passé quelques années en la Cour du Grand Duc son pere;) elle avoit le Rosaire de saint Dominique, le Cordon de saint François, et le Scapulaire de sainte Terese. Elle avoit une sainte curiosité pour les Reliques, et en ayant ramassé de toutes parts une merveilleuse quantité, des plus rares et des plus asseurées qui fussent en l'Eglise de Dieu, elle estoit soigneuse de les loger fort proprement et richement; en quoy elle faisoit paroistre son industrie avec sa pieté. Lors qu'elle estoit à Tours, sa Majesté obtint des Marguilliers de l'Eglise de Nostre-Dame de la Riche, des reliques de saint François de Paule, qu'elle a gardées tres-religieusement (44).
[494] C'est cette pieté qui luy fit demander et obtenir du Pape Urbain VIII. la Canonization de saint André, de la noble Maison de Corsini à Florence, Evéque de Fezule, dite Fiezole, Religieux de l'Ordre des Peres Carmes, que ce successeur de saint Pierre canoniza le 22. d'Avril de l'an 1629. Elle a fait aussi poursuivre la Beatification de plusieurs Hommes et Dames illustres en sainteté et en miracles; entre autres celle de la Venerable Mere Anne de saint Barthelemy, compagne de sainte Terese, pour reconnoissance d'avoir obtenu sa santé estant malade d'une fiévre continue à Gand, par les prieres de cette Religieuse Carmelite, comme je remarqueray plus particulierement à la fin de l'Eloge de cette fidelle amante du Sauveur. L'on void en plusieurs villes de France, et entre autres en la capitale du Royaume, des monumens de la liberale pieté de cette Reyne Tres-Chrestienne et tres-Auguste, qui sont des témoignages asseurez de sa charité envers Dieu, et de son affection au public.
Le Roy Henry IV. fit sur les dernieres années de son regne, bastir la Place Royale à Paris (au lieu où estoit jadis l'Hostel des Tournelles) à laquelle de grandeur et d'excellence d'ouvrages, peuvent ceder tous les amphitheatres et les plus grands bastimens de l'Antiquité; il voulut que cette belle Place fust proche de quelque Eglise; et pour ce sujet fit venir à Paris sur la fin de l'an 1609. le Reverend Pere Olivier Chaillou, Religieux Minime, qui avoit esté Chanoine de Nostre-Dame de Paris, pour établir un Convent de l'Ordre prés de cette Place, où le 25. du mois de Mars de l'an 1610. feste de l'Annonciation de la Vierge, fut celebrée la premiere Messe par le Reverend Pere François Humblot, celebre Predicateur de son siecle, qui estoit lors Vicaire general de l'Ordre des Minimes en France: Il y fit une exhortation à la fin de la Messe. Deux mois aprés, ce grand Monarque ayant esté ravy par une mort lamentable: cette Reyne sa veuve estant Regente, ayant sceu par MM. de Belle-garde, le Chancelier de Sillery, de Villeroy, de Pisieux, et le sieur de Saintot, que le Roy son mary avoit promis de payer le fonds qu'on avoit acheté de Monsieur de Vitry, Cheva-[495]lier des Ordres, et Capitaine des gardes du Corps; elle accomplit sa promesse, et s'en rendit Fondatrice au nom du Roy Louys XIII. son fils, et y fit mettre la premiere pierre par Jean de la Croix de Chevrieres (45) Evéque de Grenoble, avec cette inscription Latine:
Maria Medicea, Pientissima et Serenissima Francorum Regina, Henrici IV. olim conjux, nunc vidua, et Ludovici XIII. Francorum Regis mater, extruendi hujus Templi ergo, quod honori B. Dei Genitricis Mariae votum et dicatum est, ipso ejusdem Virginis natali die et VI. Idus Septembris M. DC. XI. primarium lapidem pro fundamento posuit Christianè prorsus et Feliciter. C'est à dire: Marie de Medicis, tres-pieuse et Serenissime Reyne de France, cy-devant femme de Henry IV. et maintenant veuve, et mere de Louys XIII. aussi Roy de France, a mis la premiere pierre du bastiment de cette Eglise, qui est dediée à l'honneur de la Vierge Mere de Dieu, le jour de sa Nativité le VIII. de Septembre de l'an M. DC. XI. avec tous les sentimens d'une pieté Chrestienne, et des souhaits de toute felicité.
