Marie de Médicis/Hilarion de Coste

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[II,433] MARIE DE TOSCANE, REYNE DE FRANCE ET DE NAVARRE, Ayeule du Roy (1).
CETTE grande Reyne estoit fille de François de Medicis III. Duc de Florence, et II. Grand Duc de Toscane, et de Jeanne d'Austriche Reyne née de Hongrie et de Boheme, qui avoit esté accordée à Jean-Sigismond Zapoly, Roy ou Prince de Transylvanie (2). Le mariage de François et de Jeanne fut fait en la presence de l'Empereur Ferdinand I. Roy de Hongrie et de Boheme, pere de Jeanne, et ayeul de la Reyne Marie.
François fut un Prince accomply en plusieurs perfections, et loué pour son sçavoir par les Historiens, ayant [434] appris en perfection les langues Latine et Grecque, comme aussi la Françoise, l'Espagnole et l'Allemande, qu'il parloit avec autant de facilité que la Toscane: De maniere que pour ouir les Ambassadeurs des Princes Etrangers, il n'avoit point besoin d'Interprete, soit qu'il fallust répondre de vive voix, ou par écrit, l'un ou l'autre luy estant indifferent, semblable en cela à Mithridate Roy de Pont. Il estoit fils de Cosme, qui de Duc de Florence a le premier obtenu le titre de Grand Duc de Toscane du Pape Pie V. qui luy en envoya le Bref par le Cardinal Alexandrin son neveu. Marie de Medicis Reyne de France et de Navarre, estoit issue de cette Maison, que Cosme de Medicis, à qui, par ordonnance publique, le surnom de Pere de la Patrie a esté donné, a rendu illustre; duquel Pierre de Medicis, imitateur des vertus de son pere, n'a pas esté indigne successeur, ny Laurens le Grand, dit le Pere des Muses, et son frere Julien, appellé communément le Prince de la jeunesse; afin que je ne parle point de Jean, de Jules, de Jean-Ange, et d'Alexandre de Medicis, qui ayans esté élevez par leurs merites à la dignité Papale, ont pris les noms de Leon X. de Clement VII. de Pie IV. et de Leon XI. et n'ont pas apporté un petit ornement à la Maison de Medicis, comme aussi Ferdinand I. Grand Duc de Toscane, oncle de sa Majesté, et les Heros que j'ay nommez au commencement de la vie de la Reyne Caterine.
Sa mere Jeanne d'Austriche (dont j'ay fait l'Eloge en ce livre pour ses vertus) estoit fille de l'Empereur Ferdinand I. et d'Anne de Pologne Reyne de Hongrie et de Boheme sa femme, Princesse issue des Maisons de Jagellon et de Foix (familles et races illustres pour avoir donné des Rois à la Navarre, à la Hongrie, à la Pologne, et à la Boheme) à laquelle j'ay dedié le 2. des Eloges en ce livre. Jeanne se glorifie de Philippe le Bel Roy de Castille et Archiduc d'Austriche son ayeul, mary de Jeanne d'Espagne, heritiere de tant de Royaumes, comme j'ay fait voir en son Eloge, et de l'Empereur Maximilien I. son bisayeul, qui avoit épousé Marie de Valois ou de Bourgongne, heritiere des Provinces des Pais-bas, estant la seule fille de Charles [435] le Hardy Duc de Bourgongne, et d'Isabelle de Bourbon sa 2. femme. Entre les grands oncles de la Reyne Marie a esté l'Empereur Charles V. l'un des premiers, des plus heureux, et des plus illustres Heros de la Chrestienté. Ainsi l'on void d'où est sortie la Reyne Marie de Toscane, femme de Henry le Grand, mere de Louys le Juste, et ayeule de Louys Dieu-donné, tous trois Rois de France et de Navarre.
Son lieu natal est Florence, la plus belle ville de l'Italie, située sur la riviere d'Arne, et qui se vante d'avoir esté embellie par François Duc de Toscane pere de cette Reyne, qui la renouvella toute de bastimens magnifiques, et pouvoit à bon droit dire lors de son decés, ce qu'Auguste disoit de Rome: Qu'il laissoit une ville toute de marbre, qu'il avoit trouvée de bricque; de maniere que l'on pourroit dire à present avec plus de sujet que Charles Archiduc d'Austriche; Que Florence est une ville qui ne se doit monstrer qu'aux bonnes Festes. Cette belle ville est la capitale de la Toscane, anciennement appellée Etrurie, Province celebre à cause des Religions qui y ont eu du credit, et dont le peuple Romain a transferé à son usage les faisceaux, les robbes brochées de pourpre, les chaires d'yvoire, les anneaux, les casaques, et les ornemens de triomphe. En effet il estoit bien juste pour la gloire des François, qu'une tres-belle Princesse, qui devoit commander à tant de peuples, et estre la mere de tant de Rois, nasquist ailleurs qu'en la plus belle des villes de l'Hesperie, et en la Province, d'où Rome l'Emperiere du monde et la capitale de l'Univers, n'a point eu de honte d'emprunter les ornemens qui relevoient la dignité de l'Empire.
Elle nasquit l'an 1574. et dés l'aage de trois ans elle demeura orfeline, sa mere Jeanne d'Austriche Grande Duchesse de Toscane estant decedée au mois de Juin de l'an 1578. Princesse si sage et si vertueuse, qu'elle laissa dans les coeurs de ceux qui la connoissoient une grande opinion de sainteté, comme j'ay rapporté en son Eloge, en la V. Partie de ce livre.
Son pere la fit élever avec beaucoup de soin, et permit [436] qu'elle suivist ses inclinations curieuses, qui la porterent à vouloir apprendre les principes de la Mathematique, et à sçavoir quelque chose des arts qui sont honnestes et nobles; sçavoir la peinture, la sculpture, et la graveure. Les premiers divertissemens de son enfance estoient dans ces beaux exercices du pinceau, du ciseau, de la lime, et du burin; ayant aussi appris à connoistre les pierreries, et à discerner les vrayes d'avec les fausses; parce qu'il n'y a point de piperie plus utile à ceux qui la font, ny plus dommageable à ceux qui la souffrent.
Le Duc François son pere par sa mort inopinée, qui l'emporta de ce monde le 29. d'Octobre de l'an 1587. laissa la Princesse Marie entre les mains du Grand Duc Ferdinand I. Cet oncle, qui estoit d'un naturel jovial, et d'un entretien agreable, ayma cette niece comme sa fille, et l'honora comme sa maistresse. Elle eut ce bon-heur aprés le decés de son pere, d'estre nourrie par ce grand Duc Ferdinand, et sa femme Christine de Lorraine, cette sage et vertueuse Heroine, en la Cour desquels on voyoit éclater la liberalité des Valois, la generosité des Lorrains, et la magnificence des Medicis. Ils rejetterent (comme je diray plus bas) quelques partis qui se presenterent pour elle; et la reserverent pour un Roy, ou pour un Prince qui peust estre Empereur. Il luy manqua aprés quelques propositions; ayant esté destinée pour un Roy de France. Car dés la naissance de cette Princesse, la commune renommée, qui devance les evenemens, luy avoit destiné des Couronnes, et entre les Couronnes celle des Lys.
