Christine de Lorraine/Hilarion de Coste

De SiefarWikiFr

[I,417] CHRISTINE DE LORRAINE, GRANDE DUCHESSE de Toscane.
QUI ne donne des honneurs et des Eloges à Christine de Lorraine Grande Duchesse de Toscane, les refuse à la Vertu. Je serois blasmable, si en louant tant de Princesses, je ne parlois de cette tres-illustre Heroïne, de laquelle la memoire est en benediction parmy les Florentins et les Toscans. Elle estoit la fille aisnée de Charles III. Duc de Lorraine, et de Claude de France, deuxiéme fille du Roy Henry II. et de la Reyne Caterine de Medicis. Elle vint au monde l'an 1565. le 9. d'Aoust à onze heures et demie du matin à Nancy, et receut au Baptesme le nom de Christine, ou Chrestienne, ou Christierne de son ayeule paternelle, la Duchesse douairiere de Lorraine et de Milan, de laquelle je viens de faire l'Eloge. Elle fut nourrie premierement à la pieté et aux bonnes moeurs par sa mere tres-sage Princesse, laquelle estant decedée l'an 1575. elle fut conduite en France pour demeurer en la premiere Cour de la Chrestienté, prés de la Reyne Caterine son ayeule maternelle: Là Christine de Lorraine se gouverna si sagement, que le Roy Henry III. son oncle maternel l'ayma, et la cherit comme si elle eût esté sa propre fille. J'ay veu (1) une lettre de ce [418] bon Roy, datée de Tours le 30. de May de l'an 1589. qu'il écrit à Monsieur d'Abain par Isaie Brochard sieur de la Clielle (2), dans laquelle il appelle cette Princesse, Ma fille la Grand'Duchesse.
Il n'eut point de plus grande passion que de la marier à quelque grand Prince, et ayant sceu que le Cardinal Ferdinand de Medicis (qui avoit succedé au Duché de Toscane, par la mort du grand Duc François son frere aisné, decedé le 8. ou 9. d'Octobre 1587.) vouloit renvoyer son Chapeau au Pape Sixte V. et demander à sa Sainteté, et au sacré College des Cardinaux, la permission de se marier, pour le desir qu'il avoit de laisser des enfans qui fussent capables de succeder à cét Estat là: Il envoya aussi-tost à Florence Louis de Chasteigner Seigneur d'Abain, et de la Rochepozay, et Chevalier de ses Ordres (qui l'avoit tres-fidellement servy à Rome, estant son Ambassadeur prés de Gregoire XIII.) (3) vers ce nouveau Grand Duc pour traiter le mariage de son Altesse avec la sage et la belle Princesse Christine de Lorraine niece de sa Majesté, et petite fille de la Reyne sa mere, qui desireuse de la grandeur de sa Maison, estoit grandement portée à ce mariage là. Ferdinand fit bien des caresses et des grands honneurs à l'Ambassadeur de France, auquel il fit voir à bonnes enseignes, qu'il n'avoit point de plus grande passion que d'avoir l'honneur d'estre allié du Roy Tres-Chrestien par une seconde alliance; aussi il envoya en ce Royaume Horace Ruscelay Gentil-homme Florentin, et Grand-Maistre de sa Maison, pour demander en mariage la Princesse Christine de Lorraine, qui salua le Roy et les Reynes à Blois, où lors les Estats de ce Royaume estoient assemblez.
Durant que le Seigneur Ruscelay estoit en la Cour de France, Ferdinand Grand Duc de Toscane receut la nouvelle que le Pape Sixte V. avoit receu au mois de Novembre 1588. ses deux Ambassadeurs Nicolas Tornaboni Evéque de saint Sepulcre, et Jean Nicolini, celuy-cy ordinaire, et celuy-là extraordinaire (4), ausquels il avoit accordé leur demande, comme juste et equitable, en un Consistoire, où il fit entrer seulement les Cardinaux, aprés avoir ouy la lecture de ses lettres, et les raisons pour lesquelles il renvoyoit son Chapeau à sa Sainteté, qui furent bien deduites par Cesar Marsille Advocat Consistorial, qui luy avoit fait voir claire-[419]ment qu'il ne devoit point faire difficulté d'accorder au grand Duc la permission de renoncer au Cardinalat, et de se pouvoir marier, pour conserver l'Estat de Toscane à la Maison de Medicis, son Altesse n'ayant point receu aucun Ordre sacré.
