Marguerite de Jousserand

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Marguerite de Jousserand
Dénomination(s) « demoiselle de la Voulernie », « Mademoiselle de Jousserand »
Biographie
Date de naissance 1745
Date de décès 17 août 1820
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Nicole Pellegrin, 2022

Marguerite de Jousserand est née le 1er janvier 1745 à Courbillac (actuel département de la Charente) dans la paroisse de sa mère, Marie Hor(r)ic /Horry. Son père, Jean de Jousserand, appartient, lui aussi, à la noblesse d’Angoumois et possède le « lieu noble » de La Voulernie dans la paroisse du Bouchage, paroisse alors poitevine qui relevait de la justice du marquisat angoumoisin de Ruffec. Ce père est encore en vie au moment de l’action en justice lancée à Ruffec le 3 août 1782 par sa fille majeure « contre certains quidams […] pour atteinte à sa réputation en répandant dans le public qu’elle avait accouchée en la ville d’Engoulesme, ou ailleurs, & d’autres propos diffamants de cette espèce ». Marguerite a au moins deux frères : l’un est décédé en 1775, marié à une « Jousserand de Linazay » ; l’autre, Léonard, né en 1754, aime « badiner » (parole de témoin) avec les servantes (quitte à les engrosser). Il prête à sa sœur des « galands » et veut peut-être lui ôter (parole d’enquêteur) « les moyens de s’établir », alors qu’il se marie lui-même le 3 février 1785, dans sa caste, en pleine « affaire ».
En réfutant – publiquement – des bruits de grossesse hors mariage, Marguerite de Jousserand fait preuve de courage et de ténacité, puisqu’elle ose défendre son honneur dans un environnement social peu amène à son égard et malgré l’extraordinaire enchevêtrement des instances administrativo-judiciaires locales : sa plainte initiale est déposée et instruite – mal – devant le tribunal seigneurial du marquisat de Ruffec, avant de « monter » au parlement de Paris (16 octobre 1783), puis d’atterrir (fin août 1784) au bailliage de Lusignan, une instance royale à plus de 50 kilomètres de là, dont les officiers sont obligés de « se déporter » jusqu’à Ruffec et de mener à nouveaux frais l’enquête initiale, bâclée, dit-on, en 1782. L’« information secrète », menée du 1er décembre 1784 au 20 février 1785, donne alors la parole à 167 témoins, soit 99 hommes et 68 femmes de tous statuts, domiciliés dans 37 paroisses différentes (17 de ces personnes, dont le frère calomniateur, comparaîtront à nouveau, mais comme accusés, à Lusignan au printemps 1785). Urbains ou ruraux, jeunes ou âgés, nobles ou roturiers, ces gens exposent leur identité, leurs activités, leurs inimitiés et leur goût du commérage ; ils révèlent, surtout, comment calomnies et rumeurs circulent autour d’une personne quelque peu excentrique qui, flanquée d’un frère amateur de scandales et peut-être malfaisant, reste célibataire jusqu’à sa mort le 18 août 1820 à Macqueville (Charente-Maritime), commune limitrophe de son lieu de naissance. Considérée comme « une personne de vertu et d’honneur » dans son milieu, Marguerite de Jousserand souffre en effet d’une réputation sulfureuse du fait de son habillement masculin et de ses dépenses. Elle semble surtout la victime – au moins indirecte – des frasques de son frère qui a longtemps logé, au château familial, une servante-maîtresse, Madeleine Noble, dite « Mademoiselle de Jousserand ». Celle-ci, contrairement à Marguerite dont elle devient un temps par risée l’homonyme, a effectivement accouché fin janvier 1782 d’un fils « naturel », vite abandonné au tour d’Angoulême. La fin de vie des deux femmes reste inconnue, tout comme le jugement définitif prononcé à Lusignan contre les calomniateurs (il a disparu, avec d’autres archives, dans un incendie en 1906). La première des deux femmes est analphabète, quand la seconde, incapable de signer un acte de baptême à l’âge de 9 ans, se voit plus tard imputer des billets écrits de sa main.
Ce fait-divers est à jamais énigmatique malgré sa valeur de « miniature révélatrice » (P. Tacussel). Cette « rumeur » suggère des antagonismes anti-seigneuriaux vivaces et le poids du contrôle social dont les femmes font l’objet. Cependant on ne sait que penser d’un procès hors-normes et coûteux, producteur d’archives particulièrement nombreuses mais à jamais incomplètes. De nouveaux travaux restent à mener pour retrouver des personnes qui, aussi peu conformistes que Marguerite de Jousserand, ont elles aussi osé rendre public leur prétendu déshonneur et sont allées jusqu’à affirmer devant témoins (propos rapportés par un prêtre et une lingère en août 1782) : « Je prends la deffence de toutes les femmes dont on attaque l’honneur. Je ferai faire des enquestes ».

