Gabrielle Suchon

De SiefarWikiFr

Gabrielle Suchon
Dénomination(s) G.S. Aristophile
Biographie
Date de naissance 24 décembre 1631
Date de décès 5 mars 1703
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)


Notice de Nathalie Grande, 2022

Gabrielle Suchon naît en 1631 en Bourgogne, à Semur-en Auxois, dans une famille de notables : son père est procureur du roi au baillage de Semur et sa mère, Claude Mongin de La Courtine, aînée d’une famille de quatre filles, a hérité du fiel familial. Elle est le premier enfant du couple, et n’eut qu’un frère, Claude, né en 1635. Son père meurt en 1645, et, peut-être pour favoriser son frère cadet, elle entre à Semur au couvent des Jacobines. L’absence de véritable vocation, voire la contrainte subie, l’amène à fuir le couvent pour aller à Rome demander au Pape la révocation de ses vœux, qu’elle obtient. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, un arrêt du Parlement de Dijon, vraisemblablement sur l’initiative de sa famille, veut l’obliger à rentrer en clôture, ce qu’elle refuse. Elle s’installe à Dijon, où elle vit avec sa mère, et subvient à ses besoins peut-être en enseignant. Après avoir refusé la sujétion de la clôture qu’impose l’état de religieuse, elle évite donc aussi le mariage, autre état où les femmes abandonnent leur liberté, ainsi qu’elle l’explique dans son traité Du célibat volontaire (1700). Le célibat qu’elle propose et qu’elle vit est tout à fait original dans la mesure où il ne s’agit pas d’un célibat religieux : elle reste dans le monde, tout en refusant l’union conjugal et la maternité. Elle explique ce choix par la volonté de mener une « vie tranquille », sans les soucis et les contraintes qu’implique le statut d’épouse et/ou de mère.
Née dans la génération des Précieuses (elle a 20 ans en 1651), elle consacre son temps au loisir lettré et à l’étude. Se formant en autodidacte par la lecture, elle acquiert une autonomie intellectuelle qui l’amène tardivement à publier : elle est âgée de 62 ans au moment de la publication de son premier ouvrage, le Traité de la morale et de la politique, gros in-quarto publié à Lyon en 1693, « aux dépens de l’auteur », comme le précise la page de titre. Prenant place dans la longue « Querelle des femmes », sensible aussi bien à la tradition des « Femmes fortes » qu’aux idées défendues par François Poulain de La Barre, Gabrielle Suchon dévoile dès la préface les trois causes de l’infériorité des femmes, à savoir la privation de liberté, la privation de science et la privation d’autorité. Plaidant donc pour l’égalité de capacité des femmes et des hommes de ce triple point de vue, elle est amenée à récuser toutes les accusations d’infériorité si fréquentes dans les traités misogynes et s’attaque à la contrainte, à l’ignorance et à la dépendance qui maintiennent les femmes sous la domination des hommes. Elle montre que si les hommes privent les femmes de la liberté et de la connaissance, c’est pour assoir leur autorité, et interdire aux femmes d’en avoir la moindre parcelle. S’adressant aux femmes, parce qu’elles seules peuvent se tirer de leur sujétion, elle les invite à s’élever au-dessus de leur condition, non seulement par l’éducation mais aussi sur le plan politique. Fondant ses interprétations dans un dialogue avec les plus grandes autorités (la Bible, les Pères de l’Église, aussi bien que L’Éthique à Nicomaque d’Aristote), la philosophe veut inciter les femmes à se perfectionner en se fondant sur leurs propres capacités. Il est à noter que la « réformation, l’utilité et la perfection des personnes du sexe » sont comprises comme des bienfaits non seulement pour les femmes, mais pour la société entière, hommes y compris, et s’inscrivent dans un désir souvent répété de servir Dieu. Le second traité de Gabrielle Suchon, Du célibat volontaire ou la vie sans engagement, publié en 1700 à Paris en deux forts volumes, avec cette fois le nom de l’autrice sur la page de titre, commence ainsi par une oraison à « Jésus, Marie et Joseph » et est précédé d’une approbation ecclésiastique. Le célibat volontaire est proposé par elle comme une solution alternative au cloître et au mariage, les deux états traditionnellement assignés aux femmes. Ce célibat est pensé comme une « vie sans engagement » pour signifier qu’il n’implique aucune obligation à persister dans telle ou telle condition : laissant aux femmes toute liberté de choix, il leur permet en même temps, par la non-dépendance par rapport aux hommes, de perfectionner leur esprit et d’atteindre ainsi l’indépendance intérieure garante d’un possible accès à l’autorité. La situation d’indépendance recherchée ne concerne donc pas que les aspects matériels et sociaux, mais s’entend aussi comme la liberté d’« un cœur sans amour, sans haine et sans désir ».
Longtemps ignorée, mais présente dans le dictionnaire de Fortunée Briquet, elle est redécouverte dans les années 1970 et bénéficie du renouvellement des corpus induit par les Gender Studies. Différentes anthologies de ses textes et même une traduction en anglais prouvent l’intérêt que suscite désormais sa pensée.

Outils personnels