Marguerite Briet : Différence entre versions

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== Notice de [[Jean-Philippe Beaulieu]], 2003 ==
  
On sait fort peu de choses sur la personne et l'existence d'Hélisenne de Crenne. Les données recueillies à son sujet, notamment par Louis Loviot au début du XXe siècle, révèlent toutefois qu'il s'agit du nom de plume utilisé par une dame picarde, Marguerite Briet, originaire d'Abbeville, épouse de Philippe Fournel, sieur de Crenne. En dehors de ses propres textes, que l'on a souvent lus sur le mode autoréférentiel, les seuls écrits contemporains la concernant se limitent à des documents légaux indiquant qu'elle s'est séparée de son mari et suggérant qu'elle est née vers 1510 et morte après le 25 août 1552. Malheureusement, bien que des témoignages contemporains signalent son érudition (l'Historia Picardiae de Nicolas Rumet [deuxième moitié du XVIe siècle] parle d'elle comme d'une «perdocta mulier» habitant Paris en 1540), ses liens avec le monde des lettres et de l'édition se résument à des supputations.  
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On sait fort peu de choses sur la personne et l'existence d'Hélisenne de Crenne. Les données recueillies à son sujet, notamment par Louis Loviot au début du XXe siècle, révèlent toutefois qu'il s'agit du nom de plume utilisé par une dame picarde, Marguerite Briet, originaire d'Abbeville, épouse de Philippe Fournel, sieur de Crenne. En dehors de ses propres textes, que l'on a souvent lus sur le mode autoréférentiel, les seuls écrits contemporains la concernant se limitent à des documents légaux indiquant qu'elle s'est séparée de son mari et suggérant qu'elle est née vers 1510 et morte après le 25 août 1552. Malheureusement, bien que des témoignages contemporains signalent son érudition (l'''Historia Picardiae'' de Nicolas Rumet [deuxième moitié du XVIe siècle] parle d'elle comme d'une «''perdocta mulier''» habitant Paris en 1540), ses liens avec le monde des lettres et de l'édition se résument à des supputations.
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Il convient de souligner la façon dont le profil imprécis de l'auteure contraste avec l'intérêt, parfois controversé (voir le premier chapitre de l'ouvrage de D. Wood), que ses textes ont suscité à son époque, au point d'être publiés à plusieurs reprises de 1538 jusqu'en 1560. Il s'agit là d'un indéniable succès de librairie, qui a valu à l'auteure une parution de ses OEuvres (réunies à partir de 1543), de même que, du point de vue stylistique, une mise au goût du jour de ce recueil par Claude Colet (en 1550). Loin d'être anodin, ce fait confère à ce recueil le double intérêt d'être l'un des premiers consacrés aux oeuvres d'un seul auteur, et celui de représenter le corpus féminin publié le plus substantiel avant les ''Marguerites'' de Marguerite de Navarre.
 
Il convient de souligner la façon dont le profil imprécis de l'auteure contraste avec l'intérêt, parfois controversé (voir le premier chapitre de l'ouvrage de D. Wood), que ses textes ont suscité à son époque, au point d'être publiés à plusieurs reprises de 1538 jusqu'en 1560. Il s'agit là d'un indéniable succès de librairie, qui a valu à l'auteure une parution de ses OEuvres (réunies à partir de 1543), de même que, du point de vue stylistique, une mise au goût du jour de ce recueil par Claude Colet (en 1550). Loin d'être anodin, ce fait confère à ce recueil le double intérêt d'être l'un des premiers consacrés aux oeuvres d'un seul auteur, et celui de représenter le corpus féminin publié le plus substantiel avant les ''Marguerites'' de Marguerite de Navarre.
 
   
 
