Madeleine Béjart

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Madeleine Béjart
Dénomination(s) Mlle Béjart
Biographie
Date de naissance 8 janvier 1618
Date de décès 17 février 1672
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Autre(s) dictionnaire(s) en ligne
Dictionnaire CESAR - Calendrier électronique des spectacles sous l'Ancien Régime et sous la Révolution



Notice de Claudine Nédelec, 2022

Madeleine, née à Paris, est la deuxième enfant de Joseph Béjart, qui se déclare à sa naissance «huissier ordinaire du roi ès eaux et forêts de France au Palais», et de Marie Hervé, «maîtresse toilière-lingère», mariés en 1615 (ils eurent 9 enfants). Une certaine instabilité du père entraîne des difficultés financières, et Marie Hervé demande en 1632 une séparation de biens. À ses 15 ans, on promet Madeleine à un mariage bourgeois, mais le contrat est annulé, on ne sait pourquoi. Très jeune, ayant reçu une bonne éducation, sachant chanter et danser, elle fréquente les milieux du théâtre, sans doute par Marie Courtin, demi-sœur de sa mère, qui épouse en 1636 J.-B. L’Hermite de Vauselle, frère cadet de Tristan L’Hermite (qui triomphe alors avec La Mariane), lui-même homme de lettres. Est alors publié, sous la signature de Madeleine, un poème d’éloge en l’honneur de Rotrou, pour son Hercule mourant. Rien ne prouve qu’elle aurait dès lors commencé une carrière de comédienne, comme on l’a dit. Peut-être est-ce J.-B. L’Hermite qui la présente à Esprit de Rémond, chevalier, puis comte de Modène, chambellan de Gaston d’Orléans : émancipée par ses parents, elle devient sa maîtresse, et il lui offre une maison, sous la forme d’une vente fictive.
En 1638, elle donne naissance à une fille, baptisée comme enfant illégitime, mais reconnue par le père. Cette fille semble n’avoir pas survécu, et peut-être Madeleine en a-t-elle eu une seconde en 1641 (voir Armande Béjart), car elle reste liée avec Esprit de Modène, malgré les déplacements de celui-ci en province et ses tribulations politiques et économiques.
On ne sait pas dans quelles circonstances elle rencontre Molière (les deux familles n’étaient pas sans liens), avant de signer avec lui et un groupe de (futur.es) comédien.nes (dont son frère aîné Joseph et sa sœur Geneviève) le contrat de fondation de l’Illustre Théâtre (juin 1643). Ce contrat, qui en fait une comédienne professionnelle, lui assure non seulement une part identique à celle des hommes, mais aussi le libre choix de ses rôles. Malgré de grands succès – Madeleine s’illustre dans le rôle d’Épicharis de La Mort de Sénèque de Tristan l’Hermite – l’Illustre Théâtre cumule les dettes, et fait faillite. En 1646, Molière, Madeleine et quelques autres partent rejoindre la troupe itinérante de Charles Dufresne, sous la protection du duc d’Épernon, puis du Prince de Conti. Ce furent des années fastes, où la troupe a gagné beaucoup d’argent (rien à voir avec l’image misérabiliste qu’on en a donnée).
Madeleine avait pris de bonne heure l’habitude d’administrer ses propres affaires ; pendant le long séjour que la troupe fait en province, elle continue, non seulement de gérer celles de la troupe, mais aussi de veiller à ses intérêts : on retrouve de nombreux actes notariés signés, ou cosignés, par elle. Après le retour à Paris (1658), elle crée le rôle de Madelon des Précieuses ridicules. Dans L’Impromptu de Versailles, elle est définie comme « prude » ; mais elle donne d’excellents conseils à l’auteur et directeur de troupe Molière, et théorise fort clairement la différence entre le comédien et l’homme. Elle joue aussi Jocaste dans La Thébaïde de Racine.
On connaît souvent mal la distribution des créations de Molière, et des pièces d’autres auteurs qu’il monte avec sa troupe, mais il est certain qu’elle ne cesse pas de jouer. Chapelle fait état (en 1659) de dissensions dans la troupe ; il évoque une lettre de Molière où celui-ci se plaint des « partialités de [ses] trois grandes actrices pour la distribution de [ses] rôles » (Madeleine, Catherine de Brie et Marquise du Parc). Après les débuts d’Armande, et l’âge venant, elle laisse les premiers rôles pour des emplois de servante (Dorine dans Le Tartuffe) ou de femme d’intrigue (Frosine dans L’Avare). Après avoir réglé, avec l’accord de Molière et Armande, la succession de sa mère Marie Hervé, elle tombe malade en janvier 1672, fait son testament, léguant une fortune assez considérable à Armande (nouvelle preuve qu’il s’agissait bien de sa fille), et reçoit les derniers sacrements ; ayant pu renoncer à sa profession de comédienne comme l’exigeait l’Église, elle est inhumée sans difficulté.
Si l’on ignore la part qu’elle a pu prendre aux œuvres de Molière, il est certain qu’elle joua un rôle essentiel non seulement dans sa vie affective, mais aussi dans la réussite de sa carrière professionnelle, en « femme de théâtre » complète : comédienne, administratrice, autrice, conseillère littéraire.