Ce fut le Dimanche 18. de Septembre de l'an 1611. que la premiere pierre fut posée par ce Prelat, representant en cette action la Reyne mere, dont il avoit esté honoré de la commission, sa Majesté n'ayant pû y assister pour quelque incommodité de maladie (46). Elle a aussi obligé cet Ordre en toutes occasions: et les Convents de Tours, de Nigeon prés de Paris, de Fublines prés de Monceaux, de Blois, d'Angoulesme, d'Angers, et de Compiegne, ont ressenty les effets de ses liberalitez.
L'Eglise et le Convent des Minimes de la Place-Royale, n'est pas seul dans Paris qui a eu pour Fondatrice cette Reyne Tres-Chrestienne et tres-liberale; car cette pieuse Princesse, qui sçavoit que les Eglises et les Monasteres sont comme les colombiers où les bonnes ames demeurent, a basty ou fondé les Monasteres des Religieuses Benedictines de la Congregation du Calvaire, prés de son Palais de Luxembourg: des Religieuses Bernardines du Port-Royal; ceux de sainte Elizabet du tiers Ordre de saint François prés le Temple: des Dominicains ou Prescheurs de la rue neuve Saint Honoré, de la Congregation de saint Louys, establie par le [496] Reverend Pere Sebastien Michaelis. Dans la mesme rue l'on ne peut voir le riche Autel et la belle Eglise des Reverends Peres Feuillens, sans se remettre en memoire les obligations que luy ont les Religieux de cette devote Congregation, et ce Monastere là, auquel elle a fait unir l'Abbaye du Val Nostre-Dame prés de Stors, et de l'Isle Adam.
Le Pape Paul V. ayant adressé un Bref au Roy Henry le Grand, et un autre au Cardinal de Joyeuse, en faveur de l'establissement de l'Ordre des Peres Carmes deschaussez en France: les Reverends Peres Denys de la Mere de Dieu et Bernard de saint Joseph, des plus remarquables de cet Ordre là, estans à Lyon, apprirent la mort lamentable de cet incomparable Monarque, ils ne laisserent pas de poursuivre leur dessein, et estans arrivez à Paris, ils furent presentez par ce grand Cardinal à la Reyne sa veuve, lors Regente, qui les receut benignement, et commanda au Chancelier de Sillery de depescher des Lettres Patentes pour leur établissement; et sa Majesté estant assistée de plusieurs Princes et Princesses, mit la premiere pierre de leur Eglise le 20. de Juillet de l'an 1613. feste de saint Elie, le Pere du Carmel, sur laquelle ces paroles Latines estoient gravées; Maria Medicea Regina mater, fundamentum hujus Ecclesiae posuit anno 1613. Marie de Medicis Reyne mere, a posé les fondements de cette Eglise l'an 1613. aprés que Monsieur le Cardinal de Bonzy (47), Evéque de Beziers son grand Aumosnier, eut fait les ceremonies de la benediction de l'Eglise. Elle mit la premiere pierre aux nouvelles fondations de l'edifice du grand Monastere de l'Incarnation ou des Meres Carmelites du faux-bourg saint Jaques, et s'en declara Fondatrice. Elle a obligé cette Famille, et en France, et en Flandre. On void en leur Eglise de Pontoise le monument de marbre qu'elle a fait dresser à la memoire de Soeur Marie de l'Incarnation.
Deux autres Compagnies sont entierement obligées à la memoire de cette pieuse Princesse; sçavoir celle des Prestres de l'Oratoire, et (48) les Religieuses de sainte Ursule, qui ont esté à son instance approuvées par le Pape Paul V. Il ne faut pas estre du monde pour ignorer que sa Majesté a honoré de sa protection, ces deux devotes Congregations, [497] qui ont toutes deux commencé leur Institut l'onziéme de Novembre des années 1611. et 1612.
