Jeanne de France (1464-1505)/Hilarion de Coste

De SiefarWikiFr

[II,1] JEANNE DE France (1), REYNE, DUCHESSE DE BERRY (2), FONDATRICE ET INSTITUTRICE du premier Ordre de l'Annonciade, ou des dix Vertus de la Vierge.

ENTRE les Dames qui en ces derniers temps ont rendu celebre le nom de Jeanne, la tres-pieuse Princesse Jeanne de France, fille, soeur, et femme de nos Rois, qui a fondé un Ordre de Religieuses en memoire des dix Vertus (qu'elle appelloit les dix plaisirs) de la tres-sainte Vierge Mere de Dieu, doit avoir le premier rang. Elle nâquit l'an 1464. ou selon les autres l'année suivante. Le Roy son pere luy fit donner au Baptéme le nom de Jeanne, pour la devotion qu'il avoit à l'Apôtre saint Jean le Disciple bien aymé de nostre Seigneur, en l'hon-[2]neur duquel il a basty et fondé la Royale Chapelle du Chasteau du Plessis du Parc prés de Tours, et a ordonné par sa fondation que les Chanoines diroient tous les jours l'Office des Apostres: ce qui s'observe et pratique encore aujourd'huy en cette Eglise là, où tous les Dimanches et les Festes, et aux jours des Feries les Chanoines ne disent que l'Office de saint Jean.
Jeanne fut nourrie par la Reyne Charlote de Savoye sa mere, au Chasteau d'Amboise, avec son frere le Daufin, qui depuis fut le Roy Charles VIII. et Anne de France sa soeur aisnée, qui a esté premierement Dame de Beaujeu, et depuis Duchesse de Bourbon, et une tres-chaste et tres-genereuse Heroïne, dont la vie est écrite dans les Eloges des Annes illustres.
Le Roy Louis XI. la maria l'an 1476. à Louis Duc d'Orleans, de Valois et de Milan, depuis Roy XII. du nom. Ce Prince aprés le decez de Louis XI. voyant que la Regence du jeune Roy Charles avoit esté donnée à Madame de Beaujeu, soeur aisnée de sa Majesté, et à Pierre de Bourbon son mary, porta fort impatiemment cette Regence, qu'il croyoit luy estre deue, comme au premier Prince du Sang, et presomptif heritier de la Couronne.
Quelque temps aprés s'estant absenté de la Cour, il se retira vers François Duc de Bretagne, et entra en une ligue avec plusieurs autres Princes et Seigneurs mécontens, qui firent la guerre au Roy Charles et à la Regente (3), femme accorte et prudente, qui tenoit de l'humeur du Roy Louis XI. son pere. Elle envoya contre les Princes liguez, Gilbert de Bourbon Comte de Montpensier, et Louis Seigneur de la Trimouille, grand Capitaine, lequel à la Journée de Saint Aubin du Cormier prit Louis Duc d'Orleans prisonnier, qui fut envoyé au Chasteau de Loches, d'autres disent à celuy de Luzignan prés de Poitiers, et de là à la Tour de Bourges, où il demeura prés de trois ans.
Cette bonne Princesse, encor que le Duc d'Orleans son mary ne l'affectionnast pas comme il devoit, n'en fit paroistre aucun sentiment: au contraire elle luy rendit toutes sortes de devoirs, et de bons offices durant sa prison et sa disgrace, et n'eut autre secours et assistance que de [3] cette pieuse et devote Duchesse sa femme, qui fit si grande instance au Roy Charles VIII. son frere pour obtenir sa liberté, qu'elle fut avancée par ses frequentes prieres et requestes, contre l'avis de la pluspart de ceux qui estoient en faveur et en credit prés du Roy Charles.
Jeanne de France Duchesse d'Orleans avoit appris de bonne heure à oublier les injures, et rendre le bien pour le mal, car dés l'aage de 5. ans elle s'estoit fort addonnée à l'Oraison, et estant plus aagée elle avoit fait un signalé progrés en la science des Saints, aux exercices des vertus, et de la perfection Chrestienne: et avoit (comme remarquent ceux qui ont écrit amplement sa vie et ses miracles (4)) receu de favorables visites et consolations de la tres-sainte Vierge Mere du Sauveur, laquelle un jour entre autres luy promit et l'asseura qu'elle fonderoit et établiroit en l'Eglise un Ordre et Congregation de filles et de vierges en son honneur (5).
Entre les vertus qu'elle pratiqua en ses premieres années furent la Patience et l'Humilité; ces deux vertus sont aussi les plus utiles et les plus necessaires à ceux qui veulent suivre en cette vie mortelle et passagere JESUS crucifié, pour jouir de la bien-heureuse presence de JESUS glorifié en l'eternelle et perdurable.
Cette devote Princesse a vrayement pratiqué l'exhortation du sçavant Africain Tertulien, qui disoit qu'il falloit tellement combatre le malheur qu'on le lassast par la patience. Le fruit de sa patience fut, que l'accoustumance qu'elle prit de souffrir reboucha la pointe de ses plus piquantes afflictions, elle les accueilloit d'un si bon visage, qu'on eust creu qu'elle desiroit ce qu'elle craignoit le plus. Cette vertu luy fit fidelle compagnie tous les jours de sa vie, dont elle eut bien besoin: car le Roy Louys XI. son pere qui ne l'aymoit pas tant qu'Anne son aisnée, luy estoit fort rude, et n'eut pas peu à souffrir devant qu'estre mariée: car ce Prince estoit d'un naturel défiant et fascheux à tous ses proches, et par je ne sçay quel malheur on a remarqué qu'il a esté mauvais fils, mauvais frere, mauvais gendre, mauvais mary, et ne faut pas s'estonner s'il a esté mauvais pere. [4] Ce n'est pas pourtant que je veuille blasmer ce grand Monarque comme ceux qui l'ont décrié par leurs libelles, d'autant que ç'a esté l'un des plus sages et des plus avisez Princes qui ait manié le Sceptre François, et qui a mis nos Rois hors de page, et eust surpassé tous ses predecesseurs, s'il eust eu autant de conduite en ses affaires domestiques, comme il en avoit aux publiques, et à la conservation de la Couronne et de l'Estat.
