Louise de Bourbon/Hilarion de Coste

De SiefarWikiFr

[II,175] LOUYSE DE BOURBON, DUCHESSE DE LONGUEVILLE, et de Touteville (1).
LA devote et vertueuse Princesse Louyse de Bourbon, Duchesse de Longueville, estoit la fille aisnée de Charles de Bourbon Comte de Soissons, et d'Anne de Montasié sa femme. Elle nâquit à Paris dans l'Hostel de Soissons le 3. jour de May de l'an 1606. Elle fut nourrie premierement à la vertu et à la pieté par sa grande tante Eleonor de Bourbon, Abbesse, et Chef de l'Ordre de Font-Evraud. Ce fut en cette devote et Royale Abbaye où elle receut les ceremonies du Baptéme le 1. jour d'Avril de l'an 1610. et eut pour parrain le Roy Louys XIII. (lors Daufin de Viennois) et pour marraine la Reyne Marie de Toscane mere de sa Majesté. Aprés le decés d'Eleonor Abbesse de Font-Evraud, et de Charles Comte de Soissons, Louyse de Bourbon fut amenée à la Cour, où elle fut nourrie et élevée à la vertu par la Comtesse sa mere.
Sostrate avoit beau dire, qu'il estoit plus à louer de ce que la splendeur de sa race commençoit par luy, que s'il avoit des ancestres illustres devant soy. Ceux là meritent beaucoup plus de veneration, qui ayans des exemples glorieux devant eux en leur Maison, les representent encore en leurs personnes, et transportent cet heritage à leur posterité. Ceux-là sont comme neufs en l'exercice de la vertu, et ont quelque aspreté attachée à la bassesse de leur naissance: Ceux-cy entrent comme en une ancienne possession, et ne se trouvent pas nouveaux à l'exercer. Ce caractere parut bien tost en cette Princesse. Son berceau ne fut pas sans presage de sa haute naissance. Dés qu'elle sortit des maillots, et qu'elle commença à se connoistre, on pouvoit dire veritablement qu'elle estoit partagée en aisnée; son maintien et son jugement monstroient deslors qu'elle se-[176]roit l'une des pieuses Princesses de la Royale Maison de Bourbon.
Ses perfections et ses merites la firent rechercher en mariage par Henry d'Orleans II. du nom Duc de Longueville et de Touteville. Ce fut le dernier jour d'Avril de l'an 1617. que la ceremonie des noces de Louyse de Bourbon, et de Henry Duc de Longueville furent celebrées à Paris, en presence du Roy Louys XIII. de son oncle le Comte de Saint Paul: les Ducs de Vendosme, de Nevers, et de Mayenne qui estoient nouvellement arrivez en Cour, aprés la mort de Concino de Concini Marquis d'Ancre, et Mareschal de France, assisterent aux festins de ces noces-là. Jaques de Blavod Avocat au Conseil Privé du Roy, celebra en vers Latins un Epithalame sur ce mariage, duquel le Contract avoit esté passé en la mesme ville de Paris dés le 5. de Mars de la mesme année, en presence du Roy Louys le Juste, de la Reyne Marie sa mere, de la Reyne Anne sa femme, d'Anne Comtesse de Soissons, et de Louyse de Bourbon, assistée de Louys de Bourbon Comte de Soissons son frere d'une part. Caterine de Gonzague Duchesse de Longueville, veuve d'Henry I. Duc de Longueville, fondée en procuration speciale du Duc de Longueville son fils; en presence de la Princesse de Conty: du Comte de Saint Paul, oncle paternel du Duc de Longueville, de la Duchesse douairiere de Guyse, de Mademoiselle de Longueville, et du sieur Mangot (2) Garde des Seaux de France. Ce contract de mariage est signé par le feu Roy Louys XIII. les Reynes Marie et Anne: Anne de Montasié Comtesse de Soissons, nostre Louyse de Bourbon, Caterine de Gonzague Duchesse de Longueville, le Garde des Seaux Mangot, et le sieur Potier (3) Secretaire d'Estat, qui estoit feu Monsieur de Seaux.
Elle a eu trois enfans de ce genereux et sage Prince de la Maison d'Orleans-Longueville, deux fils, et une fille, sçavoir:
- N. d'Orleans Duc de Touteville, et Comte de Dunois né à Paris le 21. Juin 1626. et decedé aagé de deux ans, le 8. Juin 1628.
