Marie-Thérèse Geoffrin

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Marie-Thérèse Geoffrin
Titre(s) Marquise de La Ferté-Imbault
Conjoint(s) Philippe-Charles d’Etampes, marquis de La Ferté-Imbault
Biographie
Date de naissance 1715
Date de décès 1791
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Mélinda Caron, 2008

Marie-Thérèse Geoffrin est née le 20 avril 1715 à Paris dans la paroisse St-Honoré. Son père, François-Louis Geoffrin (1665-1749), écuyer et lieutenant-colonel des milices bourgeoises de Paris, est un des administrateurs de la Manufacture royale des glaces de St-Gobain. Sa mère, Marie-Thérèse Rodet (1699-1777), est la célèbre Mme Geoffrin. La jeune fille grandit au contact des invités de cette dernière. Elle épouse en 1733 Philippe-Charles d’Etampes, marquis de La Ferté-Imbault (1712-1737), colonel de cavalerie. Dès l’année suivante, la guerre de succession de Pologne entraîne le régiment de son mari en Italie, d’où celui-ci revient atteint d’une «maladie de poitrine» en 1735. Marie-Thérèse habite pendant six mois avec sa belle-famille sur les terres de La Ferté-Imbault, jusqu’à ce que meurent son beau-père puis son mari à quinze jours d’intervalle en 1737. La jeune veuve aurait alors réglé une affaire de succession dans la famille d’Etampes avec l’aide du comte de Maurepas, auquel elle s’était liée par l’intermédiaire de Mlle de Logivière. Elle décide de ne pas se remarier et de continuer à vivre rue St-Honoré avec sa mère et sa fille, Thérèse-Charlotte, née en 1736. Celle-ci meurt d’une phtisie à 13 ans, en 1749. Dans ses Mémoires, la marquise attribuera sa surdité à la violence du choc causé par cette mort. M. Geoffrin meurt la même année, léguant une action de la Manufacture des glaces à sa veuve. Comme il avait déjà doté sa fille d’une action semblable en 1740, il fait ainsi des «dames Geoffrin» les détentrices de plus de treize pour cent des parts de St-Gobain. Les correspondances des deux femmes montrent qu’elles exercent leur pouvoir administratif par le biais de leurs relations, mais que leurs interventions ne sont pas toujours concertées (comme ce fut le cas en 1774, à l’occasion de l’«affaire St-Vincent»). Mme de La Ferté-Imbault fréquente à cette époque le cardinal de Bernis, le prince de Condé, les Pontchartrain, la princesse de la Roche-sur-Yon, le roi de Pologne Stanislas Leczinski, Mme de Pompadour. Elle a accès à l’entourage de Mme Adélaïde grâce à Mme de Marsan, qui devient gouvernante des enfants de France en 1771. La même année, la marquise devient préceptrice de philosophie auprès de Mme Elisabeth et de Mme Clotilde, respectivement âgées de sept et douze ans. Elle fait ses leçons à partir des extraits de philosophie antique et classique qu’elle avait commencé de rédiger quelques années plus tôt (un manuscrit de ses extraits de Malebranche avait d’ailleurs été relié en trois volumes à l’intention de la jeune duchesse de Rohan en 1769). L’année 1771 est aussi celle de la création du «Sublime Ordre des Lanturelus»: probablement née d’une plaisanterie adressée au marquis de Croismare, cette société badine, dont la structure parodie le modèle hiérarchique de la chevalerie, attirera gens du monde et diplomates étrangers jusqu’en 1789. La jeune Mme de Staël et le grand-duc Paul de Russie, fils de Catherine II, en deviennent notamment membres. En réaction à l’influence grandissante des philosophes au Parlement, la «reine des Lanturelus» tente de conférer une dimension antiphilosophique à son cercle en 1775, mais ses efforts se soldent par un échec. En 1776, lorsqu’elle ferme la porte de sa mère, souffrante, à D’Alembert, elle en tire un sentiment de revanche sur les encyclopédistes, contre lesquels elle s’acharne dans ses écrits personnels. Après la mort de Mme Geoffrin, elle accueille chez elle son ami Jean Levesque de Burigny. Sa fortune s’élève alors à cent trente-trois mille livres de rentes annuelles. La disparition de son hôte, en 1785, et les événements précédant la Révolution ont raison de sa gaieté et de son rire, qui avaient fait sa réputation dans le monde. A 76 ans, le 15 mai 1791, la marquise meurt dans l’hôtel qui l’avait vu naître.

Inédits, les écrits de la marquise ont été longuement cités par les rares historiens de la vie littéraire qui s’y sont intéressés. Ses archives renferment des lettres, des chansons, des bouts-rimés, des extraits, des anecdotes, des portraits et ses Mémoires, qui se présentent entre autres sous la forme d’un «voiage de ma raison». Longtemps restée dans l’ombre de Mme Geoffrin, Mme de La Ferté-Imbault est aujourd’hui principalement étudiée par les historiens de la sociabilité, tant pour sa rivalité avec sa mère que pour l’orientation idéologique et intellectuelle qu’elle a souhaité donner aux rencontres des Lanturelus.