Elle souffrit dés le commencement de son mariage, se voyant peu ou point cherie et aymée du Duc son mary, (quoy que le meilleur Prince du monde) qui avoit esté contraint de l'épouser, pour ne point déplaire au Roy Louys XI. aussi il ne fut pas si tost maistre absolu de ses volontez, ayant succedé au Roy Charles VIII. frere de Jeanne, qu'il fit prier le Pape Alexandre VI. de declarer son mariage avec nostre Princesse nul, et non valable; alleguant pour ses raisons, que Jeanne luy avoit esté donnée par force du Roy son pere, qui jamais ne l'avoit cogneue, ny voulu cognoistre, puis que le jour des épousailles il avoit declaré en presence de Notaires et d'autres témoins irreprochables, qu'il n'entendoit point contracter aucun mariage avec elle. Sur ces raisons sa Sainteté donna un Bref adressant à trois Prelats, sçavoir Philippe Cardinal de Luxembourg, Louys d'Amboise Evéque d'Alby, et Ferrand Evéque de Septe en Portugal, ausquels il donna tout son pouvoir et authorité pour juger cette affaire en dernier ressort; qui tous trois donnerent leur sentence en faveur du Roy.
Le Cardinal de Luxembourg ayant signifié à Amboise la sentence à la Reyne Jeanne l'an 1498. aprés le Sacre du Roy Louys XII. elle ne répondit autre chose à ce Prelat, aprés avoir ouy la lecture, sinon: Dieu soit loué, je sçay bien qu'il permet cecy afin que j'aye le moyen de le mieux servir que je n'ay fait par le passé. Elle supporta cette disgrace avec une grande patience et une constance vrayement Chrestienne, ne recevant assistance et consolation que de ces deux grands serviteurs de Dieu, saint François de Paule, et le Pere Gilbert Nicolai, Religieux Cordelier, appellé depuis Gabriel Marie, son Confesseur, homme qui avoit joint la sainteté à [5] une rare doctrine, duquel elle se servit pour composer la Regle des dix Vertus de la Vierge, lors qu'elle se fut retirée au Duché de Berry, dont le Roy luy avoit donné l'usufruit et la jouissance, et de quelques autres terres. Regle qu'elle eut bien de la peine à faire confirmer par le saint Siege, pour les raisons que nous avons deduites au long en sa vie que nous avons écrite au livre I. de l'Histoire Catholique du 16. siecle, lesquelles il n'est pas besoin de rapporter en cet Eloge. Elle fit paroistre encore sa patience aux divers refus que le Pape Alexandre et les Cardinaux firent de l'approuver. Mais Jeanne fit tant par sa ferme et constante resolution, qu'elle en obtint la confirmation de sa Sainteté.
Si la Patience a rendu la Reyne Jeanne recommandable à la posterité, son Humilité n'a pas esté moindre. Humilité, chemin Royal qui nous conduit au Ciel, celuy-là mesme que JESUS-CHRIST nous a enseigné par sa doctrine, celuy-là mesme qu'il a tenu et nous a monstré par son exemple. Belle vertu inferieure à toutes, mais plus haute que toutes, la base et le couronnement de tout l'edifice spirituel, mere, tutrice et gardienne des vertus, sans laquelle les vertus mesmes ne seroient que vice: qui dira que vous ne soyez née avec cette belle ame, nourrie et eslevée avec elle, et perfectionnée avec elle, veu que tousjours vous avez esté sa plus chere et sa plus fidelle compagne, qui l'avez assistée en toutes ses actions, qui avez reglé toutes ses intentions, qui ne l'avez jamais abandonnée d'un seul pas, et qui l'avez accompagnée jusques au dernier souspir, et l'avez encor suivie jusques dedans le Ciel, où vous l'avez élevée en ce Thrône de gloire, promis à ceux qui par vous se seront abaissez en terre?
Se peut-il rien voir de plus humble que cette Princesse, fille, soeur, et femme de nos Monarques, fille de Louys XI. l'un des prudens Princes qui ait porté la Couronne Tres-Chrestienne, soeur de Charles VIII. renommé par tout l'Univers pour ses courtoisies et ses victoires, et la premiere femme du Roy Louys XII. le Pere du peuple, et qui nonobstant tant de grandeurs servoit de ses mains Royales les pauvres et les malades, qui ont esté souvent gueris mira-[6]culeusement estans servis et assistez de Jeanne, non moins humble que pieuse et devote.
Elle voulut que l'Ordre de l'Annonciade, dont elle estoit l'Institutrice fut étably et fondé sur l'humilité; et que les Superieures de cette devote Congregation se nommassent Ancelles, c'est à dire servantes, à l'exemple de la tres-sainte Vierge, qui estant saluée par l'Ange, et ayant appris qu'elle seroit la Mere de Dieu, ne répondit autre chose sinon; Voicy la servante du Seigneur.
L'humilité de cette grande Reyne fut telle, qu'elle n'entreprenoit rien sans le conseil de son Confesseur, jusques là qu'elle ne sortoit point de la ville de Bourges sans sa permission, elle l'honoroit comme un Ange venu du Ciel. Quand elle estoit favorisée d'en haut de quelque revelation et des consolations spirituelles, c'estoit lors qu'elle estoit encore plus humble; toutes les graces et les faveurs qu'elle a receus de Nostre Seigneur en l'oraison et en ses exercices de pieté, elle ne les a revelées qu'à son Pere spirituel, lors qu'il luy commandoit de le faire, et depuis son decés il les a declarées. C'est pourquoy on la void souvent peinte en des tableaux et des images où le petit JESUS portant les armes de sa Passion, luy donne un anneau comme à son épouse (ce qu'a remarqué le Reverend Pere Corneille de la Pierre, sur la fin du 3. Chapitre de son Commentaire sur le Prophete Baruch (6)) ou que Nostre Seigneur et la Vierge luy presentent leurs coeurs. Ses delices estoient (comme je diray plus bas, quand je parleray encor de cette vertu qu'elle a mise la troisiéme dans sa regle) de servir ses Filles de son Convent de l'Annonciade à Bourges, aprés y avoir fait sa profession entre les mains du Venerable Pere Gabriel-Marie de bien-heureuse memoire. Cette Reyne Duchesse de Berry, pour se maintenir tousjours dans la vertu d'humilité la demandoit continuellement à Nostre Seigneur par l'entremise de la Vierge sa Mere, en l'honneur de laquelle elle desiroit fonder une Compagnie de filles et de vierges, pour la devotion qu'elle avoit dés ses plus tendres années à la Vierge Mere, la Reyne et la Dame de la souveraine dilection. En la Salutation Angelique, quand elle proferoit ces paroles, Ave Maria, et [7] Dominus tecum, elle estoit quasi hors d'elle-mesme pour l'excés de la douceur et de la consolation qu'elle y sentoit: Elle honoroit sur tout le mystere de l'Annonciation, et le faisoit peindre, graver et representer quasi par toute sa Maison, aux fenestres, aux tapisseries, sur les timbres de son Monastere de l'Annonciade de Bourges; et faisoit beaucoup de devotions particulieres le Samedy, remettant à ce jour là ses plus importantes affaires, elle disoit tous les jours cette Oraison:
Marie, tres-digne Mere de JESUS, faites-moy vostre digne ancelle et servante, favorisez-moy tant que d'estre tousjours en vostre grace, et que toute creature que j'ayme, je l'ayme parce qu'elle vous ayme. Faites-moy aussi cette faveur, que toute personne qui vous ayme, m'ayme aussi, et qu'elle m'ayme à cause que je vous ayme, afin qu'aprés cette vie nous puissions parvenir à vous, pour aymer et louer eternellement nostre bon Dieu, et vous pareillement; Ainsi soit-il.