   
Les écrits d'Hélisenne couvrent un large registre de pratiques narratives, tout en étant mis sous le signe d'une évidente unité thématique et stylistique. En effet, si l'on excepte la traduction parue en 1541 des quatre premiers livres de l'Énéide (et d'ailleurs exclue des OEuvres), les trois textes originaux d'Hélisenne se centrent à un moment ou à un autre sur la gestion des conséquences personnelles et sociales du désir adultère, dans une perspective principalement féminine. C'est d'ailleurs cet aspect qui a engagé nombre de commentateurs à en suggérer une lecture autobiographique, surtout pour les Angoysses douloureuses (1538), ample roman qui combine les traditions narratives sentimentale et chevaleresque et qui met en scène, dans sa première partie, une Hélisenne à la fois personnage, narratrice et figure auctoriale. Une telle lecture est cependant de moins en moins fréquente puisque, d'une part, la minceur des renseignements biographiques ne permet guère de la confirmer et que, d'autre part, les travaux récents s'attachent davantage à mettre en relief non seulement l'importance de la rhétorique, mais aussi la complexité des procédés littéraires de duplication et de spécularité qui y sont mis en oeuvre. D'un texte à l'autre, on peut par ailleurs noter une mise à distance progressive de l'autoréférentialité, puisque les Epistres de 1539 et, surtout, le Songe de 1541 transposent les enjeux du roman de 1538 dans des sphères discursives de plus en plus savantes et abstraites, liées, dans le cas du recueil épistolaire, à la question de l'accès des femmes à l'écriture. À ce titre, les épîtres invectives (particulièrement la troisième) sont souvent considérées comme une véritable apologie des femmes, d'autant plus intéressante qu'elle provient de la plume d'une persona féminine.
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Les écrits d'Hélisenne couvrent un large registre de pratiques narratives, tout en étant mis sous le signe d'une évidente unité thématique et stylistique. En effet, si l'on excepte la traduction parue en 1541 des quatre premiers livres de l'''Énéide'' (et d'ailleurs exclue des ''OEuvres''), les trois textes originaux d'Hélisenne se centrent à un moment ou à un autre sur la gestion des conséquences personnelles et sociales du désir adultère, dans une perspective principalement féminine. C'est d'ailleurs cet aspect qui a engagé nombre de commentateurs à en suggérer une lecture autobiographique, surtout pour les ''Angoysses douloureuses'' (1538), ample roman qui combine les traditions narratives sentimentale et chevaleresque et qui met en scène, dans sa première partie, une Hélisenne à la fois personnage, narratrice et figure auctoriale. Une telle lecture est cependant de moins en moins fréquente puisque, d'une part, la minceur des renseignements biographiques ne permet guère de la confirmer et que, d'autre part, les travaux récents s'attachent davantage à mettre en relief non seulement l'importance de la rhétorique, mais aussi la complexité des procédés littéraires de duplication et de spécularité qui y sont mis en oeuvre. D'un texte à l'autre, on peut par ailleurs noter une mise à distance progressive de l'autoréférentialité, puisque les ''Epistres'' de 1539 et, surtout, le Songe de 1541 transposent les enjeux du roman de 1538 dans des sphères discursives de plus en plus savantes et abstraites, liées, dans le cas du recueil épistolaire, à la question de l'accès des femmes à l'écriture. À ce titre, les épîtres invectives (particulièrement la troisième) sont souvent considérées comme une véritable apologie des femmes, d'autant plus intéressante qu'elle provient de la plume d'une ''persona'' féminine.
  
 
En dépit des nombreuses études qui lui ont été consacrées ces dernières années, le statut de cet ensemble textuel dans le monde des lettres de la première moitié du XVIe siècle reste encore à préciser. Si on a amplement souligné le substantiel travail d'emprunt à diverses sources (Boccace, Caviceo, Lemaire de Belges, etc.) qui y est effectué, il faut bien convenir que le résultat représente plus que la simple somme des parties. C'est un travail soutenu d'exploration des formes narratives et des procédés didactiques auquel se livre Hélisenne et qui, par le choix des formes et des procédés (dont les latinismes que lui reproche E. Pasquier, voir infra, «jugements»), semble soutenir l'hypothèse, suggérée par Robert Cottrell, d'un désir de participation au mouvement humaniste. Séduisante, cette hypothèse permet de mieux saisir les modulations génériques du matériau thématique qui sert de pivot à l'ensemble de l'oeuvre, de même que de comprendre la finalité des jeux d'identité qui conjuguent le simple et le multiple.
 
En dépit des nombreuses études qui lui ont été consacrées ces dernières années, le statut de cet ensemble textuel dans le monde des lettres de la première moitié du XVIe siècle reste encore à préciser. Si on a amplement souligné le substantiel travail d'emprunt à diverses sources (Boccace, Caviceo, Lemaire de Belges, etc.) qui y est effectué, il faut bien convenir que le résultat représente plus que la simple somme des parties. C'est un travail soutenu d'exploration des formes narratives et des procédés didactiques auquel se livre Hélisenne et qui, par le choix des formes et des procédés (dont les latinismes que lui reproche E. Pasquier, voir infra, «jugements»), semble soutenir l'hypothèse, suggérée par Robert Cottrell, d'un désir de participation au mouvement humaniste. Séduisante, cette hypothèse permet de mieux saisir les modulations génériques du matériau thématique qui sert de pivot à l'ensemble de l'oeuvre, de même que de comprendre la finalité des jeux d'identité qui conjuguent le simple et le multiple.
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== Oeuvres ==
 