Celle-là reconnoist pour son Instituteur le Reverend Pere Pierre de Berulle, homme de pieté, de vie et prudence admirable, de sçavoir non vulgaire, qui tousjours depuis l'espace de 18. ans entiers a gouverné cette celebre Compagnie; et sur la fin de sa vie, il fut honoré du titre, et couvert de la pourpre de Cardinal. Le Reverend Pere Charles de Gondren, homme aussi d'eminente doctrine et pieté, luy a succedé, et a esté Superieur general de cette Compagnie; et le Reverend Pere François Bourgoing, Parisien, dont la modestie ne me permet pas de parler avec avantage de sa personne et de ses oeuvres, a esté éleu à cette charge par le decés du Reverend Pere de Gondren.
Celle-cy fut établie et fondée par la Reverende Mere Anne de Roussy, Abbesse de saint Estiene de Soissons, maintenant de Reims, par la sollicitation des devotes Demoiselles de Sainte Beuve et Acarie; la I. de la Maison des Luilliers, et l'autre des Avrillots, comme j'ay remarqué en leurs Eloges. Ces bonnes Meres Ursulines de la Province de France, ont instruit à la pieté et aux bonnes moeurs une infinité de filles. Et la charité et le zele du salut des ames de cette Reyne, n'a pas paru seulement en la fondation et en la protection de ces deux Ordres, mais aussi en la fondation de ces deux Hospitaux, dressez pour le soulagement des malades. Le I. pour les hommes au faux-bourg de Saint Germain, sous la conduite des Religieux du bienheureux Jean de Dieu, dit des Freres de la Charité, et appellé aussi l'Hospital de la Reyne, qu'elle fonda sous le regne du Roy son mary, l'an 1604. L'autre dans cette grande ville, prés de la Place-Royale, pour les femmes, gouverné par de saintes Religieuses enfermées, ausquelles sa Majesté vid donner l'habit le 12. de Juin de l'an 1628. par Monsieur l'Archevéque de Paris. Il n'y a gueres d'Hospitaux ny de Monasteres dans Paris, qui ne portent les marques de sa magnificence, et durant sa Regence elle employa son authorité pour reduire à une meilleure regle la conduite de tous les Hospitaux, et des Maladreries de France; et sa Majesté n'alloit jamais en aucune ville, qu'elle ne leur fist du bien. Les Maisons de la [498] Savonerie prés de Chaliot, de la Pitié, et autres aux faux-bourgs de Saint Marcel et de Saint Victor, ont esté commencées sous sa Regence, ou par ses ordres. Elle a fait aussi parachever le Royal Hospital de saint Louys, aux portes de Paris, qui avoit esté commencé par le Roy Henry le Grand, pour loger les malades de la peste. Elle se servoit de Monsieur de Saintot sieur de Vemars (49), (qui estoit homme d'une probité antique, et de ce bon temps auquel les Vertus encore vierges, estoient sans fard et sans tache) pour ces dépenses si Chrestiennes, et de grande utilité. Il faut adjouster à tant d'ouvrages de sa charité Chrestienne, ses aumosnes ordinaires, qui estoient de douze cens escus par mois; outre les extraordinaires qui se faisoient aux Religieux et aux pauvres que la honte empeschoit de mendier publiquement. Sa charité paroissoit aussi envers les prisonniers, delivrant à Paris la Semaine sainte ceux qui estoient detenus pour debtes, et employant de grandes sommes à cela: elle pratiquoit les mesmes choses dans les autres villes où elle s'arrestoit, ou qui se rencontroient en son passage.