La Reyne Jeanne ne se contentoit pas seulement de la dire; mais elle la donnoit aux autres pour la dire aussi. Elle distribuoit aussi le petit chapelet des dix Ave Maria, qu'elle avoit inventé en l'honneur de la Vierge. Et par ce nombre son dessein estoit de rendre hommage aux dix principales Vertus de la Vierge; c'est à dire à sa tres-rare pureté, tant du corps que de l'esprit; à sa tres-religieuse prudence, à sa prudente humilité, à son inviolable fidelité à la Foy, à sa tres-devote gratitude, à sa tres-humble obeissance, à sa tres-exacte pauvreté, à son incroyable patience, à sa tres-ardente charité, à la tres-parfaite conformité de sa volonté à celle de son bien-aymé Fils, tant pour la vie que pour la mort. Elle recitoit cette sorte de priere avec tant de ferveur et d'attention, et y employoit pour l'ordinaire tant de temps, à cause des sentimens qu'elle avoit des grandeurs de la Mere de Dieu, qui l'emportoient jusques dans le Paradis, qu'il estoit aysé de voir que la sainte Vierge agreoit uniquement la devotion de cette Reyne, qui s'arrestoit principalement (comme je viens de remarquer) à ces deux paroles Ave Maria, et à ces deux autres Dominus tecum, les savourant avec une incroyable douceur, et avec un goust [8] interieur, que nul autre qu'elle n'eust pas sceu declarer, non plus que sentir.
Cette pieuse Princesse pour rendre l'usage de ce petit chapelet de la Vierge plus utile (le donnoit à ceux qui la venoient visiter) elle obtint du Pape Alexandre VI. dix mille jours d'indulgences à ceux qui le diroient chaque jour. Aprés le decés de cette Reyne, le Pape Leon X. fit si grand estat de cette devotion, qu'il les a étendues le 27. de Decembre de l'an 1514. jusques à mille ans, pour inviter les fideles par ce doux attrait, à embrasser cette pieté; et le Pape Paul V. les a aussi confirmées le 20. de Juillet de l'an 1606.
La Reyne Jeanne estant en sa ville de Bourges, fit une vie plus celeste que terrestre, plus angelique qu'humaine, et donna une sainte Regle aux Filles de l'Annonciade, qui a esté confirmée par miracles, et dressée sur les dix Vertus de la sainte Vierge: La Chasteté, la Prudence, l'Humilité, la Foy, la Devotion, l'Obeyssance, la Pauvreté, la Patience, la Charité, la Douceur ou Compassion.
La premiere de ces dix Vertus est la Chasteté, à raison de laquelle la Princesse du Ciel et de la terre est nommée la Reyne des Vierges, comme ayant esté la premiere qui a embrassé cette vertu par estat et par voeu, ainsi que les Saints Peres le remarquent de l'Evangile. La Reyne Jeanne a gardé durant sa vie cette vertu sainte, et qui est plustost la sainteté mesme; car saint Hierôme l'entend de cette vertu par ce mot de l'Apostre aux Hebreux 12. Suivez la sainteté (7). Jeanne de France a tousjours esté la mortelle ennemie des personnes vicieuses, et aymé les chastes et les honnestes. Elle acheta des maisons où demeuroient des filles perdues pour y bastir une Maison de Vierges et de Religieuses, et a tellement honoré la virginité, qu'elle a ordonné que l'on ne receust en son Ordre que des vierges, et que si par un privilege special on recevoit quelque veuve, quand bien elle seroit du Sang Royal, elle ne seroit pas éleue Mere Ancelle ou Superieure.
La 2. vertu, est la Prudence, qui parut en toutes les actions de la Mere de Dieu, et particulierement és reparties qu'elle fit à l'Ange Gabriel, en toute sa conduite, lors de leur divine entreveue: La Reyne Jeanne pour conserver la [9] vertu angelique de pureté, ne hantoit par prudence que des personnes eminentes en vertu et en probité; entre autres saint François de Paule, les Reverends Peres Jean de la Fonteine, Gilbert Nicolai, et Guillaume Morin, Religieux de l'Observance de saint François d'Assize. J'ay leu dans les Enquestes des procés de la Canonization de saint François de Paule (8); que Jean Thouart valet de chambre du Roy Louys XI. asseure d'avoir veu ce saint homme parler à Madame Jeanne de France fille de ce Prince, accompagnée des Dames de sa suite, et de plusieurs autres, laquelle il exhorta à vivre en la crainte et en l'amour de Dieu, et à garder ses Commandemens le plus soigneusement qu'elle pourroit, dont la compagnie fut grandement edifiée. Elle ne se communiquoit qu'à des Dames tres-chastes et tres-devotes, particulierement ces quatre Dames, sçavoir, Charlotte de Bourbon Comtesse de Nevers, Charlotte d'Albret Duchesse de Valentinois, desquelles nous avons écrit l'Eloge en ce livre: Jeanne de Graville Dame de Chaumont; et Marie Pot de la Maison de Rodes en Berry, desquelles je parleray plus bas.