- [177] N. d'Orleans Comte de Dunois né aussi à Paris au mois de Janvier de l'an 1634. mourut incontinent aprés sa naissance.
Marie d'Orleans, fille unique, Princesse fort sage et vertueuse, aussi a-t'elle eu cet avantage d'avoir esté nourrie à la pieté et aux bonnes moeurs, premierement par sa mere nostre Louyse de Bourbon, et aprés son decés par son ayeule maternelle feue Madame la Comtesse de Soissons.
Cette Duchesse de Longueville a esté grandement honorée par feu Monsieur le Comte son frere, qui l'aymoit et la respectoit grandement pour sa vertu, et pour sa pieté. Elle luy a aussi rendu de grands honneurs et respects, comme si elle luy eust esté beaucoup inferieure.
Elle a assisté aussi au mariage de sa soeur puisnée, Marie de Bourbon qui a épousé le sixiesme de Janvier 1625. Thomas de Savoye Prince de Carignan, quatriéme fils de Charles-Emanuel I. Duc de Savoye, et de Caterine d'Espagne sa femme: dont elle a des enfans, comme je diray en l'Eloge de Marguerite de France Duchesse de Savoye.
Elle rendit des devoirs à sa 3. soeur Charlote-Anne de Bourbon, et durant sa vie, et aprés sa mort, dont le corps fut porté à Gaillon, et le coeur donné aux Capucines de la rue neuve Saint Honoré, suivant la volonté de cette jeune Princesse, où cette Duchesse de Longueville sa soeur aisnée le fit porter, et y fit mettre cette inscription sous un marbre blanc, vis à vis de celle de feue Madame la Duchesse d'Orleans:
Cy gist le coeur de tres-vertueuse Princesse Mademoiselle Charlote-Anne de Bourbon, fille de feu tres-haut et tres-excellent Prince Monseigneur Charles de Bourbon Comte de Soissons, Prince du Sang, Pair, et Grand Maistre de France, Gouverneur,et Lieutenant general pour le Roy en ses pays de Daufiné et de Normandie, et de tres-illustre et tres-excellente Princesse Madame Anne de Montasié ses pere et mere, qui deceda à Paris le Vendredy dixiéme jour de Novembre 1623.
Elle a receu de grands honneurs durant sa vie. Elle fit son entrée en la ville d'Amiens le huictiéme de Juin de [178] l'an 1619. où elle fut receue avec des cris de joye et des applaudissemens continuels des habitans, comme a remarqué Monsieur de la Morliere (4) au livre 3. des Antiquitez de cette ville capitale de la Province de Picardie, dont Monsieur le Duc son mary estoit lors Gouverneur. Ce Prince ayant esté depuis pourveu du Gouvernement de Normandie; elle fit aussi son entrée à Rouen, à Dieppe, et aux autres villes de cette grande Province, où sont les Duchez de Longueville et de Touteville, le Comté de Tancarville, et autres belles terres et Seigneuries qui appartiennent à cette Maison. Elle eut le contentement de voir associer avec grand honneur le Duc son mary à l'Ordre des Chevaliers du Saint Esprit par le feu Roy Louys XIII. les 14. et 15. de May, à la feste de la Pentecoste de l'an 1633. dans la salle de la belle Cheminée à Fontaine-bleau.
Parmy ces honneurs, et la confusion de tant de diverses choses qui sont inseparables des grandeurs et des plaisirs de la Cour, elle n'oublioit pas les exercices de devotion, et dés aussi tost qu'elle pouvoit dérober quelques jours, elle les employoit dans la conference des Religieuses reformées, entre autres avec les Capucines, celles du Port Royal, et les Carmelites, particulierement avec la Venerable Mere Magdelaine de Saint Joseph, dont le nom est en benediction parmy les devots de l'Ordre de Nostre-Dame du Mont-Carmel. L'Autheur de la vie de cette Religieuse Carmelite (5) de la Maison du Bois de Fonteine-Marans, remarque que cette Princesse disoit publiquement, que c'estoit la Mere Magdelaine qui luy avoit donné les premiers sentimens de la devotion, et le desir de servir Dieu avec plus de perfection qu'auparavant. En effet ce fut elle qui la porta doucement à l'exercice de l'Oraison, qui luy servit de directrice en la pratique de la vertu, et qui l'engagea dans les oeuvres de pieté, dans lesquelles elle a passé toute sa vie.