Ferdinand ayant receu cette nouvelle, quitta aussi-tost l'habit de Cardinal, et prit celuy de l'Ordre de Saint Estiene Pape et Martyr, comme Grand-Maistre de cette Milice. Son Altesse envoya en méme temps le pouvoir à Ruscelay d'épouser la Princesse de Lorraine, lequel en ayant donné avis au Roy Henry III. sa Majesté fit celebrer la benediction nuptiale dans sa Chapelle du Chasteau de Blois, en sa presence, de la Reine sa mere, de tous les Princes, et des Seigneurs qui estoient lors à la Cour; où elle voulut que Charles d'Angoulesme fils naturel du Roy Charles IX. et Grand Prieur de France épousa Christine de Lorraine, comme Procureur en cette ceremonie de Ferdinand Grand Duc de Toscane, l'ayant choisi entre tous les Princes et les Grands qui avoient desiré cet honneur avec beaucoup d'ardeur (5). La ceremonie achevée, tous les canons du Chasteau, et de la ville de Blois firent retentir leurs tonnerres, et les feux de joye et d'artifice n'y furent pas oubliez, tandis que le Roy traita splendidement tous les Ambassadeurs des Princes qui furent conviez.
Les jours s'entresuivent, mais ils ne sont pas semblables. En cette saison là survint la mort de deux Princes de la Maison de Christine, qui apporta du trouble en France; leur decés fut suivy de celuy de la Reine Caterine, grande-mere maternelle de la jeune Princesse, qui mourut douze jours aprés la mort du Duc et du Cardinal de Guyse, son grand courage demeurant accablé sous le regret qu'elle eut de voir les affaires du Roy son fils en si grand desordre. Caterine mourant laissa Christine son heritiere, avec Charles de Valois ou d'Angoulesme Grand Prieur de France, à present Duc d'Angoulesme, comme j'ay rapporté en sa vie. La mort de cette Reine (qui la priva du contentement de cette alliance, et des consolations que sa vieillesse en esperoit) fit changer les flambeaux de l'Hymenée en des torces [420] funebres: de sorte que le contract de mariage ne fut signé que cinq semaines aprés le decés de cette Princesse là.
Ce fut le 20. de Fevrier de l'an 1589. que le Contract de mariage de Ferdinand grand Duc de Toscane, et de Christine de Lorraine, fut passé à Blois en presence du Roy Henry III. de la Reine Louyse sa femme: de Christine Princesse de Lorraine, niece de leurs Majestez: de Jean de Lenoncourt Seigneur de Serres, Baillif de Saint Michel, Procureur de Charles Duc de Calabre, de Lorraine, et de Bar, fondé de procuration speciale d'une part; Et Horace Ruscelay, Grand Maistre de la Maison de Ferdinand de Medicis Duc de Toscane, et son Procureur fondé aussi de procuration speciale de l'autre, en presence du Cardinal de Gondy, et de François de Montholon Garde des Sceaux de France, comme n'ignorent pas ceux qui ont leu ce Contract là (6).
Henry III. aprés avoir signé le Contract de mariage de la Princesse Christine de Lorraine sa niece avec le grand Duc de Toscane, donna la charge au Seigneur d'Abain (que sa Majesté avoit desja envoyé en Italie pour traiter cette alliance) de l'accompagner et conduire à Florence: Charles Duc de Lorraine nomma aussi le Seigneur de Lenoncourt (7), pour rendre les mémes devoirs à cette Princesse sa fille. Mais le Seigneur d'Abain ne voulut point partir sans prendre un passe-port de Charles Duc de Mayenne, Chef de ceux de la Ligue: qui le luy octroya le 19. de Fevrier 1589. lequel ayant receu il se mit en chemin, et rendit de bons et signalez services à cette grande Duchesse durant le voyage, tant en France qu'en Italie: C'est pourquoy elle a tousjours honoré la memoire de ce Seigneur de l'illustre Maison de Rochepozay (8), duquel ayant appris la mort, elle fit paroistre l'estime qu'elle faisoit de ses merites, et l'obligation qu'elle luy avoit; ce qui donna sujet au grand Scevole de Sainte-Marthe de luy adresser ce Sonnet;

Princesse, l'ornement de ta belle Florence,
Fleur du sang de Lorraine, et du sang de Valois,
[421] Que le saint Hymené range dessous les lois
D'un Duc qui sur les Ducs obtient la preference.