== Oeuvres ==
  
- 1538 : Les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours, Paris, Denys Janot -- Éd. Christine de Buzon, Paris, Honoré Champion, 1997.<br/>
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- 1538 : ''Les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours'', Paris, Denys Janot -- Éd. Christine de Buzon, Paris, Honoré Champion, 1997.<br/>
- 1539 : Les Epistres familieres et invectives de ma dame Helisenne, Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu et Hannah Fournier, Presses de l'Université de Montréal, 1995.<br/>
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- 1539 : ''Les Epistres familieres et invectives de ma dame Helisenne'', Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu et Hannah Fournier, Presses de l'Université de Montréal, 1995.<br/>
- 1540 : Le Songe de madame Helisenne, Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu, Paris, Indigo & Côté-femmes, 1995.<br/>
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- 1540 : ''Le Songe de madame Helisenne'', Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu, Paris, Indigo & Côté-femmes, 1995.<br/>
- 1541 : Les quatre premiers livres des Eneydes, Paris, Denys Janot.<br/>
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- 1541 : ''Les quatre premiers livres des Eneydes'', Paris, Denys Janot.<br/>
- 1543 : Les Oeuvres de ma dame Helisenne, Paris, Charles Langelier.<br/>
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- 1543 : ''Les Oeuvres de ma dame Helisenne'', Paris, Charles Langelier.<br/>
- 1551 : Les Oeuvres de ma dame Helisenne (texte corrigé par C. Colet), Paris, Etienne Grouleau.<br/>
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- 1551 : ''Les Oeuvres de ma dame Helisenne'' (texte corrigé par C. Colet), Paris, Etienne Grouleau.<br/>
  
 
== Choix bibliographique ==
 
== Choix bibliographique ==
  
* Beaulieu, Jean-Philippe et Diane Desrosiers-Bonin (dir.). Hélisenne de Crenne. L'écriture et ses doubles. Paris, Honoré Champion (à paraître).<br/>
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* Beaulieu, Jean-Philippe et Diane Desrosiers-Bonin (dir.).'' Hélisenne de Crenne. L'écriture et ses doubles''. Paris, Honoré Champion (à paraître).<br/>
- Buzon, Christine de. Notice «Helisenne de Crenne», in Michel Simonin (dir.), Dictionnaire des lettres françaises. Le XVIe siècle. Paris, Fayard/Librairie générale française «La Pochothèque», 2001, p.306-309.<br/>
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- Buzon, Christine de. Notice «Helisenne de Crenne», in Michel Simonin (dir.),'' Dictionnaire des lettres françaises. Le XVIe siècle''. Paris, Fayard/Librairie générale française «La Pochothèque», 2001, p.306-309.<br/>
* Buzon, Christine de. «Introduction» à l'édition critique des Angoysses douloureuses qui procedent d'amours (voir supra, «Oeuvres»).<br/>
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* Buzon, Christine de. «Introduction» à l'édition critique des ''Angoysses douloureuses qui procedent d'amours'' (voir supra, «Oeuvres»).<br/>
- Cottrell, Robert D. «Hélisenne de Crenne's Le Songe», in Colette H. Winn et Donna Kuizenga (dir.), Women Writers in Pre-Revolutionary France. Strategies of Emancipation. New York/Londres, Garland, 1997, p.189-206.<br/>
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- Cottrell, Robert D. «Hélisenne de Crenne's Le Songe», in Colette H. Winn et Donna Kuizenga (dir.), ''Women Writers in Pre-Revolutionary France. Strategies of Emancipation''. New York/Londres, Garland, 1997, p.189-206.<br/>
* Wood, Diane S. Helisenne de Crenne. At the Crossroads of Renaissance Humanism and Feminism. Madison (Wisconsin) et Teaneck (New Jersey)/Londres, Fairleigh Dickinson University Press/Associated University Presses, 2000.<br/>
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* Wood, Diane S. ''Helisenne de Crenne. At the Crossroads of Renaissance Humanism and Feminism''. Madison (Wisconsin) et Teaneck (New Jersey)/Londres, Fairleigh Dickinson University Press/Associated University Presses, 2000.<br/>
  
