Julienne de Cornillon

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Julienne de Cornillon
Titre(s) Prieure de la léproserie de Cornillon (Liège)
Dénomination(s) Beata Iuliana, Julienne de Cornillon,Julienne du Mont-Cornillon, bienheureuse Julienne de Cornillon, sainte Julienne de Cornillon
Biographie
Date de naissance Retinne, ca 1192-1193
Date de décès Fosses, 1258
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Marie-Elisabeth Henneau, 2017

La vie de Julienne, l’une des mulieres religiosae qui ont fait du diocèse de Liège un des hauts- lieux de la mystique médiévale, est connue grâce au récit très informé qu’en fait son biographe peu de temps après sa mort, en 1258. Née à Retinne, vers 1192-1193, Julienne est issue d’une famille fortunée, qui, à la mort de ses parents, la confie à des religieuses en charge d’une léproserie, située à Liège au lieu-dit Cornillon. Sa Vita souligne le caractère exceptionnel de son éducation, dispensée par la sœur Sapience, et la précocité de ses visions – notamment celle d’un disque lunaire incomplet – et de ses expériences mystiques, qu’elle révélera plus tard à son amie Ève, la recluse de Saint-Martin de Liège, et à la béguine Isabelle de Huy, toutes deux associées avec Julienne au projet de rendre un culte particulier au Christ par l’introduction d’une fête destinée à solenniser sa « présence réelle » dans l’Eucharistie. Le débat sur la question fait alors rage et des femmes s’y inscrivent, notamment, par des manifestations de vénération passionnée pour le Corps du Christ. Leur comportement les expose parfois aux soupçons d’une Église inquiète de ces formes de proximité avec le divin et d’une possible remise en question de sa propre médiation.
Mais dans sa Vita, Julienne n’apparaît pas comme une contestatrice de l’institution ecclésiale. Au contraire, elle est présentée comme voulant contribuer à la défense de l’orthodoxie, dans le cadre officiel d’une célébration liturgique. Le biographe ne dissimule toutefois pas les obstacles qu’elle va devoir surmonter pour convaincre de savants théologiens du bien-fondé de sa démarche. Soutenue par les dominicains et surtout par son entourage féminin, sa proposition ne fait pas l’unanimité auprès des adversaires de l’instauration d’une fête jugée superflue, au regard de la célébration, quotidienne et donc suffisante, de l’Eucharistie. Le biographe de Julienne, insiste aussi longuement sur le martyre enduré par son héroïne, devenue prieure de la léproserie (1230) et de ce fait malmenée par une bourgeoisie très opposée à son gouvernement temporel. Ceci ne l’empêche pas de composer un office pour la future solennité, ni d’effectuer plusieurs pèlerinages à Cologne, Tongres et Maastricht pour obtenir le succès de son projet. Une période d’accalmie survient à l’avènement de l’évêque de Liège, Robert de Thourotte (1240). Son soutien inconditionnel, les avis favorables du théologien Hugues de Saint-Cher, puis de l’archidiacre de Campine, Jacques de Troyes – futur Urbain IV –, viennent finalement à bout des résistances. La fête, instituée au diocèse de Liège en 1246, sera étendue à l’Église universelle en 1264.
Dans l’intervalle, Julienne connaît une fin de vie agitée. À la mort de Robert de Thourotte (1246), elle fait à nouveau l’objet de violentes contestations au sein de sa maison, qu’elle doit quitter en 1247. Accueillie chez les cisterciennes de Robermont, du Val-Benoît puis du Val Notre-Dame, Julienne séjourne momentanément chez celles de Salzinnes, avant de s’installer dans une recluserie proche de la collégiale St-Feuillen de Fosses. Elle y meurt le 5 avril 1258 et est inhumée chez les cisterciens de Villers en Brabant, qui la vénéreront comme une sainte de leur ordre.
Sa Vita composée entre 1261 et 1264 connaît un succès limité. Longtemps oubliée, Julienne sort de l’ombre au moment de la Réforme catholique, lorsque l’Église se mobilise autour de la promotion du culte au Saint-Sacrement. Son profil revisité de moniale dévote et soumise est retravaillé par les jésuites dans des publications consacrées à la Fête-Dieu. La célébration du 500e anniversaire de l’institution de cette solennité (1746) est l’occasion pour la ville de Liège et pour son prince-évêque de lui rendre un hommage vibrant, qui sera renouvelé deux siècles plus tard par des manifestations grandioses organisées tant par la municipalité que par l’évêché (1946). L’héroïne liégeoise, béatifiée en 1869, est devenue au début du XXe siècle le pendant « francophone » de la cistercienne flamande Lutgarde de Tongres (1246) et se voit ainsi récupérée par les défenseurs du mouvement wallon.
Depuis un quart de siècle, ce sont surtout les spécialistes de l’histoire des femmes et du genre qui se penchent sur le destin de cette forte personnalité à situer au sein d’un réseau exceptionnel de figures féminines solidaires, en confrontation ou en dialogue avec les représentants les plus savants et les plus puissants de l’Église du XIIIe siècle.