Oeuvres

- 1753-1791 : «Correspondance familiale et mondaine», inédit (Archives nationales de France, 508 AP 37).
- 1760-1791 : «Archives littéraires, mémoires, portraits, écrits sur les philosophes, chansons et vers», inédit (Archives nationales de France, 508 AP 38).
- 1769 : «Extraits de Malebranche», 3 vol., inédit (Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms 2787, 2788 et 2789).
- 1772-1786 : «Lettres de la marquise de La Ferté-Imbault à Desfranches de Bossey et au comte d'Albaret», inédit (British Library, coll. Morrisson, Add Ms 39673, f.139-164, 166-221).
- «Quelques lettres de Mme Geoffrin, du cardinal de Bernis, Voltaire, Marmontel, le Père Elisée, le roi de Pologne, Piron, Mme de La Ferté-Imbault, Boufflers, Destouches et autres», inédit (Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, NAF 4748; cette copie manuscrite a été réalisée en 1816 par M. de Monmerqué à partir de documents originaux qui appartenaient alors à la famille d’Etampes).

Choix bibliographique

- Craveri, Benedetta, «Madame de La Ferté-Imbault (1715-1791) et son monde», Revue d’histoire littéraire de la France, 105, 1 (janvier-mars 2005), p.95-109.
- Goodman, Dena, «Filial Rebellion in the Salon. Madame Geoffrin and Her Daughter», French Historical Studies, 16, 1, printemps 1989, p.28-47.
- Lilti, Antoine, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2005, p.92, 135-136, 309-312, 364.
- Masseau, Didier, «La marquise de La Ferté-Imbault, reine antiphilosophe des Lanturelus», dans Les dérèglements de l’art. Formes et procédures de l’illégitimité culturelle en France (1715-1914), dir. Pierre Popovic et Erik Vigneault, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2000, p.35-50.
- Ségur, Pierre de, Le royaume de la rue Saint-Honoré. Madame Geoffrin et sa fille, Paris, Calman-Lévy, 1907 [1897].

Choix iconographique

- 1740 : Jean-Marc Nattier, Portrait de la marquise de la Ferté-Imbault (huile sur toile, 145 x 115 cm), Tokyo, Tokyo Fuji Art Museum -- site Internet de la Bridgeman Art Library, [1]

