Marie Charlotte Françoise Marlin

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Marie Charlotte Françoise Marlin
Dénomination(s) « Caroline », « Carolin », « Tullie », « mon compagnon-fille », « mon fils »
Biographie
Date de naissance 31 mai 1781
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Nicole Pellegrin, 2022

Marie Charlotte Marlin, dite aussi « Tullie », « Carolin » ou « Caroline-Tullie », est née le 31 mai 1781 à Cherbourg.
Son père François, né et mort à Dijon (1742-1822), est « commiss(ion)naire du roi pour (les vivres de) la marine » et se pare du titre de « sieur » et de divers patronymes (Marlin, Milran ou Marlin de Milrand), tandis que ses écrits, diversement autobiographiques, sont tous publiés anonymement. Ses cinq autres enfants sont baptisés dans les ports où il est affecté après avoir navigué entre l’Afrique et les Iles : Brest, Quimper et Cherbourg. Marie Charlotte est le cinquième enfant de cette famille itinérante d’employés de la Marine qui circule entre la capitale (sa sœur aînée, née à Paris, y est ondoyée) et les côtes de Bretagne ou de Normandie, quand elle n’est pas en Bourgogne, le pays paternel. L’époque révolutionnaire convertit ce père en négociant, à plusieurs reprises banqueroutier, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des activités d’écrivain polygraphe professionnel (un roman, des essais). À ce titre, il fréquente des hommes de lettres plus connus que lui comme Rétif de la Bretonne ou Louis-Sébastien Mercier, ainsi que des administrateurs civils, des hydrographes, des manufacturiers, des hommes politiques. Gynophile et peu clérical, Marlin a cependant placé ses deux filles dans un couvent de visitandines, en des temps et lieux indéterminés.
L’épouse, depuis 1771, de ce père quelque peu énigmatique est « demoiselle Marie-Charlotte Audemard », née à Brest en 1752 d’un père commis aux vivres et morte à Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire) en 1837. Son rôle éducatif est ignoré, mais ses deux filles, comme leurs frères, sont capables de lire, écrire, discourir, et la cadette devient même, habillée en garçon, la compagne appréciée des voyages hexagonaux de son père entre 1788 et 1793. Le récit – sous forme épistolaire – de ces périples (près de 2000 pages réunies en quatre volumes publiés en 1817) est la source, quasi unique, de nos informations sur celle que Marlin nomme « mon compagnon-fille », « mon fils », « Carolin-e » ou, plus souvent, « Tullie », en référence probable à la correspondante et fille bien-aimée de Cicéron.
L’étrange ménage ambulant que constitue ce couple père-fille parcourt ainsi des centaines de kilomètres, comme lors du « Premier grand voyage avec Caroline-Tullie » qui, en 1789, les mène en des lieux comme Grasse, Nice, Marseille, Port-Vendres, Perpignan, Toulouse, Bayonne, Saint-Sébastien, Bordeaux, Périgueux, Limoges, Clermont-Ferrand, Moulins, Dôle, Dijon, Vesoul, Strasbourg, Arras, Amiens, Rouen, Salency, Reims, Le Paraclet. La description, toujours pittoresque, des paysages et des monuments, des activités et des mœurs des habitants, s’accompagne du récit des quiproquos nés d’un double incognito : Marlin aime taire un patronyme hérité d’un père qu’il déteste ; sa fille veut ou doit déguiser son sexe sans toujours y réussir. Quant aux bouleversements politiques et socio-économiques du moment, ils sont évoqués notamment grâce aux commentaires, écrits ou oraux, qu’en fait « Carolin-e » et que rapporte affectueusement son père. Elle aime à discuter avec des gens de rencontre, pratique volontiers la charité et tient un journal de route.
Compagne tendre et/ou personnage utilitaire des incessants voyages paternels (à tout le moins de leur narration), Marie Charlotte avance littéralement masquée. Sous la plume de l’écrivain-voyageur à succès que rêve de devenir son père, elle est pourvue, par lui, des vertus et des aspirations conformistes d’une citoyenne républicaine des Lumières : généreuse, courageuse, silencieuse et modeste, elle aurait aspiré à devenir « dessinatrice et brodeuse en fleurs » lors d’un séjour à Lyon, métier qu’elle semble avoir pratiqué à Marseille sous l’Empire. Elle n’a pas alors fondé de famille et maintient, avec un père nostalgique du passé, des liens épistolaires dont la durée et la fréquence ne sont pas connues, puisque même la date de la mort de Marie-Charlotte est aujourd’hui ignorée.
De cette biographie en pointillés, on peut au moins retenir la figure de fille-en-garçon qu’entre sept et treize ans, la jeune Marlin a endossée à l’instar de quelques voyageuses bien réelles, mais aussi d’héroïnes romanesques comme les Marmoisan, Mignon, Claudine ou Gabriel chantées par L’Héritier, Gœthe, Florian et, plus tard, Sand. Le personnage - trop oublié – de la fille travestie permet de comprendre, mieux que toute autre, la place accordée aux femmes dans les sociétés anciennes.

