Jeanne de Bourgogne (vers 1290-1330)

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Jeanne de Bourgogne (vers 1290-1330)
Titre(s) Comtesse de Poitiers, Reine de France
Conjoint(s) Philippe V (dit « le Long », roi de France
Dénomination(s) Reine de Navarre, Comtesse de Bourgogne et d’Artois
Biographie
Date de naissance v. 1290
Date de décès 1330
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)



Notice de Gaëlle Audéon, 2020

Jeanne de Bourgogne, née vers 1290, est la fille d’Othon IV, comte de Bourgogne (l’actuelle Franche-Comté) et de Mahaut d'Artois. Elle est très tôt au centre d’enjeux politiques. Le roi Philippe le Bel et Othon IV signent un premier traité à Évreux le 12 juin 1291, confirmé par celui de Vincennes, le 2 mars 1295, qui prévoit le mariage de Jeanne avec le fils cadet du roi, Philippe de Poitiers. La princesse apporte notamment en dot le comté de Bourgogne, alors sous suzeraineté de l’Empire. En échange, Othon reçoit un don de 100 000 livres, une rente annuelle de 10 000 livres et une rente viagère de 2 000 livres. Cette « annexion » du comté par le roi de France entraîne une contestation vigoureuse de la noblesse franc-comtoise qui perdure jusqu’en mai 1301.
En vertu du traité de 1295, Jeanne, sa sœur Blanche et son frère Robert sont élevés à la cour de France. Le mariage avec Philippe de Poitiers est célébré à Corbeil, sans doute le 20 janvier 1307. Entre 1308 et 1313, Jeanne met au monde quatre filles, Jeanne, Marguerite, Isabelle et Blanche. En juin 1313, à l’occasion des fêtes de l’adoubement des fils du roi, elle prend la croix en même temps que sa sœur Blanche, sa cousine Marguerite (épouse du fils ainé du roi), et de nombreuses femmes nobles.
Les dernières années du règne de Philippe le Bel sont traversées d’évènements tragiques: expulsion des juifs en 1306, chute du Temple en 1307, plusieurs procès pour hérésie en 1310. En avril 1314, Marguerite et Blanche sont accusées par le roi d’une liaison durable avec deux chevaliers au service des princes, les frères d’Aulnay. D’abord soupçonnée de la même faute, Jeanne n’est finalement accusée que de complicité. Elle est cependant emprisonnée à Dourdan dès le 1er mai, tandis que Marguerite et Blanche sont isolées à Château-Gaillard (Normandie). Quelques jours après la mort de Philippe le Bel, un parlement l’innocente de toutes les charges («expurgement du tout en tout»). Elle reprend alors sa vie conjugale aux côtés du comte de Poitiers et un fils nait en juillet 1316, qui ne vit que quelques mois.
Louis X, qui a succédé à son père Philippe IV, meurt subitement en juin 1316. Aussitôt, son frère cadet Philippe de Poitiers se fait nommer régent du royaume, en attendant la naissance de l’enfant posthume du roi défunt et de sa seconde épouse, Clémence de Hongrie. En novembre nait un garçon qui meurt quelques jours plus tard. Spoliant alors les droits de l’héritière du trône, Jeanne de France, âgée de quatre ans, fille de Louis X et de Marguerite (morte en prison dès 1315), Philippe se fait sacrer à Reims le 9 janvier 1317 sous le nom de Philippe V, avec Jeanne, désormais reine de France. Il neutralise, par des alliances matrimoniales et des concessions territoriales, les oppositions à son «coup d’État», notamment celle du duc de Bourgogne, oncle de Jeanne de France. Le principe de l’exhérédation des femmes du trône, qui sera théorisé plus tard sous le nom de «loi salique», semble fixé. Aussi, lorsque Philippe V meurt prématurément le 2 janvier 1322, c’est son frère benjamin qui lui succède sous le nom de Charles IV. A trente-deux ans, Jeanne devient reine douairière.
Elle réside dès lors à l’hôtel de Nesle, ou à Gray dans son comté de Bourgogne, qu’elle administre. Il semble qu’elle ait plaidé auprès du pape la cause de sa sœur Blanche toujours emprisonnée.
Jeanne décède le 21 janvier 1330 à Roye (Somme), à quarante ans, quelques semaines après sa mère Mahaut d'Artois, alors confrontée à la contestation successorale du comté par son neveu Robert d’Artois. Elle est enterrée dans l’église des Cordeliers de Paris et ses entrailles sont portées au couvent des clarisses de Longchamp. Son épitaphe nous a été conservée: «Madame Jeanne, Reine de France et de Navarre, comtesse de Bourgogne et d’Artois».
Mécène plus discrète que sa mère, reine sacrée dans le contexte de l’exhérédation de sa nièce, épouse d’un roi mort prématurément après six ans de règne, partie prenante d’un scandale pour un adultère qui a beaucoup fait rêver mais sur la vraisemblance duquel on peut s’interroger, Jeanne de Bourgogne fait partie de ces reines qui n’ont pas bénéficié d’une étude moderne. Son époux lui-même demeure dans l’ombre (la biographie de Lehugeur date du XIXe siècle, l’étude de Balouzat-Loubet, 2019, porte sur l’évolution des institutions). Citée dans des travaux récents de plusieurs historiennes (Allirot, Brown, voir infra), cette reine qui traversa une période cruciale pour l’histoire des femmes occupe une place fort modeste dans l’historiographie.