Et comme cette sage Princesse a esté tout le temps de sa vie dans une devotion ardente envers Dieu: ainsi elle a esté dans une conduite judicieuse envers les hommes. Elle sçavoit rendre sa presence agreable, et sa compagnie utile. Sa debonnaireté n'ostoit rien à sa grandeur, ny sa gravité [179] à sa douceur. Son courage ne l'emportoit jamais au delà de la raison, ny les déplaisirs qu'elle croyoit avoir receus, au delà des termes convenables. Elle estoit plus exacte à censurer ses propres defauts, que d'estaller ceux d'autruy; et quelque avantage qu'elle eust de son costé, elle estoit beaucoup plus severe à ses propres actions qu'à celles d'autruy. En somme son esprit estoit rare, son jugement ferme, sa conduite judicieuse, sa conversation prudente, ses propos sages, ses actions moderées, sa vie un exemple d'imitation. Toute la Cour de France la premiere de l'Univers, avoit des respects pour sa vertu, et de l'affection pour sa personne. Le devot et Royal Monastere de Font-Evraud a prisé en elle une vertu naissante; la Cour du Roy Louys le Juste l'a admirée avancée et portée à sa maturité. Quoy que la Cour sçache desbaucher les Saints, et d'ordinaire infecte d'abord ce qu'elle reçoit de pur, elle ne gasta point Louyse de Bourbon: il luy fit voir qu'outre l'usage des preservatifs que fournit la lecture des livres de pieté, il peut y avoir de si bonnes dispositions au dedans, qu'elles sont plus fortes que toute la corruption du dehors. Elle conserva dans le Palais les maximes qu'elle y avoit apportées de Font-Evraud; en un lieu où l'on dit que tout est faux et masqué, elle voulut paroistre ce qu'elle estoit.
On avoit de la peine à sçavoir quelle vertu elle avoit en plus haut degré, parce qu'il n'y en avoit aucune qui ne fist ses fonctions en perfection, si ce n'est qu'on doive dire que la premiere vertu, et qui est la base de toutes les autres, a tousjours tenu le gouvernail, et'a servy de direction à toutes les actions de sa vie. Autrement elle se trouvoit égale par tout. Estoit-il question des exercices de pieté, on ne voyoit rien de plus religieux, comme j'ay remarqué cy-dessus. S'agissoit-il de l'amour du droit et de la justice, il paroissoit en elle en haut degré. Les grands exemples de bien vivre et de bien mourir qui sont assez rares, l'un et l'autre se sont rencontrez en cette pieuse Princesse, qui passa de cette vie fort Chrestiennement le 9. de Septembre de l'an 1637. aprés avoir receu avec ferveur ses Sacremens. Ceux qui s'accoustument en santé de s'entretenir [180] avec Dieu, trouvent par effet que Dieu s'entretient avec eux en leurs maladies, et lors mesme que leur langue est interdite, et leur bouche fermée, en leur declin leur coeur leur represente les entretiens de leurs beaux jours. Cette Duchesse és derniers jours de sa maladie se consoloit sur la consideration des entretiens ordinaires qu'elle avoit eus tout le temps de sa vie avec Dieu. Un homme plein de pieté estant interrogé sur la fin de ses jours, s'il ne sentoit pas de la peine de quitter la douce compagnie qu'il avoit eue en sa vie, répondit avec un esprit content, qu'il ne changeoit que de logis, mais qu'il ne changeoit point de compagnie; voulant dire qu'ayant tousjours eu Dieu pour son entretien, et pour sa compagnie en sa vie, la mort ne l'en éloignoit point, mais l'en approchoit plustost. Elle fit paroistre une grande resignation à son depart de ce monde, quittant une mere, un frere (qui l'honoroit grandement) un mary, et une fille unique. Elle a receu les honneurs de la sepulture dans le Cloistre du Monastere de la Mere de Dieu, ou des Religieuses Carmelites de Paris, dont elle estoit la Fondatrice, où l'on voit son epitaphe en vers sur une tombe de marbre noir.

