Louise-Marguerite de Lorraine/Hilarion de Coste

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[II, 169] LOUYSE-MARGUERITE DE LORRAINE, PRINCESSE DE CONTY (1), et de Chasteau-Regnault.
CETTE Princesse estoit la fille aisnée de Henry de Lorraine Duc de Guyse, et de Caterine de Cleves Comtesse d’Eu sa femme. Elle eut pour marraines Louyse de Lorraine Reyne de France et de Pologne, et Marguerite de France Reyne de Navarre, qui luy donnerent leur noms Louyse et Marguerite. Elle fut nourrie et eslevée par la Duchesse de Guyse sa mere, et son ayeule paternelle Anne de Ferrare Duchesse de Nemours. Dés ses jeunes ans les Muses luy firent un favorable accueil: c’est pourquoy il ne faut pas s’estonner si elle a tous les jours de sa vie fait du bien, et obligé par ses liberalitez une infinité de favoris d’Apollon, et des plus chers nourrissons de ces chastes pucelles, qui luy ont dedié leurs ouvrages; entre autres Blaise de Vigenere, Nicolas Coëffeteau, François de Malherbe, le sieur de Lingendes, Nicolas Renouard, le sieur du Tertre, Puget de la Serre, Louys d’Orleans, et plusieurs Autheurs en grand nombre. Vigenere sur ses vieux ans traduisit en nostre langue la Hierusalem de Torquato Tasso (l’ouvrage le plus riche et le plus achevé qui se soit veu depuis le siecle d’Auguste; et on peut dire qu’en cet excellent genre, Virgile est cause que Tasso n’est pas le premier, et Tasso que Virgile n’est pas seul,) et le dedia à cette Princesse estant encor jeune. Une Dame luy a dedié les cinq livres Hieroglyphiques de Pierre Dinet Docteur en Theologie, et Maistre de la Chapelle du Roy, son Predicateur ordinaire, et de la Reyne Louyse douairiere.
Elle n’a pas assisté seulement de ses bien-faits ceux qui [170] luy ont presenté leurs ouvrages: mais aussi tous ceux qui faisoient profession des lettres, tant saintes que profanes, lors qu’ils avoient recours à elle en leurs affaires, ausquels elle faisoit plustost du bien qu’aux ignorans. Elle entretenoit charitablement plusieurs pauvres escholiers au College des Jesuites à Eu, fondé par le Duc de Guyse son pere, la pluspart desquels ont bien reussi aux estudes, et se sont consacrez au service de Dieu, tant dans la Compagnie de JESUS, que dans divers Ordres et familles Religieuses. Elle méme prenoit plaisir à la lecture des livres; car la sublimité de son esprit l’avoit rendue sçavante en toute sorte d’estude, qui la faisoit dignement parler de tout, et la mettoit au dessus de tout, en vivacité, en solidité, et en eloquence: aussi elle composoit fort bien en vers François, et a mis en lumiere l’an 1620. un livre intitulé le Roman Royal, ou les Advantures de la Cour, sous le nom de Monsieur du Piloust: C’est pourquoy le Pere Louys Jacob (2), Carme, luy a donné place dans sa Bibliotheque des Femmes illustres par leurs écrits. Elle avoit une grace si particuliere lors qu’elle lisoit quelque livre, que Henry le Grand la prioit souvent de lire devant sa Majesté, pour le singulier plaisir qu’il en recevoit.
Cet incomparable Monarque voulant allier les tres-illustres et les tres-genereuses Maisons de Bourbon et de Lorraine, maria cette Princesse à François de Bourbon, Prince de Conty, et Prince du Sang, qui estoit le cousin germain de sa Majesté, et pour lors veuf de sa premiere femme Jeanne de Coësme. Ce fut au mois de Juillet de l’an 1605. que la ceremonie de ce mariage fut celebrée dans le Chasteau de Meudon, non sans le déplaisir de Charles Comte de Soissons, qui avoit épousé la fille de Jeanne Princesse de Conty, et méme du Duc de Montpensier, quoy que Prince fort retenu et moderé; ce que n’a oublié de remarquer Monsieur de Thou au livre 135. de son Histoire: neantmoins le Duc de Montpensier fut present au Contract de mariage de François de Bourbon, et de Louyse de Lorraine de Guyse, qui fut passé le 1. jour de May de la méme année à Fontaine-bleau aprés midy, par le sieur de Fresne Forget, [171] Secretaire d’Estat: le Prince de Conty estant assisté du Roy Henry le Grand, de la Reyne Marie de Medicis femme de sa Majesté, du Prince de Condé son neveu, du Duc de Montpensier son cousin, et du Comte de Saint Paul. La Demoiselle de Guyse (à laquelle la Duchesse de Guyse sa niece donna la Souveraineté de Chasteau-Regnault) estoit assistée de la Duchesse de Guyse sa mere, de la Duchesse de Nemours son ayeule paternelle: de ses freres, le Duc de Guyse, le Prince de Joinville (à present Duc de Chevreuse) et de l’Archevéque de Reims, depuis Cardinal de Guyse: du sieur de Chanvalon pour et au nom, et ayant charge expresse de Charles Duc de Lorraine son cousin: du Duc de Mayenne son oncle paternel: du Duc de Nemours, aussi oncle, et du Duc de Nevers son cousin. Louyse de Lorraine n’a eu qu’une fille de François Prince de Conty son mary, qui nâquit au Louvre le 8. de Mars de l’an 1610. et mourut à l’Hostel de Bourbon à Saint Germain des Prez le 20. du mesme mois, aprés avoir receu le Baptéme le jour precedent, de laquelle une Muse Normande a fait cet epitaphe (3):