Dés sa premiere jeunesse cette pensée se logea en son ame; car l'on dit que se jouant avec ses soeurs, quoy qu'elle fust leur cadette, elle disputoit la preseance, et disoit; Je suis Reyne de France. Quelques-uns ont remarqué qu'une fille de Sienne nommée la Pasitée, luy dit en ses plus jeunes ans, qu'elle seroit femme de Roy, et mere de Roy. En cette confiance elle écouta fort froidement la poursuite de l'Empereur Rodolfe II. qui desiroit que la Maison de Medicis rendist la pareille à celle d'Austriche; c'est à dire que la Princesse Marie de Medicis fust mariée à sa Majesté Im-[437]periale, ou à quelque Prince de sa Maison, comme Jeanne d'Austriche avoit esté mariée à François de Medicis Grand Duc de Toscane. Il fit proposer le mariage de Ferdinand d'Austriche, fils aisné de Charles Archiduc de Gras et de Marie de Baviere, qui depuis a esté l'Empereur Ferdinand II. On parla aussi de la marier à quelque Prince du Sang de France; et entre autres (3) à Henry de Bourbon Prince de Dombes, qui depuis a esté le dernier Duc de Montpensier.Le Grand Duc Ferdinand fit proposer ce mariage au Roy Henry IV. dés les premieres années de son regne, pour faire paroistre son affection à sa Majesté et vers cette Couronne, durant les plus grands troubles de la Ligue. Mais le Ciel l'avoit aussi reservée à cet incomparable Monarque. Quelques-uns ont aussi remarqué, que Gabrielle d'Estrée Duchesse de Beaufort, l'incomparable beauté de tous les siecles, considerant un jour dans un cabinet les portraits d'Isabelle-Claire-Eugenie Infante d'Espagne (qui depuis a esté Archiduchesse) et de nostre Marie Princesse de Florence, du mariage desquelles on parloit avec le Roy Henry le Grand, elle dit ces paroles; Je ne crains pas cette brune Espagnole, mais cette belle Florentine. Son bel esprit ou la jalousie amoureuse luy faisant remarquer au visage de cette tres-belle et tres-aymable Princesse des traits de Royauté, et des attraits à ravir le Roy Henry IV. Enfin le jugement de cette Dame en fut comme une Prophetie. Aussi ce grand Monarque voulant satisfaire aux voeux de ses sujets, et particulierement de sa Cour de Parlement, qui desiroient que sa Majesté épousast quelque Princesse d'une Maison Souveraine qui luy donnast des successeurs.
Au mesme temps que la Cour de Parlement arresta de faire cette requeste au Roy Henry IV. le Pape Clement VIII. s'y employoit, et plusieurs grands Princes témoignoient par leurs Ambassadeurs le desir qu'ils en avoient. Celle mesme à qui cette proposition touchoit le plus, la favorisoit de ses voeux, et monstroit qu'elle estoit veritablement (comme j'ay dit en son Eloge, dans les Vies des illustres Marguerites) fille de France, et de cette branche tres-illustre, Royale et magnifique d'Angoulesme, dite de [438] Valois, qui n'a jamais rien plus aymé que de voir fleurir la grandeur de ce Royaume en elle: voicy encores un témoignage que donna la Reyne Marguerite, femme, et neantmoins éloignée du Roy Henry IV. par le consentement qu'elle y apporta, craignant de ne luy point laisser de lignée. Mais d'autant que ce n'est pas assez, et qu'il n'y a que Dieu qui puisse deslier ce qu'il a lié, ny disjoindre ce qu'il a conjoint, il fallut que celuy qu'il a estably son Vicaire en terre pour y gouverner les choses spirituelles, et regner sur icelles, y apportast son pouvoir et son authorité. Il fallut donc commencer par la dissolution du mariage qui avoit esté contracté entre le Roy Henry le Grand (lors Roy de Navarre) et la Reyne Marguerite. Le bon Pape Clement, dont la vie a esté une perpetuelle sollicitation de paix et de repos aux Princes de la Chrestienté, ordonna des Juges pour connoistre de la validité ou invalidité de ce mariage, qui furent Monsieur le Cardinal de Joyeuse, Horace de Monté Archevéque d'Arles (4), et Gaspar Evéque de Modene, Nonce du Pape, lesquels le declarerent nul par leur Sentence definitive du 17. Decembre 1599. comme j'ay rapporté en l'Eloge de la Reyne Marguerite: et sur leur Sentence le Pape Clement VIII. permit au Roy Henry IV. de se marier où bon luy sembleroit; dequoy sa Majesté envoya remercier sa Sainteté par feu Monsieur d'Hallincourt, Chevalier de ses Ordres; et par mesme moyen luy demander son avis touchant celuy de la Princesse Marie de Toscane, fille du Grand Duc François, et niece du Grand Duc Ferdinand I.
L'humeur amoureuse, et le naturel vertueux de cet incomparable Monarque, avoient arresté son coeur et ses yeux sur les excellentes beautez et les rares vertus de cette chaste Princesse de Florence, dont la renommée avoit publié par l'Univers les grandes qualitez, et sur le visage de laquelle on voyoit reluire une Royale gravité, accompagnée d'une beauté et d'une bonne grace nom pareille.
Elle estoit issue d'une Maison destinée au Gouvernement de l'Eglise, et à la Tutelle de nos Rois pupilles, ayant donné lors trois Papes à l'Eglise, et trois Rois à la France, et [439] en ayant paisiblement gouverné quatre. Cette Maison n'avoit jamais desiré le démembrement de la France, ny conspiré avec ceux qui avoient troublé son repos, et les affaires des Rois Henry III. et IV. qu'elle avoit mesme assisté contre la rebellion des mauvais François, comme j'ay remarqué (5) en l'Eloge de Christine de Lorraine Grand' Duchesse de Toscane. En un mot c'estoit une Maison feconde en Heros et en Heroines. Le grand Cosme, grand ayeul de cette Reyne, qui changea toutes ses gardes en l'amour des Florentins, qui trouverent enfin son joug plus agreable que leur pleine liberté; et la Reyne Caterine, qui sceut faire subsister la France à la façon de l'Univers, parmy les humeurs contraires de differentes factions.