La 3. est l'Humilité, dont la Vierge donna de tres-suffisantes preuves, tant au trouble qu'elle ressentit, à cause des louanges que le Nonce du Ciel luy donna, et de la nouvelle qu'il luy apporta; qu'au rang d'esclave qu'elle choisit, au lieu des titres specieux dont il l'honora d'abord. L'humilité de la Reyne Jeanne de France n'a pas esté moindre que sa prudence et ses autres vertus. J'ay desja fait voir comme cette Princesse a aymé et pratiqué tous les jours de sa vie cette vertu, qui est le fondement et la base de tout l'edifice de la vie spirituelle. Humilité qu'elle fit éclater lavant souvent les pieds aux necessiteux, qui estoient estonnez des services et des assistances que leur rendoit cette plus noble Princesse de la Chrestienté, qui avoit l'honneur d'estre fille, soeur et femme de Rois de France, et qui imitoit parfaitement plusieurs Roys ses ancestres, entre autres Louys le Debonnaire, Robert, et saint Louys, Princes si humbles et si charitables envers les pauvres. Aprés qu'elle eut fondé l'Ordre de la Vierge, ses contentemens et ses delices estoient [10] de servir ses filles, et de faire les plus viles et les plus abjectes fonctions de son Monastere de l'Annonciade, quand elle alloit passer quelques jours avec elles, tant devant qu'aprés qu'elle eut pris l'habit, et fait profession de la Regle des dix Vertus de Nostre-Dame, qui fut le jour de la Pentecoste de l'an 1503. ou selon la supputation moderne qui semble plus exacte en l'an 1504.
La 4. est la Foy, par laquelle, mesme au témoignage prophetique de sainte Elizabet, la Vierge Marie creut fermement et sans hesiter, ce qu'elle avoit ouy de l'Ange, et que la chose à quoy elle avoit consenty, s'accompliroit en elle, nonobstant toutes les apparences contraires qui se presentoient en son esprit. Jeanne de Valois fut heureuse d'avoir creu aux paroles de la Vierge, lors qu'elle luy promit qu'elle fonderoit et établiroit dans l'Eglise une Congregation de Vierges en son honneur, pour la devotion qu'elle luy avoit dans ses plus tendres années.
La 5. est la Devotion, témoignée par la Vierge tout le cours de sa vie, nommément en l'assiduité qu'elle rendit à l'oraison, en son mysterieux Cantique, et en la diligence nompareille qu'elle mit à conserver en son coeur tout ce qu'elle voyoit, ou qu'elle entendoit de merveilleux en la naissance et en la vie de son bien-aymé Fils. Les prieres que Jeanne Duchesse d'Orleans et de Berry a ordonnées, non seulement pour estre faites par ses filles, mais mesme par ceux de son troisiéme Ordre avec la sainte Regle qu'elle a composée et dictée aux Peres Gabriel-Marie, et Guillaume Morin, Religieux de l'Ordre de saint François, et fait approuver par le Vicaire de Dieu en terre, sont des asseurez témoignages de sa devotion et de sa pieté.
La 6. est l'Obeissance, vertu gardée par la Vierge des Vierges constamment, et amiablement à la Loy de Dieu, au Bien-heureux saint Joseph son époux, et aux ordonnances du Ciel, qu'elle-mesme ne comprenoit pas. Jeanne Reyne de France a obey à Philippe Cardinal de Luxembourg, et aux deux autres Deputez du saint Siege, quand ils luy signifierent à Amboise leur sentence, ausquels elle fit la réponse remarquée cy-dessus. Aprés avoir fondé son Con-[11]vent, et étably son Ordre, elle a fort bien pratiqué la vertu d'obeïssance envers ses Superieurs, ne sortant pas mesme de la ville de Bourges sans la permission et la licence de son Confesseur. Ce n'est pas grande merveille si une personne de basse naissance sçait obeir, mais bien une Princesse et une Reyne qui estoit née pour commander.
La 7. est la Pauvreté, vertu que la Mere du Sauveur a pratiquée sans cesse au mépris des choses superflues, et dans le defaut des necessaires; tant en son vivre, en ses habits, en son enfantement, en son mesnage, qu'en sa propre personne, et en celle de son Fils le Monarque du Ciel. La Reyne Jeanne a pratiqué cette vertu, qu'elle a mise la 7. de sa Regle; car aprés son decés, comme on la voulut ensevelir, son Medecin, son Chirurgien et son Apoticaire, et les Seigneurs et les Dames de sa suite virent que son corps tendre et delicat estoit couvert d'un rude cilice, ses reins d'une chaisne de fer avec cinq clous d'argent sur sa poitrine. Ce furent là les riches meubles que trouverent les domestiques de cette Princesse, qui menoit une vie fort austere, particulierement depuis qu'elle se fut retirée à Bourges, comme j'ay dit en sa vie que j'ay écrite en l'Histoire Catholique. Elle faisoit la discipline aussi souvent que tous les jours; elle portoit sur sa poitrine quatre ou cinq clous d'argent fort aigus: elle mangeoit des viandes les plus grossieres, et s'abstenoit souvent de laict, d'oeufs, et de tout ce qui provenoit de la chair. Si on loue les Demoiselles et les Religieuses d'avoir quitté leurs biens pour vivre en pauvreté dans les solitudes et dans les Cloistres; à plus forte raison cette Fille de France, l'une des plus nobles Princesses du monde, doit estre estimée et honorée. Les belles ames éclairées de la lumiere du Ciel, suivent des maximes toutes contraires à celles du monde, elles estiment des vertus qu'il méprise, et la pauvreté leur semble aussi douce qu'elle paroist effroyable aux disciples d'un si mauvais maistre; elles l'embrassent avec ardeur, et elles ne sont jamais plus riches que quand elles sont pauvres. Comme nostre Reyne Jeanne avoit leur lumiere, elle avoit aussi leur sentiment: Avant que quitter les Sceptres et les Diadémes, [12] elle avoit desja conceu un si haut mépris des grandeurs et des richesses, qu'elle souhaitoit de vivre avec les pauvres, et ce fut par ce mouvement qu'elle prit l'habit, et embrassa la vie Religieuse dans son Ordre de l'Annonciade, duquel elle donna la direction aux Religieux de l'Ordre de saint François d'Assize, qui appelloit la pauvreté sa Dame, et qu'elle choisit une condition où elle pust imiter la pauvreté du Fils de Dieu: elle eut tousjours quelque inclination particuliere pour les pauvres, qui sont les membres du Sauveur, lequel vivant parmy nous a preferé leur condition à celle des riches.