Oeuvre

  • des lettres ?
  • un journal de voyage ?
  • Des originaux perdus cités dans les Voyages en France et Pays circonvoisins depuis 1775 jusqu’à 1817 (Paris, Guillaume et Cie et Arthus Bertrand, 1817).

Principales sources manuscrites

  • registres paroissiaux et état-civil de Brest, Cherbourg, Quimper et Dijon (recherches généalogiques menées par André Chatalic, que je remercie).

Principales sources imprimées

  • [François Marlin], Jeanne Royez ou la Bonne mère, Paris, Le Normant, 1814, 4 vol.
  • [François Marlin], Voyages en France et Pays circonvoisins depuis 1775 jusqu’à 1817, Paris, Guillaume et Cie et Arthus Bertrand, 1817, 4 vol ill.

Choix bibliographique

  • Guy Arbellot et Bernard Lepetit, Atlas de la révolution française. I .- Routes et communications, Paris, EHESS, 1987, p. 64-65 : «  Voyages : Young et Marlin, 1787-1789 ».
  • Nicole Pellegrin, "Le genre et l'habit. Figures du transvestisme féminin sous l'Ancien Régime", Clio, n° 10 (Femmes travesties : un mauvais genre), 1999, pp. 1-54, ill.
  • Nicole Pellegrin, « Un double cas d’anonymat ostensible. Les voyages en France (1775-1807) d’un père et de sa fille » in Albrecht Burkardt et al., Identités dissimulées. Le voyage anonyme dans les sociétés anciennes et modernes, Limoges, PULIM, 2020, p. 317-340.
  • Simone de Reyff, « Un négociant sur la route : des écritures à l’écriture », in Gilles Corminbœuf et Marie-José Béguelin (dir.), Mélanges en l’honneur d’Alain Berrendonner, Bruxelles, De Boek-Duculot, 2011, p. 565-576.
  • Catherine Velay-Vallantin, La fille en garçon, Carcassonne, Garae, 1992.

Jugements

Tous ces jugements sont énoncés par le père de l’intéressée dans ses Voyages en France et Pays circonvoisins depuis 1775 jusqu’à 1817, Paris, Guillaume et Cie et Arthus Bertrand, 1817 (ici Voyages) et dans Jeanne Royez ou la Bonne mère, Paris, Le Normant, 1814 (ici Jeanne Royez). L’usage fréquent que Marlin fait des italiques est soigneusement respecté.

