Marie-Catherine Peuvret : Différence entre versions

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Marie-Catherine Peuvret naît à Québec le 13 janvier 1667 de l’union de deux Français établis en Nouvelle-France : Jean-Baptiste Peuvret et Catherine Nau de Fossambault. Son père, greffier du Conseil souverain de la Nouvelle-France, compte parmi l’oligarchie de la petite capitale coloniale. Sa mère, parisienne, est fille d’un anobli. Marie-Catherine fréquente un temps l’école des Ursulines avant son mariage, le 24 février 1683, à l’âge de 16 ans. Elle épouse Ignace Juchereau Duchesnay, fils d’un anobli canadien. Les époux ont une tante en commun, Michelle-Thérèse Nau de Fossambault, mariée à Joseph Giffard, seigneur de Beauport. Ce couple est sans enfant et les désigne comme cohéritiers de la seigneurie de Beauport qui, située à proximité de la ville de Québec, est l’une des premières établies en Nouvelle-France. Ils y résident toute leur vie et Marie-Catherine y donne naissance à dix-sept enfants en vingt-neuf années : 10 filles et 6 garçons, dont onze parviennent à l’âge adulte.
 
Marie-Catherine Peuvret naît à Québec le 13 janvier 1667 de l’union de deux Français établis en Nouvelle-France : Jean-Baptiste Peuvret et Catherine Nau de Fossambault. Son père, greffier du Conseil souverain de la Nouvelle-France, compte parmi l’oligarchie de la petite capitale coloniale. Sa mère, parisienne, est fille d’un anobli. Marie-Catherine fréquente un temps l’école des Ursulines avant son mariage, le 24 février 1683, à l’âge de 16 ans. Elle épouse Ignace Juchereau Duchesnay, fils d’un anobli canadien. Les époux ont une tante en commun, Michelle-Thérèse Nau de Fossambault, mariée à Joseph Giffard, seigneur de Beauport. Ce couple est sans enfant et les désigne comme cohéritiers de la seigneurie de Beauport qui, située à proximité de la ville de Québec, est l’une des premières établies en Nouvelle-France. Ils y résident toute leur vie et Marie-Catherine y donne naissance à dix-sept enfants en vingt-neuf années : 10 filles et 6 garçons, dont onze parviennent à l’âge adulte.
Discrète dans les archives du vivant de son mari, elle prend les rênes de l’administration seigneuriale au décès de celui-ci, survenu en 1715. De huit ans sa cadette, elle lui survit pendant 22 ans, sans jamais se remarier. Pendant toutes ces années, malgré la présence de plusieurs fils majeurs, elle n’abandonne jamais la gouverne de son fief. De son « château » de Beauport, une robuste résidence de pierre, elle administre ses terres sans intermédiaires, baillant domaine et moulin, engageant domestiques et meuniers, concédant des terres dans les secteurs non encore exploités de sa seigneurie, mais aussi dans les autres fiefs dont elle est coseigneuresse par la succession de son père. Elle se trouve fréquemment au centre de conflits en justice, tantôt avec les seigneurs ecclésiastiques voisins (Jésuites d’un côté et Prêtres du Séminaire de Québec de l’autre), tantôt avec les paysans de sa seigneurie, à propos de rentes ou encore du banc seigneurial. Ainsi, en 1724, les marguilliers refusent d’accorder à la seigneuresse un second banc dans la nouvelle église pour asseoir sa nombreuse progéniture mais, après trois ordonnances de l’intendant Bégon, ils sont forcés d’obtempérer.  
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Discrète dans les archives du vivant de son mari, elle prend les rênes de l’administration seigneuriale au décès de celui-ci, survenu en 1715. De huit ans sa cadette, elle lui survit pendant 22 ans, sans jamais se remarier. Pendant toutes ces années, malgré la présence de plusieurs fils majeurs, elle n’abandonne jamais la gouverne de son fief. De son « château » de Beauport, une robuste résidence de pierre, elle administre ses terres sans intermédiaires, baillant domaine et moulin, engageant domestiques et meuniers, concédant des terres dans les secteurs non encore exploités de sa seigneurie, mais aussi dans les autres fiefs dont elle est coseigneuresse par la succession de son père. Elle se trouve fréquemment au centre de conflits en justice, tantôt avec les seigneurs ecclésiastiques voisins (Jésuites d’un côté et Prêtres du Séminaire de Québec de l’autre), tantôt avec les paysans de sa seigneurie, à propos de rentes ou encore du banc seigneurial. Ainsi, en 1724, les marguilliers refusent d’accorder à la seigneuresse un second banc dans la nouvelle église pour asseoir sa nombreuse progéniture mais, après trois ordonnances de l’intendant Bégon, ils sont forcés d’obtempérer.
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Sur le plan familial, elle maintient d’abord l’autorité sur la seigneurie en raison du désintérêt de ses fils aînés, engagés dans les affaires maritimes entre le Canada et les Antilles où deux d’entre eux s’établiront définitivement. Ses filles font de beaux mariages avec des nobles ou entrent au couvent. En février 1737, alors septuagénaire, elle menace son seul fils vivant encore dans la colonie, Antoine, de le déshériter car il aurait voulu épouser, sans le consentement de sa mère, une paysanne de la seigneurie pour la plus grande honte de sa famille. Trois mois plus tard, Antoine satisfait sa mère en épousant une fille qui « lui convient davantage », Françoise Chartier de Lotbinière. Peu de temps avant sa mort, Marie-Catherine finit par lui céder la seigneurie et quitte le manoir pour aller terminer ses jours chez l’une de ses filles, établie aussi à Beauport, non sans emmener avec elle tous les papiers relatifs à la gestion de la seigneurie. Elle y décède le 15 février 1739. Lors de l’inventaire après-décès, réalisé en avril 1739, ses enfants déclareront ne pas savoir ce qui pourrait être dû à leur mère, révélant ainsi la mainmise de cette dernière sur les affaires de la seigneurie.
 
