Gerberge de Saxe

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Gerberge de Saxe
Titre(s) « duchesse » de Lotharingie, reine des Francs
Conjoint(s) Giselbert, duc de Lotharingie ; Louis IV, roi des Francs
Dénomination(s) la reine Gerberge, Gerberge de Saxe
Biographie
Date de naissance vers 913/917
Date de décès 984?
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)
Autre(s) dictionnaire(s) en ligne
vers 969


Notice de Justine Audebrand, 2022

Gerberge est la fille du roi de Germanie Henri Ier, fondateur de la dynastie des Ottoniens. Comme son frère aîné, le futur empereur Otton Ier, elle naît avant l’accession au pouvoir de leur père en 919, sans que l’on connaisse sa date de naissance avec certitude. On ne sait rien de sa vie avant son premier mariage, en 928/929, avec le duc de Lotharingie Giselbert. Elle soutient vraisemblablement la révolte de son mari en 939 contre Otton Ier.
C’est à partir de son deuxième mariage, contracté peu après la mort de Giselbert en octobre 939, que l’on commence à percevoir l’action politique de Gerberge. Elle épouse le jeune roi des Francs Louis IV, sans l’accord de son frère et tuteur Otton Ier, qui s’empare de deux de ses enfants. L’apaisement n’a lieu qu’en 942, quand Louis IV et Otton Ier concluent une paix à Visé. Gerberge suit de près les déplacements de son époux pendant quelques années. En 945, Louis IV est fait prisonnier lors d’une expédition en Normandie : c’est à cette occasion que la reine apparaît pour la première fois sur le devant de la scène. Elle joue un rôle dans les pourparlers, fait appel à Otton et s’assure qu’il mène une expédition pour délivrer son époux. Après ce succès, Gerberge apparaît beaucoup plus fréquemment dans les sources du royaume franc : elle est le principal soutien de son époux et mobilise ses réseaux, en partie constitués lors de son premier mariage, pour renforcer le trône carolingien. Elle joue le rôle d’ambassadrice pour Louis IV auprès d’Otton en 949. À partir de cette même année, elle intercède régulièrement auprès de son mari pour les membres de l’aristocratie.
Entre 949 et 954, Gerberge est également la récipiendaire d’un Traité sur l’Antéchrist, sans doute composé par le futur abbé de Saint-Basle de Verzy Adson. Dans ce traité, elle apparaît comme une promotrice de la réforme monastique, qu’elle soutient avec l’évêque de Laon Roricon, demi-frère de Louis IV. Autour d’elle sont rassemblés divers intellectuels du royaume franc, qui participent à redéfinir l’image de la reine et à rehausser le prestige vacillant de la dynastie carolingienne à laquelle appartient Louis IV.
Louis IV meurt d’une chute de cheval en 954. Gerberge se sert de l’appui de son frère Brunon, archevêque de Cologne, pour assurer le trône à son fils Lothaire âgé de 13 ans. Pendant quelques années, elle tient les rênes du pouvoir aux côtés de son fils. C’est sans doute à cette époque qu’on lui dédie une Vie de Clotilde, destinée à constituer pour elle un modèle de veuvage saint. L’influence de Gerberge durant cette période se manifeste notamment dans l’affaire du vol de son douaire. En 956, deux neveux de Giselbert se sont emparés de biens de la reine en Lotharingie, qu’elle tenait en douaire de son premier époux. Gerberge mobilise les troupes de son fils et, en dernier ressort, celles de Brunon, pour récupérer les biens volés. C’est peut-être suite à cette expédition que Gerberge envoie à Brunon une pièce de tissu appelée « bannière de Gerberge » et conservée dans le trésor de la cathédrale de Cologne : cette pièce est une véritable démonstration du pouvoir de Gerberge, qui met en avant son propre rôle militaire dans la sécurisation de la Lotharingie après les exactions des neveux de Giselbert. Cette région, disputée par les Carolingiens et les Ottoniens, fait alors partie du royaume d’Otton, malgré les diverses tentatives des Carolingiens pour la récupérer. L’intervention de Gerberge est une sorte de coup d’éclat sans lendemain.
Enfin, durant cette période, Gerberge collabore avec sa sœur Hadwige, elle-même veuve et mère du futur roi Hugues Capet, afin de renforcer le pouvoir de leurs fils respectifs. Elles rencontrent occasionnellement leur frère Brunon qui souhaite jouer un rôle d’arbitre dans le royaume de Francie et cherche à relayer, parfois avec succès, les ambitions d’Otton à l’ouest. Gerberge et Brunon sont ainsi à l’origine de l’élection de l’archevêque de Reims Odalric en 962 : Reims, essentielle au pouvoir des derniers Carolingiens, entre ainsi dans l’orbite ottonienne.
Les dernières années de la vie de Gerberge sont mal connues. Probablement éclipsée par le mariage de son fils en 965/966, elle ne participe plus qu’occasionnellement aux affaires politiques. L’année de sa mort est inconnue : elle apparaît pour la dernière fois dans les sources en 968. Son épitaphe précise qu’elle meurt un 5 mai, peut-être en 969 ou peu après.
Gerberge a laissé dans la mémoire de ses contemporains une forte impression : elle est l’une des reines les plus encensées du Xe siècle chez les Francs. Chez les auteurs germaniques, l’image est plus ambiguë : Gerberge est certes la soror regina, la « sœur reine » de l’empereur, mais elle constitue aussi une menace pour le pouvoir des Ottoniens par son soutien sans faille à la dynastie de Louis IV. Cela explique le portrait plus contrasté que l’on trouve d’elle dans les sources de l’est. Dans l’historiographie contemporaine, Gerberge est une figure de choix pour illustrer le pouvoir des souveraines au Xe siècle : par son rôle d’intermédiaire entre deux dynasties, par son soutien à son mari et à son fils, par son rôle politique et artistique, elle illustre pleinement la grande marge de manœuvre dévolue aux femmes de pouvoir de l’époque.