Mais elle est digne d'une louange immortelle, pour avoir durant sa Regence fait justement renouveller les Edits du Roy Henry le Grand contre les duels ces detestables combats, qui perdent le plus pur sang de la France et de la Chrestienté; qui ont veu souvent plusieurs Seigneurs, des plus illustres et des plus anciennes Maisons de l'Europe, perdre la vie pour une legere parole, et pour l'ordinaire, pour l'amour d'une impudique, qui oblige souvent la jeune Noblesse à prodiguer, l'espée à la main, son sang, qui devroit estre reservé pour leur Prince, et pour leur patrie. Maudite coustume, et bien extravagante, puisque son usage s'employe à la defense de l'honneur d'une femme qui n'en a plus, l'ayant plusieurs fois auparavant prostitué à tous les deux qui combattent pour elle, et quelquefois en des lieux si infames, que la bien-seance defend mesme de nommer.
La Reyne Marie a eu plusieurs belles devises du vivant du Roy son mary; on fit graver une medaille l'an 1608. [499] dans le revers de laquelle on voyoit cette Princesse representée par la Deesse Junon assise en majesté, le chef couvert d'une Couronne, tenant en sa main droite un Sceptre, et appuyant l'autre sur le dos d'un Paon, qui rouant sa queue, fait montre de ses emeraudes, et de ses soleils, avec ces mots Latins qui l'animoient, VIRO PARTUQUE BEATA; Heureuse en mary et en enfans, par lesquels cette feconde Princesse se vantoit d'estre l'épouse du plus grand Roy de la terre, et la mere de cinq enfans, dont les trois estoient masles. Les Dames d'Athenes firent une assemblée pour faire montre de leurs bagues; la femme de Phocion s'y trouva, et comme toutes les autres faisoient parade de leurs perles et de leurs pierreries, elle tira de son sein ses lettres de mariage, et les desployant sans mot dire, fit connoistre que son plus riche joyau estoit d'avoir merité d'estre femme d'un grand Capitaine: et par le jugement de toute la compagnie, le parchemin emporta le prix des bagues. Les autres Reynes et Princesses n'ont point cet advantage d'avoir eu pour mary le Roy Henry le Grand, le vif exemplaire des vaillans Rois, et l'Aigle des Capitaines, comme l'appelloient mesme ses ennemis, cet Achile vainqueur, en la conqueste de sa France. Mariage heureux d'un grand Pelée et de cette feconde Thetis, lequel a donné à la Chrestienté des Princes et des Princesses, duquel est né sous le Sceptre, et la justice, et en l'heureux ascendant des plus grands Monarques du monde, nostre feu Roy Louys le Juste, un second Achille, ou pour mieux dire, un vray Hercule Gaulois en origine et en valeur, qui d'un premier travail au plus grand, a suffoqué l'Hydre de la Rebellion en son Royaume, second Romule, fondateur de justice et de paix, nostre Cesar en valeur, nostre Auguste en bon-heur, et nostre Charlemagne en grandeur. Cette Reyne est tres-noble pour estre une grande Princesse de naissance, veuve de Henry IV. mere de Louys XIII. et de son Altesse Royale, qui a esté Regente en France; belle-mere des Rois d'Espagne, de la Grand' Bretagne, et du feu Duc de Savoye Victor-Amedée, qui ont tous des heritiers du sang de sa Majesté; et l'ayeule de nostre Roy Louys XIV. Dieu-don-[500]né, et de Monsieur, pour lesquels nous sommes obligez de lever continuellement les mains vers le Ciel, prians le Roy des Rois pour leur santé, leur prosperité, et longue vie, afin

Que leurs ans soient comptez au nombre des estoilles,
Au nombre que la mer a de masts et de voiles,
Au nombre qu'au rivage on compte de sablons,
D'oyseaux dans les forests, en terre de maisons.

Aprés la mort du Roy Henry le Grand, cette Princesse prit entre autres devises un Pelican qui se bequettoit, et ouvrant la poitrine en fait sortir des gouttes de sang, dont il arrouse ses petits, avec ces mots Latins, TEGIT VIRTUTE MINORES; Elle protege ses enfans par sa vertu. Par cette devise que l'on voyoit sur des jettons, parmy des medailles, et sur les hocquetons des Gardes de cette Reyne, sa Majesté declaroit, que comme cet oyseau, qui est le symbole de la charité parfaite, nourrit ses petits de son sang, et les defend courageusement contre ceux qui les veulent attaquer, ou les prendre; de mesme elle conserveroit et defendroit ses enfans, le Roy Louys XIII. les Ducs d'Orleans et d'Anjou durant leur bas aage, contre ceux qui voudroient entreprendre sur eux, ou faire tort à l'Estat, par des troubles et des revoltes.