S'il te souvient du lieu de ta chere naissance,
Tu pleures comme nous un Chevalier François,
Aimé du Roy ton oncle, et qui fit quelquesfois
Service à ta grandeur en chose d'importance.
Ce fut luy qui traita ton mariage heureux,
Ce fut luy qui suivit ton depart douloureux,
Et parmy le troupeau des chastes Demoiselles,
Dont l'honneste devoir si loin t'accompagna,
Pour honorer tes pas à ta suitte emmena
Les Nymphes d'Helicon ses compagnes fidelles.

La Grand'Duchesse Christine fut bien receue par toutes les villes où elle passa (9). Elle arriva à Lyon le 18. de Mars, où elle trouva sa tante paternelle Dorothée de Lorraine, veuve d'Eric, dit le Jeune, Duc de Brunswic, qui estoit decedé il y avoit quatre ans, avec laquelle elle se mit sur le Rosne jusques en Avignon. Elle arriva à Aix le 8. d'Avril, où elle receut tous les honneurs qu'on doit à la reception de semblables personnes. De là elle prit le chemin de Marseille, où Pierre de Medicis, frere de son mary, l'attendoit, et estoit arrivé il y avoit quelques jours, non seulement avec les quatre Galeres de Florence; mais aussi avec douze autres: quatre du Pape, quatre de Malte, et quatre de Génes.
En cette saison là, Marseille avoit quitté le service du Roy Henry III. et s'estoit declarée ouvertement pour la Ligue (10): neantmoins les Consuls et les cinq Quartiers de cette ville là ne laisserent pas d'aller recevoir bien loin hors de leurs portes cette grand'Duchesse (qui estoit accompagnée de la Duchesse de Brunswic, de l'Archevéque d'Aix, des Evéques de Mascon et de Marseille, du Duc de Luxembourg, des Seigneurs d'Abain et de Lenoncourt, et d'une florissante Noblesse toute affectionnée et fidelle à son Prince) tandis que les canons faisoient retentir leurs tonnerres en signe de joye: Les Marseillez firent ces honneurs à la Princesse Christine, à cause qu'elle estoit de la Maison de Lorraine, et parente du Duc de Mayenne le Chef du party de l'Union: mais quand elle fut entrée, ils redoublerent leurs corps de garde [422] par tous les carrefours qui estoient fermez d'artillerie, pour la crainte qu'ils avoient d'estre surpris par cette Heroïne qui avoit le coeur tout François, et par les Seigneurs de sa suite, qui estoient tous serviteurs affidez d'Henry III. Ces habitans ne voulurent jamais laisser entrer leur Evéque Federic Ragueneau (Prelat auquel nul defaut ny nul excés ne se trouvoit qu'en sa liberalité, et en sa bonté) qui fut contraint de s'aller rendre dans l'une des galeres, ancrées au Chasteau d'Yf, qui n'attendoient que l'embarquement de la jeune Princesse, qui s'embarqua l'onziéme d'Avril sur la Ducale de Florence, l'une des plus excellentes fabriques que la mer Mediterranée eust soustenu et porté depuis cent ans, tant pour sa grandeur extraordinaire, que pour sa riche façon, son or, son estoffe, ses brocas, ses satins, ses ornemens, ses panonceaux flotans, ses cordages de soye, et ses brillantes, et tres-exquises pierreries: De maniere que l'on pouvoit dire que celuy qui avoit entrepris une si belle et une si prodigieuse machine, fit marcher sur Neptune un edifice épouventable en despit des vents et des ondes.
Dans ce beau et riche Vaisseau, accompagné de 16. galeres, elle sortit de Marseille, et fut bien receue par tous les Ports, tant de France que d'Italie (11). A Génes elle salua sa marraine, et son ayeule paternelle Christine, fille de Christierne II. Roy de Dannemarc, comme j'ay rapporté en l'Eloge precedent. De là elle poursuivit son chemin jusques à Pise, où elle fut honorablement receue. Là le Duc son mary luy mit la Couronne sur la teste à la porte du Pré, le dernier jour d'Avril, où elle quitta l'habit de deuil, qu'elle portoit depuis le decés de son ayeule maternelle la Reine Caterine, mere d'Henry III. De là elle fit son entrée à Florence avec une pompe et magnificence Royale, tout le peuple faisant paroistre sa joye, et témoignant par les cris d'allegresse, qu'il esperoit d'estre doucement gouverné par cette Heroïne, ce qui est arrivé selon son desir et son attente.
