Jeanne Perraud : Différence entre versions

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Née le 15 juillet 1631 à Martigues, Jeanne Perraud est la fille d'un écuyer qui la laisse tôt orpheline et réduite à vivre de mendicité et de travaux de couture. L’identité de sa mère n’est pas connue. Plus que dévote, elle se révèle « obsédée » de Dieu, mais psychiquement instable. Après trois brèves expériences de vie conventuelle, chez les ursulines de Lambesc et de Barjols, puis chez les dominicaines à Saint-Maximin, elle mène ensuite une vie pieuse dans le monde. A partir de 1654, elle ne quitte plus Aix-en-Provence. Attachée aux augustins réformés, elle y sera reçue comme tertiaire de leur ordre peu avant sa mort. Toute sa vie, elle souffre de maladies psychosomatiques plus ou moins graves, ce qui ne l'empêche pas de se livrer à une ascèse forcenée. Dès sa « conversion » spirituelle (vers 1650), elle se dit fréquemment sujette à des épreuves supranaturelles. Le 15 juin 1658, elle « voit » ainsi l’Enfant-Jésus, âgé de trois ans et d'une « beauté sans exemple ». Elle le décrit chargé des instruments de la Passion, avec une croix disproportionnée à sa petitesse, comme « pour marquer que, dès son enfance, il a autant souffert que lorsqu’il est mort sur la croix ». Elle en fait faire un tableau, qui sera reproduit sur le frontispice de sa biographie et fonde une chapelle dédiée au culte du Saint-Enfant. Ses qualités personnelles ‒ piété, générosité, sociabilité ‒ favoriseront l'expansion de cette nouvelle dévotion, confortée par la guérison «miraculeuse» du petit-fils d'un conseiller au Parlement, dont la chapelle familiale aux augustins devient le siège d'une confrérie, approuvée par Rome dès 1665. Le choix de Jeanne de vénérer un Jésus âgé de trois ans provient peut-être de sa peur panique des hommes. Cette interprétation est confirmée au moment du «mariage mystique» qu’elle dit conclure avec l’Enfant-Jésus le 13 mai 1663. En 1673, pourtant, c’est un Christ bien adulte qui lui apparaît, avec sa plaie saignante au côté, avant même la révélation du Sacré-Cœur à la visitandine Marguerite-Marie Alacoque. Jeanne a couché sur papier le témoignage de ses expériences. Elle prétend que ses écrits lui ont été dictés par l’Esprit-Saint. Consulté, le mystique marseillais François Malaval (1627-1719) émet des réserves sur sa «faiblesse d’expression». Les autorités ecclésiastiques considèrent avec circonspection son zèle, parfois intempestif, à catéchiser les petites filles et à convertir les protestantes. Ainsi, l'archevêque renonce-t-il à lui confier l'instruction des ''Nouvelles converties''. Et lorsqu’elle veut fonder une congrégation de ''Filles anéanties'' consacrée à la Sainte-Enfance de Jésus, elle conçoit une règle si austère qu’elle ne reçoit aucune candidate. Après une vie difficile, Jeanne meurt « saintement » à Aix le 22 janvier 1676. Des Aixois se précipitent à l’exposition de son corps dans l’espoir d’obtenir quelques reliques. Comme il est fréquent, c’est la gravure, support peu onéreux, qui, dès 1660, diffuse sa dévotion à l’Enfant-Jésus, en mettant à portée de gens modestes l’image à vénérer. Des tableaux sont peints, jusqu'en 1762 au moins (toile de Charles Amédée-Philippe Van Loo à l'église de la Madeleine, à Aix). Une statue de cire de l’Enfant-Jésus tel que décrit par Jeanne est toujours visible dans la nef nord de la cathédrale d’Aix
 