Tu vois, passant, la sepulture
D’un chef-d’oeuvre si precieux,
Qu’avoir mille Rois pour ayeux,
Fut le moins de son avanture.
O quel affront à la nature,
Et quelle injustice des Cieux!
Qu’un moment ait fermé les yeux
D’une si belle creature?
On doute pour quelle raison
Les destins si hors de saison
De ce monde l’ont appellée:
Mais leur pretexte le plus beau,
C’est que la terre estoit bruslée,
S’ils n’eussent tué ce flambeau.

Ceux qui lisent les livres dediez à cette Princesse, ne s’estonneront pas si tant de grands hommes luy ont presenté leurs écrits, et ont loué les belles qualitez qu’elle avoit; car cette Heroïne sçavoit l’art de se faire aymer en perfe-[172]ction, et croyoit que ce n’estoit pas une des moindres qualitez d’une Princesse. Elle sçavoit distinguer les personnes, et les mesnager: Sa prudence s’empeschoit d’offenser autruy, et sa bonté d’estre beaucoup offensée. Elle ne sçavoit pas seulement s’accommoder avec des naturels bien-faits, mais aussi avec des esprits qui ne l’estoient pas. Si elle avoit dequoy gagner des affections, elle avoit aussi dequoy les retenir, et tirer de la veneration de ceux qui avoient l’honneur de l’approcher. L’occasion d’exercer quelque faveur, et de s’interesser és calamitez des souffrans luy estoit-elle presentée, elle s’y portoit avec ardeur, et sembloit y recevoir plustost de l’avantage, que d’en faire à autruy.
La magnificence et la liberalité ont esté les vertus qui ont plus paru en cette Princesse. Elle a donné de tres-riches ornemens pour la decoration des Autels, comme l’on peut voir en diverses Eglises, tant de Paris que des autres villes de ce Royaume. Elle a basty et orné la tres-belle Chapelle de sainte Anne et de saint Louys, en l’Eglise du Monastere de saint Bernard ou des Peres Feuillans de la rue neuve saint Honoré à Paris.
Elle fit rendre l’an 1614. les derniers devoirs, par de magnifiques obseques, à Monsieur le Prince de Conty son mary, dans l’Eglise de la Royale Abbaye de Saint Germain des Prez, esquelles assisterent trois freres de cette Princesse, les Ducs de Guyse, de Chevreuse, et l’Archevéque de Reims, depuis Cardinal de Guyse, où l’Oraison funebre fut prononcée par Henry le Maire Docteur en Theologie, qu’il a depuis donnée au public. La méme année elle avoit fait rendre les mémes honneurs à son frere Monsieur le Chevalier de Guyse dans l’Eglise des Feuillans.
Sa liberalité a paru par tout où elle a esté, la disgrace n’a sceu luy oster le moyen de donner, elle trouvoit dequoy fournir à cette vertu rare en nostre siecle; ses dons et ses largesses n’estoient point bornées à peu. Les Gentils-hommes dans leurs besoins, et les pauvres Demoiselles dans leurs necessitez, trouvoient en elle une infaillible assistance. Le mépris des richesses doit estre compté parmy ses vertus, non pas qu’elle rejettast le bien qui luy arrivoit; [173] mais elle ne les a jamais souhaitées que pour en secourir les hommes, ne les a jamais eues que pour les donner aux sçavans, qui n’ont pas esté ingrats, sur tous à Monsieur de Malherbe, lequel reconnoist franchement par ce Sonnet les faveurs qu’il avoit receues de cette liberale Princesse; ce qui luy a esté aussi glorieux dans l’estat qu’elle tenoit, comme Alexandre dans l’excés de ses grandeurs, de donner à ses Courtisans des villes et des Royaumes.