 
== Jugements ==
 
== Jugements ==
  
- «[...] la Picardye ne reçoit peu d'honneur par l'Esprit merveilleux de sa fille Helisenne. Les Compositions de laquelle sont si souvent es mains des François se delectans de Prose, qu'il n'est besoin en faire autre discours.» (François de Billon, Le Fort inexpugnable de l'honneur du Sexe Feminin,1555).<br/>
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- «[...] la Picardye ne reçoit peu d'honneur par l'Esprit merveilleux de sa fille Helisenne. Les Compositions de laquelle sont si souvent es mains des François se delectans de Prose, qu'il n'est besoin en faire autre discours.» (François de Billon, ''Le Fort inexpugnable de l'honneur du Sexe Feminin'',1555).<br/>
- «Le semblable devons nous faire chacun de nous en nostre endroit, pour l'ornement de nostre langue, & nous ayder mesme du Grec et du Latin, non pour les escorcher ineptement, comme fit en nostre jeune aage Helisaine, dont notre gentil Rabelais s'est mocqué fort à propos en la personne de l'escolier Limosin, qu'il introduit parlant à Pantagruel en un langage escorche-latin [...]» (Etienne Pasquier, Lettres, livre II, lettre XII).<br/>
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- «Le semblable devons nous faire chacun de nous en nostre endroit, pour l'ornement de nostre langue, & nous ayder mesme du Grec et du Latin, non pour les escorcher ineptement, comme fit en nostre jeune aage Helisaine, dont notre gentil Rabelais s'est mocqué fort à propos en la personne de l'escolier Limosin, qu'il introduit parlant à Pantagruel en un langage escorche-latin [...]» (Etienne Pasquier, ''Lettres'', livre II, lettre XII).<br/>
  
 
[[en:Marguerite Briet]]
 
[[en:Marguerite Briet]]

Version du 13 février 2011 à 17:23

Marguerite Briet
Conjoint(s) Philippe Fournel, sieur de Crenne
Dénomination(s) Hélisenne de Crenne
Biographie
Date de naissance vers 1510
Date de décès après 25 août 1552
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Jean-Philippe Beaulieu, 2003

On sait fort peu de choses sur la personne et l'existence d'Hélisenne de Crenne. Les données recueillies à son sujet, notamment par Louis Loviot au début du XXe siècle, révèlent toutefois qu'il s'agit du nom de plume utilisé par une dame picarde, Marguerite Briet, originaire d'Abbeville, épouse de Philippe Fournel, sieur de Crenne. En dehors de ses propres textes, que l'on a souvent lus sur le mode autoréférentiel, les seuls écrits contemporains la concernant se limitent à des documents légaux indiquant qu'elle s'est séparée de son mari et suggérant qu'elle est née vers 1510 et morte après le 25 août 1552. Malheureusement, bien que des témoignages contemporains signalent son érudition (l'Historia Picardiae de Nicolas Rumet [deuxième moitié du XVIe siècle] parle d'elle comme d'une «perdocta mulier» habitant Paris en 1540), ses liens avec le monde des lettres et de l'édition se résument à des supputations.

Il convient de souligner la façon dont le profil imprécis de l'auteure contraste avec l'intérêt, parfois controversé (voir le premier chapitre de l'ouvrage de D. Wood), que ses textes ont suscité à son époque, au point d'être publiés à plusieurs reprises de 1538 jusqu'en 1560. Il s'agit là d'un indéniable succès de librairie, qui a valu à l'auteure une parution de ses OEuvres (réunies à partir de 1543), de même que, du point de vue stylistique, une mise au goût du jour de ce recueil par Claude Colet (en 1550). Loin d'être anodin, ce fait confère à ce recueil le double intérêt d'être l'un des premiers consacrés aux oeuvres d'un seul auteur, et celui de représenter le corpus féminin publié le plus substantiel avant les Marguerites de Marguerite de Navarre.

Les écrits d'Hélisenne couvrent un large registre de pratiques narratives, tout en étant mis sous le signe d'une évidente unité thématique et stylistique. En effet, si l'on excepte la traduction parue en 1541 des quatre premiers livres de l'Énéide (et d'ailleurs exclue des OEuvres), les trois textes originaux d'Hélisenne se centrent à un moment ou à un autre sur la gestion des conséquences personnelles et sociales du désir adultère, dans une perspective principalement féminine. C'est d'ailleurs cet aspect qui a engagé nombre de commentateurs à en suggérer une lecture autobiographique, surtout pour les Angoysses douloureuses (1538), ample roman qui combine les traditions narratives sentimentale et chevaleresque et qui met en scène, dans sa première partie, une Hélisenne à la fois personnage, narratrice et figure auctoriale. Une telle lecture est cependant de moins en moins fréquente puisque, d'une part, la minceur des renseignements biographiques ne permet guère de la confirmer et que, d'autre part, les travaux récents s'attachent davantage à mettre en relief non seulement l'importance de la rhétorique, mais aussi la complexité des procédés littéraires de duplication et de spécularité qui y sont mis en oeuvre. D'un texte à l'autre, on peut par ailleurs noter une mise à distance progressive de l'autoréférentialité, puisque les Epistres de 1539 et, surtout, le Songe de 1541 transposent les enjeux du roman de 1538 dans des sphères discursives de plus en plus savantes et abstraites, liées, dans le cas du recueil épistolaire, à la question de l'accès des femmes à l'écriture. À ce titre, les épîtres invectives (particulièrement la troisième) sont souvent considérées comme une véritable apologie des femmes, d'autant plus intéressante qu'elle provient de la plume d'une persona féminine.