Sur le plan familial, elle maintient d’abord l’autorité sur la seigneurie en raison du désintérêt de ses fils aînés, engagés dans les affaires maritimes entre le Canada et les Antilles où deux d’entre eux s’établiront définitivement. Ses filles font de beaux mariages avec des nobles ou entrent au couvent. En février 1737, alors septuagénaire, elle menace son seul fils vivant encore dans la colonie, Antoine, de le déshériter car il aurait voulu épouser, sans le consentement de sa mère, une paysanne de la seigneurie pour la plus grande honte de sa famille. Trois mois plus tard, Antoine satisfait sa mère en épousant une fille qui « lui convient davantage », Françoise Chartier de Lotbinière. Peu de temps avant sa mort, Marie-Catherine finit par lui céder la seigneurie et quitte le manoir pour aller terminer ses jours chez l’une de ses filles, établie aussi à Beauport, non sans emmener avec elle tous les papiers relatifs à la gestion de la seigneurie. Elle y décède le 15 février 1739. Lors de l’inventaire après-décès, réalisé en avril 1739, ses enfants déclareront ne pas savoir ce qui pourrait être dû à leur mère, révélant ainsi la mainmise de cette dernière sur les affaires de la seigneurie.
 
Le mot « seigneuresse », usuel au Canada, apparaît dès la fin du XVIIe siècle dans la langue parlée en Nouvelle-France. L’exemple de Marie-Catherine Peuvret, sans être unique, révèle un personnage impérieux et une femme d’autorité, mais, en tant que veuve, elle a toute la légitimité requise  pour défendre, efficacement et à plusieurs reprises, son statut et ses intérêts. On peut se demander si ce qui apparaît comme un caractère belliqueux ne serait pas aussi la conséquence d’une société patriarcale inconfortable pour les femmes de pouvoir. Ne refusa-t-elle pas de passer la main à ses fils majeurs, après la mort de leur père ?  
 
Le mot « seigneuresse », usuel au Canada, apparaît dès la fin du XVIIe siècle dans la langue parlée en Nouvelle-France. L’exemple de Marie-Catherine Peuvret, sans être unique, révèle un personnage impérieux et une femme d’autorité, mais, en tant que veuve, elle a toute la légitimité requise  pour défendre, efficacement et à plusieurs reprises, son statut et ses intérêts. On peut se demander si ce qui apparaît comme un caractère belliqueux ne serait pas aussi la conséquence d’une société patriarcale inconfortable pour les femmes de pouvoir. Ne refusa-t-elle pas de passer la main à ses fils majeurs, après la mort de leur père ?  
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Malgré les nombreuses mentions de ses activités dans les archives canadiennes, Marie-Catherine fut totalement oubliée de la postérité, contrairement à ses prédécesseurs et à ses successeurs, tous masculins, dont l’histoire locale et la toponymie soulignent la contribution. Aucune rue, aucune plaque ne rappelle la mémoire de Marie-Catherine Peuvret, seigneuresse de Beauport.
 
