Marguerite Delamarre : Différence entre versions

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Devenue grâce à Diderot un personnage de fiction sous le nom de Suzanne Simonin, Marguerite Delamarre est née à Paris le 9 janvier 1717 du légitime mariage de Marguerite Roussin et de Claude Delamarre, un riche orfèvre-joaillier qui meurt en 1750 après avoir dévolu sa fortune à son épouse et avoir acheté une seigneurie et une charge, anoblissante, de conseiller du roi (sa veuve signe de La Marre). La petite fille (aînée de trois frères morts jeunes) est mise en nourrice dès sa naissance et voudra se croire, plus tard, victime d’une substitution d’enfant. Âgée de 3 ans, elle devient pensionnaire, le 23 mai 1720, à l’abbaye royale des clarisses urbanistes de Longchamp, avant d’être placée, du 27 février 1721 à mars 1724, au couvent des ursulines de Chartres, puis, du 6 mai 1725 au 29 novembre 1731, à la Visitation de la rue du Bac à Paris. Un projet de mariage avorte et son père, l’accusant d’être une fille « dépravée », lui donne le choix entre une « maison de force » et la clôture. Le 16 juin 1732, elle choisit d’entrer aux bénédictines du Val-de-Grâce à Paris, mais les moniales auraient refusé de la garder, pointant le caractère forcé de sa vocation et les pressions exercées par ses parents. Marguerite fait alors retour à Longchamp comme postulante le 20 juillet 1734 ; elle y prend l’habit le 26 janvier 1735 à 18 ans et devient professe le 30 janvier 1736. De ce « couvent-boudoir », où elle vivra plus de 55 ans, Marguerite tente de s’échapper légalement au bout de 16 ans d’une vie religieuse sans doute peu austère, d’autant qu’elle est chantre et tourière. Le 2 septembre 1752, aidée par une amie de l’ingénieur Jacques Vaucanson (venu établir des métiers à soie), elle dépose une requête devant l’Officialité de Paris pour être relevée de ses vœux, mais elle est déboutée le 28 août 1756 : un délai de 5 ans ne doit pas être dépassé entre la profession et sa récusation. Pourtant, elle fait appel devant le parlement de Paris le 17 septembre suivant. Un mémoire en sa faveur est publié le 31 janvier 1758 qui rend publique l’affaire et suscite l’intérêt du marquis de Croismare, un ami de Diderot et de madame d’Epinay, hostiles comme nombre de leurs contemporain-e-s, aux vocations religieuses contraintes. Le procès, perdu le 17 mars 1758, met fin à tout espoir d’un retour dans « le monde » et voit le triomphe de la mère de Marguerite. En juillet 1790, vivait encore « Marguerite de Lamarre, 73 ans, à Notre-Dame de Meaux en Brie » éloignée de son couvent désormais devenu bien national.  
 
Devenue grâce à Diderot un personnage de fiction sous le nom de Suzanne Simonin, Marguerite Delamarre est née à Paris le 9 janvier 1717 du légitime mariage de Marguerite Roussin et de Claude Delamarre, un riche orfèvre-joaillier qui meurt en 1750 après avoir dévolu sa fortune à son épouse et avoir acheté une seigneurie et une charge, anoblissante, de conseiller du roi (sa veuve signe de La Marre). La petite fille (aînée de trois frères morts jeunes) est mise en nourrice dès sa naissance et voudra se croire, plus tard, victime d’une substitution d’enfant. Âgée de 3 ans, elle devient pensionnaire, le 23 mai 1720, à l’abbaye royale des clarisses urbanistes de Longchamp, avant d’être placée, du 27 février 1721 à mars 1724, au couvent des ursulines de Chartres, puis, du 6 mai 1725 au 29 novembre 1731, à la Visitation de la rue du Bac à Paris. Un projet de mariage avorte et son père, l’accusant d’être une fille « dépravée », lui donne le choix entre une « maison de force » et la clôture. Le 16 juin 1732, elle choisit d’entrer aux bénédictines du Val-de-Grâce à Paris, mais les moniales auraient refusé de la garder, pointant le caractère forcé de sa vocation et les pressions exercées par ses parents. Marguerite fait alors retour à Longchamp comme postulante le 20 juillet 1734 ; elle y prend l’habit le 26 janvier 1735 à 18 ans et devient professe le 30 janvier 1736. De ce « couvent-boudoir », où elle vivra plus de 55 ans, Marguerite tente de s’échapper légalement au bout de 16 ans d’une vie religieuse sans doute peu austère, d’autant qu’elle est chantre et tourière. Le 2 septembre 1752, aidée par une amie de l’ingénieur Jacques Vaucanson (venu établir des métiers à soie), elle dépose une requête devant l’Officialité de Paris pour être relevée de ses vœux, mais elle est déboutée le 28 août 1756 : un délai de 5 ans ne doit pas être dépassé entre la profession et sa récusation. Pourtant, elle fait appel devant le parlement de Paris le 17 septembre suivant. Un mémoire en sa faveur est publié le 31 janvier 1758 qui rend publique l’affaire et suscite l’intérêt du marquis de Croismare, un ami de Diderot et de madame d’Epinay, hostiles comme nombre de leurs contemporain-e-s, aux vocations religieuses contraintes. Le procès, perdu le 17 mars 1758, met fin à tout espoir d’un retour dans « le monde » et voit le triomphe de la mère de Marguerite. En juillet 1790, vivait encore « Marguerite de Lamarre, 73 ans, à Notre-Dame de Meaux en Brie » éloignée de son couvent désormais devenu bien national.  
 