Elle prit encore pour devise l'oyseau, communément dit de Paradis, portant trois de ses petits sur son dos, et les élevant à tire d'aisles jusques dans la plus haute region de l'air, où elle semble les y tenir balancez, afin qu'ils soient fomentez des influences celestes, avec ces paroles Latines qui animoient la devise, MEOS AD SIDERA TOLLO; c'est à dire, j'éleve les miens jusqu'au Ciel. Sa Majesté prit un soin particulier de faire élever ses enfans à la pieté et à la Religion Catholique, mais particulierement le Roy Louys XIII. son aisné. La premiere action de sa Regence fut de le pourvoir d'un Precepteur: Monsieur le Fevre fut choisi pour cet effet. Jamais homme ne merita plus de louanges que luy; il estoit incomparable pour sa probité, sa bonté, et son insigne doctrine; il avoit esté Precepteur de Monsieur le Prince de Condé; les grands hommes de son siecle l'ont [501] loué pour ses vertus et son sçavoir. Elle luy donna pour Confesseur le Reverend Pere Pierre Coton de la Compagnie de JESUS (50), dont la pieté et la doctrine ne sont inconnues qu'à ceux qui n'ont point frequenté la Cour de France, ou qui n'ont pas leu les ouvrages de cet excellent homme. Souvent elle le menoit écouter le Catechisme que faisoit à la jeunesse le Reverend Pere Jean Gontery, celebre Predicateur de la mesme Compagnie, dans la Chapelle du Novitiat. Il ne se peut dire combien la presence du Roy animoit cette jeune troupe à bien declarer les principes de la doctrine des Chrestiens, et avec quelle ardeur elle les estudioit, pour avoir les prix qu'il distribuoit de sa main Royale à ceux qui le meritoient. La Savoye et le Piémont admirent la pieté et le courage de Madame Royale Christine de France, Regente de ces Provinces là pour son fils le Duc Charles-Emmanuel II. Les Catholiques Anglois, Escossois, et Hibernois ont veu leur Reyne Henriette-Marie de France à Londres, et autres villes d'Angleterre, exercer sa pieté, comme aussi ses autres vertus. Et les Espagnols regretent tous les jours la perte qu'ils ont faite de leur Reyne Elizabet de France. Ceux-là ont bien rencontré, qui dans le revers d'une des medailles de sa Majesté, l'ont representée comme Berecynthie, la mere des Dieux: Car dans cette medaille l'on void Cibelle couronnée d'une Tour, tenant en sa main droite un globe, et en sa gauche un Sceptre, avec cette devise, LAETA DEUM PARTU; Joyeuse pour estre la mere des Dieux; car les Rois et les Reynes sont les Dieux de la terre, et il est dit dans le Texte sacré; Vous estes des Dieux, et les enfans du tres-Haut. Elle estoit mere du feu Roy Louys XIII. l'unique heritier et successeur du Sceptre, de la valeur et de la pieté de tant de Monarques, et le pere de nostre Jeune Roy Louys XIV. à qui Dieu donne un Estat asseuré, une famille perdurable, des armées fortes et puissantes, un Conseil fidele, des peuples et des sujets obeissans et paisibles. Belle-mere d'une Reyne, enrichie de tant de graces et de vertus, et la fille d'une infinité de Rois et d'Empereurs, qui est maintenant Regente de cet Empire [502] des Lys: Reyne mere d'un grand Prince, comme Monseigneur le Duc d'Orleans, Lieutenant general en ce Royaume pour le Roy son neveu, et Chef de ses Conseils, sous l'authorité de la Reyne Regente, mere de sa Majesté; Reyne mere de la feue Reyne des Espagnes, qui durant sa vie a esté l'honneur de tous ses Royaumes; Reyne mere d'une grande Princesse, et la Regente de la Savoye et du Piémont, et qui porte aussi le titre de Reyne de Cypre; Reyne mere d'une Reyne d'Angleterre, d'Escosse et d'Irlande, la plus genereuse et constante qui vive.