Race de mille Rois, adorable Princesse,
Dont le puissant appuy de faveurs m’a comblé,
Si faut-il qu’à la fin j’acquitte ma promesse,
Et m’allege du fais dont je suis accablé.
Telle que nostre siecle aujourd’huy vous regarde,
Merveille incomparable en toute qualité,
Telle je me resous de vous bailler en garde
Aux fastes eternels de la posterité.
Je sçay bien quel effort cet ouvrage demande,
Mais si la pesanteur d’une charge si grande,
Resiste à mon audace, et me la refroidit:
Voy-je pas vos bontez à mon aide paroistre,
Et parler dans vos yeux un signe qui me dit,
Que c’est assez payer que de bien reconnoistre?

Elle a receu de grands honneurs à la Cour de nos Rois, ayant assisté aux ceremonies des mariages du Roy Henry le Grand, et de la Reyne Marie de Toscane: du Roy Louys XIII. et de la Reyne Anne Infante d’Espagne: de Philippe Infant, à present Roy d’Espagne, et de sa femme Elizabet de France, soeur aisnée du feu Roy: de Gaston de France, Duc d’Orleans, et de Marie de Bourbon-Montpensier: de Victor Amedée Prince de Piémont, depuis Duc de Savoye, et de Christine de France: de Charles Roy de la Grande Bretagne, et de Henriette-Marie de France: de Thomas de Savoye, Prince de Carignan et de Marie de Bourbon. A celles du Baptéme du Roy Louys XIII. estant Daufin, de Mesdames ses soeurs, de l’Altesse Royale de Monseigneur le Duc d’Orleans, et la Reyne de la Grande Bretagne: au Sacre et au Couronnement de la Reyne Marie de Toscane, et autres ceremonies, comme [174] j’ay remarqué en plusieurs Eloges. Elle sçavoit aussi en perfection ce qui est du devoir des Princesses, et des grandeurs de la Cour. Malherbe, et tous les autres Ecrivains qui ont frequenté la Maison de nos Rois, ne parloient jamais de cette Princesse sans eloge, et l’appelloient tousjours à témoin, pour donner authorité à leur parole. Monsieur de Balzac écrit de Malherbe (4): Le plus celebre de nos derniers Poëtes m’a avoué, qu’il avoit cherché trois jours entiers dans les Poëmes de Terence ce qui m’y plaisoit si fort, sans avoir pû le trouver. Cet homme tout plein du Louvre, de Fontaine-bleau, et de Saint Germain, ne parloit que Cercles, que Ruelles, et que Cabinets. D’ordinaire il appelloit à témoin la Reyne mere du Roy, et presque tousjours Madame la Douairiere de Guyse, et Madame la Princesse de Conty.
Elle quitta la Cour au mois de Fevrier de l’an 1631. pour se retirer à Eu, où elle passa de cette vie à l’autre le 30. d’Avril de la mesme année, et receut les honneurs de la sepulture dans l’Eglise du College des Peres Jesuites, où ces paroles sont gravées en une plaque de cuivre sur son cercueil.
Icy est le corps de defuncte tres-haute, tres-puissante, et tres-illustre Princesse, Madame Louyse-Marguerite de Lorraine, veuve de defunct tres-haut, tres-puissant, et tres-illustre Prince Monseigneur François de Bourbon Prince de Conty, Pair de France, Gouverneur et Lieutenant pour le Roy en Auvergne, et pays de Combrailles; laquelle deceda en cette ville d’Eu le dernier jour d’Avril mil six cens trente et un. Dieu mette son ame en repos.

(1) Bourbon-Conty, escartelé de Bourbon et d’Alençon. Lorraine-Guyse, blazonné en l’Eloge d’Antoinette Duchesse de Guyse, page 136. de 1. Tome.
(2) Jacob, de gueules, au massacre d’or.
(3) Malherbe.
(4) Balzac en son Discours 4. de ses oeuvres diverses.

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