Née le 15 juillet 1631 à Martigues, Jeanne Perraud est la fille d'un écuyer qui la laisse tôt orpheline et réduite à vivre de mendicité et de travaux de couture. L’identité de sa mère n’est pas connue. Plus que dévote, elle se révèle « obsédée » de Dieu, mais psychiquement instable. Après trois brèves expériences de vie conventuelle, chez les ursulines de Lambesc et de Barjols, puis chez les dominicaines à Saint-Maximin, elle mène ensuite une vie pieuse dans le monde. A partir de 1654, elle ne quitte plus Aix-en-Provence. Attachée aux augustins réformés, elle y sera reçue comme tertiaire de leur ordre peu avant sa mort. Toute sa vie, elle souffre de maladies psychosomatiques plus ou moins graves, ce qui ne l'empêche pas de se livrer à une ascèse forcenée. Dès sa « conversion » spirituelle (vers 1650), elle se dit fréquemment sujette à des épreuves supranaturelles. Le 15 juin 1658, elle « voit » ainsi l’Enfant-Jésus, âgé de trois ans et d'une « beauté sans exemple ». Elle le décrit chargé des instruments de la Passion, avec une croix disproportionnée à sa petitesse, comme « pour marquer que, dès son enfance, il a autant souffert que lorsqu’il est mort sur la croix ». Elle en fait faire un tableau, qui sera reproduit sur le frontispice de sa biographie et fonde une chapelle dédiée au culte du Saint-Enfant. Ses qualités personnelles ‒ piété, générosité, sociabilité ‒ favoriseront l'expansion de cette nouvelle dévotion, confortée par la guérison «miraculeuse» du petit-fils d'un conseiller au Parlement, dont la chapelle familiale aux augustins devient le siège d'une confrérie, approuvée par Rome dès 1665. Le choix de Jeanne de vénérer un Jésus âgé de trois ans provient peut-être de sa peur panique des hommes. Cette interprétation est confirmée au moment du «mariage mystique» qu’elle dit conclure avec l’Enfant-Jésus le 13 mai 1663. En 1673, pourtant, c’est un Christ bien adulte qui lui apparaît, avec sa plaie saignante au côté, avant même la révélation du Sacré-Cœur à la visitandine Marguerite-Marie Alacoque. Jeanne a couché sur papier le témoignage de ses expériences. Elle prétend que ses écrits lui ont été dictés par l’Esprit-Saint. Consulté, le mystique marseillais François Malaval (1627-1719) émet des réserves sur sa «faiblesse d’expression». Les autorités ecclésiastiques considèrent avec circonspection son zèle, parfois intempestif, à catéchiser les petites filles et à convertir les protestantes. Ainsi, l'archevêque renonce-t-il à lui confier l'instruction des ''Nouvelles converties''. Et lorsqu’elle veut fonder une congrégation de ''Filles anéanties'' consacrée à la Sainte-Enfance de Jésus, elle conçoit une règle si austère qu’elle ne reçoit aucune candidate. Après une vie difficile, Jeanne meurt « saintement » à Aix le 22 janvier 1676. Des Aixois se précipitent à l’exposition de son corps dans l’espoir d’obtenir quelques reliques. Comme il est fréquent, c’est la gravure, support peu onéreux, qui, dès 1660, diffuse sa dévotion à l’Enfant-Jésus, en mettant à portée de gens modestes l’image à vénérer. Des tableaux sont peints, jusqu'en 1762 au moins (toile de Charles Amédée-Philippe Van Loo à l'église de la Madeleine, à Aix). Une statue de cire de l’Enfant-Jésus tel que décrit par Jeanne est toujours visible dans la nef nord de la cathédrale d’Aix
 
Sa Vie, connue grâce à la biographie publiée en 1680 par son confesseur, l'augustin Raphaël, se présente comme un dossier en vue d'une béatification. La reconnaissance d'une affiliée à leur Tiers Ordre aurait en effet bien profité aux augustins. Après avoir exposé « la vie et les vertus de la sœur », l’auteur décrit ses dévotions, insiste sur l'héroïsme de ses pénitences, la constance et la variété de ses visions, sa charité active, ses dons de prophétie... Le chapitre final de la vie, consacré aux «miracles arrivés par l’invocation du saint Enfant-Jésus, et par les prières de la sœur Jeanne», corrobore l'intention, le miracle étant nécessaire pour qu’une procédure de béatification ait une chance d’aboutir. Deux ans plus tard, le même augustin édite ses Œuvres spirituelles : 105 courts traités fortement influencés par l’œuvre de Thérèse d’Avila, répandue en France dès le début du XVIIe s. Jeanne ne sera toutefois pas canonisée. Elle représente un cas extrême de comportement mystique non dénué d’ostentation, déjà reçu avec circonspection de son vivant et que l’on aurait qualifié d’hystérique à la fin du XIXe s. Elle intéresse aujourd’hui les spécialistes de la mystique féminine et de toutes les formes de dissidences religieuses.
 