Principales sources

  • Chronique de Guillaume de Nangis, de 1113 à 1327, Ed. Guizot, 1825, p.301-303.
  • La Chronique métrique attribuée à Geoffroy de Paris, A. Diverrès, Paris, 1956 (Publications de la faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, 129), p.202-205.
  • Fawtier, Robert, Comptes royaux (1285-1314), Paris, 1954, t.II, p.542-548.
  • Ledru, Ph., «Séjour de Jeanne de Bourgogne au Château d’Avesnes-le-Comte en 1309», Mémoires de l’Académie d’Arras, XIe série, Tome XV, 1884, p.135-146.

Choix bibliographique

  • Allirot, Anne-Hélène, Filles de roy de France, Princesses royales, mémoire de saint Louis et conscience dynastique (de 1270 à la fin du XIVe siècle), Turnhout, Brepols, 2010 (notamment p.298, 332-333).
  • Audéon, Gaëlle, Philippe le Bel et l’Affaire des brus, Paris, Éd. L’Harmattan, 2020, Préface d’Éliane Viennot.
  • Brown, Elizabeth A.R., «Philip the Fair and His Family: His Sons, Their Marriages, and Their Wives», Medieval prosopography, 2017, vol.32, p.125-185, 136-149 et 161-167.
  • Duhem, Gustave, «Jeanne de Bourgogne, Comtesse de Poitiers et Reine de France», Mémoires de la société d'émulation du Jura, 12e série, vol.1,‎ 1928-1929, p.139-173.
  • Lehugeur, Paul, Philippe le Long, roi de France, 1316-1322, Paris, Hachette, 1897.

Choix iconographique

  • ca 1325: Jeanne II de Bourgogne, comtesse de Bourgogne, reine de France et de Navarre (épouse de Philippe V de le Long, roi de France) Détail d'une enluminure tirée du "Breviculum seu electorium parvum" de Thomas le Myésier, Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, St. Peter perg. 92, fol. 12r [sans certitude] [1]

Jugements

  • «Par Dieu, écoutez-moi, sire roi, // Qui est-ce qui parle contre moi ? // Je dis que je suis prude femme, // Sans nul crime et sans nul diffame […]» (Chronique métrique attribuée à Geoffroy de Paris (La), éd. A. Diverrès, Paris, 1956, v.6017-20).
  • «La princesse Jeanne était une femme d’une haute intelligence et d’un noble cœur: elle le prouva lorsque son royal époux lui eut abandonné le gouvernement de la Comté de Bourgogne. Elle marqua son administration par des bienfaits et des réformes, elle s’occupa constamment d’améliorer la condition de ses sujets, elle fit bénir son nom dans le pays.» (Eugène Rougebief, Histoire de la Franche-Comté, Paris, 1851).
  • «Figure silencieuse et attachante que celle de cette jeune reine, dont les chroniqueurs ne nous parlent pas, et dont le nom n’apparait que de temps à autre dans les textes, à l’occasion d’une cérémonie religieuse ou d’une fête domestique. Après le scandale qui avait bouleversé sa vie, Jeanne vivait sans bruit dans l’ombre du palais royal, s’attachant à l’époux qui n’avait pas douté d’elle, aimable et accueillante à tous […].» (Gustave Duhem Gustave, «Jeanne de Bourgogne, Comtesse de Poitiers et Reine de France», Mémoires de la société d'émulation du Jura, 12e série, vol.1,‎ 1928-1929, p.165).
  • (À propos de l’affaire des brus ) «[…] deux fils de France, l’aîné, Louis, et le puîné, Charles, portaient les cornes par la grâce de deux écuyers appartenant l’un à la maison de leur oncle, l’autre à la maison de leur frère, et ceci sous la garde de leur belle-sœur Jeanne, épouse constante mais entremetteuse bénévole, qui prenait un trouble plaisir à vivre les amours d’autrui.» (Maurice Druon, Les Rois maudits [1955, t.21 Le Roi de fer], Éd. Plon, 2014, p.39).
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