Principales sources

  • Acte de naissance de Françoise (11 juillet 1638): « Onzième de juillet, fut baptisée Françoise, née du samedi troisième de ce présent mois, fille de messire Esprit Raymond, chevalier, seigneur de Modène et autres lieux, chambellan des affaires de Monseigneur, frère unique du roi, et de damoiselle Madeleine Béjard, la mère, demeurant rue Saint-Honoré ; le parrain, Jean-Baptiste de L’Hermite, écuyer, seigneur de Vauselle, tenant pour messire Gaston-Jean-Baptiste de Raymond, aussi chevalier, seigneur de Modène ; la marraine, damoiselle Marie Hervé, femme de Joseph Béjard, écuyer » (publié par Louis-François Beffara, Dissertation sur J. B. Poquelin-Molière, sur ses ancêtres, l’époque de sa naissance qui avait été inconnue jusqu’à présent, Paris, Vente, 1821, p. 13-14).
  • Contrat de fondation de l’Illustre théâtre, dans Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris, SEVPEN, 1963, p. 224-226 [1]
  • Claude-Emmanuel Luillier, dit Chapelle, "Lettre à Molière (printemps 1659)", Recueil des plus belles pièces des poètes français tant anciens que modernes, 1692, t. V, p. 40-45.

Choix bibliographique

  • Le Gallois de Grimarest, Jean-Léonor, La Vie de M. de Moliere, Paris, J. Le Febvre, 1705.
  • Chardon, Henri, Nouveaux documents sur les comédiens de campagne et la vie de Molière, t. 1, M. de Modène, ses deux femmes et Madeleine Béjart, Paris, Picard, 1886, t. 1.
  • Gilder, Rosamond, Ces femmes de théâtre, trad. Brigitte Chabrol, chapitre « Les Béjart », Paris, O. Perrin, 1967, préf. de Jeanne Laurent [éd. originale américaine : Enter the actress: the first women in the theatre, Boston/New York, Houghton Mifflin Company ; Cambridge, The Riverside Press, 1931].
  • Lyonnet, Henri, « Les Initiatrices : Madeleine Béjart et Molière », La Revue Belge, 1er déc 1925, p. 299-306.
  • Forestier, Georges, Molière, Paris, NRF Gallimard, 2018.