En dépit des nombreuses études qui lui ont été consacrées ces dernières années, le statut de cet ensemble textuel dans le monde des lettres de la première moitié du XVIe siècle reste encore à préciser. Si on a amplement souligné le substantiel travail d'emprunt à diverses sources (Boccace, Caviceo, Lemaire de Belges, etc.) qui y est effectué, il faut bien convenir que le résultat représente plus que la simple somme des parties. C'est un travail soutenu d'exploration des formes narratives et des procédés didactiques auquel se livre Hélisenne et qui, par le choix des formes et des procédés (dont les latinismes que lui reproche E. Pasquier, voir infra, «jugements»), semble soutenir l'hypothèse, suggérée par Robert Cottrell, d'un désir de participation au mouvement humaniste. Séduisante, cette hypothèse permet de mieux saisir les modulations génériques du matériau thématique qui sert de pivot à l'ensemble de l'oeuvre, de même que de comprendre la finalité des jeux d'identité qui conjuguent le simple et le multiple.

Oeuvres

- 1538 : Les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours, Paris, Denys Janot -- Éd. Christine de Buzon, Paris, Honoré Champion, 1997.
- 1539 : Les Epistres familieres et invectives de ma dame Helisenne, Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu et Hannah Fournier, Presses de l'Université de Montréal, 1995.
- 1540 : Le Songe de madame Helisenne, Paris, Denys Janot -- Éd. Jean-Philippe Beaulieu, Paris, Indigo & Côté-femmes, 1995.
- 1541 : Les quatre premiers livres des Eneydes, Paris, Denys Janot.
- 1543 : Les Oeuvres de ma dame Helisenne, Paris, Charles Langelier.
- 1551 : Les Oeuvres de ma dame Helisenne (texte corrigé par C. Colet), Paris, Etienne Grouleau.

Choix bibliographique

  • Beaulieu, Jean-Philippe et Diane Desrosiers-Bonin (dir.). Hélisenne de Crenne. L'écriture et ses doubles. Paris, Honoré Champion (à paraître).

- Buzon, Christine de. Notice «Helisenne de Crenne», in Michel Simonin (dir.), Dictionnaire des lettres françaises. Le XVIe siècle. Paris, Fayard/Librairie générale française «La Pochothèque», 2001, p.306-309.

  • Buzon, Christine de. «Introduction» à l'édition critique des Angoysses douloureuses qui procedent d'amours (voir supra, «Oeuvres»).

- Cottrell, Robert D. «Hélisenne de Crenne's Le Songe», in Colette H. Winn et Donna Kuizenga (dir.), Women Writers in Pre-Revolutionary France. Strategies of Emancipation. New York/Londres, Garland, 1997, p.189-206.

  • Wood, Diane S. Helisenne de Crenne. At the Crossroads of Renaissance Humanism and Feminism. Madison (Wisconsin) et Teaneck (New Jersey)/Londres, Fairleigh Dickinson University Press/Associated University Presses, 2000.

Jugements

- «[...] la Picardye ne reçoit peu d'honneur par l'Esprit merveilleux de sa fille Helisenne. Les Compositions de laquelle sont si souvent es mains des François se delectans de Prose, qu'il n'est besoin en faire autre discours.» (François de Billon, Le Fort inexpugnable de l'honneur du Sexe Feminin,1555).
- «Le semblable devons nous faire chacun de nous en nostre endroit, pour l'ornement de nostre langue, & nous ayder mesme du Grec et du Latin, non pour les escorcher ineptement, comme fit en nostre jeune aage Helisaine, dont notre gentil Rabelais s'est mocqué fort à propos en la personne de l'escolier Limosin, qu'il introduit parlant à Pantagruel en un langage escorche-latin [...]» (Etienne Pasquier, Lettres, livre II, lettre XII).

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