Les noces furent celebrées le méme jour, ausquelles assisterent les Cardinaux de Joyeuse, Jean Vincent de Gonzague, Ascane Colomne, et Montalte (12); Vincent Duc de Mantoue, qui avoit receu cette année là l'Ordre de la Toison de [423] Philippe II. Roy d'Espagne; Virginio Ursin, Duc de Bracciane; et Cesar d'Est, qui avoit épousé Virginie de Medicis, soeur de Ferdinand, et a esté depuis Duc de Modene et de Rege, lesquels aprés avoir esté tous regalez splendidement quelques jours, et veu les courses des bagues, les balets, les comedies, et les autres agreables divertissemens en la Cour de Ferdinand et de Christine, se retirerent avec une grande satisfaction et contentement pour les honneurs qu'ils avoient receus de leurs Altesses, et admiré tant de grandes et somptueuses singularitez, que toute l'Europe ne trouvoit qu'en leur Cour, qui a tousjours esté le theatre de la magnificence. Le Pape Sixte envoya au Grand Duc une Espée en échange de son Chapeau, et à la Grand'Duchesse la Rose d'or, present ordinaire des Papes aux Princesses, par lequel les Vicaires de JESUS-CHRIST en terre, donnent avis à celles qui les reçoivent, que comme il n'y a rien qui se passe et flétrisse plustost que la rose, ny rien de plus durable, ny moins corruptible que l'or; il faut croire qu'aprés cette vie perissable, caduque et mortelle, on arrive à l'immortelle sans mort ny corruption.
Tous les Florentins et les Toscans s'estimerent heureux, que leur nouveau Grand Duc Ferdinand eust épousé une si belle et si sage Princesse, qui pour ses perfections et ses vertus, avoit merité d'estre la femme d'un Prince si accomply, lequel estant Cardinal, avoit acquis la reputation d'estre l'un des plus avisez Princes de la Cour de Rome, et estoit pour sa grande prudence appellé communément le Seneque de l'Italie. Christine fut honorée par tous ces peuples là, non comme une Duchesse, mais comme une Reine; aussi sans flaterie estoit-elle la Reine des Vertus, les ayant toutes à tel poinct, qu'on ne sçavoit à qui donner la preseance: La pudeur et la modestie, vertus qui rendent les Dames plus considerables éclatoient tellement en elle, qu'elle fut l'exemple à toutes sortes de personnes, tant grandes que petites. Elle a esté la premiere qui introduit la mode, et par son exemple obligé les Princesses, et les grandes Dames de porter un voile sur le visage, coustume qui depuis a esté inviolablement observée.
Non seulement la Toscane, mais aussi toute l'Italie avoue [424] que comme le Grand Duc Ferdinand surpassa de beaucoup le Duc Cosme I. son pere, de mesme Christine a excellé sur la Duchesse Eleonor de Tolede la mere de son mary, quoy que sage et vertueuse Princesse, comme je diray en son Eloge. Pour combler de felicité son mary, elle n'a pas esté moins feconde en enfans qu'en bonnes moeurs. Elle accoucha heureusement de l'aisné nommé Cosme l'an 1590. la premiere année de son mariage, qui depuis a succedé au Duché de Toscane.
François Prince de Capistrano le 2. a vécu peu d'années. Charles le 3. Cardinal de Toscane encor vivant: Laurens de Medicis encor plein de vie: Cosme et Philippe morts en jeunesse. Elle a eu cinq filles, Caterine mariée à Ferdinand de Gonzague Duc de Mantoue et de Montferrat, qui n'en eut point d'enfans, de laquelle je parleray plus bas.
Claude femme de Federic-Ubalde de la Rovere, Prince d'Urbin, fils de François-Marie de la Rovere Duc d'Urbin; duquel mariage sortit une seule fille Victoire de la Rovere Montfeltre Princesse d'Urbin, femme de Ferdinand de Medicis II. du nom et 5. Grand Duc de Toscane qu'elle a épousé l'an 1634. ou mil six cens trente cinq aprés avoir obtenu la dispense du Pape Urbain VIII. Les pompes du mariage furent magnifiques, ausquelles assisterent plusieurs grands Seigneurs, et Madame la Duchesse de Guyse et de Joyeuse. Claude de Medicis épousa en secondes noces Leopold, Archiduc d'Austriche, Landgrave d'Alsace, frere de l'Empereur Ferdinand II. duquel elle a eu pour enfans Ferdinand-Charles Archiduc d'Austriche, Landgrave d'Alsace: Sigismond Archiduc d'Austriche, et Claire-Isabelle d'Austriche.