Ferdinand I. Grand Duc de Toscane receut MM. de Sillery et d'Hallincourt Ambassadeurs de France, comme ceux qui apportoient en sa Maison le plus grand honneur qu'il pouvoit desirer; et bien qu'il luy tardast que tout fust fait, et que faire une chose promptement, soit une marque qu'on la fait de bon coeur; il y alla toutesfois au mesme pas de ses autres affaires, et ne changea rien de l'ordre dans lequel il tenoit et avoit eslevé cette belle et vertueuse Princesse. Ils demeurerent quatre jours à Florence sans la voir, et la premiere veue ne fut qu'en passant par la rue. Il les mena premierement par la ville à cheval, estant au milieu d'eux. Ils rencontrerent la Grand' Duchesse Christine qui alloit aux Stations de l'Annonciade portée en une chaire, parce qu'elle estoit grosse: la Princesse venoit aprés en carosse, le Grand Duc les fit arrester, pour donner temps aux Ambassadeurs de la voir, et luy parla quelque peu pour favoriser le desir des Ambassadeurs, qui avoient une extréme passion de la considerer et de l'ouir parler. Deux jours aprés ils eurent audience en la chambre du Grand Duc. La Princesse ayant ouy la harangue de Monsieur d'Hallincourt, répondit; Que le Roy l'obligeoit infiniment de cette élection, et qu'elle esperoit que le Ciel qui avoit tousjours entretenu en son ame l'esperance de cette bonne fortune ne l'en rendroit pas indigne. L'on remarqua qu'elle demeura un peu rouge quand elle dit ces paroles. Le mot d'Amour qu'avoit dit le sieur [440] d'Hallincourt en sa harangue, luy ayant fait venir cette couleur au visage: Cette Reyne ayant dit depuis que ce Seigneur là estoit le premier qui luy en avoit parlé. La pluspart de nos Historiens racontent au long toutes les particularitez qui se passerent entre sa Majesté, les Ambassadeurs de France, et le Grand Duc Ferdinand I. ausquels je renvoye les curieux.
Je diray seulement que le contract fut passé en la chambre de ce Prince, où il fit venir la Princesse; et s'estant assis le long de la table, la Grande Duchesse au dessous de luy, puis la Princesse, les sieurs de Sillery et d'Hallincourt, et au dessous d'eux Virginio Ursin Duc de Bracciano, tous d'un costé, et l'Archevéque de Pise au bas de la table debout; le Chevalier Vinta Secretaire d'Estat au haut de la table, et debout écrivit et leut le contract; puis le Grand Duc dit à la Princesse que c'estoit à elle à signer: ce qu'ayant fait, les Ambassadeurs signerent pour le Roy, et le Grand Duc, tant pour luy que pour la Princesse. Aprés cela le Grand Duc se leva de sa chaire, salua la Princesse, luy baisa la robe, et s'assit au dessous d'elle, et les Ambassadeurs demeurerent debout et découverts. Elle les pria de se couvrir et de s'asseoir, ils s'excuserent, ne pouvans pas estre autrement en presence de leur Maistresse, et que tel estoit l'ordre et le respect que les plus Grands de France luy devoient rendre. Le lendemain le sieur d'Hallincourt partit de Florence pour apporter au Roy Henry le Grand ces bonnes nouvelles, avec le portrait de la Reyne Marie, que Ferdinand et Christine, Duc et Duchesse de Toscane luy envoyerent, comme aussi ce grand Roy envoya au mesme temps le sien au Grand Duc par le Seigneur de Frontenac, de la Maison de Buade (6), qui alla servir la Reyne Marie de premier Maistre d'Hostel, et luy presenta la premiere lettre de la part du Roy Henry IV.
Le Dimanche, trois jours aprés le partement du sieur d'Hallincourt, le Grand Duc Ferdinand luy fit rendre les honneurs de Majesté, et publia avec solemnité le mariage. On chanta le Te-Deum au Palais de Pitty, puis à l'Annonciade, toute la ville fut en feste: La Princesse Ma-[441]rie disna à la Royale, et fut servie de mesme. Le Duc de Bracciano luy bailla à laver les mains, et le sieur de Sillery la serviette. Elle fut assise à table sous un dais, son oncle le Grand Duc estant assis beaucoup plus bas qu'elle. Aprés le disner on fit entrer la Musique, on courut la bague, et la journée se finit par une belle Comedie.
Henry le Grand fut fort content d'apprendre du sieur d'Hallincourt que la Reyne ne desiroit mener ny retenir en France à sa suite, que ceux qu'il plairoit à sa Majesté, et que toutes ses volontez dépendroient et prendroient la loy des siennes, et que si elle ne les pouvoit prevenir, elle ne manqueroit jamais de les suivre. Il envoya aussi tost Monsieur de Belle-garde Grand Escuyer de France, maintenant Duc et Pair, Seigneur digne d'une telle Ambassade.
Le Pape Clement VIII. fut aussi fort aise quand il sceut la nouvelle asseurée de cette alliance. Sa Sainteté eust bien desiré que sur l'occasion du Jubilé la Reyne Marie fust allée à Rome pour y recevoir la benediction des noces, et luy rendre les mesmes honneurs qu'il avoit rendu à Ferrare à Marguerite d'Austriche Reyne d'Espagne; il envoya son neveu le Cardinal Pierre Aldobrandin pour cet effect. Le Docteur Cayer, Mathieu, le Grain, du Pleix, et les autres Historiens décrivent au long toutes les pompes et les magnificences qui furent faites à Florence à la Reyne, au Legat Aldobrandin, et à Monsieur de Belle-garde Ambassadeur extraordinaire du Roy Henry le Grand. Je me contenteray de rapporter fidelement ce que Monsieur de Thou en a écrit en Latin au livre 125. de l'Histoire de son temps.
"Entre les diverses sollicitudes (dit-il) de la guerre, en laquelle on s'en alloit entrer; l'affaire du mariage du Roy avec Marie de Medicis, fille de François Grand Duc de Toscane ne fut point intermise. Le premier contracté 28. ans auparavant avec Marguerite, fille du Roy Henry II. et soeur de Charles IX. ayant esté declaré nul par la Sentence du Cardinal de Joyeuse, Nicolas Bruslard (7) Seigneur de Sillery, Ambassadeur du Roy prés du Pape, fut envoyé à Florence avec un ample pouvoir, pour souscrire au nom du Roy aux articles accordez entre eux. Puis aprés le Roy al-[442]lant en Savoye envoya une commission à Ferdinand Grand Duc de Toscane, oncle de Marie, pour faire les fiançailles par Monsieur de Belle-garde Grand Escuyer de France, qui partit de Marseille avec 40. Gentils-hommes, et arriva à Livorne le 20. de Septembre, et trois jours aprés à Florence, où il fut tres-magnifiquement receu par les Seigneurs Jean et Antoine, enfans naturels de la Maison de Medicis, Ferdinand aussi Grand Duc de Toscane, sortant du Palais de Pity, alla en personne au devant de luy avec toute sa Cour, et aprés les complimens de part et d'autre, ayant appris la charge que Monsieur de Belle-garde avoit du Roy, ils s'en allerent toutes deux en son Palais, où le Seigneur de Belle-garde estant conduit vers la Princesse Marie, luy bailla des lettres écrites de la propre main du Roy, et luy declara la plus ample commission qu'il avoit receue le deuxiéme jour d'Octobre; Vincent Duc de Mantoue arriva à Florence avec sa femme Eleonor soeur de Marie; et le lendemain le Cardinal Aldobrandin, destiné Legat vers le Roy, pour traiter de la Paix, passa par Florence, afin d'assister de la part du Pape aux ceremonies de ces épousailles; et le quatriéme du méme mois il entra en la ville avec une pompe solemnelle, le Grand Duc luy estant allé au devant jusques à la porte de la ville, non seulement avec sa Cour, mais aussi accompagné de tout le Clergé de Florence, et de là marchant à sa gauche jusqu'à la grande Eglise, où tous deux descendirent de cheval, et les prieres publiques achevées, s'en allerent ensemble au Palais Ducal. Aprés le souper qui fut fort magnifique, le Cardinal Aldobrandin s'en alla saluer la Princesse Marie. Le jour suivant furent celebrées les ceremonies des épousailles, le Legat luy mesme faisant l'Office, ayant à sa main droite la Princesse Marie, et à sa gauche le Grand Duc de Toscane son oncle."