Principales sources

  • [1261-1264] : Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 945 : Vita venerabilis Julianae de Cornelion -- Vie de Sainte Julienne de Cornillon, éd. et trad. J.-P. Delville, Louvain, Publications de l’Institut d’Études médiévales (Textes, Études, Congrès, vol. 19/2), 1999 – The Life of Juliana of Mont Cornillon, trad. B. Newman, Toronto, Peregrina, 1989.
  • 1598 : Histoire mémorable de sainte Julienne vierge, jadis prieure de la maison de Cornillon lez la cité de Liège, à laquelle fut divinement révélée et par elle introduite en l’église de Dieu, la haute solemnité du Saint Sacrement de l’autel ; et puis par autres humbles et sçavans personnages avancée et instituée, avec plusieurs autres traictez concernant l’institution de ladite feste. Le tout traduit de latin en françois par sire Lambert le Ruite, vicaire de la dite maison, Liège, J. Voes.
  • 1628 : Barthélemy Fisen sj, Origo prima festi corporis Christi ex viso sanctae Virginis Julianae divinitus oblato, Liège, J. Ouwerx, -- Barthélemy Fisen, S[ainte] Iulienne ou l’Institution de la Feste du Très-Saint et auguste sacrement laquelle lui fut premièrement révélée, trad. F. Lahier, Liège, H. Tournay, 1645.
  • 1746 : Jean Bertholet sj, Histoire de l’institution de la Fête-Dieu, avec la vie des bienheureuses Julienne et Ève, toutes deux originaires de Liège, Liège, F. A. Barchon.

Choix bibliographique

  • Marco Bartoli, « Les femmes et l’Église au XIIIe siècle », dans Fête-Dieu (1246-1996), dir. A ; Haquin et J.-P. Delville, Louvain, Publications de l’Institut d’Études médiévales (Textes, Études, Congrès, vol. 19/1), 1999, p. 55-79.
  • Jean-Pierre Delville, « Julienne de Cornillon (1191-1258) », dans Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 28, Paris, Letouzey et Ané, 2003, p. 545-553.
  • Juliette Dor, Lesley Johnson, Jocelyn Wogan-Browne (dir.), New Trends in Feminine Spirituality : The Holy Women of Liège and their Impact, Turnhout, Brepols (Medieval Women : Texts and Contexts 2), 1999.
  • Marie-Élisabeth Henneau, « Écritures masculines d’un héroïsme au féminin : portrait moderne d’une mystique médiévale », dans Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, dir. Véronique Alémany, Monique et Bernard Cottret, Paris, Les Éditions de Paris, 2006, p. 159-176.
  • Michel Lauwers, « L'institution et le genre. À propos de l'accès des femmes au sacré dans l’Occident médiéval », [1] Clio, Histoire, Femmes et sociétés, n° 2, 1995, p. 279-317.