Elizabet, et Marie de Medicis sont decedées en bas aage.
Eleonor de Medicis, Princesse de rare vertu, qui fut ravie par la mort en l'âge nubile, si on peut dire celle là mourir qui monte au Ciel pour vivre dans la bien-heureuse eternité, emportant avec soy la Couronne de Vierge.
Christine de Lorraine eut grand soin de faire prendre à ses enfans le chemin de la vertu, et de les esloigner de celuy [425] du vice. Le grand Duc Cosme son aisné fut appellé le Pere des pauvres; aussi on luy a dressé une statue en la Place dite del Grano, avec cette inscription, Egenorum Patri. Il a eu de Marie Magdelaine d'Austriche, fille de Charles Archiduc d'Austriche, et de Marie de Baviere son épouse, et soeur de l'Empereur Ferdinand II. et des Reynes d'Espagne et de Pologne sept enfans, quatre fils, et trois filles: sçavoir Ferdinand de Medicis II. du nom, à present grand Duc de Toscane marié (comme j'ay dit cy-dessus) à Victoire de la Rovere Montfeltre, heritiere du Prince Federic Ubalde, et en a un fils né l'an 1642. qui n'est point encore nommé: Jean-Charles Cardinal de Medicis, qui a esté le premier honoré de l'eminente dignité des Princes de l'Eglise par le Pape Innocent X le 14. de Novembre de l'an 1644.
François de Medicis mort au siege de Ratisbonne l'an 1634. et Leopold de Medicis: Marguerite de Medicis conjointe par mariage avec Edouard Farnese Duc de Parme et de Plaisance, qui en a eu plusieurs enfans: Marie Chrestienne de Medicis; et Anne de Medicis.
Mais qui ne sera touché de pieté de l'action que fit sa fille Caterine Duchesse de Mantoue, qui aprés la mort de Ferdinand de Gonzague Duc de Montferrat et de Mantoue son mary, estant établie Gouvernante de l'Estat de Sienne, se voyant sur la fin de sa vie, envoya à Christine de Lorraine sa mere, une petite cassette fermée, la priant de ne l'ouvrir qu'en particulier: dans cette boëte elle n'y trouva ny or, ny perles, ny diamans, ny aucunes pierres precieuses; mais une discipline toute remplie de sang: et de verité il ne faut point s'estonner d'une action de vertu pareille à celle là; puis qu'il est impossible qu'un bon arbre manque jamais à donner de bons fruits. Ce traict de Caterine de Medicis Duchesse douairiere de Mantoue, me remet en memoire celuy d'un de nos Rois (c'est saint Louys) qui envoya dans trois boëtes d'yvoire des haires et des disciplines à sa seconde fille Isabelle de France, Reine de Navarre, qu'il affectionnoit tres-cordialement pour sa devotion et pour sa pieté.
Elle n'a pas seulement affectionné ses enfans, mais encore les parens du Grand Duc son mary, entre autres la Prin-[426]cesse de Florence Marie, fille de François Grand Duc de Toscane, et de Jeanne d'Austriche, qui ayant esté mariée au Roy Henry le Grand, elle accompagna sa Majesté depuis Florence jusques à Livorne, où la Reine Marie s'estant embarquée, elle ne l'abandonna pas, mais elle monta aussi dans la méme Galere jusques à Marseille, comme je rapporteray en l'Eloge de la Reine Marie de Toscane. Ce fut à Marseille que la Duchesse Christine prit congé de sa Majesté, avec une grande abondance de larmes, et un témoignage de regret de leur separation, qui n'estoit soulagé que par la satisfaction qu'elle recevoit de la voir si hautement et si heureusement mariée à cet invincible Monarque, la merveille des Rois, l'honneur et la gloire des François, et l'amour et les delices du monde, qui venoit de dompter la Savoye et la Bresse par les armes, à méme temps qu'il avoit subjugué la Florence et la Toscane par l'amour. Dés que la grande Duchesse Christine eut appris la nouvelle que la Reine Marie estoit enceinte, elle fit éclater la joye qu'elle en avoit: mais n'ayant pû se trouver aux couches de sa Majesté, comme elle eust bien desiré, elle envoya un berceau à la Reine par un Gentil-homme, qu'elle avoit fait faire à Florence d'une façon exquise et riche, sur la ferme esperance qu'elle avoit qu'il serviroit à un Daufin, comme j'ay rapporté en l'Histoire des Daufins de France.