La 8. est la Patience, que la Vierge Marie fit reluire parmy les persecutions qu'elle souffrit de Herode, et des Juifs, dans les voyages qu'elle fit en Egypte, en la perte qu'elle fit de son cher Enfant, en la mort ignominieuse et cruelle qu'il endura sur le Calvaire, au delaissement interieur où elle fut souvent plongée, et en mille autres semblables manieres. Nous avons veu cy-dessus comme Jeanne de Valois, fille, soeur, et femme des Rois de France a pratiqué cette vertu de patience tous les jours de sa vie. Estant fille, ayant à vivre avec son pere le Roy XI. et depuis estant mariée à Louys Duc d'Orleans, qui ne luy témoigna point d'affection, l'ayant épousée contre son gré: et les peines qu'elle eut de faire approuver sa regle par le saint Siege, aprés qu'elle se fut retirée à Bourges.
La Charité est la 9. vertu, et l'Imperatrice de toutes les vertus, dont la Reyne des Anges et des hommes s'est perpetuellement servie, n'ayant jamais d'autre premier et principal objet que Dieu mesme, et son Verbe incarné; et pour seconde visée, que le prochain qu'elle servit et secourut de ses conseils, de ses douces et amiables paroles, et de son credit; bref en toutes les façons qui luy furent possibles. Cette 9. Vertu a esté pratiquée par Jeanne Reyne de France, qui pour l'amour de Dieu quitta les Sceptres et les Couronnes Royales, et tous les honneurs, les plaisirs et les delices de la terre; et pour celuy du prochain, par le soin et la charité qu'elle eut pour les pauvres, entretenant des Chirurgiens à Bourges pour les assister, les guerissant de leurs [13] maladies, aprés leur avoir donné l'aumosne et baisé leurs playes; fondant des Colleges pour l'instruction de la jeunesse (9), reformant les Religieuses qui ne gardoient pas exactement leurs saintes Constitutions et leurs Regles, et attirant au service de Dieu les ames chastes et saintes.
La 10. est la Compassion et tendresse, vertu que la Mere du Redempteur ressentit és travaux, és affronts, et és extrémes rigueurs que son tres-doux Enfant supporta, et qui percerent le coeur de la Mere à mesure qu'elles se deschargeoient sur le corps et sur l'esprit du Fils. Jeanne de France Duchesse de Berry a fait peindre en son Cabinet, en son Oratoire, et en son Eglise de l'Annonciade les 5. playes de Nostre Seigneur, avec le mystere de l'Incarnation, comme je feray voir en l'explication de sa belle et devote Devise.
C'est en cette maniere que la Bienheureuse Jeanne de France a pratiqué ces dix Vertus, et imité la tres-sainte Vierge, et que les Religieuses de son Ordre le doivent faire pour s'aquiter de leur obligation, et garder leur Regle des dix Vertus de Nostre-Dame que leur a donnée leur Fondatrice, et qui a esté premierement approuvée par Alexandre VI. le 14. de Fevrier de l'an 1501. et aprés par Leon X. le 25. Juillet de l'an 1517. année remarquable par la revolte de Luther contre l'Eglise: Chose fort convenable à la divine Providence, afin que comme cet Apostat et Patriarche des errans de la Germanie devoit avec ses sectaires ruiner plusieurs beaux Monasteres dans les Allemagnes: Cette Regle sainte et cet Ordre sacré fut approuvé et confirmé par le Lieutenant de JESUS-CHRIST en terre, dans lequel plusieurs filles et vierges seroient enroollées sous les étendars de la glorieuse Vierge Mere de Dieu, lesquelles à l'exemple de leur sainte Fondatrice la Reyne Jeanne de France fonderoient des Chapelles, des Oratoires, et des Maisons de Religion és villes principales de France, et de Flandre ou basse Allemagne: Car l'on void 35. Maisons de ce premier Ordre de l'Annonciade, ou des dix Vertus de la Vierge: 19. Monasteres en France, sçavoir Bourges, Alby, Rhodez, Bordeaux, Agen, Ligny en Barrois, Chantelou, la Reole, Gi-[14]sors, Roye, Melun, Saint Nicolas en Lorraine, Meulan, Montfort, Boulogne, Bar; et ces trois à Paris, les dix Vertus au faux-bourg de Saint Germain, où la Reverende Mere Anne Pot de Roddes (10) dite de Jesus Marie est Mere Ancelle; le Saint Esprit à Popincour prés de la porte Saint Antoine, où la Reverende Mere Marguerite de Louvancourt (11) est Mere Ancelle ou Superieure: et au petit Vaugirard au faux-bourg Saint Germain, où la Reverende Mere Victoire de Savari de Breves (12) est Mere Ancelle.
Seize aux Pays bas, sçavoir Bruges en Flandre, Bethune en Artois (13), Louvain en Brabant, Anvers, Nivelle, Douay, Mastricht, Venloo en Gueldre, Brusselle, l'Isle en Flandre, Namur, Gand, Duren prés de Cologne, Tielmont, Alost et Berghe Saint Vinoc, dit Vinox Berghen, où vivent de saintes Religieuses du premier Ordre de l'Annonciade, dignes filles spirituelles d'une fille de France qui donna l'habit à ses Religieuses dans son premier Monastere de l'Annonciade à Bourges le 20. d'Octobre de l'an 1502. ou selon l'autre supputation qui semble plus exacte 1503. et les fit Professes à la feste de la Pentecoste l'année suivante.
Elle leur fit porter une robe grise pour marque de penitence, et les couleurs de saint François d'Assize et de Sainte Claire: un manteau blanc, symbole de la pureté, qu'elles doivent garder tous les jours de leur vie: un Scapulaire rouge en forme de Croix, qui leur represente devant les yeux la Croix teinte du Sang de JESUS-CHRIST leur Epoux: dix noeuds qui signifient les dix Vertus de la Vierge, et trois cordons au bas en memoire des fouets dont le Fils de Dieu fut flagellé.