Sa Vie, connue grâce à la biographie publiée en 1680 par son confesseur, l'augustin Raphaël, se présente comme un dossier en vue d'une béatification. La reconnaissance d'une affiliée à leur Tiers Ordre aurait en effet bien profité aux augustins. Après avoir exposé « la vie et les vertus de la sœur », l’auteur décrit ses dévotions, insiste sur l'héroïsme de ses pénitences, la constance et la variété de ses visions, sa charité active, ses dons de prophétie... Le chapitre final de la vie, consacré aux «miracles arrivés par l’invocation du saint Enfant-Jésus, et par les prières de la sœur Jeanne», corrobore l'intention, le miracle étant nécessaire pour qu’une procédure de béatification ait une chance d’aboutir. Deux ans plus tard, le même augustin édite ses Œuvres spirituelles : 105 courts traités fortement influencés par l’œuvre de Thérèse d’Avila, répandue en France dès le début du XVIIe s. Jeanne ne sera toutefois pas canonisée. Elle représente un cas extrême de comportement mystique non dénué d’ostentation, déjà reçu avec circonspection de son vivant et que l’on aurait qualifié d’hystérique à la fin du XIXe s. Elle intéresse aujourd’hui les spécialistes de la mystique féminine et de toutes les formes de dissidences religieuses.

Version du 25 janvier 2014 à 15:24

Jeanne Perraud
Dénomination(s) Soeur Perraud, Jeanne de l'Enfant-Jésus
Biographie
Date de naissance 15 juillet 1631
Date de décès 22 janvier 1676
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Marcel Bernos, 2013

Née le 15 juillet 1631 à Martigues, Jeanne Perraud est la fille d'un écuyer qui la laisse tôt orpheline et réduite à vivre de mendicité et de travaux de couture. L’identité de sa mère n’est pas connue. Plus que dévote, elle se révèle « obsédée » de Dieu, mais psychiquement instable. Après trois brèves expériences de vie conventuelle, chez les ursulines de Lambesc et de Barjols, puis chez les dominicaines à Saint-Maximin, elle mène ensuite une vie pieuse dans le monde. A partir de 1654, elle ne quitte plus Aix-en-Provence. Attachée aux augustins réformés, elle y sera reçue comme tertiaire de leur ordre peu avant sa mort. Toute sa vie, elle souffre de maladies psychosomatiques plus ou moins graves, ce qui ne l'empêche pas de se livrer à une ascèse forcenée. Dès sa « conversion » spirituelle (vers 1650), elle se dit fréquemment sujette à des épreuves supranaturelles. Le 15 juin 1658, elle « voit » ainsi l’Enfant-Jésus, âgé de trois ans et d'une « beauté sans exemple ». Elle le décrit chargé des instruments de la Passion, avec une croix disproportionnée à sa petitesse, comme « pour marquer que, dès son enfance, il a autant souffert que lorsqu’il est mort sur la croix ». Elle en fait faire un tableau, qui sera reproduit sur le frontispice de sa biographie et fonde une chapelle dédiée au culte du Saint-Enfant. Ses qualités personnelles ‒ piété, générosité, sociabilité ‒ favoriseront l'expansion de cette nouvelle dévotion, confortée par la guérison «miraculeuse» du petit-fils d'un conseiller au Parlement, dont la chapelle familiale aux augustins devient le siège d'une confrérie, approuvée par Rome dès 1665. Le choix de Jeanne de vénérer un Jésus âgé de trois ans provient peut-être de sa peur panique des hommes. Cette interprétation est confirmée au moment du «mariage mystique» qu’elle dit conclure avec l’Enfant-Jésus le 13 mai 1663. En 1673, pourtant, c’est un Christ bien adulte qui lui apparaît, avec sa plaie saignante au côté, avant même la révélation du Sacré-Cœur à la visitandine Marguerite-Marie Alacoque. Jeanne a couché sur papier le témoignage de ses expériences. Elle prétend que ses écrits lui ont été dictés par l’Esprit-Saint. Consulté, le mystique marseillais François Malaval (1627-1719) émet des réserves sur sa «faiblesse d’expression». Les autorités ecclésiastiques considèrent avec circonspection son zèle, parfois intempestif, à catéchiser les petites filles et à convertir les protestantes. Ainsi, l'archevêque renonce-t-il à lui confier l'instruction des Nouvelles converties. Et lorsqu’elle veut fonder une congrégation de Filles anéanties consacrée à la Sainte-Enfance de Jésus, elle conçoit une règle si austère qu’elle ne reçoit aucune candidate. Après une vie difficile, Jeanne meurt « saintement » à Aix le 22 janvier 1676. Des Aixois se précipitent à l’exposition de son corps dans l’espoir d’obtenir quelques reliques. Comme il est fréquent, c’est la gravure, support peu onéreux, qui, dès 1660, diffuse sa dévotion à l’Enfant-Jésus, en mettant à portée de gens modestes l’image à vénérer. Des tableaux sont peints, jusqu'en 1762 au moins (toile de Charles Amédée-Philippe Van Loo à l'église de la Madeleine, à Aix). Une statue de cire de l’Enfant-Jésus tel que décrit par Jeanne est toujours visible dans la nef nord de la cathédrale d’Aix Sa Vie, connue grâce à la biographie publiée en 1680 par son confesseur, l'augustin Raphaël, se présente comme un dossier en vue d'une béatification. La reconnaissance d'une affiliée à leur Tiers Ordre aurait en effet bien profité aux augustins. Après avoir exposé « la vie et les vertus de la sœur », l’auteur décrit ses dévotions, insiste sur l'héroïsme de ses pénitences, la constance et la variété de ses visions, sa charité active, ses dons de prophétie... Le chapitre final de la vie, consacré aux «miracles arrivés par l’invocation du saint Enfant-Jésus, et par les prières de la sœur Jeanne», corrobore l'intention, le miracle étant nécessaire pour qu’une procédure de béatification ait une chance d’aboutir. Deux ans plus tard, le même augustin édite ses Œuvres spirituelles : 105 courts traités fortement influencés par l’œuvre de Thérèse d’Avila, répandue en France dès le début du XVIIe s. Jeanne ne sera toutefois pas canonisée. Elle représente un cas extrême de comportement mystique non dénué d’ostentation, déjà reçu avec circonspection de son vivant et que l’on aurait qualifié d’hystérique à la fin du XIXe s. Elle intéresse aujourd’hui les spécialistes de la mystique féminine et de toutes les formes de dissidences religieuses.