A la glorieuse memoire de tres-haute et tres-illustre

Princesse Madame LOUYSE DE BOURBON
Duchesse de Longueville.
Louyse ne vit plus, et son ame sublime
A quitté sa despouille en ce triste sejour.
Des augustes Bourbons elle receut le jour,
Et plus haut que leur Throsne esleva son estime.
Sa vertu fit trembler la licence et le crime,
Sa sagesse estonna les sages de la Cour,
Sa bonté fut des bons le refuge et l'amour,
Et son coeur du vray Dieu le temple et la victime.
Elle vesquit en terre ainsi qu'on vit aux Cieux,
Et par l'esclat divin de ses actes pieux,
De l'impieté mesme arracha des louanges.
[181] Mais le Ciel enviant ce bon-heur aux humains,
Precipita sa mort, et sur l'aisle des Anges,
L'enleva pour revivre en la gloire des Saints.
Ladite Princesse deceda le 9. Septembre mil six cens trente sept, aagée de trente quatre ans.

Monseigneur le Duc de Longueville, Prince tres-genereux (qui travaille maintenant à Munster pour la Paix generale de la Chrestienté) se voyant veuf de cette tres-illustre Princesse et tres-chaste Heroïne Louyse de Bourbon, n'a point voulu épouser qu'une Princesse tres-vertueuse et tres-sage de la mesme Maison, sçavoir Madame Anne-Geneviéve de Bourbon, fille unique de Monseigneur le Prince et de Madame la Princesse sa femme, et soeur de Messeigneurs le Duc d'Anguien, et le Prince de Conty: Mais parce que la modestie doit estre autant reservée en la louange des vivans, que la liberté doit estre liberale en celle des defunts, je ne veux pas icy faire son Eloge. Je suis obligé de lever les mains vers le Ciel, afin qu'il plaise à Dieu de donner à cette Princesse, petite fille de saint Louys, des Princes heritiers de la pieté de leurs ancestres les Heros des Maisons de Bourbon et d'Orleans-Longueville; entre autres de Jean Comte de Dunois, qui a chassé de la France les anciens ennemis de cet Estat avec tant d'honneur et de gloire.

(1) Bourbon-Soissons, d'azur, à 3. fleurs de lys d'or, 2. 1. au baston de gueules, pery en bande; l'escu brisé d'une bordure de gueules.
Orleans-Longueville, d'azur à trois fleurs de lys d'or, 2. en chef, et 1. en pointe, au lambel d'argent, à 3. pendans posé en chef, à un baston aussi d'argent, mis en bande.
(2) Mangot, d'azur, à 3. espreviers d'or, enchaperonnez de mesme, 2. 1.
(3) Potier, d'azur, à deux mains dextres d'or, au franc quartier eschiqué d'argent et d'azur, à la bordure de gueules, écartelé d'azur, à la cotice de pourpre, (quelques modernes la font d'argent, croyans par ignorance que le pourpre ne se met pas sur les couleurs) accompagnée de deux Amphisteres ou Serpens aislez d'or, qui est de Baillet, Tresmes ou Seaux.
(4) La Morliere, d'azur, au lierre d'or, à la bordure de sinople, chargée de 8. estoilles d'argent.
(5) Au Chapitre 27. du premier Livre.

Outils personnels