Il faudroit des volumes entiers pour décrire toute la pompe des épousailles, ausquelles Ferdinand I. Grand Duc de Toscane fit paroistre sa magnificence. Il fit representer une Comedie qui cousta soixante mille escus, et en laquelle on vid le Parnasse avec ses fontaines, son Cheval aislé, et ses Muses, des boccages d'arbres verdoyans, une mer plei-[443]ne de lys, Neptune sur un Daufin, un Ciel empirée, d'où sortoit Jupiter monté sur l'Aigle, et 48. personnes qui faisoient un concert de musique, la Renommée sur le haut d'une montagne, qui peu à peu s'abaissoit aux pieds de la Reyne Marie, luy presentant un lys qui ne faisoit que naistre.
Sa dot fut de six cens mille escus, outre les bagues de grand prix, les ameublemens precieux, et la restitution de quelques places sur la mer Mediterranée, leur situation les rendant imprenables à la force, on les rendit à l'amour avant le Mariage.
Lors qu'elle fut preste de partir, le Grand Duc Ferdinand la fit accompagner par sa femme Christine de Lorraine (8). Elle partit de Florence le 13. d'Octobre, estant non seulement accompagnée de Christine Grand' Duchesse de Toscane, mais aussi de sa soeur Eleonor Duchesse de Mantoue, de Virginio Ursin Duc de Bracciano, et d'Antoine de Medicis son frere naturel. Elle s'embarqua avec eux à Ligourne le 17. du mesme mois, et monta dans sa galere qui estoit d'une merveilleuse structure, relevée à demy bosse, dorée, peinte, equipée de voiles et de cordages d'or et de soye; la chambre avoit pour tapisserie des fleurs de lys en broderie de perles; de sorte que l'on pouvoit la comparer avec celle de Ptolomée Philadelphe, tant celebrée par les anciens. Elle estoit gouvernée et conduite par Marc Antoine Colicati. Il y avoit long temps que la mer Mediterranée n'avoit porté une plus riche et plus superbe charge que cette galere de la Reyne. Elle ne parloit pas comme la Nef d'Argo; mais elle n'avoit rien qui ne meritast bien qu'on en parlast. Elle estoit de la longueur de 70. pas, et de 27. rames de chaque costé, dorée par tout ce qui se pouvoit voir au dehors, le bord de la poupe estoit marqueté de cannes d'Inde, de grenatines d'ébene, de nacre, d'yvoire et de lapils. Elle estoit couverte de 20. grands cercles de fer s'entre-croisans, enrichis de topases, d'emeraudes, et autres pierreries, avec un grand nombre de perles pour les distinguer. Au dedans, vis à vis du siege de sa Majesté, estoient eslevées les Armes de France en fleurs de lys de [444] diamans, et à costé celles de Medicis en cinq grands rubis, avec un saphir, une grosse perle au dessus, et une grande emeraude entre deux; au dessous il y avoit deux Croix, l'une de rubis, et l'autre de diamans, les vitres tout autour estoient de christal, les rideaux de drap d'or à franges, et les chambres de la Galere de mesme (9). Cette Royale Galere estoit suivie de cinq autres du Pape, autant de Malte, et de six du Grand Duc. La navigation fut depuis Ligourne jusques à Génes, où la Republique envoya des Ambassadeurs prier la Reyne de prendre terre en leur ville, pour se reposer durant les orages et les tempestes de la mer irritée contre cette superbe flotte, comme l'année precedente elle avoit aussi esté contre celle de Marguerite Reyne d'Espagne. Mais sa Majesté leur répondit qu'elle n'avoit point d'ordre du Roy, et demeura nuit et jour dans la Generale tout le temps de sa navigation, qui fut encore plus perilleuse en plusieurs endroits et destroits effroyables, depuis Génes jusques à Marseille. Elle vint de Final à Savone, et le lendemain au port d'Antibe, ville de France. De là à Frejus et à Tolon, où elle demeura deux jours: et finalement elle prit port à Marseille sur le soir du troisiéme de Novembre.
La Reyne Marie durant les perils effroyables des tempestes se rioit des flots, et se mocquoit des orages et des vents: et comme le Roy Henry le Grand se rendoit victorieux en terre, sur les rochers inaccessibles de la Savoye, et prenoit Montmelian la plus forte place de ce pais là; elle se rendit victorieuse des flots et des orages de la mer. Un Gentil-homme de qualité, qui fit tout le voyage à la suite de cette Princesse, dit deux choses au Roy Henry IV. sur ce sujet là. L'une, que qui ne l'auroit jamais veue ny ouy parler d'elle, à la voir seulement, jugeroit sans autre connoissance, ou que c'estoit une Reyne, ou qu'elle le devoit estre, si grande estoit sa majesté, et son port si Royal et si auguste: L'autre, que si le Roy estoit un Mars sur terre, elle estoit une Venus sur la mer, bravant les ondes, se monstrant maistresse des flots, et victorieuse des orages.
Au rencontre de ces deux noms de Mars et de Venus se [445] rapporte un Anagrame entier, qui est aux pages 9. et 74. du Labyrinthe Royal de l'Hercule Gaulois triomphant, ou de l'entrée de cette Reyne dans Avignon.

Henricus Borbonius: Maria de Medicis.
Hem bini Dii Orbis, credo, Mars, ac Venus.