Elle n'a pas moins témoigné d'affection aux Seigneurs et Gentils-hommes François qui passoient par Florence, et par la Toscane, que sa grande tante maternelle Marguerite de France Duchesse de Savoye, à ceux qui voyageoient par l'Italie.
Sa magnificence paroissoit en tout, et quand ses proches venoient à Florence, elle déployoit ce que le pays avoit de plus rare, et faisoit venir de toutes parts l'abondance, afin d'honorer la Cour des Ducs de Toscane: du nombre desquels ont esté Charles Cardinal de Lorraine, Evéque de Mets et de Strasbourg, frere de son Altesse: Le Prince Nicolas François de Lorraine, son neveu, et sa femme la Princesse Claude qui est aussi sa niece: Charles Duc de Guyse, et Madame sa femme avec toute leur maison. Caterine Du-[427]chesse de Nivernois y a encor esté receue avec splendeur, et aussi le Comte de Sommerive son frere.
Tous les Rois et les Princes de la Chrestienté luy ont porté un singulier respect, sur tous nostre Grand Henry, qui luy fit l'honneur l'an 1606. de la choisir pour marraine de sa seconde fille Madame Royale Chrestienne de France, Duchesse de Savoye, Princesse de Piémont, et Reine de Cypre (à present Regente en ces Estats là, pour son fils Charles Emanuel II. jeune Prince de grande esperance) qui porte le nom de Christine ou Chrestienne que luy donna cette vertueuse Heroïne, ayant envoyé Dom Jean de Medicis aux ceremonies du Baptéme, où Charles III. Duc de Lorraine son pere estoit le parrain.
Ce grand Monarque avoit sujet d'honorer Christine de Lorraine, laquelle avec le grand Duc Ferdinand I. son mary n'a jamais desiré la ruine de l'Empire des Lys, ny conspiré avec ceux qui avoient troublé son repos, et les affaires des Roys Henry III. et IV. qu'elle a fait assister d'argent, d'hommes, et de bons avis contre leurs sujets rebelles, pendant les plus grands troubles, dont la France fut agitée durant les guerres de la Ligue. Car cette tres-genereuse Heroïne, et le Duc son mary envoyerent un secours de cavalerie au Roy Henry III. se sentans, non seulement comme parens et alliez, mais aussi comme Souverains interessez avec tous les Princes Chrestiens à relever l'authorité de sa Majesté offensée, par la revolte des mauvais François. Aprés sa mort, aussi douloureuse à la France, qu'espouventable à tout le reste du monde, leurs Altesses accommoderent les raisons de la Justice à celles de la Prudence, et ne voulurent pas, comme plusieurs autres Princes, mettre la main aux playes, que la precipitation et l'imprudence eussent rendues incurables. Mais voyant que Rome qui les devoit guerir par le baume souverain de la douceur, y apportoit et le fer et le feu, ils travaillerent à desabuser les esprits, firent que le Medecin connût la maladie, et le malade la santé. Ils firent voir clairement au Pape Sixte V. que l'ambition estoit la cause de la guerre, à laquelle la Religion servoit de pretexte, et que la Chrestienté ne pouvoit estre bien, tandis que ce premier [428] Royaume de la Religion seroit mal. Acte de grand courage d'oser dire la verité en un temps si difficile, qui avoit plus d'ennemis pour l'accuser, que d'Avocats pour la defendre. Considerans aussi que l'Espagne eslevée sur les ruines de la France, dompteroit aisément l'Italie, ils tournerent toutes leurs pensées pour sapper les fondemens de ses desseins, et penetrans les conseils les plus secrets de l'Escurial, par des moyens qu'il faut plustost admirer que descouvrir, ils en destournerent heureusement les executions, opposans la prudence aux artifices, le zele à l'hypocrisie, et la verité aux mensonges. Ils n'approuverent pas les desseins de Gregoire XIV. qui envoya une puissante armée en France au secours des Liguez, sous la conduite du Duc de Montmarcian son neveu. Ils disposerent Clement VIII. à ne point mespriser les plus humbles devoirs d'un grand et victorieux Monarque qui rentroit en sa bergerie, et le reconnoissoit pour Pasteur. Ils refuserent à Charles III. Duc de Lorraine le secours qu'il desiroit d'eux, en luy donnant avis que c'estoit sa ruine, et que s'il passoit plus outre, il rencontreroit le renversement de sa Maison. Ils firent depuis sa paix, et moyennerent une tréve particuliere, qui fut suivie de la Paix generale entre les deux partis. Ils favoriserent la Legation du Cardinal de Florence, pour faire celle entre les deux Rois. A mesme temps, sçavoir l'an 1596. leurs