Principales sources manuscrites

Archives départementales de la Vienne :

  • 6 B 266, Baillage de Lusignan. Soit un dossier – incomplet – de 550 feuillets, décomposé en trois ensembles de pièces, rédigées entre août 1784 et juin 1785, à Ruffec (justice seigneuriale), à Paris (parlement) et Lusignan (justice royale).
  • 9 E 162/2.4 : registres paroissiaux de Linazay (1779-1790).

Archives départementales de la Charente :

  • 3 E 116/1 : registres paroissiaux Courbillac (1737-1789)
  • 3 E 56/1 : registres paroissiaux Le Bouchage (1757-1792)
  • 3 E 236/1 : registres paroissiaux Messeux (1775-1801)
  • 2 E 1687 sq : actes notariés variés concernant la famille de Jousserand, fin XVIIe-XVIIIe siècles.

Archives départementales de la Charente-Maritime :

  • 2 E 228 /7 : état-civil Macqueville (1819-1822)

Ce dernier document m’a été indiqué par Sébastien Jahan que je remercie vivement.

Principales sources imprimées

  • DAREAU,François , Traité des injures dans l’ordre judiciaire, Paris, Nyon, 2 vol., 1785.
  • BRICAULD de VERVEUIL, Émile et Maurice Pouliot, Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790, t. III : Archives de Civray, Poitiers, 1940.
  • HENRI, Paul et Joseph Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou […]. Réédition complétée, Fontenay-le-Comte, P. et O. Lussaud, 1965, t. V, p. 378-394.
  • VRILLAC, Jean-Claude, Recueil historique, généalogique et héraldique des anciennes familles du Ruffecois, chez l’auteur, 2008.

Choix bibliographique

  • Claude Gauvard, « La "Fama", une parole fondatrice », Médiévales, 1983, n°24, p. 5-13.
  • Nicole Pellegrin, « Rumeurs de déshonneur en Angoumois. La fille du châtelain a accouché clandestinement (1782-1785) », in A.-M. Cocula & M. Combet (dir.), Le Château "à la une" ! Événements et faits divers, Bordeaux, Ausonius, 2009, p. 221-234.
  • Patrick Tacussel, « La différence ordinaire. Comment les faits divers parlent-ils de leur époque : des miniatures révélatrices », Autrement, n° 98-Avril 1988 : « Faits-divers. Annales des passions excessives », p. 20-28.
  • Suzan Van Dijk, Traces de femmes. Présence féminine dans le journalisme français du XVIIIe siècle, Amsterdam, Holland University Press, 1988 (notamment, p. 71-74).
  • Charles Walton, La Liberté d’expression en Révolution. Les mœurs, l’honneur, la calomnie, Rennes, PUR, 2014, p. 65-79.

Jugements

Ces extraits de dépositions et d’interrogatoires sont tous issus des Archives départementales de la Vienne, 6 B 266.