Choix iconographique

  • 1280 : Anonyme, « Lettrine représentant Julienne, un livre à la main », Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 945, Vita Beatae Julianae, fol. 24 -- Mady et Didier Bolly-Hansez, « La Fête-Dieu. L’iconographie de Julienne de Cornillon, Isabelle de Huy et Ève de Saint-Martin », "Saint-Martin. Mémoire de Liège", Catalogue d’exposition, Liège, 1990, p. 57.
  • 1625 : Jean Valdor, S. Julienne Vierge Prieure de la maison de Cornillon lez Liège (Burin, 10,2 x 6, 4 cm) -- Liège, Collections artistiques de l’Université, n° 22.588. [2]
  • 1635 : Anonyme, « Médaillon représentant Julienne de Cornillon parmi les cisterciennes », Les Saintes de l’Ordre de Cîteaux (Huile sur bois, 180 x 127 cm, Kerniel (Belgique), Prieuré de Marienlof – Filles de Cîteaux au pays mosan, Catalogue d’exposition, Huy, 1990.
  • 1690 : Englebert Fisen, Saintes Julienne, Eve et Isabelle de Huy en adoration devant le Saint Sacrement présenté par la Vierge, (Huile sur toile, 215 x 148 cm) , Liège Collégiale Saint-Martin -- Pierre-Yves Kairis, « Les saintes promotrices de la Fête-Dieu vues par le peintre Englebert Fisen », Leodium, t. 81, 1996, p. 7-12 -- [3]
  • 1746 : Ignace-Sébastien Klauber,Premier Office du Saint-Sacrement (Eau-forte, 22 x 15 cm) -- Jean Bertholet, Histoire de l’institution de la Fête-Dieu, avec la vie des bienheureuses Julienne et Ève, toutes deux originaires de Liège, Liège, F. A. Barchon, 1746. [4]
  • début XXe s. : Auguste Donnay, Sainte Julienne du Mont Cornillon, (Huile sur toile, 75 x 105 cm), Liège, Musée de Beaux-Arts (anc. Musée de l’Art wallon), Inv. A.W. 448 -- [5]

Choix de liens électroniques

  • « Julienne de Cornillon », Dictionnaire des Wallons, dir. Paul Delforge, [6]