Jugements

- «A la suite d’une attaque d’apoplexie, Mme Geoffrin étant tombée dans un état de langueur qui lui ôtait l’usage de toutes ses facultés, sa fille, Mme la marquise de La Ferté-Imbault, n’a plus jugé à propos de recevoir les personnes qui n’étaient que de la société de sa mère, et non pas de la sienne. Elle a fait fermer durement sa porte à MM. d’Alembert, Marmontel et autres, tous anciens amis de sa mère, qu’elle n’avait pu souffrir à cause qu’ils étaient Encyclopédistes. [...] elle s’est permis même d’écrire à M. d’Alembert la lettre la plus extravagante qu’il soit possible d’imaginer. M. d’Alembert ne s’en est vengé qu’en montrant la lettre, qui est en effet le comble du ridicule. La conduite de Mme de La Ferté-Imbault a révolté contre elle tout le parti philosophique; l’ordre des Lanturelus et des Lampons (plaisanterie établie chez Mme de La Ferté-Imbault, pour se moquer des académies et de l’esprit de parti) s’est trouvé sérieusement aux prises avec toute l’Encyclopédie.» (Correspondance littéraire, philosophique et critique [octobre 1776], éd. Maurice Tourneux, Nendeln, Kraus Reprint, 1968 [Paris, Garnier frères, 1879], t.11, p.365-366)
- «Quant à la marquise de La Ferté-Imbault, chez laquelle nous nous rendîmes ensuite, c’est la fille de la célèbre madame Geoffrin. Elle a épousé le petit-fils du maréchal de La Ferté-d’Etampes, et a été sous-gouvernante des enfants de France. C’est elle qui a fait l’éducation de Madame Elisabeth. Veuve à vingt et un ans, elle a renoncé à un second mariage et elle a donné tout son temps à la science et aux arts. Sa maison était le rendez-vous des beaux-esprits, mais ses idées ne ressemblaient pas à celles de sa mère, au contraire; elle haïssait les philosophes, et je ne l’en blâme pas. [...] Madame de La Ferté-Imbault avait, à l’époque de notre visite, environ soixante-sept ans, ce qui n’avait rien ôté ni à son esprit ni à la gaieté de sa conversation.» (Baronne d’Oberkirch, Mémoires sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, Paris, Mercure de France, «Le temps retrouvé», 1989, p.291-292)
- «Madame Geoffrin eut une fille, qui devint la marquise de La Ferté-Imbault, femme excellente, dit-on, mais qui n’avait pas la modération de sens et la parfaite mesure de sa mère, et de qui celle-ci disait en la montrant: “Quand je la considère, je suis comme une poule qui a couvé un oeuf de cane.”» (Sainte-Beuve, «Madame Geoffrin» [lundi, 22 juillet 1850], dans Quelques portraits féminins. Extraits des oeuvres de C.-A. Ste-Beuve, Paris, Editions Jules Tallandier, 1927, p.159)
- «M. Geoffrin, dès le début du mariage, s’était affirmé par la naissance de deux enfants, dont un seul -une fille, nommée Marie-Thérèse- échappa aux dangers du premier âge, et joua un rôle important dans l’existence de sa mère. Je ne l’ai guère mentionnée jusqu’ici que pour faire de larges emprunts aux récits qu’elle a laissés, et qui m’ont permis d’entreprendre cette étude; il est temps de réparer cette négligence, qui, en se prolongeant, aurait un air d’ingratitude. Aussi bien Marie-Thérèse Geoffrin mérite-t-elle d’être un instant tirée de la poussière qui la recouvre depuis plus d’un siècle; car c’est une attachante et curieuse figure, et elle fut par certains côtés la digne fille de sa mère, bien qu’elle en différât autant par ses défauts que par ses qualités.» (Pierre de Ségur, Le royaume de la rue Saint-Honoré..., voir supra, choix bibliographique, p.114-115)
- «Pour les fervents du dix-huitième siècle, pour tous ceux qui ont le goût passionné de ses papiers et de ses livres, la marquise de la Ferté-Imbault n’était certes pas une inconnue. Son image apparaît souvent dans les correspondances, les mémoires et les journaux intimes; mais à chaque fois sous un jour si différent que les observateurs les plus fins ne savaient que penser de la fille de Mme Geoffrin.» (Constantin Photiadès, La reine des Lanturelus, Marie-Thérèse Geoffrin, marquise de la Ferté-Imbault (1715-1791), Paris, Plon, 1928, p.I)
- (A propos de Mme de La Ferté-Imbault et de sa mère) «Telles sont les femmes dont l’entregent va être engagé, en tant que de besoin, et des années durant, pour faciliter les affaires de la Manufacture. [...] Le bonhomme Geoffrin avait bien travaillé pour nourrir les criailleries des intellectuels les plus hostiles à la grande industrie! [...] Concrètement, ce pouvoir s’exerce plus en coulisses, discussions et tractations diverses à l’appui, qu’au grand jour, mais on est souvent à la limite de l’exception: une entrevue, même orageuse, dans l’hôtel du Faubourg Saint-Honoré vaut quasiment un comité préparatoire à un conseil.» (Maurice Hamon et Dominique Perrin, Au coeur du XVIIIe siècle industriel. Condition ouvrière et tradition villageoise à St-Gobain, Paris, Éditions P.A.U., 1993, p.151-152)
- «Les quatre femmes qui incarnaient quatre modèles de la sociabilité du siècle parvenue à son apogée étaient Madame Geoffrin, sa fille, la marquise de La Ferté-Imbault, la marquise du Deffand et sa nièce, Mademoiselle de Lespinasse. On retrouve leur histoire au fil des souvenirs de Madame de La Ferté-Imbault: la fille de Madame Geoffrin était sans doute la moins intelligente des quatre, mais son témoignage est précieux parce que son point de vue et ses critères de jugement étaient de nature essentiellement mondaine. Victime de l’ambition sociale de sa mère, Madame de La Ferté-Imbault chercha toute sa vie une revanche en rivalisant sur le même terrain. Dans sa vieillesse elle confia à une foule de notes, anecdotes, lettres, souvenirs, le soin de proclamer sa réussite sociale, ses amitiés, ses succès, ses goûts.» (Benedetta Craveri, L’âge de la conversation, Paris, Gallimard, «Tel», 2002, p.438-439)
- «[L]a marquise de La Ferté-Imbault est surtout connue comme l’excentrique fille de Mme Geoffrin et ses liens avec la Cour, en particulier avec les coteries les plus conservatrices, sont souvent mis en valeur et opposés au salon de sa mère. [...] Malgré les travaux de Pierre de Ségur et de Constantin Photiadès, la société des Lanturelus, émanation du salon de la marquise de La Ferté-Imbault, reste mal connue, obscurcie par l’éclat des salons identifiés au mouvement encyclopédiste. Il est vrai que la société de la marquise de La Ferté-Imbault semble échapper à toutes les qualifications univoques. Fille de Mme Geoffrin, la marquise entretient avec sa mère, et avec les philosophes que celle-ci reçoit, des relations ombrageuses. Ennemie farouche des philosophes, elle est très vite liée avec Grimm, qui est un habitué de son salon et un pilier de la société des Lanturelus. Mais le principal paradoxe est celui de son salon, qui abrite à la fois une société badine et aristocratique, héritière du régiment de la calotte, et la seule authentique tentative de transformer un salon en cabinet philosophique.» (Antoine Lilti, Le monde des salons..., voir supra, choix bibliographique, p.132, 309)

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