Je renvoye les Lecteurs curieux devots à la Reyne du Ciel, qui voudront apprendre les particularitez de cette Regle dorée, mais toute d'or, et plus precieuse que l'or et le topase; livret divin fait par inspiration speciale; livre non jamais assez loué, qui cache sous une simple écorce la plus subtile mouelle des Cedres du Liban, manne cachée, grain de moustarde Evangelique, arbre qui épand ses pampres et ses fruits par plusieurs grandes Provinces de la Chrestienté. Elle se trouve écrite en Latin d'un bon stile au livre 2 de l'Origine des Annonciades, composé par Aubert le [15] Mire, Doyen d'Anvers, imprimé en la méme ville l'an 1608. et en François à la fin de la vie de la Bienheureuse Jeanne, qu'a faite et reveue Monsieur l'Evéque de Riez l'an 1644.
Cette tres-vertueuse et tres-devote Princesse fit plusieurs biens tandis qu'elle demeura à Bourges; car elle reforma les Religieuses de l'Abbaye de Saint Laurens, qui depuis ont fait une vie digne du Ciel, et de filles de saint Benoist, et de saint Scholastique.
Elle fonda en l'Université de Bourges un College, auquel elle mit un Principal et dix Boursiers en l'honneur des dix Vertus de la Vierge, et voulut que cette Maison fust reglée comme le College de Navarre, fondé en l'Université de Paris par la Reyne Jeanne, femme du Roy Philippe le Bel, et mere de trois Rois Louys Hutin, Philippe le Long, et Charles le Bel: de sorte que nostre Reyne est la troisiéme de ce mesme nom qui a fondé en France des Maisons pour les Muses: car la Reyne Jeanne, femme du Roy Philippe V. a fondé le College de Bourgongne à Paris.
Elle ravit en admiration tous les habitans de cette ville capitale de Berry, par les grands biens qu'elle donna non seulement aux Eglises et aux Hospitaux de Bourges, mais aussi de ce Duché là, lesquels témoigneront à jamais sa pieté envers Dieu, et sa charité envers les pauvres.
Ce fut le 4. de Fevrier de l'an 1504. ou selon l'autre supputation de l'an 1505. qu'elle passa de cette vie mortelle et perissable à l'eternelle et bien-heureuse. Son corps fut inhumé avec une pompe Royale en l'Eglise de son Monastere de l'Annonciade, corps qui s'est conservé frais et entier prés de 60. ans, jusques à ce que des mains impies et sacrileges l'ont sans respect de la noblesse de sa Maison et de son sang Royal, tiré du tombeau où il reposoit, quand la ville de Bourges fut surprise par les Huguenots l'année 1562. sous la minorité du Roy Charles IX. comme j'ay remarqué au livre I. de l'Histoire Catholique, où j'ay rapporté toutes les particularitez qui arriverent quand les Religionnaires bruslerent son corps.
Jeanne de France, quelque temps avant sa mort, et mesme au dernier moment de sa vie, fut environnée d'une [16] grande lumiere, qui fut veue, non sans estonnement de ceux qui l'assistoient durant sa maladie, entre autres de la Dame Pot sa Dame d'honneur. Le mesme est arrivé en ces derniers siecles à une grande Dame de Naples Brienne d'Aquavive d'Arragon, fille du Duc d'Atrie (14), laquelle fut en sa vie un miroir de chasteté, et l'exemplaire de la patience et de la constance, comme écrit en son Eloge le Seigneur Capacio. Nous devons pieusement croire que ces signes sont des preuves de la beatitude de ces deux Dames, que leurs vertus, et particulierement la patience et la souffrance ont rendues recommandables à la posterité.
Le jour de son anniversaire on lit cet eloge Latin, non seulement au Monastere de Bourges, mais aussi par tous les Convents de son Ordre, que nous mettrons icy en François, afin que chacun en puisse avoir la cognoissance (15).
Obiit inclyta et meritis plena Beata Joanna de Francia, Illustrissima quondam Regis filia, et soror alterius, videlicèt Caroli VIII. quae viro soluta castè vivens, mundo orbata, et divinis ac sacris addicta, totius Ordinis sacrorum beneplacitorum Evangelicorum fundatrix et rectrix extitit pientissima. Cujus sacrum pignus, Biturigis honorificè sepelitur miraculis clarens: porrò nunc beata in caelis laureata perpetuò cum beatis Deo fruitur, die 4. Februarii defuncta anno Domini millesimo quingentesimo quarto.
La bien-heureuse Jeanne de France pleine de merites, qui a esté tres-illustre fille de Roy, et soeur pareillement d'un autre Roy, sçavoir de Charles VIII. estant privée de mary véquit fort chastement, et morte au monde fut Fondatrice tres-pieuse du Saint Ordre des Vertus Evangeliques; le corps de laquelle, comme un gage precieux, est inhumé dans Bourges, où il repose resplandissant en miracles. Maintenant son ame couronnée de gloire avec les bien-heureux jouit et jouira eternellement de Dieu. Elle deceda le 4. de Fevrier, l'an de grace 1504.
Marguerite d'Austriche Duchesse de Savoye, et Gouvernante des Pays bas: Charlote de Bourbon Comtesse de [17] Nevers: Charlotte d'Albret, Duchesse de Valentinois: Marie Pot: Jeanne de Graville, Dame de Chaumont, et autres vertueuses Dames ont porté un grand respect à cette tres-pieuse et tres-devote Princesse, (l'honneur et la gloire du sang Royal de France, et le plus pur de la Chrestienté) tant durant sa vie qu'aprés son decés. L'on void en ces vies des Dames illustres en pieté, ou en valeur, ou en doctrine, les Eloges des trois premieres.
Les deux autres estoient Marie Pot de la Maison de Rhodes en Berry, qui a donné des Chevaliers aux Ordres du saint Esprit et de la Toison, et des Seigneurs qui ont esté grands Maistres des ceremonies en la Cour, et des Portes-Cornete aux armées de nos Rois: et a esté alliée à plusieurs illustres et nobles Maisons, à celles de Montmorency, d'Halluin ou de Pienne (16), de Court-jambe (17), de l'Aage (18) ou de Puylaurens, de Laubespine, et autres. Cette Dame l'assista, comme j'ay dit cy-devant à son depart de ce monde.