Jugements

  • 1280 : « Julienne […], emportée de ce monde mauvais il y a quelques années, est digne d’être évoquée à la mémoire pour l’édification des fidèles. Oubliant sa fragilité physique […] et oubliant le sexe auquel elle appartenait, elle courut vers les sommets de la perfection et les atteignît » (Vita Beatae Julianae -- Vie de Sainte Julienne de Cornillon, éd. et trad. J.-P. Delville, Louvain, Publications de l’Institut d’Études médiévales (Textes, Études, Congrès, vol. 19/2), 1999, Prologue).
  • 1598 : « Par la force de son oraison, elle estoit ravie en esprit, et guidée au ciel avec Dieu, promenoit avec les Anges, parlamentoit avec les Apostres et ça bas guerroioit contre les diables, douée de l’esprit de Prophétie découvroit et reveloit les secrètes pensées des hommes, cognoissoit divers contingents, nonobstant toute distance des lieux. Somme, elle a excellé en tant de mérites et vertus et a fait des miracles si remarquables qu’elle a taillé de la besoigne à plusieurs braves et gentils escrivains » (Histoire mémorable de sainte Julienne vierge, jadis prieure de la maison de Cornillon…, Liège, J. Voes, 1598, Épistre nuncupatoire n.p.).
  • 1645 : « Ô la magnanimité jamais assez louée de cette incomparable Vierge ! Il nous semble avoir fait beaucoup si pour nous acquérir ie ne sçai quelle renommée imaginaire, nous travaillons beaucoup et quand nous l’avons acquise, nous en triomphons d’aise. Mais si notre Julienne méprise de la sorte la gloire de sa propre vertu beaucoup estimée par les Princes mêmes, si elle embrasse d’un grand coeur l’infamie, le bannissement, la pauvreté, les misères, quel iugement devons-nous faire de son grand courage et d’une admirable constance ? » (B. Fisen, S[ainte] Iulienne ou l’Institution de la Feste du Très-Saint et auguste sacrement laquelle lui fut premièrement révélée, trad. F.Lahier, Liège, H. Tournay, 1645, p. 170).
  • 1691 : « C’est le Pape Urbain quatriéme qui institüa cette Feste l’an 1264 […] & qui le fît sur le rapport de deux ou trois folles du Diocèse de Liege, dont la première nommée Julienne prétendit avoir veu en vision un signe fort extraordinaire […] Voilà qu’elle est l’origine de cette Feste qui fait aujourd’huy tant de bruit dans le monde : le beau fondement sur lequel on a bâti une des plus importantes cérémonies de la Religion. Elle est née, comme vous voyés, dans les derniers siècles & a été conçuë, aussi bien que la transubstantiation qui en est la baze, dans l’oisiveté du Couvent. C’est le fruit d’une imagination gâtée & corrompüe par l’Esprit de superstition qui y règne que le Pape adopta pour consommer le mystère d’iniquité & faire triompher l’idolâtrie de ses ennemis » (Bruxelles, Bibliothèque royale [KBR], Lettre d’un Pasteur à son Troupeau ; à l’occasion du jour apellé la Fête Dieu, Rotterdam, 1691, volume factice II, 60003, p. 3).
  • 1704 : « Elle eut dans la suite un goût tout particulier pour les ouvrages de saint Augustin qu’elle lisoit continuellement dans ses heures de repos et d’où elle prenoit ordinairement les sujets de ses méditations. Après ce Père, celui qu’elle honorait le plus d’entre ceux dont elle étudioit les ouvrages étoit saint Bernard et elle trouvoit dans son commentaire sur le Cantique des Cantiques de quoy renouveller toujours l’ardeur de son amour pour Jésus-Christ […] Cet amour qu’elle avoit pour la prière, l’étude et le travail lui fit faire dans la vertu et la piété des progrès qui étonnèrent les plus parfaites d’entre les religieuses » (« La Bienheureuse Julienne, prieure », dans Adrien Baillet, Les Vies des Saints…, t. I, Paris, L. Roulland, 1704, col. 83).
  • 1756 : [à propos de la Fête-Dieu] « L’antiquité n’en eut guère dont l’appareil fut plus auguste. Cependant, qui fut la cause de cet établissement ? Une religieuse de Liège, nommée Moncornillon, qui s’imaginait voir toutes les nuits un trou à la lune (1264) ; elle eut ensuite une révélation qui lui apprit que la lune signifiait l’Église et le trou une fête qui manquait. Un moine nommé Jean composa avec elle l’office du Saint-Sacrement ; la fête s’en établit à Liège et Urbain IV l’adopta pour tout l’Église » (Voltaire, Essai sur les mœurs, chap. LXIII État de l’Europe au XIIIe siècle, éd. R. Pomeau, Paris, Classiques Garnier, 1990, t. I, p. 638).
  • 1991 : « Women such as Mary of Oignies, Juliana of Cornillon (c. 1193-1258), Ida of Leau (d. 1268) and Ida of Louvain (d. 1300) fascinated and sometimes bewildered their contemporairies, and drew the attention of mendicants to them, as well as other ecclesiastical observers, who were bemused but not unimpressed. Thus, there was a particular keenness and responsiveness at this time, and when Juliana, a famous saintly woman who served at the leper-hospital […] had a Eucharistic vision, there were opening for a serious consideration of its meaning » (Miri Rubin, Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, Cambridge UP, 1991, p. 169).
  • 2005: « Juliana was not just any pious woman who publicized a moral scandal in a prophecy or had a vision of a forgotten saint. She was a ‘theologian’, who after years of study came radically new theological insights and liturgical proposals. She wanted to be taken seriously by scholastic theologians. She submitted her proposals to them as ‘colleagues’, and in doing so placed them in a state of alert » (Anneke B. Mulder-Bakker, Lives of the Anchoresses : The Rise of the Urban Recluse in Medieval Europe, Philadelphia, U. of Pennsylvania P., 2005, p. 100).
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