Henry le Grand, sur l'avis qu'il receut de son embarquement, fit pourvoir à sa reception à Marseille, et donna l'ordre de ses intentions à Charles de Lorraine Duc de Guyse et Gouverneur de Provence. Aussi la Reyne sortant de sa Galere le 3. de Novembre 1600. entra au theatre que l'on avoit dressé sur deux batteaux, auquel aboutissoit un pont qui regnoit jusques à son Palais. Henry Duc de Montmorency Connestable de France, que le Roy avoit envoyé de Lyon avec Pompone de Bellievre Chancelier de France, la receurent à Marseille en presence des Ducs de Guyse, de Nemours, et de Ventadour: des Cardinaux de Joyeuse, de Gondy, de Givry, et de Sourdis: des plus illustres Princesses et Dames de la Cour; entre autres d'Anne d'Est ou de Ferrare, mere de Princes de la Maison de Lorraine, et de Henry de Savoye Duc de Nemours: de Caterine de Cleves, mere du Duc de Guyse: de Louyse de Lorraine, soeur du mesme Duc, qui depuis a esté Princesse de Conty: de Charlote de Montmorency Comtesse d'Auvergne, et sa soeur Marguerite Duchesse de Ventadour. Le Chancelier de Bellievre en presence du Connestable porta la parole, et luy dit le commandement qu'il avoit du Roy, et luy souhaita toute sorte de felicitez et de gloire. Guillaume du Vair premier President du Parlement de Provence, qui depuis a esté Garde des Seaux, fut presenté avec les Deputez de cette Cour Souveraine par le Chancelier à la Reyne. Ce fut dans la salle du Palais que Monsieur du Vair fit son discours à la Reyne, qui fut loué des Princes, des Cardinaux, de toute la Cour, et admiré des Doctes. Sa Majesté avoit esté conduite en grande magnificence dans le Palais, sous un Poisle de drap d'argent, que le Viguier et les Consuls de Marseille luy presenterent, avec les clefs de leur ville, qui n'avoit jamais veu tant de galeres, ny ouy tant de canonnades, ny tant de clairons et de trom-[446]pettes, ny le son de tant de tambours, ny fait des magnificences pareilles à celles-cy. Les habitans de la ville, qui estoient au nombre de plus de dix mille hommes, estoient sous les armes. On voyoit le mouvement donné à plusieurs machines, et on passoit sous des arcs triomphaux, qui faisoient estimer l'esprit de ceux qui les avoient embellis d'emblémes et d'inscriptions, et découvroient les richesses de cette ville, qui est plus ancienne que Rome, et qui a tousjours fait paroistre sa magnificence aux entrées de ses Souverains.
Ce fut en cette ancienne ville des Ions ou des Phocenses que sa Majesté dit adieu aux Duchesses de Toscane et de Mantoue, qui se rembarquerent sur la mer, et arriverent heureusement chez elles, avec la satisfaction d'avoir marié si hautement leur niece, et leur soeur. Le lendemain la Reyne estant accompagnée de deux mil Chevaliers fit son entrée à Aix, capitale de la Provence, où Monsieur du Vair (10) luy fit une autre harangue de la mesme force que la premiere, lors que tout le Corps du Parlement l'alla saluer. Deux jours aprés elle fit son entrée à Avignon, ville Papale, qui non seulement ne voulut pas ceder aux plus affectionnées et plus belles villes de France, mais qui s'efforça de les surpasser en pompes et en galanteries; et fit paroistre d'asseurez témoignages de son affection vers cette Reyne, en consideration du Roy Henry IV. et de la Couronne de France. Ils firent depuis imprimer un livre intitulé le Labyrinthe de l'Hercule Gaulois, et triomphant sur le sujet des Fortunes, Batailles, Victoires, Trophées, Triomphes, Mariage, et autres faits heroiques et memorables de Tres-auguste et Tres-Chrestien Prince Henry IV. Roy de France et de Navarre, representé à l'entrée triomphante de la Reyne, en la Cité d'Avignon le 19. Novembre l'an 1600. où sont contenues les magnificences et les triomphes de cette entrée (11).
Ayant sejourné trois jours à Avignon, elle vint par terre à Valence, où l'Université luy fit la reverence; et de là à Roussillon, puis à Vienne. Le Samedy 2. Decembre elle arriva à la Guillotiere faux-bourg de Lyon, où elle estoit plus desirée qu'attendue. Cette ville opulente qui vouloit [447] recevoir sa Majesté avec plus de pompe que les autres, n'ayant eu que 15. jours de temps à disposer les preparatifs de l'entrée. Comme elle approchoit de Lyon Monsieur de la Guiche Gouverneur du Lyonnois, avec la Noblesse du pays luy alla au devant, et luy ayant fait la reverence en pleine campagne, remonta à cheval, et s'alla rendre au logis où elle devoit descendre. Là elle trouva des nouvelles du Roy, que Monsieur de Roquelaure (qui depuis a esté Mareschal de France) luy presenta de la part de sa Majesté un rang de perles d'inestimable valeur, qui embellit ses autres parures, le lendemain qu'elle entra en la ville. On avoit dressé à la Motte un theatre couvert et paré de riches tapisseries, au milieu duquel estoit élevé un Thrône où elle receut les honneurs, et entendit les voeux de tous les ordres de la ville. Le Chancelier de Bellievre (12) fut en cette action l'Interprete de la ville, qui se peut vanter de la naissance de ce grand homme de bien. L'Archevéque pour le Clergé harangua debout. Tous les autres Ordres, et les Corps à genoux, excepté ceux qui porterent la parole pour les Allemans, les villes Imperiales, les Suisses, et les Grisons. Le Chancelier leur dit qu'ils se missent au mesme devoir que les autres; ils luy repartirent qu'ils avoient ce privilege, et qu'il y avoit plus de cinquante ans qu'à l'entrée du Roy Henry II. ils avoient fait leur harangue debout; ce qui fut confirmé par Monsieur de la Guiche et les Magistrats de Lyon. Tous les Corps de la ville ayans protesté aux pieds de la Reyne Marie leur obeissance, et la fermeté de leur affection: sa Majesté entra aux flambeaux dans la ville par la porte où on reçoit les Daufins, sur laquelle on lisoit ces quatre vers.

Pour une Princesse si belle,
Je pouvois paroistre autrement;
Mais j'ay gardé mon ornement,
Pour le Daufin qui naistra d'elle.

Elle fut conduite par les rues où estoient dressez les theatres, et les arcs de triomphe; et estant arrivée à l'Eglise de Saint Jean, on y chanta le Te-Deum; de là elle fut logée à l'Archevéché, où elle attendit huit jours le Roy Henry IV. [448] qui estoit occupé au siege du Fort de sainte Caterine, avec l'impatience que luy pouvoit donner le juste desir de voir celuy qu'elle avoit aymé sans le voir, à qui elle s'estoit donnée sans le connoistre, et luy avoit juré la fidelité conjugale pendant qu'il estoit en Savoye.
Elle demandoit à tous momens quand elle verroit le Roy, et en cette attente les heures luy sembloient des années. Sur les trois heures du Samedy 9. Decembre, le Chancelier qui avoit eu avis de l'embarquement du Roy sur le Rosne, luy vint dire que le Roy venoit en diligence, et arriveroit le mesme jour. Elle soupa plustost que de coustume, et se retira à la chambre prochaine où le Roy se rendit incontinent habillé en soldat, qui durant qu'elle soupoit la vid à l'ombre de la presse et de quelques Gentils-hommes tellement disposez, qu'il la pouvoit voir sans qu'elle le vist.
