Elisabeth Nihell/Aloïs Delacoux

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[126] NIHELL (ÉLISABETH), née à Londres, en 1723, douée d’un grand sens et de beaucoup de sagacité, se livra de bonne heure à l’étude de l’art des accouchemens. Les moyens d’instruction manquant à Londres, elle vint à Paris en 1747, pour se former à la clinique des femmes en couche, à l’Hôtel-Dieu. Comme elle-même le dit, elle sentait une forte inclination naturelle de se mettre en état d’être utile à son sexe et de se distinguer dans l’art d’accoucher. En sa qualité d’étrangère (ou mieux pour cause de religion), elle eut beaucoup de peine à se faire admettre comme apprentie. Mais elle ne se rebuta point de cette difficulté et fut admise sous la protection du duc d’Orléans.

Ce fut après plusieurs années d’études théoriques et pratiques et s’être formée à l’art des accouchemens à l’Hôtel-Dieu de Paris, qu’elle retourna dans sa patrie pour y exercer la profession de sage-femme, et qu’elle soutint la concurrence des accoucheurs de Londres. Alors florissait dans cette capitale Smelie, le plus célèbre accoucheur de l’Angleterre, mais qui n’enseignait encore son art qu’à l’aide d’un automate qui servait de modèle pour ses apprentis. C’était une espèce de statue de bois représentant une femme grosse dont le ventre était de cuir; une vessie remplie de bière signalait la matrice. Cette vessie se fermait par un bouchon de liége auquel était attachée une ficelle pour le tirer à point nommé, et démontrer d’une façon sensible l’écoulement des eaux; [127] au milieu de cette vessie était une poupée de cire à laquelle on donnait différentes positions, simulant celles du foetus. Au moyen de cette admirable mécanique se forma un essaim effroyable d’accoucheurs, qui s’éparpillèrent, dit Nihell, par toute la ville de Londres et les campagnes.

Ce mode d’instruction qui avait trouvé beaucoup d’admirateurs provoqua une critique judicieuse de la part de Nihell, et une polémique s’ensuivit entre cette sage-femme célèbre et Smelie. Ce fut cette polémique sans doute qui détermina Nihell a [sic] écrire son livre: Treatise on the art of midwifry setting forth various abuses therein, especially as to the practice with instruments. London, 1760, in-8; ouvrage qui a été traduit en français sous ce titre: La cause de l’humanité référée au tribunal de la raison, ou Traité sur les accouchemens par les femmes. Paris 1771, in-8. Ce livre, pas assez connu, n’est à vrai dire qu’une déclamation souvent acerbe contre les hommes accoucheurs, mais principalement contre ceux de Londres qui faisaient abus des instrumens dans le cours d’une opération naturelle. Cette partie de l’art de guérir devait en effet, dans l’état tel que nous le représente l’auteur, éveiller l’attention d’un esprit mû par une ardente philanthropie, non-seulement pour signaler les vices d’une instruction chimérique, mais encore les abus, les dangers de son application et certaines jongleries grossières dont le public d’Angleterre avait été la dupe. En effet, Nihell qui avait puisé une instruction solide toute d’expérience, pouvait-elle rester muette en présence de l’automate dont Smelie se servait pour enseigner les accouchemens, et garder le silence aux récits absurdes sur une fameuse Godalmine qui tous les mois accouchait de lapins?

[128] En écrivant son livre, Nihell s’est proposé de mettre au jour tous les vices d’enseignement des accouchemens, les anomalies morales, qui de son temps accompagnaient l’exercice pratique de l’art qu’elle avait en vue de rehausser, d’en faire ressortir toute l’importance, de n’appeler à son service que des femmes. «Le véritable attachement, dit-elle, que j’ai pour une profession que j’exerce depuis long-temps a excité en moi une indignation que je n’ai pu étouffer à la vue des irrégularités, des erreurs et des innovations qui se multiplient tous les jours sous la protection d’une mode qui follement fait préférer les hommes aux femmes dans une fonction purement féminine, préférence qui a été admise sans examen à la recommandation de ceux à qui il est si avantageux de faire servir la crainte pour la fin qu’ils se proposent, celle de remplir le personnage de sage-femme.»

Nous sommes bien loin de partager les opinions de l’auteur qui prétend que les accouchemens n’ont jamais eu plus de succès que quand les femmes seules s’en sont mêlées; que les hommes qui les ont critiquées et qui ont inventé divers instrumens ont toujours été plus nuisibles qu’utiles. Au temps où Nihell écrivait, il est très-vrai que l’art des accouchemens ne brillait pas de tout son éclat entre les mains des chirurgiens-accoucheurs de Londres; mais aussi il faut convenir que de quelques faits particuliers bien souvent elle a tiré des conséquences trop générales.

L’ouvrage de Nihell est divisé en deux parties; la première traite des prérogatives des femmes dans l’art des accouchemens; l’auteur combat les argumens des hommes pour s’attribuer la préférence sur elles; la seconde traite des preuves de [129] l’insuffisance du danger et de la fatalité destructive des instrumens employés dans les accouchemens. Pour finir sur l’ouvrage en question, nous dirons qu’il devrait bien plutôt être intitulé: Traité sur les accoucheurs, que Traité sur les accouchemens. L’auteur néanmoins a su profiter habilement de tout ce qu’elle a pu trouver dans les autres auteurs contre les accoucheurs. Quoique l’ouvrage de Nihell ne soit point dépourvu d’intérêt, comme beaucoup d’autres il est resté dans l’oubli. Combien en effet y en a-t-il parmi ceux qui pratiquent les accouchemens, qui sachent qu’il y a eu une madame Nihell, maîtresse sage-femme à Londres?

Cette femme célèbre exerça l’art des accouchemens dans cette capitale, pendant une suite d’années, avec beaucoup de succès, de distinction et de désintéressement. On pourrait même dire qu’elle fut la première et la plus habile sage-femme de sa nation.

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