Choix bibliographique

  • AUDEBRAND Justine, « La promotion d’une idéologie carolingienne autour de la reine Gerberge (milieu du Xe siècle) », Genre & Histoire, 23, 2019. [1]
  • LE JAN Régine, « Entre Carolingiens et Ottoniens : les voyages de la reine Gerberge », in Odile REDON et Bernard ROSENBERGER (éd.), Les Assises du pouvoir. Temps médiévaux, territoires africains, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1994, p. 163 174.
  • MACLEAN Simon, « Reform, Queenship and the End of the World in Tenth-Century France: Adso’s "Letter on the Origin and Time of the Antichrist” Reconsidered », Revue belge de philologie et d’histoire, 86-3, 2008, p. 645 675.
  • MASSÉ Marjolaine, « Représenter la victoire militaire d’une femme. Le cas de l’étendard de la reine Gerberge », Les Cahiers de l’École du Louvre. Recherches en histoire de l’art, histoire des civilisations, archéologie, anthropologie et muséologie, 15, 2020. [2]
  • SANTINELLI Emmanuelle, « Brunehilde, Bathilde, Hildegarde, Richilde, Gerberge étaient-elles considérées comme des femmes de pouvoir ? La perception masculine du pouvoir royal féminin et son évolution du VIe au Xe siècle », in Armel NAYT-DUBOIS et Emmanuelle SANTINELLI (éd.), Femmes de pouvoir et pouvoir des femmes dans l’Occident médiéval et moderne. Actes du colloque de Valenciennes (avril 2006), Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2009, p. 61 82.

Choix iconographique

  • Bannière de Gerberge, Cologne, trésor de la cathédrale Saint-Pierre, inv. L I, VIII. [3]
  • Chronica regia Coloniensis, Wolfenbüttel, Herzog-August Bibliothek, cod. guelf. 74. 3 Aug. 2°.