Altesses donnerent avis à Rome à Arnauld d'Ossat Evéque de Rennes, depuis Cardinal, d'une entreprise des Espagnols sur le Port et les Isles d'Yeres en Provence, qui ne manqua pas de le faire sçavoir au Roy Henry IV. et à Charles Duc de Guyse, Gouverneur de cette Province là; et deux ans aprés ils restituerent à sa Majesté le Chasteau, et l'Isle d'Yf, et les forts et l'Isle de Pomegues au mois de May de l'an 1598. que le Capitaine Bosset Chastellain du Chasteau d'Yf, estant destitué aprés la mort du Roy Henry III. de munitions et de solde necessaire pour la conservation de ces forteresses, se voyant en peril eminent par necessité forcé de la remettre au pouvoir des ennemis de la France, avec dommage evident de la ville de Marseille, et de la Comté de Provence; eut recours à la protection de la grande Duchesse qui avoit esté élevée en France, [429] ayant demandé une garnison au Duc son mary. Ceux qui ont leu exactement les Lettres du Cardinal d'Ossat, et autres traitez, sçavent que Christine et Ferdinand s'estoient saisis de ces places là pour prevenir des desseins qui les pouvoient rendre plus difficiles.
Elle a fait aussi avec les Grands Ducs de Toscane Ferdinand I. et Cosme II. du nom son fils, jetter en bronze la belle statue qui represente ce grand Roy armé et monté sur un Cheval, que l'on voit élevée au milieu du Pont-neuf de la ville de Paris, et posée sur un piedestal, autour duquel sont representées ses plus illustres Victoires.
Ferdinand I. du nom grand Duc de Toscane son mary, mourut au mois de Fevrier de l'an 1609. peu aprés que Christine eut marié le Prince Cosme son fils aisné à Marie Magdelaine Archiduchesse d'Austriche. Ce qui fait voir que les contentemens de cette vie sont de peu de durée, et qu'un méme jour paroist et serain et trouble; car à peine les festins et les resjouissances des noces de Cosme et de Magdelaine estoient finies, qu'il fallut songer aux pompes funebres de Ferdinand. Je diray en passant que les Florentins firent paroistre l'affection qu'ils portoient à la grande Duchesse Christine de Lorraine, à l'entrée que fit à Florence la Princesse d'Austriche sa belle fille, ayant dressé prés du Palais de Pitti plusieurs arcs, theatres, obelisques, titres et eloges, où la prise de Hierusalem par Godefroy de Bouillon, et les victoires qu'il eut contre Saladin, y estoient representées en l'honneur de la Maison de Lorraine, dont Cosme Prince, depuis Duc de Toscane II. du nom, estoit descendu par cette tres-sage Heroïne sa mere, lequel tandis qu'il a esté Duc de Toscane a fait voir à ses sujets qu'il avoit la prudence et la sagesse de la Maison de Florence, et la generosité de celle de Lorraine.
Aussi il est mort l'an 1621. avec un extréme regret non seulement des Florentins, mais aussi de tous les Toscans.
Aprés le decés de ce Prince là, Christine demeura Regente pour son petit fils Ferdinand II. estant établie Gouvernante de l'Estat de Toscane, elle conduisit heureusement ses peuples au port de la felicité, assistant à tous les conseils, et [430] dans les plus grandes difficultez, son avis estoit le filet d'Ariadne. Durant qu'elle eut la conduite des affaires, le calme de la Paix fut universel, les vices furent bannis, et on vit clairement que Christine de Lorraine avoit fait renaistre le siecle d'or en la Toscane. On ne se souvenoit point que jamais cet Estat là eust jouy d'une plus parfaite justice, on n'y trouvoit point de distinction de personnes, puis qu'elle protegeoit universellement un chacun. Elle se declara la protectrice des Vierges et des veuves: En effect il sembloit à ce grand courage qu'elle devoit departir avec plus d'abondance ses faveurs, où les necessitez estoient plus pressantes. C'est pourquoy elle apportoit un soin tres-particulier à marier les pauvres filles, commandant expressément à ses plus intimes, qu'ils presentassent promptement les memoriaux, touchant cette oeuvre de Charité, et qu'ils cherchassent les occasions de luy faire pratiquer un si grand bien que celuy là; je ne puis pas dire le nombre des filles qu'elle a mariées; mais je puis bien asseurer qu'aucune dans ses Estats, dont elle ayt sceu la necessité, n'est demeurée sans consolation et sans assistance. Son visage estoit digne de l'Empire, donnant de la crainte aux meschans, et de l'amour aux bons, comme je feray voir, expliquant la devise du Grand Duc son mary.