Choix iconographique

  • XVIIe siècle: Anonyme, "Madeleine Béjart jouant le rôle de Magdelon dans Les Précieuses ridicules", huile sur pierre, école française du XVIIe siècle, localisation inconnue

Choix de liens électroniques

  • Gustave Larroumet, « Une Comédienne au XVIIe siècle - Madeleine Béjart », Revue des Deux Mondes, 3e période, t. 69, 1885 (p. 123-157) [2]
  • Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe [3]
  • Archives nationales : Madeleine Béjart [4]

Jugements

  • [Jean Magnon remercie le duc d’Épernon] pour « cette protection et ce secours [...] que vous avez donné à la plus malheureuse et à l’une des mieux méritantes Comédiennes de France. [...] Vous avez tiré cette infortunée d’un précipice où son mérite l’avait jetée, et vous avez remis sur le Théâtre un des plus beaux personnages qu’il ait jamais porté. Elle n’y est remontée, Monseigneur, qu’avec cette belle espérance de jouer un jour dignement son rôle dans cette illustre Pièce où sous des noms empruntés, l’on va représenter une partie de votre vie » (Jean Magnon, épître dédicatoire de Josaphat, Paris, A. de Sommaville, 1647, n. p.).
  • « Il faut finir par la Béjard. Je ne l’ai jamais vue jouer ; mais on dit que c’est la meilleure actrice de toutes. Elle est dans une troupe de campagne ; elle a joué à Paris, mais ç’a été dans une troisième troupe qui n’y fut que quelque temps. Son chef-d’œuvre, c’était le personnage d’Épicharis, à qui Néron venait de faire donner la question. [addition postérieure au retour de la troupe à Paris] Un garçon, nommé Molière, quitta les bancs de Sorbonne pour la suivre ; il en fut longtemps amoureux, donnait des avis à la troupe, et enfin s’en mit et l’épousa. » (Gédéon Tallemant des Réaux, Historiettes t. II, « Mondory ou l’histoire des principaux comédiens français », Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 778).
  • « Elle était belle, elle était galante, elle avait beaucoup d’esprit, elle chantait bien ; elle dansait bien ; elle jouait de toutes sortes d’instruments ; elle écrivait fort joliment en vers et en prose et sa conversation était fort divertissante. Elle était de plus une des meilleures actrices de son siècle et son récit avait tant de charmes qu’elle inspirait véritablement toutes les feintes passions qu’on lui voyait représenter sur le Théâtre. Cette aimable comédienne s’appelait Iébar. » (Georges de Scudéry, Almahide ou l’esclave reine, Paris, A. Courbé, 1661, Suite de la 2ème partie, t. II, p. 1536-1537).
  • Elle récite le Prologue des Fâcheux, éloge de Louis XIV par Paul Pellisson: « D’abord aux yeux de l’assemblée, // Parut un rocher fort bien fait // Qu’on le crut rocher en effet ; // Mais, insensiblement se changeant en coquille, // Il en sortit une Nymphe gentille // Qui ressemblait à la Béjart, // Nymphe excellente dans son art, // Et que pas une ne surpasse. » (Jean de La Fontaine, "Lettre à Maucroix" (dite « Relation d’une fête donnée à Vaux », 22 août 1661), Œuvres complètes, Paris, le Seuil, « L’intégrale », 1965, p. 23)
  • « Englobée dans la gloire de Molière, qui l’effaça, Madeleine Béjart n’a peut-être pas dans l’histoire du théâtre la place qu’e le mérite. Il est certain que sa prodigieuse entente des affaires évita plus d’une fois au poète bien des déboires dès le début de sa carrière. Elle fut le bon génie qui présida à l’éclosion de son œuvre. Femme d’esprit, blessée dans son amour, elle encore plus tard faire taire ses rancunes et s’incliner devant le fait accompli ». (Henry Lyonnet, Dictionnaire des comédiens français, Paris, Bibliothèque de la Revue Universelle Internationale Illustrée, 1902-1908, t. I, p. 125-129).
  • « En somme, grâce à un parcours qui lui aurait valu au XIXe siècle le titre de « demi-mondaine », Madeleine était une femme libre, accomplie, cultivée, artiste ». (Georges Forestier, Molière)
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