Malgré les nombreuses mentions de ses activités dans les archives canadiennes, Marie-Catherine fut totalement oubliée de la postérité, contrairement à ses prédécesseurs et à ses successeurs, tous masculins, dont l’histoire locale et la toponymie soulignent la contribution. Aucune rue, aucune plaque ne rappelle la mémoire de Marie-Catherine Peuvret, seigneuresse de Beauport.
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Lorsque Pierre-Georges Roy écrivit l’histoire de la famille Juchereau-Duchesnay, en 1903, il résuma, de manière laconique, qu’elle fut l’épouse d’Ignace et la mère de 17 enfants, témoignant de la perception de la place des femmes chez les historiens du début du XXe siècle plus que de la contribution véritable de cette seigneuresse canadienne. Il omet même de dire que la seigneurie fut donnée conjointement à Ignace et à Marie-Catherine le jour de leur mariage. On passe sous silence le rôle des deux seigneuresses dans cette transmission, la tante et la nièce. Lui-même archiviste de la Province de Québec, Pierre-Georges Roy n’a visiblement pas vu ou voulu voir toutes les pièces d’archives relatives à la seigneuresse Marie-Catherine Peuvret, consacrant plutôt ses éloges aux patriarches de cette famille.
 
Lorsque Pierre-Georges Roy écrivit l’histoire de la famille Juchereau-Duchesnay, en 1903, il résuma, de manière laconique, qu’elle fut l’épouse d’Ignace et la mère de 17 enfants, témoignant de la perception de la place des femmes chez les historiens du début du XXe siècle plus que de la contribution véritable de cette seigneuresse canadienne. Il omet même de dire que la seigneurie fut donnée conjointement à Ignace et à Marie-Catherine le jour de leur mariage. On passe sous silence le rôle des deux seigneuresses dans cette transmission, la tante et la nièce. Lui-même archiviste de la Province de Québec, Pierre-Georges Roy n’a visiblement pas vu ou voulu voir toutes les pièces d’archives relatives à la seigneuresse Marie-Catherine Peuvret, consacrant plutôt ses éloges aux patriarches de cette famille.
  

Version du 2 mars 2018 à 15:48

Marie-Catherine Peuvret
Titre(s) seigneuresse de Beauport et autres lieux
Dénomination(s) Dame Duchesnay; Dame Peuvret de Mesnu
Biographie
Date de naissance 1667
Date de décès 1739
Conjoint(s) Ignace Juchereau Duchesnay
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)



Notice de Benoît Grenier, 2017

Marie-Catherine Peuvret naît à Québec le 13 janvier 1667 de l’union de deux Français établis en Nouvelle-France : Jean-Baptiste Peuvret et Catherine Nau de Fossambault. Son père, greffier du Conseil souverain de la Nouvelle-France, compte parmi l’oligarchie de la petite capitale coloniale. Sa mère, parisienne, est fille d’un anobli. Marie-Catherine fréquente un temps l’école des Ursulines avant son mariage, le 24 février 1683, à l’âge de 16 ans. Elle épouse Ignace Juchereau Duchesnay, fils d’un anobli canadien. Les époux ont une tante en commun, Michelle-Thérèse Nau de Fossambault, mariée à Joseph Giffard, seigneur de Beauport. Ce couple est sans enfant et les désigne comme cohéritiers de la seigneurie de Beauport qui, située à proximité de la ville de Québec, est l’une des premières établies en Nouvelle-France. Ils y résident toute leur vie et Marie-Catherine y donne naissance à dix-sept enfants en vingt-neuf années : 10 filles et 6 garçons, dont onze parviennent à l’âge adulte.

Discrète dans les archives du vivant de son mari, elle prend les rênes de l’administration seigneuriale au décès de celui-ci, survenu en 1715. De huit ans sa cadette, elle lui survit pendant 22 ans, sans jamais se remarier. Pendant toutes ces années, malgré la présence de plusieurs fils majeurs, elle n’abandonne jamais la gouverne de son fief. De son « château » de Beauport, une robuste résidence de pierre, elle administre ses terres sans intermédiaires, baillant domaine et moulin, engageant domestiques et meuniers, concédant des terres dans les secteurs non encore exploités de sa seigneurie, mais aussi dans les autres fiefs dont elle est coseigneuresse par la succession de son père. Elle se trouve fréquemment au centre de conflits en justice, tantôt avec les seigneurs ecclésiastiques voisins (Jésuites d’un côté et Prêtres du Séminaire de Québec de l’autre), tantôt avec les paysans de sa seigneurie, à propos de rentes ou encore du banc seigneurial. Ainsi, en 1724, les marguilliers refusent d’accorder à la seigneuresse un second banc dans la nouvelle église pour asseoir sa nombreuse progéniture mais, après trois ordonnances de l’intendant Bégon, ils sont forcés d’obtempérer.