Le Roy entrant dans la chambre de la Reyne, elle se jetta à ses pieds, et luy fit une tres-profonde reverence. Sa Majesté la releva à l'instant, et aprés peu de paroles, sur le desir de cette veue, et du contentement que tous deux en recevoient et en esperoient, il raconta les peines de son voyage, et le fruit de ses armes; et la pria de luy faire part de son lit, le sien n'estant pas encore venu. Il faut avouer que toutes les galanteries de ce Prince estoient admirables.
Et bien que le mariage fust parfait, le Roy Henry le Grand l'ayant ratifié à Florence par Procureur, et par paroles du present, et qu'il ne fust pas necessaire d'y adjouster d'autre ceremonie, il voulut neantmoins que son peuple eust sa part de cette publique resjouissance. C'est pourquoy il écrivit au Cardinal Aldobrandin Legat du Pape qui estoit à Chambery, pour le convier à venir celebrer les dernieres ceremonies de son mariage: ce que le Cardinal receut à grand honneur. Le Roy luy fit faire une entrée tres-magnifique à Lyon le 16. Decembre, où il entra ayant à sa main droite François de Bourbon Prince de Conty, et à sa gauche Henry de Bourbon Duc de Montpensier. Le lendemain la solemnité des épousailles fut faite dans l'E-[449]glise de Saint Jean, où se trouva une fort grande assemblée de Princes, de Seigneurs, de Princesses, et de grandes Dames, comme aussi des Ambassadeurs des Princes Etrangers; entre lesquels estoit Charles de Ligne Comte d'Aremberg de la part des Archiducs (13). Et le soir on fit le festin nuptial, où le Roy fut servy par Charles de Bourbon Comte de Soissons, qui faisoit sa charge de Grand Maistre de France, et le Duc de Montpensier et le Comte de Saint Paul. La Reyne fut servie par Charles Duc de Guyse, Claude Prince de Joinville, maintenant Duc de Chevreuse son frere, et le Comte de Sommerive son cousin. Les jours suivans se passerent en toute sorte de divertissemens, de course de bagues, de balets, et de festins. Ce mariage fut si heureux, et accompagné d'un bon-heur si extraordinaire, que la Reyne avant que partir de Lyon conceut un Daufin, et dans 9. mois aprés en fit un heritier à la Couronne de France. Elle arriva à Paris le 9. de Fevrier 1601. au temps de la Foire de Saint Germain: son premier logis fut celuy de Gondy son premier Gentil-homme d'honneur, maintenant l'Hostel de Condé: le 2. celuy de Zamet sur-Intendant de sa Maison, maintenant l'Hostel de Lesdiguieres; et le troisiéme, mais non pas le dernier, fut le Louvre. La ville de Paris avoit proposé de luy faire une entrée digne d'une Princesse qui n'avoit point de pareille, et d'un Paris sans pair; mais le Roy Henry le Grand trouva bon, que ce qui s'emploiroit en une chose de peu de durée, se reservast pour une oeuvre plus durable. Il la mena voir ses belles Maisons de Saint Germain et de Fonteine-bleau; et de là à Orleans gagner le Jubilé de l'année sainte, que le Pape Clement VIII. y avoit ordonné. L'on vid leurs Majestez donner de bons exemples à leurs Noblesses et à leurs sujets par leurs devotions incomparables. Le Roy Henry le Grand mit lors la premiere pierre de l'Eglise de sainte Croix d'Orleans: de là il mena la Reyne à Blois, et au Chasteau de Chambort, deux autres Maisons Royales, et puis il la ramena à Fonteine-bleau, où elle accoucha heureusement d'un Daufin (14) le 27. de Septembre feste de saint Cosme, l'un des Patrons de la Maison de Toscane ou de Medicis, auquel jour vint au [450] monde l'an 1369. le grand Cosme, l'un des plus illustres Heros des Medicis.
Cette heureuse naissance de l'heritier presomptif de la Couronne de France, fut suivie de celles de deux freres et de trois soeurs. Les masles estans donnez de Dieu pour la tranquillité du Royaume; et les filles pour l'affermir par de grandes alliances.
Elle accoucha au mesme lieu de Fonteine-bleau le 22. Novembre 1602. de sa fille aisnée Madame Elizabet de France, qui depuis a esté Reyne d'Espagne; Princesse de qui les vertus surpassent toutes les louanges humaines. En suite elle accoucha au Louvre le 10. de Fevrier de l'an 1606. de sa 2. fille Madame Christine de France, maintenant Reyne de Cypre, et Regente de Savoye et de Piémont pour son fils le Duc Charles Emanuel II. Elle épousa le 10. Fevrier 1619. à Paris Victor Amedée Prince de Piémont, et depuis Duc de Savoye et Roy de Cypre, dont elle a eu six enfans, sçavoir deux masles, et quatre filles, comme j'ay remarqué à la fin de l'Eloge de l'incomparable Marguerite (15). Il faudroit des volumes entiers pour parler des perfections et des merites de cette grande Princesse et Reyne de Cypre, particulierement de la constance et de la generosité, qu'elle a fait paroistre à la mort du Duc son mary, decedé l'an 1637. et du Duc Louys Amedée son fils aisné, qui mourut l'année suivante, et depuis és guerres de Piémont et d'Italie, et à la reprise de Turin pour le Duc Charles Emanuel son second fils.
Le 16. d'Avril 1607. elle accoucha à Fonteine-bleau de son second fils N. de France Duc d'Orleans, qui fut le mesme jour baptisé par le Cardinal de Sourdis. Il mourut le 17. de Novembre de l'an 1611. au grand regret de sa Majesté.
Le 25. du mesme mois de l'an 1608. feste de saint Marc (qui est le jour natal de saint Louys) elle accoucha au mesme lieu de Fonteine-bleau de Gaston-Jean-Baptiste de France, premierement Duc d'Anjou, et maintenant d'Orleans, de Valois et de Chartres, et Comte de Blois, le plus noble Prince de la Chrestienté, ayant l'honneur d'estre fils, frere, et oncle de nos Rois: lequel a rendu de notables services [451] à la France, ayant osté aux Espagnols plusieurs places en Artois, et en Flandre, entre autres la forte ville de Graveline. Ce Prince (dont nous parlerons encore dans cet Eloge) a esté marié deux fois; la premiere à feue Madame Marie de Bourbon Duchesse de Montpensier, Princesse de Dombes, et Daufine d'Auvergne, dont je feray l'Eloge en cette VII. partie. La 2. à Madame Marguerite de Lorraine, qui est une des plus belles et des plus vertueuses Princesses de la Chrestienté, et de laquelle on peut dire ce que Platon disoit de Charmides, que celuy qui verroit la beauté de son ame, mépriseroit celle de son corps. Il a eu de la premiere, Mademoiselle Anne-Marie-Louyse d'Orleans Duchesse de Montpensier, tres-belle et tres-vertueuse Princesse; et de la 2. Mademoiselle N. d'Orleans, jeune Princesse.