Jugements

  • « À la très éminente reine, puissante dans la dignité royale, chérie de Dieu et aimée de tous les saints, mère des moines et guide des saintes vierges, à la dame reine Gerberge, le frère Adson, le dernier de tous ses serviteurs, gloire et paix éternelle. » (Adson, dans Claude Carozzi et Huguette Taviani-Carozzi, La fin des temps. Terreurs et prophéties au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1999, p. 113-123)
  • « Le roi, comme prisonnier de ces paroles, céda. Il fut délivré et, après avoir donné Laon, se rendit à Compiègne. S’y trouvait Gerberge, une reine remarquable pour sa grande vertu. » (Richer de Reims, éd. et trad. Robert Latouche, Histoire de France, Paris, Les Belles Lettres, 1930-1937, II, 51, p. 212)
  • « Modèle des Francs, nom fameux pour les Francs, // La reine Gerberge repose en ce lieu saint ; // Elle fut le grand honneur du royaume, elle qui avait dans le cœur la vie monastique. // Cette souveraine donna de ses biens au bon Remi, // Elle que le soleil du cinq mai vit quitter son corps, // Elle à qui fut donnée la vie éternelle grâce aux mérites de Remi. » (Épitaphe de Gerberge à Saint-Remi de Reims, éd. Karl Strecker, MGH, Poetae 5, 1-2, Leipzig, 1937, p. 286-287)
  • « Il y avait, dit-il, seigneur empereur, une matrone appelée Gerberge : elle était la sœur de l’empereur Otton et l’épouse de Giselbert, qui était alors plus noble et plus riche que tous les princes de Lotharingie. (…) Grâce à l’aide de Giselbert, Otton demeura au pouvoir ; Giselbert, ayant reçu en récompense le duché de Lotharingie, rentra chez lui et en informa son épouse. Mais celle-ci, embrasée d’une fureur excessive, se mit à mépriser son mari et ne s’approcha plus de lui à cause de son incapacité, car il ne lui était pas permis à elle, alors qu’elle n’était pas inférieure à son frère en talent et en vertu, de régner. Il y eut en effet, disait-elle, au temps du royaume grec et de l’empire romain, des femmes qui gouvernaient et régnaient bien, comme la bienheureuse Hélène, Eudoxie et d’autres. Pour cette raison, seigneur, l’indignation de cette matrone n’était pas exagérée. Le duc, ne supportant pas l’atteinte à l’honneur de sa femme, ne supportant pas les insultes des hommes, envahit le royaume [d’Otton], le dévasta et le pilla. Le roi l’apprit, et parce qu’il ne pouvait le supporter, il traversa le Rhin à toute vitesse. Dans cette région, il réunit une grande armée ; son adversaire, avec peu d’hommes, vint à lui ; des sbires du roi allèrent à sa rencontre et, l’ayant trouvé, le tuèrent. N’est-ce pas, mes frères, l’esprit impie, l’esprit pervers des femmes, qui le perdit ? [Cet esprit] perdit surtout Samson, le plus courageux des fils d’Israël, et aussi celui de qui le Sauveur a dit : Il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste (Matt. 11, 11). Afin que l’on ne suppute pas que la sœur de l’empereur était semblable à ces femmes, ni que l’on écrive qu’elle était une bête parmi les bêtes, elle utilisa la ruse pour rapporter le cadavre et le fit enterrer en grande pompe à Maastricht ; elle donna au bienheureux Servais, comme en signe de réconciliation, une église, que ce prévôt te réclame à bon droit, ô roi glorieux et empereur très aimant. » (Jocundus, Miracula sancti Servatii, BHL 7635-7636, éd. Rudolf Köpke, MGH, SS 12, Hanovre, 1856, chap. 78, pp. 123-124)
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