Grâce aux investigations de Georges May, les tribulations judiciaires de Marguerite et sa transfiguration en protagoniste, involontaire et masquée, d’une mystification littéraire, sont désormais assez bien connues. La ténacité de la vraie religieuse nous émerveille, d’autant que sa démarche (un échec, et non un succès comme dans la fiction) est à l’origine d’un complot ourdi conjointement par Diderot, Grimm et Emilie d’Epinay, pour faire revenir à Paris, leur ami Croismare, « le charmant marquis ». Ils rédigent à trois les lettres pathétiques d’une prétendue religieuse en fuite et Diderot se lance dans l’écriture de mémoires tout aussi fictifs, pages qui, remaniées, donnent le jour en 1760 à un premier manuscrit de La Religieuse. Repris en 1780, il est publié de façon posthume seulement en 1796. Ce « conte historique » (terme préféré par Diderot à celui de roman) est donc fondé sur une double réalité : d’une part, un procès véritable mais énigmatique dans le détail et, d’autre part, l’engagement d’un écrivain désireux de faire « la satire des couvents » tout en dénonçant le goût du mensonge-vrai que répandent alors les romans à la mode en forme de lettres-mémoires.  
 
Grâce aux investigations de Georges May, les tribulations judiciaires de Marguerite et sa transfiguration en protagoniste, involontaire et masquée, d’une mystification littéraire, sont désormais assez bien connues. La ténacité de la vraie religieuse nous émerveille, d’autant que sa démarche (un échec, et non un succès comme dans la fiction) est à l’origine d’un complot ourdi conjointement par Diderot, Grimm et Emilie d’Epinay, pour faire revenir à Paris, leur ami Croismare, « le charmant marquis ». Ils rédigent à trois les lettres pathétiques d’une prétendue religieuse en fuite et Diderot se lance dans l’écriture de mémoires tout aussi fictifs, pages qui, remaniées, donnent le jour en 1760 à un premier manuscrit de La Religieuse. Repris en 1780, il est publié de façon posthume seulement en 1796. Ce « conte historique » (terme préféré par Diderot à celui de roman) est donc fondé sur une double réalité : d’une part, un procès véritable mais énigmatique dans le détail et, d’autre part, l’engagement d’un écrivain désireux de faire « la satire des couvents » tout en dénonçant le goût du mensonge-vrai que répandent alors les romans à la mode en forme de lettres-mémoires.  
 
Oublieux de la « préface-annexe » du roman (rédigée dès 1770, elle révèle le canular) et de son contexte de rédaction, les admirateurs-admiratrices de La Religieuse et de ses variantes cinématographiques (Jacques Rivette en 1967 et Guillaume Nicloux en 2013) aiment aujourd’hui s’identifier à cette héroïne émouvante devenue exotique : mœurs conventuelles caduques et comportements familiaux monstrueux. Les faits et gestes, comme les raisons et l’échec de la révolte tardive de Marguerite Delamarre, victime complexe des préjugés de son temps, gardent encore, quant à eux, une bonne part de leur opacité.
 