Elle accoucha au Louvre le 26. de Novembre de l'an 1609. de sa troisiéme fille Henriette Marie de France, qui a épousé l'an 1625. avec la dispense du Pape Urbain VIII. Charles Roy de la Grand'Bretagne et d'Irlande, dont elle a trois beaux Princes, et quatre belles Princesses; sçavoir, Charles Prince de Galles: Jaques Duc d'Iorc: Henry de la Grand'Bretagne. Henriette-Marie de la Grand' Bretagne, qui a épousé Guillaume de Nassau Prince d'Orange, fils aisné de Henry-Federic de Nassau Prince d'Orange: N. de la Grand'Bretagne, fille: Elizabet de la Grand'Bretagne, née l'an 1639. N. de la Grand'Bretagne, fille.
Cette Princesse, vraye fille de la Maison de France, a tant de merites, qu'il faudroit des volumes entiers pour parler de ses vertus, et particulierement de son zele vers la vraye Religion, qui l'a fait sortir de son Isle pour se retirer en France; mais je ne fais pas icy les Eloges des vivans. C'est pourquoy je retourne à ceux de la mere, qui receut beaucoup de joye à la naissance de ses six enfans. Certes la consolation de cette Reyne ne se peut exprimer, lors que Dieu luy envoyoit tout ce qu'elle pouvoit choisir, si le nombre et la qualité des enfans eussent esté à son choix. En suite de cette prosperité elle voyoit un regne, que la paix et l'obeissance des sujets rendoient heureux; qui estoit abondant en richesses, agreable pour les honnestes divertisse-[452]mens, et honoré par les Ambassades qui venoient de toutes les parties de l'Europe, et mesme de l'Asie, comme sçavent ceux qui ont vécu sous le regne du Grand Henry, ou qui ont leu Monsieur le President de Thou, et les autres Historiens modernes, ausquels je renvoye ceux qui en veulent sçavoir toutes les particularitez. Elle receut un grand contentement au Baptéme de son Daufin, depuis nostre Roy Louys XIII. et de ses deux filles aisnées, où elle parut avec éclat (16).
Toutes ces felicitez furent couronnées par le Couronnement de cette grande Reyne, fait avec la plus grande pompe que la France ayt jamais veu, et qui surpassa toutes les magnificences que l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne avoient fait à Ferrare aux noces de Marguerite Reyne d'Espagne. Une autre Reyne, fille, petite fille, et soeur des Rois de France, y assista avec plusieurs Princes et Princesses du sang de France, et de quelques Maisons Souveraines, avec les Ducs, Pairs et Officiers de la Couronne, et quatre Cardinaux, dont celuy de Joyeuse (qui depuis a esté Doyen du sacré College) fit la ceremonie, que j'ay creu estre obligé de rapporter tout au long en cet Eloge, à cause que ny Mathieu, ny le Grain, ny Dupleix, ny pas un de nos Historiens, ny l'Autheur du Mercure François ne l'ont décrit en leurs livres.
Le Roy et la Reyne arriverent à la ville de Saint Denys le 12. du mois de May 1610. où aprés s'estre rafraischis au logis Abbatial; la Reyne fut à l'Eglise. Les Religieux estoient revestus de leurs aubes et chapes, qui la receurent à l'entrée de l'Eglise avec la Croix et l'eau beniste; ils luy presenterent, et luy firent baiser une riche Croix. Estant entrée dans le Choeur, elle s'agenouilla devant le grand Autel pour y faire ses prieres, durant lesquelles les Religieux chanterent le Te-Deum, aprés quoy sa Majesté se retira. Le lendemain 13. du mois, fut le jour de la solemnité du Sacre et du Couronnement.
Plusieurs jours avant le Sacre furent employez à preparer l'Eglise, et sur tout le Choeur, où la ceremonie se devoit faire. Ce grand vaisseau fut tout tendu et couvert de riches [453] et superbes tapisseries de velours en broderie d'or et d'argent, et de haute lice d'or et d'argent.
Il y avoit un grand eschaffaut au milieu du Choeur de cette Eglise, posé droit devant le grand Autel, de la hauteur de 9. pieds sur 28. de long, et 22. de large, qui estoit garny de barrieres tout autour, excepté à l'endroit de l'escalier par où on y montoit du costé du grand Autel, et vis à vis d'iceluy. Il estoit de 16. marches, au haut desquelles se trouvoit une espace d'environ six pieds de long, et de pareille largeur que l'escalier. De là on montoit à une autre marche pour entrer à ce grand eschaffaut, vers le milieu duquel il y avoit un marche-pied de la hauteur d'un pied ou environ de neuf à dix pieds de long, où l'on montoit deux marches sur lequel fut mise la chaire pour asseoir la Reyne, laquelle estoit couverte de veloux violet, semé de fleurs de lys d'or en broderie, et au dessus un grand dais de semblable parure; les costez des barrieres au dedans de l'eschaffaut, estoient tendus de riches tapis de la Chine, et par dehors de tapisseries tres-riches, relevées d'or et d'argent; le marche-pied, et les marches pour y monter, et le fons de l'eschaffaut jusques à l'escalier, estoit couvert de veloux violet, semé pareillement de fleurs de lys d'or en broderie un peu plus grandes, et plus éloignées les unes des autres.
A main droite et à main gauche du marche-pied de la Reyne, il y avoit deux chaires de chaque costé couvertes de drap d'or frizé; la premiere de la main droite estoit pour Monseigneur le Daufin; l'autre pour Madame sa soeur, fille aisnée de France, qui depuis a esté Reyne d'Espagne: et la premiere de la main gauche pour Monseigneur le Duc d'Anjou, à cause de l'indisposition le Monseigneur le Duc d'Orleans, la 2. pour la Reyne Marguerite.
A un pied prés de la chaire de Madame à main droite, il y avoit un long banc couvert de drap d'or frisé pour y seoir Madame la Princesse de Condé, Madame la Duchesse de Montpensier, Madame la Duchesse de Guyse, veuve, et Mademoiselle de Mayenne. A l'autre costé à main gauche, aussi à un pied prés de la chaire de la Reyne Marguerite, il y avoit un pareil banc pour y seoir Madame la Princesse de [454] Conty, Madame la Duchesse de Vendosme, et Mademoiselle de Vendosme, maintenant Duchesse d'Elbeuf.
Devant le marchepié de la Reyne un peu à gauche, il y avoit un escabeau couvert de drap d'or frisé, et dessus un carreau de velours violet semé de fleurs de lys d'or, ordonné pour reposer la grande couronne aprés qu'elle seroit ostée de dessus le chef de la Reyne, et qu'on luy auroit baillé la petite.
A l'entrée de cet eschaffaut, mais un peu plus avant que le banc de main gauche, il y avoit un autre escabeau couvert pareillement de drap d'or frisé, pour asseoir Madame Antoinette de Pons (17) femme en premieres noces de Monsieur le Comte de la Roche Guyon, et en secondes de Monsieur de Liancourt premier Escuyer de la petite Escurie, appellée ordinairement Madame de Guiercheville Dame d'honneur de la Reyne.