Oeuvre

  • [avant 1676] : Bibliothèque municipale de Marseille, Ms 1251 : «Récits des grâces et des communications particulières que la sœur Jeanne Perraud avait reçues de Dieu, mises par écrits sur le commandement de son confesseur», 529 pages + un index.

Oeuvre imprimée

  • 1682 : Perraud, Jeanne, Les Œuvres spirituelles, recueillies par un religieux augustin déchaussé [P. Raphaël], Marseille, C. Marchy, 356 p. [1]

Principales sources

  • [1660 et ss.] : Bibliothèque municipale de Marseille, Ms n°1250 : «Recueil des choses les plus considérables observées en la vie de la sœur Jeanne Perraud depuis 1660 jusqu'à sa mort…», 866 p. + un index.
  • 1680 : [P. Raphaël], augustin, La Vie et les vertus de la sœur Jeanne Perraud, dite de l’Enfant Jésus, religieuse du Tiers-Ordre de saint Augustin..., Marseille, C. Garcin, 571 p. [2]

Choix bibliographique

  • Bernos, Marcel, «Encore la Provence mystique : Jeanne Perraud d'Aix», Aspects de la Provence, Marseille, 1983, p.97-124.
  • Bernos, Marcel, «Perraud, Jeanne de l’Enfant-Jésus», Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, t. XII, 1983-1984, col. 1172-1174.
  • Bremond, Henri (abbé), Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des Guerres de Religion jusqu’à nos jours, Paris, Bloud et Gay, t. III, 1925, p. 569-592.
  • Ribard, Dinah, «Religieuses philosophes, religieuses sans clôture, ermites et vagabondes : appartenances et dissidences au XVIIe siècle», L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2009 ; DOI : 10.4000/acrh.1367.

Choix iconographique

  • 1680 : [Grendier sculp.], [Jeanne Perraud en prière devant la représentation de Jésus-Enfant], gravure -- La Vie et les vertus de la sœur Jeanne Perraud… Voir supra Principales sources, gravure en regard de la page de titre.

Choix de liens électroniques

  • Site Garrigue et sentiers, article de Marcel Bernos : « Jeanne Perraud, une canonisation ratée », mise en ligne 9 mars 2012 [3].
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