La 2. estoit fille de Louys Mallet, dit de Graville (19), Amiral de France, et de Marie de Balsac, et fut mariée à Charles d'Amboise, Seigneur de Chaumont Grand Maistre, Mareschal et Amiral de France, et Lieutenant general du Roy Louys XII. en son Duché de Milan, et en la Seigneurie de Génes, duquel elle eut un seul fils George d'Amboise Seigneur de Chaumont, qui fut tué à la funeste Journée de Pavie. Cette Dame de l'ancienne Maison de Graville, de laquelle on dit qu'il est plus ancien Sire en Graville, que Roy en France, a mené une vie fort sainte, estant du nombre de celles qui usent du monde, comme n'en usant point. Pour la devotion qu'elle avoit envers la Mere de Dieu, elle fit une fondation au Convent de l'Annonciade de Bourges, pour quinze Religieuses, et plusieurs autres biens à cette devote Maison, dont la Reyne Jeanne sa maistresse est la premiere Fondatrice et l'Institutrice. Elle mourut l'an 1540. et voulut que son corps fust inhumé au Monastere des Peres Celestins de Marcoussis, duquel son pere l'Amiral de Graville est l'un des principaux bien faicteurs, et que son coeur fust porté à l'Annonciade de Bourges, prés le corps de la [18] Reyne Jeanne de France, où il est gardé dans la nef de cette Eglise.
Depuis le decés de cette Reyne, plusieurs grandes Princesses d'une eminente pieté, ont honoré sa memoire, entre autres Louyse de Lorraine Reyne de France: Marguerite de Lorraine Duchesse d'Alençon, Comtesse du Perche de bien-heureuse memoire: et l'Infante d'Espagne Elizabet-Claire-Eugenie. Les deux premieres ont souvent visité son tombeau à Bourges; et la 3. (qui avoit l'honneur de luy appartenir) estant fille d'une fille de France, a porté une affection particuliere à sa memoire, ayant écrit plusieurs fois au Pape Urbain VIII. pour sa beatification, permis l'établissement de plusieurs Maisons de son Ordre dans les Pays bas, et souvent visité l'Eglise et le devot Monastere de l'Annonciade de Brusselle, où vivent exemplairement plusieurs Religieuses, (qui gardent en perfection la Regle de leur sainte Fondatrice) et où est inhumé l'un des plus fideles serviteurs de cette Infante et de son mary l'Archiduc Albert, M. Pierre Pecquius (20) Chancelier de Brabant, qui a esté leur Ambassadeur en France prés du Roy Henry le Grand (qui n'en parloit jamais sans eloge) et en Allemagne prés de l'Empereur Mathias, digne fils du docte Conseiller Pierre Pecquius, tant loué par les écrits du President Expilly, du Docteur Coaruvias, de Valere André, d'Aubert le Mire, et de François Suivert en ses Athenes Belgiques, et autres Ecrivains illustres (21). Ce Chancelier a eu de sa femme Barbe-Marie Boonem (22), soeur de Jaques Boonem, Evéque de Gand, qui est maintenant Archevéque de Malines, Dame fort sage et pieuse, plusieurs enfans heritiers de ses vertus; entre autres un Pere Chartreux, et deux filles qui sont Religieuses de l'Ordre de la Reyne Jeanne, au mesme Convent de l'Annonciade à Brusselle. Cette Dame a receu aussi les honneurs de la sepulture avec le Chancelier de Brabant son mary dans l'Eglise de ce Monastere, duquel elle a fait construire le grand Autel.
Feu Monsieur Regnier, Docteur en Theologie de la Maison et Societé de Sorbonne, Chanoine, Theologal et Pe-[19]nitencier en l'Eglise de Bourges, et sa tante la Mere Magdelaine Chambellan (23), Religieuse aux Annonciades de la méme ville, m'ont souvent écrit la ferveur avec laquelle le grand François de Sales Evéque de Geneve, et Fondateur de l'Ordre de sainte Marie, visita l'an 1619. le Sepulchre de cette sainte Princesse, Fondatrice de l'Ordre de l'Annonciation, dont il honoroit la memoire.
Plusieurs celebres personnages ont fait des eloges, ou parlé avec honneur dans leurs oeuvres de cette Princesse, fille, soeur, et femme de nos Rois: sur tous le Reverend Pere Louys Doni d'Attichy, Religieux de nostre Ordre des Minimes, à present Evéque de Riez, lequel a travaillé à la vie particuliere de cette Reyne, qu'il a donnée au public l'an 1625. et depuis en une seconde edition l'an 1644. Le Pere Nicolas Gazet, Religieux de l'Ordre de saint François, et Confesseur des Annonciades de Bethune, a aussi écrit sa vie en la premiere partie de l'Histoire de l'Ordre de l'Annonciade. Henry de Sponde Evéque de Pamiers en Languedoc, en son 2. Tome de la suite des Annales de l'Eglise du Cardinal Baronio l'an 1498. Messieurs de Sainte-Marthe en leur Histoire genealogique de la Maison de France: Aubert le Mire Doyen d'Anvers en son livre Latin de l'Origine des Annonciades: François Poiré, en sa Triple Couronne de la Vierge: Jaques Rinald en ses Lys et Fleurs de la Gaule sainte: Claude-Robert en sa France Chrestienne: Juste Lipse en sa description de Louvain: Henry Sedulius Cordelier, en ses Images de la vie de cette Reyne: et Adrien Hubert du méme Ordre en celles de la vie du Pere Gabriel-Marie son Confesseur: Louys Jacob, Carme, en sa Bibliotheque des femmes celebres par leurs écrits, et les autres Autheurs que j'ay citez à la fin de son Eloge dans l'Histoire Catholique, et ceux qu'a rapportez le Reverend Pere Artus du Monstier en ses annotations sur le Martyrologe de l'Ordre de saint François, le 4. de Fevrier (24).
Le procés des vertus et des miracles fait par André Fremiot Archevéque de Bourges, Patriarche et Primat d'Aquitaine, a esté mis en Latin en Flandre l'an 1625. par le Reverend Pere Corneille Tielmans, Gardien des Peres Cordeliers [20] d'Anvers, et Confesseur des Annonciades de cette ville là, où il a esté imprimé pour estre presenté au Pape Urbain VIII. et aux Cardinaux, pour obtenir de sa Sainteté la beatification de cette tres-illustre et tres-pieuse Princesse, au Sepulchre de laquelle Dieu fait de continuels miracles, marques asseurées de sa sainteté (25). Ce qu'estant rapporté au feu Roy Louys XIII. il a écrit plusieurs fois au Pape pour la declarer Bien-heureuse, comme aussi la Reyne son épouse, Monseigneur le Prince Gouverneur de Berry, et feu l'Infante Elizabet Archiduchesse (comme j'ay remarqué cy-dessus:) Charles de Valois Duc d'Angoulesme, et son fils Louys de Valois Comte d'Alais: La ville et Université de Bourges, et celle de Louvain en ont écrit aussi (26). Ce qui a meu le feu Pape Urbain VIII. d'adresser un Bref à quelques Prelats, entre autres à Roland Hebert Archevéque de Bourges, et à Eustache du Lys Evéque de Nevers, pour faire par authorité Apostolique des informations de la vie, des moeurs, et des miracles que Dieu fait continuellement par l'intercession de cette Reyne, dont ces deux Prelats se sont acquitez dignement. Ce qui fait esperer que l'on procedera bien tost à sa beatification et à sa Canonization, et que l'on rendra les honneurs publics qui semblent estre deus à la sainteté de cette grande Princesse, pour l'accroissement de la gloire de Dieu, et de sa fidelle servante, l'honneur de cette Monarchie Tres-Chrestienne, et la consolation du premier Ordre de l'Annonciade.