Aux 2. costez de l'escalier de ce grand eschaffaut il y en avoit deux petits plus bas, celuy de main droite pour plusieurs Gentilshommes, et celuy de main gauche pour les filles de la Reyne.
De chaque costé du choeur depuis le grand eschaffaut jusques vers le Maistre Autel, il y en avoit deux autres separez de presque semblable hauteur; le I. du costé de main droite qui estoit le plus petit, et le plus approchant du grand Autel, estoit pour Messieurs les Cardinaux de Gondy, de Sourdis et du Perron grand Aumosnier de France, qui y furent durant la ceremonie assis dans des chaires, revestus de leurs chapes rouges à longue queue, et derriere eux plusieurs Archevéques et Evéques qui estoient precedez de Messire Henry de Gondy Evéque de Paris.
L'autre eschaffaut plus approchant du grand, estoit pour Monsieur le Duc de Guyse, et pour Messieurs les Mareschaux de France, Chevaliers de l'Ordre, et autres grands Seigneurs.
Le I. du costé de main gauche vis à vis de Messieurs les Cardinaux, estoit pour les Ambassadeurs d'Espagne, de Venise, et de Savoye, Messieurs les Secretaires d'Estat, et plusieurs de Messieurs les Conseillers d'Estat.
[455] L'autre eschaffaut vis à vis de celuy des Mareschaux de France, et des Chevaliers, estoit pour Mesdames les Mareschales de France, et entre autres celles qui devoient porter les offrandes, comme il sera dit cy-apres.
Les barrieres de tous les eschaffauts estoient parées diversement de velours brodé d'or et d'argent et de diverses tapisseries. Du mesme costé assez prés du grand Autel y avoit un autre eschaffaut caché pour les chantres de la Chapelle du Roy, et tendu par dehors d'une fort belle tapisserie.
Et au bas du mesme costé vis à vis de l'autre, il y avoit une table richement parée, où furent posez le Sceptre, la Main de Justice, la grande et la petite Couronne, avec l'anneau ordonné pour le Sacre, qui furent consignez à Monsieur de Frontenac, comme premier Maistre d'Hostel de la Maison du Roy, lequel s'en chargea sur un livre qui luy fut presenté par quelque Religieux environ les dix heures du matin, comme aussi pour y mettre le pain, le vin, et le cierge destinez pour l'offrande.
Un peu plus haut estoit une autre table honorablement couverte d'une nappe, sur laquelle estoit l'argenterie de la Chapelle qui devoit servir pour la Messe.
Outre ces eschaffauts il y en avoit un vis à vis du grand Autel à main droite plus eslevé que les autres, couvert et fermé de toutes parts, ayant des fenestres vitrées, tapissé tant par dehors qu'en dedans de velours en broderie d'or, qui servit au Roy pour voir la ceremonie.
Tout le choeur estoit environné par dehors de grands eschaffauts élevez de plusieurs marches, remplis de toutes sortes de personnes de qualité. Le grand Autel estoit superbement et magnifiquement paré et enrichy par haut de plusieurs reliques: tous les paremens, pantes et custodes estoient de toile d'argent blanche, comme aussi tous les habits Pontificaux et Sacerdotaux, et autres choses servans au ministere spirituel du Sacre. Et à costé de l'Autel y avoit une chaire pareillement couverte de toile d'argent brodée et frangée d'or (comme aussi tout le reste) avec deux oreillers de mesme pour y seoir Mre François de Batarnay Car-[456]dinal, dit de Joyeuse, faisant l'Office.
Environ sur les onze heures Monsieur le Cardinal du Perron, comme Grand Aumosnier de France, benit tout ce qui devoit servir à l'Autel.
Peu aprés Monsieur le Cardinal de Joyeuse se vint faire vestir devant l'Autel ceremonieusement de tous ses habits Pontificaux, et au mesme instant les Archevéques et les Evéques assistans furent aussi parez et revestus ailleurs et derriere l'Autel, d'où ils se vinrent seoir aux costez du maistre Autel, et Monsieur le Cardinal de Joyeuse au coin de l'Autel sur la premiere marche, où ils attendirent la Reyne. Tout le parterre du Choeur, depuis le haut de l'escalier du grand eschaffaut jusques à l'Autel, estoit couvert de satin violet semé de fleurs de lys d'or: Et au pied des marches de l'Autel y avoit un grand marchepied d'environ six pieds en quarré, et un prie-Dieu, couverts de velours violet semé de fleurs de lys d'or en broderie, destiné pour agenouiller la Reyne arrivant à l'Eglise, à son sacre, à l'offrande, et à la Communion, au dessus duquel y avoit un grand daiz de mesme parure.
Environ les onze heures le Roy entra presque seul et sans gardes dans l'Eglise, où trouvant tout fort paisible, il dit d'une voix fort intelligible et assez haute, voyant tant de monde haut et bas, mesmement considerant le grand silence, Il me souvient du grand et dernier Jugement, Dieu nous fasse la grace de nous bien preparer pour ce jour là:Ce fut lors qu'il fit cacher un Seigneur Huguenot en un lieu fort commode, pour luy faire veoir et interpreter (par le Reverend Pere Cotton son Confesseur) les saintes ceremonies de la Messe.
Sur le midy Messieurs les Cardinaux de Gondy et de Sourdis sortirent de leurs places pour aller vers la Reyne, qu'ils trouverent en ses habits Royaux, vestue d'une robbe de velours violet semée de fleurs de lys d'or en broderie, d'un corset et surcot d'hermines parsemé de grand nombre de riches diamans, et de son manteau Royal, aussi de velours violet semé de fleurs de lys en broderie fourré d'hermines, ayant la queue de dix aulnes de long pour le moins. Elle estoit accompagnée de plusieurs Princes et Princesses, [457] Seigneurs et Dames, tous tres-richement parez.
Messieurs les Cardinaux de Gondy et d'Escoubleau Sourdis, menerent la Reyne avec les Princes et les Princesses, depuis la Chambre de son Hostel jusques à la porte de l'Eglise, en cet ordre.
Premierement, marchoient les Suisses de la Garde du Roy, vestus de veloux doublé de taffetas, des couleurs du Roy et de la Reyne. Les deux cens Gentils-hommes de la Maison du Roy, tous deux à deux, avec leur baston couvert de veloux tanné ou bleu, à petits cloux dorez, dont la hampe aussi dorée, est à bec de corbin ou de faucon; chaque Compagnie se discernoit par sa livrée, car les cent Gentils-hommes estoient vestus de satin tanné, avec la cape de taffetas noir. Monsieur de Rambouillet Vidame du Mans et Monsieur de la Bourdeziere leurs Capitaines, marchoient à leurs testes. Ils estoient suivis des Gentils-hommes de la Chambre, et Chambellans, et parmy eux de plusieurs Seigneurs, Capitaines et autres Gentils-hommes, qui estoient tres-bien parez pour cette ceremonie.
Apres eux alloient les Chevaliers du sainct Esprit, ayant le grand Ordre au col.