  • Dépose qu’étant allé au logis de la Touche chez la dame de Menoux, celle-ci lui « cita que s’étant trouvée chez monsieur du Roc Larmigère lieutenant aux maréchaux de France où seroit venue mademoiselle de Jousserand habillée en homme à son ordinaire, et que sur les bruits qu’on faisoit courir elle auroit fait observer à madame du Roc avec laquelle elle conféroit de cela : voilà un Monsieur qui danse qui a une belle braguette mais il n’y a rien dedans […]» (déposition de Jacques Bourdier de la Gorce, lieutenant général civil et criminel de la sénéchaussée de Civray ; 4 décembre 1784).
  • Dépose « qu’un jour de foire de Ruffec de l’année mil sept cent quatre vingt deux, ayant chez elle des moissonneurs à boire dont elle ignore le nom et la demeure, la demoiselle de Jousserand passa devant sa porte, habillée en homme, qu’un de ces moissonneurs dit : voilà un beau monsieur, qu’un autre répondit : ce n’est pas un beau monsieur, c’est une demoiselle de condition dont on parle mal à propos […]» (Louise Machet, veuve Touffaud, 38 ans, cabaretière à Ruffec ; 7 décembre 1784).
  • Dépose que […] « le sieur chavalier de Jousserand vint chés lui déposant et en le saluand lapella son beau-frère, qu’il lui repondit qu’il seroit bien flatté de cet honneur, […] que ledit sr chevalier de Jousserand lui répliqua, vous ne sçavés donc pas que l’on dit dans le public que ma sœur a fait un enfant dont on dit que vous estes le père ; […] que lui dit déposant a ouï parler de ce prétendu accouchement a tant de personnes qu’il nen peut nommer aucune ; que toutes les personnes comme il faut qui en ont parlé ont rendus justice a la vertu de Mademoiselle de Jousserand ; et l’ont plainte de s’etre jettée aussy inconsidérément dans une information si dispendieuse ; que ce qui a donné lieu a tous les faux bruits qui ses sont répandus sur son compte est une servante du logis de La voulernie qui sortit grosse des œuvres dudit sieur chevalier de Jousserand a peu pres dans le temps que lade demoiselle de Jousserand fut a angoulesme, Laquelle servante on appelloit par dérision dans la paroisse du Bouchage Mademoiselle de la Voulernie […] » (messire Louis Alexandre de Monnoÿs chevalier seigneur châtelain Dordières, paroisse de Benest ; 13 décembre 1784).
  • Dépose que […] « il na jamais ouï parler qu’en bien de ladite demoiselle de jousserand et que ceux qui en ont parlés depuis qu’elle a commencé a faire informer, ont dits quelle faisoit mal de manger son argent aussy mal a propos […] » (Antoine Galais laboureur demeurant au bourg et paroisse de Surin, 52 ans ; 13 décembre 1784).
  • Dépose « qil a oüi dire sous tant de différents rapports et par tant de personnes les bruits calomnieux qui couroient sur le compte de Mademoiselle de Jousserand quil lui est impossible de rien dire de positif a ce sujet toutes les personnes qui en ont parlés devant luy n’ayant elles mêmes parlés que sur les ouïs dire , […] quil a oüi dire que ce qui avoit donné lieu a ces bruits etoit une méprise en ce qu’une servante sortie de ché le père de la plaignante grosse, dit-on des œuvres de Monsieur le chevalier son frère et fut accoucher a angoulesme, qu’en route comme ailleurs elle fut qualiffiée de Mademoiselle de Jousserand et qu’à peu près dans le même temps la demoiselle plaignate elle-même eut occasion de se rendre a angoulesme ou elle y resta quelques jours retenue, disoit-on, par une indisposition […] ; on lui rapporta que l’autheur des bruits […] etoit le chevalier son frere […] quil etoit plus adroit qu’on ne croyoit, en ce quil comptoit par la forcer sa sœur au célibat pour demeurer seul l’heritier de sa maison […] » (messire Jean-Louis Pressac Desplanches, avocat en la sénéchaussée de Civray et y demeurant, 31 ans ; 15 décembre 1784).
  • Dépose […] « sur le champ quil etoit douloureux que la réputation d’une fille honnête fut sur la lèvre d’un furieux et de quelque ennemi particulier […] et le dit déposant croit et croira toujours que toute cette information nest que l’effet du mésentendu ; ajoute en outre que sur la dernière plainte il a bien oüi dire que la demoiselle de Jousserand alloit très souvent chés Monsieur labbe desforgêts prendre des leçons de musique mais que toutes ces démarches ne tendoient a rien qui fut contraire a son honneur » (messire Louis François Pressac, curé de Saint-Gaudent y demeurant, 32 ans ; 16 décembre 1784).
  • « Interrogé si un jour étant a la messe à Messeux ou etoit aussy la demoiselle de Jousserand, il ne dit pas a quelques personnes quelle sen etoit fait donner par sa boutonnière en voulant dire quelle etoit grosse ou en avoit fait le pourquoy […] A dit quil na jamais mal parlé de la dite demoiselle de Jousserand ni été sollicité par personne d’en mal parler » (Louis Simon, dit Rousselot, 30 ans, laboureur, demeurant à Faugeroux, paroisse de Messeux ; 25 avril 1785).
  • « Interrogé s’il n’a pas été préposé par quelques personnes pour répandre dans le public le bruit du prétendu accouchement de la dites demoiselle de Jousserand. A denié le contenu au présent interrogatoire. Interrogé s’il n’a pas dit dans quelques maisons quil etoit arrivé un grand malheur a ladite demoiselle de Jousserand, quelle setoit fendüe en deux […] sans être tombée de cheval […]

A dit navoir point de ressouvenir […] » (Gabriel Sabelle, laboureur à Messeux, 26 ans ; 27 avril 1785)



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