La Reyne Jeanne pour se conserver la memoire de la Passion du Sauveur, et de son Incarnation, les deux principaux mysteres de nostre salut, elle faisoit peindre en son cabinet, en son oratoire, et en son Eglise de l'Annonciade, les cinq playes de nostre Seigneur, un Calice, symbole du saint Sacrement, et l'Annonciation de la Vierge.
Qui a jamais veu une devise plus riche et plus relevée que celle de la Reyne Jeanne, qui prenoit pour ses armes les cinq playes qui ont divisé le Fils de Dieu? Qui a jamais porté sa pensée plus haut qu'elle, quand pour les heritages de la terre, elle a choisi les cinq fontaines, dont la source coule du Paradis, et par un ineffable equilibre remon-[21]te jusques au sein de la Divinité? Elle avoit quitté le plaisir des cinq sens, pour se plonger dans les cinq torrens qui decoulent de l'ocean des voluptez eternelles; et son exercice l'attachoit au bois qui a porté le Paradis. O Princesse, que vous estes heureuse d'avoir quitté les vanitez du monde pour embrasser les veritez du Ciel, et d'avoir méprisé la beauté des fleurs et des diamans, la douceur des concerts, la splendeur de la Cour, et tout ce que le monde a de plus charmant, pour vous cacher dans les cinq cavernes que l'amour a creusées dans le corps de celuy qui a creé le Ciel et la terre!
C'est ce qui vous a conduite plus avant, comme témoigne le Calice dont vous avez enrichy vos nouvelles armes qui font trembler les enfers, et ce qui vous a fait entrer jusques dans le sanctuaire du Pere Eternel: car vous avez penetré jusques dans le conseil et la resolution qu'il prit de toute eternité d'envoyer sa vive Image au monde pour reformer l'image des hommes, et la rendre conforme à celle qui avoit esté imprimée à l'homme innocent.
Vivez donc desormais, sainte Reyne, dans l'eternelle contemplation du mystere ineffable de l'Incarnation, puisque vous l'avez tant honorée et adorée en vivant parmy les tenebres de nos erreurs: et faites que ce mesme mystere serve de sujet aux plus profondes pensées de vos Religieuses, et de tous ceux qui respectent vos grandeurs, et qui font gloire de dire vos louanges, et d'expliquer vos vertus.

(1) France, blazonné aux Eloges d'Anne Reyne de France, et d'Anne Duchesse de Bourbon aux p. 1. et 46.
(2) Berry, de France, à la bordure engreslée de gueules.
(3) Annales de France.
(4) Gazet. Louys Doni d'Attichi.
(5) Cornelio Tielmans.
(6) Cornelius à Lapide Societ. Jesu.
(7) Sequimini sanctimoniam.
(8) Testis 34. in processu Turonensi.
(9) Jean Chaumeau de Lassay au livre 4 de l'Histoire de Berry, remarque comme elle a fondé le College de sainte Marie.
(10) Pot, d'or, à la fasce d'azur.
(11) Louvancourt, d'or, à trois testes de loup de sable, écartelé de sinople à l'aigle d'or, becquée, et membrée de gueules, traversée d'une espée d'argent, garnie de gueules, le pommeau et bout d'or, le fourreau de sable.
(12) Savari en Touraine et en Nivernois, écartelé au 1. et 4. de Bourgongne ancien, au 2. et 3. d'or, à la Croix ancrée de gueules, qui est de Damas sur le tout, écartelé d'argent et de sable, qui est de Savari.
(13) La ville de Bethune est maintenant reduite à l'obeyssance du Roy.
(14) Aquaviva, illustre Maison au Royaume de Naples, écartelle au 1. et 4. party d'Arragon, de Hongrie, de Naples ou d'Anjou Sicile, et de Hierusalem. Au 2. et 3., au lyon d'azur, lampassé, armé et couronné de gueules, qui est d'Atrie ancien Duché: party d'argent, au lyon de gueules, brisé sur l'espaule d'un lambel d'azur semé de fleurs de lys d'or, qui est Aquaviva.
(15) Piennes, d'argent, à trois Lyons de sable, lampassez de gueules, armez et couronnez d'or, 2.1.
(16) Louys Evéque de Riez. A. Miraus in orig. Annunciatarum. S. et L. de Sainte-Marthe.
(17) Court-jambe, eschiqueté d'argent et de sable, à 2. cimeterres ou badelaires de gueules emmanchez, virolez et rivez d'or mis en bande l'un sur l'autre.
(18) De l'Aage, d'or, à la Croix de gueules.
(19) Graville, de gueules, à trois fermaulx d'or, 2.1.
(20) Pecquius, fascé d'or et de sable de six pieces, au chef de gueules chargé d'un Lyon leopardé d'or.
(21) Laurentius Uvens in orat. funeb. Petri Beckii Brab. Cancellarii.
(22) Boonem, d'or, au sautoir de gueules remply d'argent, accompagné d'un aigle de sable en chef.
(23) Chambellan, d'or, party d'azur, à la bande de gueules, brochant sur le tout.
(24) Estienne Binet en ses vies des Fondateurs des Religions, a aussi écrit l'éloge de la Reyne Jeanne.
(25) Depuis le 3. d'Avril 1633. il y a un grand concours de peuples qui visitent le Sepulchre de la Reyne Jeanne: en cette année 1645. il y a un Avocat nommé Arnaud qui y a esté guery.
(26) Les Docteurs de l'Université ont fait imprimer leurs lettres avec des eloges de cette Reine.

Outils personnels