  • Voyage de Cherbourg à Paris, août 1787 : « Il ne me reste que Caroline, dont je fais souvent un joli petit garçon, que j’appelle Carolin, ayant ainsi, tour-à-tour et dans le même enfant, une fille et un fils. Ma Caroline a plus d’ingénuité que de finesse ; mais elle annonce du sens, du jugement, elle annonce aussi du sens, du soin : c’est le meilleur lot en ménage. Malheur à qui prendra une femme qui ne saurait point calculer » (Voyages, t. I, p. 265).
  • En Picardie-Normandie, septembre 1788 :« que d’embarras [dans les rues de Caen] ! Ma petite compagne en est étourdie. Je promène Carolin. […] Ma Caroline est fort étonnée de voir entrer la voiture et les chevaux dans le bac de Columbelle […] Ma Caroline, qui est peu causeuse […], est comme effrayée de cette volubilité [des Montreuilloises]. […] J’ai demandé, pour moi et mon fils, […] à Calais […]. […] Je vais m’acheminer [de Rouen] vers Marseille, où le jeune voyageur, les jours où il sera fille, portera un nom de plus ; je l’appellerai Caroline-Tullie, selon le commandement d’Amynthe. » (Voyages, t. I, p. 303, 308, 328).
  • En Provence, juillet 1790 : « Tullie, impatiente de la mer, désire que demain nous prenions la route de Marseille […] Le démon voyageur qui m’accompagne [sa fille] se plaît dans les routes obliques » (Voyages, t. III, p. 105, 110).
  • À Travers (Suisse), juillet 1790 : la femme de l’aubergiste « n’avait pas regardé mon fils, elle commence à le caresser, […] et embrassant une seconde fois mon fils : sur ma foi, disoit-elle, comme se parlant à elle seule, si on ne croirait que c’est une fille ! Cet air doux !… Ces beaux yeux !… Et Tullie était bien près de rougir, si cela n’avait pas fini ». (Voyages, t. III, p. 259).
  • À Rochefort, août 1791 : « Je n’ai pu cacher à mon ami que mon jeune compagnon n’est qu’une jolie compagne. Je ne m’étonne plus de ce ton si doux, m’a dit M. Touplaint [professeur d’hydrographie à Marennes] ; il faut que les sexes gardent leur accent ; celui de la femme a la mélodie et l’insinuance ; la voix de l’homme doit être ferme et magistrale, sans dureté cependant, a ajouté le philosophe » (Voyages, t. IV, p. 73-74).
  • À Brest, août 1791 : « J’ai fait connaître l’intérieur du bagne à Tullie ; elle a été effrayée de voir six cents hommes dans une salle, et quatre salles pareilles, outre les mansardes remplies de ces malheureux ; puis elle m’a demandé comment ils ne se révoltaient pas » (Voyages, t. IV, p. 29) Environs de Paris, 1790 et 1792 : « je vous ai parlé souvent d’un journal que tenait en particulier ma compagne ; mais je n’avais rien vu de ce journal mystérieux qu’on vient de m’ouvrir enfin, et où je prendrai quelques articles pour remplir une lacune que je n’aurais que très imparfaitement suppléé de mémoire.[…] ce que j’en ai copié c’est dans ses propres expressions » (Voyages, t. IV, p. 170-171).
  • En Soissonnais, face à un cavalier peut-être « terroriste», 6 octobre 1793 : « Ma jeune Penthésilée, remettons-nous en route.- Qu’était-ce que Penthésilée ? - Une amazone, une femme courageuse comme ma Tullie ; mais partons » (Voyages, t. IV, p. 202)
  • À Châlons-sur-Saône, 16 novembre 1793 : « Cette ville me plaisait, mais avec Tullie […], la douce compagne de mes voyages. […] il m’a semblé que si j’avais eu ici [Jonchy] le compagnon de mes courses, j’aurais pu y admirer une vallée plate bien arrosée d’eaux vives, et fermée de prochains coteaux dont les hauteurs inégales, plantées, cultivées, habitées, festonnent richement un horizon champêtre. […] Jouis de la santé, chère Tullie, et que chaque jour ajoute à ton instruction et à tes vertus ! […] » (Voyages, t. IV, p. 225, 230-231)
  • 1795 : « Ma seconde fille a toujours été un peu sérieuse, sans mélancolie cependant. Le silence, la tranquillité lui conviennent ; elle manque de vivacité, mais elle est laborieuse, appliquée ; tous les talents de son sexe et quelques-uns des nôtres lui sont propres ; elle fait bien tout ce qu’elle a appris, et elle a appris tout ce qu’elle a désiré savoir. Le teint de cette cadette a de l’éclat ; son œil est bleu et grand ; l’ensemble de son visage est bien dessiné, sa physionomie douce […]. Tout annonce en elle l’éducation, le sentiment, la raison ; elle n’a jamais eu de ces saillies qui surprennent, ou qu’on admire plus qu’elles ne valent ; mais à l’âge de quatorze ans qu’elle a aujourd’hui (en 1795), jamais un mot hors de place, jamais une parole légère n’est sortie de sa bouche ; elle badine, mais avec délicatesse et décence ; son esprit est juste ; l’expression ne lui défaut jamais ; cependant elle parle peu ; le bon sens et le babil ne lui paraissent pas faits pour se trouver ensemble. Voilà celle qui a été la compagne de mes voyages […] ». (Jeanne Royez, t. III, p. 52-53).
  • « Oh ! quelle bonne mère aurait été ma Tullie, si le renversement de ma fortune ne lui eût persuadé de renoncer au mariage, cet état si honorable et même si heureux quand la femme permet que le bonheur vienne s’asseoir entre les deux époux. […] Ma fille cadette porte un nom de l’ancienne Rome ; mais ce n’est pas son père qui l’a appelée Tullie le premier, et ce nom ne se trouve pas sur l’acte de son baptême » (Jeanne Royez, t. II, p. 253, 264).
  • Paris, 30 mai 1810 : « À TULLIE MILRAN, à Marseille. […] Quand vous m’écrivez si rarement, pourquoi vous travailler d’esprit dans vos lettres ? […] Croyez-moi, Tullie, ayez toujours de la religion, et ne soyez jamais dévote. […] Restons éloignés, Tullie, […] Vous avez besoin de tous vos moments pour le travail […] Je verrais avec admiration sortir de ses doigts souples et déliés toutes les fleurs de la nature, et aussi vives que la nature ; […] vous délasser de ces soins domestiques dont une femme sensée ne se croit jamais exempte » (Jeanne Royez, t. I, p. 227-231).
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