Oublieux de la « préface-annexe » du roman (rédigée dès 1770, elle révèle le canular) et de son contexte de rédaction, les admirateurs-admiratrices de La Religieuse et de ses variantes cinématographiques (Jacques Rivette en 1967 et Guillaume Nicloux en 2013) aiment aujourd’hui s’identifier à cette héroïne émouvante devenue exotique : mœurs conventuelles caduques et comportements familiaux monstrueux. Les faits et gestes, comme les raisons et l’échec de la révolte tardive de Marguerite Delamarre, victime complexe des préjugés de son temps, gardent encore, quant à eux, une bonne part de leur opacité.
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==Principales sources==
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* Inventaire des pièces déposées au département des manuscrits de la BnF (affaire Delamarre : arrêts, lettres, interrogatoires, notes de procédure, etc.) et aux Archives départementales de la Seine-et-Oise (registres du monastère de Saint-Eutrope), dans Georges May, voir Choix bibliographique, p. 239-240-245.
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* Diderot, Denis, ''La Religieuse'', Préface et commentaires par Annie Collognat-Barès, Paris, Pocket « Classiques », 1999 [nombreux documents à l’appui].
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* ''Mémoire pour Dame Marguerite Roussin, Veuve de Claude de la Marre, Ecuyer, Secrétaire du Roy, appelante comme d’abus. Contre Sœur Marguerite de la Marre, Religieuse professe de l’Abbaye de Longchamps intimée'', Paris, Imprimerie de Paulus-du-Mesnil, 1755.
  
 
==Choix bibliographique==
 
==Choix bibliographique==

Version actuelle en date du 12 juin 2016 à 10:37

Marguerite Delamarre
Biographie
Date de naissance 9 janvier 1717
Date de décès après 1790
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Nicole Pellegrin, 2015

Devenue grâce à Diderot un personnage de fiction sous le nom de Suzanne Simonin, Marguerite Delamarre est née à Paris le 9 janvier 1717 du légitime mariage de Marguerite Roussin et de Claude Delamarre, un riche orfèvre-joaillier qui meurt en 1750 après avoir dévolu sa fortune à son épouse et avoir acheté une seigneurie et une charge, anoblissante, de conseiller du roi (sa veuve signe de La Marre). La petite fille (aînée de trois frères morts jeunes) est mise en nourrice dès sa naissance et voudra se croire, plus tard, victime d’une substitution d’enfant. Âgée de 3 ans, elle devient pensionnaire, le 23 mai 1720, à l’abbaye royale des clarisses urbanistes de Longchamp, avant d’être placée, du 27 février 1721 à mars 1724, au couvent des ursulines de Chartres, puis, du 6 mai 1725 au 29 novembre 1731, à la Visitation de la rue du Bac à Paris. Un projet de mariage avorte et son père, l’accusant d’être une fille « dépravée », lui donne le choix entre une « maison de force » et la clôture. Le 16 juin 1732, elle choisit d’entrer aux bénédictines du Val-de-Grâce à Paris, mais les moniales auraient refusé de la garder, pointant le caractère forcé de sa vocation et les pressions exercées par ses parents. Marguerite fait alors retour à Longchamp comme postulante le 20 juillet 1734 ; elle y prend l’habit le 26 janvier 1735 à 18 ans et devient professe le 30 janvier 1736. De ce « couvent-boudoir », où elle vivra plus de 55 ans, Marguerite tente de s’échapper légalement au bout de 16 ans d’une vie religieuse sans doute peu austère, d’autant qu’elle est chantre et tourière. Le 2 septembre 1752, aidée par une amie de l’ingénieur Jacques Vaucanson (venu établir des métiers à soie), elle dépose une requête devant l’Officialité de Paris pour être relevée de ses vœux, mais elle est déboutée le 28 août 1756 : un délai de 5 ans ne doit pas être dépassé entre la profession et sa récusation. Pourtant, elle fait appel devant le parlement de Paris le 17 septembre suivant. Un mémoire en sa faveur est publié le 31 janvier 1758 qui rend publique l’affaire et suscite l’intérêt du marquis de Croismare, un ami de Diderot et de madame d’Epinay, hostiles comme nombre de leurs contemporain-e-s, aux vocations religieuses contraintes. Le procès, perdu le 17 mars 1758, met fin à tout espoir d’un retour dans « le monde » et voit le triomphe de la mère de Marguerite. En juillet 1790, vivait encore « Marguerite de Lamarre, 73 ans, à Notre-Dame de Meaux en Brie » éloignée de son couvent désormais devenu bien national. Grâce aux investigations de Georges May, les tribulations judiciaires de Marguerite et sa transfiguration en protagoniste, involontaire et masquée, d’une mystification littéraire, sont désormais assez bien connues. La ténacité de la vraie religieuse nous émerveille, d’autant que sa démarche (un échec, et non un succès comme dans la fiction) est à l’origine d’un complot ourdi conjointement par Diderot, Grimm et Emilie d’Epinay, pour faire revenir à Paris, leur ami Croismare, « le charmant marquis ». Ils rédigent à trois les lettres pathétiques d’une prétendue religieuse en fuite et Diderot se lance dans l’écriture de mémoires tout aussi fictifs, pages qui, remaniées, donnent le jour en 1760 à un premier manuscrit de La Religieuse. Repris en 1780, il est publié de façon posthume seulement en 1796. Ce « conte historique » (terme préféré par Diderot à celui de roman) est donc fondé sur une double réalité : d’une part, un procès véritable mais énigmatique dans le détail et, d’autre part, l’engagement d’un écrivain désireux de faire « la satire des couvents » tout en dénonçant le goût du mensonge-vrai que répandent alors les romans à la mode en forme de lettres-mémoires. Oublieux de la « préface-annexe » du roman (rédigée dès 1770, elle révèle le canular) et de son contexte de rédaction, les admirateurs-admiratrices de La Religieuse et de ses variantes cinématographiques (Jacques Rivette en 1967 et Guillaume Nicloux en 2013) aiment aujourd’hui s’identifier à cette héroïne émouvante devenue exotique : mœurs conventuelles caduques et comportements familiaux monstrueux. Les faits et gestes, comme les raisons et l’échec de la révolte tardive de Marguerite Delamarre, victime complexe des préjugés de son temps, gardent encore, quant à eux, une bonne part de leur opacité.