Ce grand Roy des François, son Altesse Royale, les Reynes d'Espagne, de Cypre, et de la Grand' Bretagne sont representées en cette medaille, dans laquelle Cibelle a d'un costé en sa presence Jupiter, ayant sur sa teste une Couronne à rayons, tenant un foudre en sa main droite, et son Sceptre en l'autre, et est designé par un Aigle qui environne, ou qui serre sa jambe: A sa gauche est Amphitrite femme de Neptune, ayant le Trident en sa main gauche, et le pied posé sur la teste d'un Daufin. De l'autre costé sont aussi placez Hercule avec son escharpe de peau de lyon, et tenant sa massue à l'appuy de l'espaule droite: Proche de luy est Junon couronnée de rayons, qui respand d'un vase quantité de richesses, et est designée par son Paon: sur sa droite est representée Diane tenant son arc, et en action de recourber le bras au carquois pour y prendre une flesche, et a pour signal un Ours. En la region de l'air paroist un Chariot, auquel deux Lyons sont attelez. Cette devise a esté trouvée si belle, que les Bourgmaistres et la Bourgeoisie de la belle ville d'Amstredam en Hollande la firent écrire en grosses lettres au sommet du second Arc triomphal qu'ils dresserent au bout du pont Porcin, devant la rue des Archers, quand cette grande Reyne, la mere et la belle-mere de trois Rois, fit son entrée en leur ville, le I. jour de Septembre de l'an 1638. Sa Majesté se vid representée en cet Arc triomphant à la façon de Berecynthie mere de Dieux, assise sur un magnifique chariot, auquel estoient attelez, non point des Colombes, comme à celuy de Venus, ny des Paons, comme à celuy de Junon, ny des [503] Linx, comme à celuy de Bacchus, mais des Lyons, que la fabuleuse Antiquité a attribué à Berecynthie. Entre les Romains, les chariots des Generaux d'armée triomphans de leurs ennemis, estoient traisnez par des chevaux, tandis que la Republique a esté florissante. Mais ayant perdu sa liberté, Marc-Antoine Triumvir, le premier, comme à l'imitation des Dieux, voulut avoir au sien des Lyons. Et comme Berecynthie Porte tours, estoit autrefois pourmenée par les villes de Phrigie, environnée des Dieux celestes; ainsi fut veue en cette representation la Berecynthie des François, entourée de toutes parts, et accompagnée d'une lignée de Dieux terrestres. Sur le devant du chariot estoit assis le Roy Louys le Juste; et auprés de luy son frere Gaston Duc d'Orleans. Sur le derriere estoient les trois filles de France; sçavoir, Henriette-Marie mariée à Charles I. Roy de la Grand' Bretagne: Elizabet, femme de Philippe IV. Roy d'Espagne: et Christine, épouse, et maintenant veuve de Victor-Amedée Duc de Savoye. La difference se remarquoit par les armes de leurs Royaumes et de leurs Duchez. Cesar Germanic, l'amour et les delices du peuple Romain, estoit environné de pareil nombre d'enfans, en ce beau triomphe qu'il remporta des Cherusces, des Cattiens et des Angrivaires (51). Sa grande beauté (dit Tacite au livre II. de ses Annales) arrestoit les yeux des regardans, et son chariot chargé de cinq de ses enfans. Il y avoit quatre Vierges autour de son chariot, qui representoient l'Europe, l'Asie, l'Afrique, et l'Amerique: chacune de ses parties du monde se pouvoit discerner et connoistre par les divers fruicts, et les animaux qu'elle porte. Ce qui avoit esté fait à dessein de monstrer que le Roy et les Reynes qui estoient en ce chariot de leur mere, estendent leur domination par toutes ces parties de l'Univers; sur quoy furent faites de belles poesies Latines et Françoises.