Sur le plan familial, elle maintient d’abord l’autorité sur la seigneurie en raison du désintérêt de ses fils aînés, engagés dans les affaires maritimes entre le Canada et les Antilles où deux d’entre eux s’établiront définitivement. Ses filles font de beaux mariages avec des nobles ou entrent au couvent. En février 1737, alors septuagénaire, elle menace son seul fils vivant encore dans la colonie, Antoine, de le déshériter car il aurait voulu épouser, sans le consentement de sa mère, une paysanne de la seigneurie pour la plus grande honte de sa famille. Trois mois plus tard, Antoine satisfait sa mère en épousant une fille qui « lui convient davantage », Françoise Chartier de Lotbinière. Peu de temps avant sa mort, Marie-Catherine finit par lui céder la seigneurie et quitte le manoir pour aller terminer ses jours chez l’une de ses filles, établie aussi à Beauport, non sans emmener avec elle tous les papiers relatifs à la gestion de la seigneurie. Elle y décède le 15 février 1739. Lors de l’inventaire après-décès, réalisé en avril 1739, ses enfants déclareront ne pas savoir ce qui pourrait être dû à leur mère, révélant ainsi la mainmise de cette dernière sur les affaires de la seigneurie. Le mot « seigneuresse », usuel au Canada, apparaît dès la fin du XVIIe siècle dans la langue parlée en Nouvelle-France. L’exemple de Marie-Catherine Peuvret, sans être unique, révèle un personnage impérieux et une femme d’autorité, mais, en tant que veuve, elle a toute la légitimité requise pour défendre, efficacement et à plusieurs reprises, son statut et ses intérêts. On peut se demander si ce qui apparaît comme un caractère belliqueux ne serait pas aussi la conséquence d’une société patriarcale inconfortable pour les femmes de pouvoir. Ne refusa-t-elle pas de passer la main à ses fils majeurs, après la mort de leur père ?

Malgré les nombreuses mentions de ses activités dans les archives canadiennes, Marie-Catherine fut totalement oubliée de la postérité, contrairement à ses prédécesseurs et à ses successeurs, tous masculins, dont l’histoire locale et la toponymie soulignent la contribution. Aucune rue, aucune plaque ne rappelle la mémoire de Marie-Catherine Peuvret, seigneuresse de Beauport.

Lorsque Pierre-Georges Roy écrivit l’histoire de la famille Juchereau-Duchesnay, en 1903, il résuma, de manière laconique, qu’elle fut l’épouse d’Ignace et la mère de 17 enfants, témoignant de la perception de la place des femmes chez les historiens du début du XXe siècle plus que de la contribution véritable de cette seigneuresse canadienne. Il omet même de dire que la seigneurie fut donnée conjointement à Ignace et à Marie-Catherine le jour de leur mariage. On passe sous silence le rôle des deux seigneuresses dans cette transmission, la tante et la nièce. Lui-même archiviste de la Province de Québec, Pierre-Georges Roy n’a visiblement pas vu ou voulu voir toutes les pièces d’archives relatives à la seigneuresse Marie-Catherine Peuvret, consacrant plutôt ses éloges aux patriarches de cette famille.

Principales sources

  • Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Greffes de notaires : Gilles Rageot, contrat de mariage entre Marie-Catherine Peuvret et Ignace Jucherau Duchesnay (1 février 1683); Jean de Latour, inventaire des biens de défunte Marie-Catherine Peuvret (20 avril 1739), etc.
  • Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds P546, D3, P11 : gravure du manoir seigneurial de Beauport vers 1850

Choix bibliographique

  • Grenier, Benoît, Marie-Catherine Peuvret. Veuve et seigneuresse en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2005, 260 p.
  • Grenier, Benoît, « Réflexion sur le pouvoir féminin au Canada sous le régime français », Histoire sociale / Social History, 2009, vol. 42, no 84 (novembre 2009), p. 297-324.
  • Grenier, Benoît, « Marie-Catherine Peuvret (1667-1739) : seigneuresse et mère de famille », L'Ancêtre, no 277, vol. 33 (hiver 2007), p. 145-150.
  • Grenier, Benoît, «Seigneurie de Beauport», et «Régime seigneurial», dans : Encyclopédie du patrimoine de l’Amérique française [1]

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