Principales sources

  • Inventaire des pièces déposées au département des manuscrits de la BnF (affaire Delamarre : arrêts, lettres, interrogatoires, notes de procédure, etc.) et aux Archives départementales de la Seine-et-Oise (registres du monastère de Saint-Eutrope), dans Georges May, voir Choix bibliographique, p. 239-240-245.
  • Diderot, Denis, La Religieuse, Préface et commentaires par Annie Collognat-Barès, Paris, Pocket « Classiques », 1999 [nombreux documents à l’appui].
  • Mémoire pour Dame Marguerite Roussin, Veuve de Claude de la Marre, Ecuyer, Secrétaire du Roy, appelante comme d’abus. Contre Sœur Marguerite de la Marre, Religieuse professe de l’Abbaye de Longchamps intimée, Paris, Imprimerie de Paulus-du-Mesnil, 1755.

Choix bibliographique

  • Choudhury, Mita, Convents and Nuns in Eighteenth-Century : French Politics and Culture, Ithaca, Cornell U. P., 2004.
  • Duchesne, Gaston, Histoire de l’abbaye royale de Longchamp (1255-1789), Paris, Daragon, 1906.
  • May, Georges, Diderot et La Religieuse, Paris, P. U. F., 1954.
  • Vogels, Christian, « Marguerite Delamarre, la véritable religieuse », dans Jean-Olivier Majastre (dir.), Du canular dans l’art et la littérature, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 190-195.

Jugements

  • « Cette fille n’a jamais été Religieuse devant Dieu ni devant les hommes. […] La Communauté a eu horreur de toutes les calomnies qu’elle [Marguerite Delamarre] a débitées et fait débiter contre leur Maison » (Interrogatoire de la communauté de Longchamp, 1er juin 1756, signé par 22 des 24 religieuses : seules les sœurs Delamarre et Remy ne le paraphent pas ; cité par G. May, op. cit., p. 65 et 71).
  • « On avait parlé dans le monde, avec beaucoup d’intérêt, d’une jeune religieuse de Longchamp qui réclamait juridiquement contre ses vœux, auxquels elle avait été forcée par ses parents. Cette pauvre recluse intéressa tellement notre marquis [Croismare] que, sans l’avoir vue, sans savoir son nom, sans même s’assurer de la vérité des faits, il alla solliciter en sa faveur tous les conseillers de grand’chambre du parlement de Paris. Malgré cette intercession généreuse, je ne sais par quel malheur, la sœur Suzanne Simonin [Delamarre] perdit son procès, et ses vœux furent jugés valables. M. Diderot résolut de faire revivre cette aventure à notre profit. […] » (Diderot-Grimm, « Préface-Annexe » de La Religieuse, rééd. par Annie Collognat-Barès, Paris, Pocket, 1999, p. 216).
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