La pieté possedoit entierement son coeur, et ne manquoit jamais nuit et jour à mediter la Loy du Seigneur. Les Religieux n'estoient pas moins favorisez de son Altesse, que nourris par ses liberalitez. Elle avoit une si grande devotion au Convent des Minimes de Saint François de Paule (qu'a fait bastir l'an 1605. hors la ville de Florence, le Chevalier Alexandre Strozzi) (13) que souvent elle y envoyoit promener ses enfans pour se divertir dans ce Convent là, auquel elle donnoit six-vingts escus par an, sans les autres aumosnes extraordinaires, à la charge de dire le De profundis aprés Vespres pour le repos de l'ame du Duc Ferdinand I. son mary.
Elle nourrissoit liberalement les filles Repenties de Florence et de Pise, ayant basti entierement la Maison de celles de Pise. Je parleray en l'Eloge de la Duchesse de Flo-[431]rence Eleonor de Tolede mere du Grand Duc Ferdinand I. son époux, de sa charité envers le Monastere de Saint Estiene Pape et Martyr, fondé par Eleonor.
Elle a introduit à Florence les Carmes et les Augustins Deschaussez, et a fait faire un beau Convent aux derniers, proche de la ville de Batignane, dans les marais de Sienne. De plus, proche de son jardin hors des murs de Florence, elle y mit les Peres Feuillans, où elle a voulu qu'ils fussent tous François, et les y nourrissoit en bon nombre. Ce devot Monastere est non seulement un asseuré témoignage de sa pieté, mais aussi de son affection vers les François. Elle donna de belles places dans Florence aux Peres Theatins, et aux Peres Barnabites, et à ceux qu'on appelle Delle scuole pie, c'est à dire des escholes pieuses, desquels l'exercice est d'enseigner gratuitement les pauvres enfans, n'ayant pas moins d'affection de procurer l'avancement spirituel des ames de ses sujets, que pour leur bien temporel.
Elle fut tellement affectionnée à ses Estats, qu'au temps de la peste, dont ils furent affligez, elle fit largesse de grandes sommes de deniers aux communautez pour leur entretien, et ne voulut jamais fuir le peril se retirant de la ville; aussi n'est-ce une bonté non commune aux Princes, de vouloir courir la mesme fortune que leurs sujets. Son coeur veritablement François et genereux, ne pouvoit pas demeurer sans remedier aux necessitez de son prochain. Elle estoit si magnanime, qu'elle n'a jamais mis son affection aux biens de la terre, faisant voir par ses actions et sa conduite, qu'elle n'estoit point possedée des richesses: Car estant Dame de Pietra Santa, et jouissant de beaucoup de grands revenus, aprés sa mort on ne trouva point d'argent en ses coffres; au contraire elle demeura notablement endebtée, ayant deposé ses tresors entre les mains de celuy qui se mocque du temps, et se rit des accidens de la fortune. Enfin elle mourut non moins chargée de merites, que d'une haute estime le 20. ou 21. de Decembre feste de saint Thomas Apostre l'an 1636. en une de ses maisons de Plaisance, dite Castello hors de Florence, estant assistée en ce dernier passage d'un grand nombre de Prestres, de Religieux, [432] et d'autres personnes de singuliere pieté. Elle ne voulut point aucune pompe funebre, ny aucune despense superflue, ny de ces honneurs pleins de vanité, ayant seulement son esperance dans le Ciel.
Elle fut pleurée universellement de tous, estant digne des soûpirs et des larmes d'un chacun, puis qu'elle estoit la mere de tous. Elle fut regretée des peuples, comme estant le support et l'azile des innocens, et le refuge de ses sujets, desquels elle a tousjours preferé le bien à tous ses interests particuliers.
Sa modestie fut cause que l'on ne luy fit aucun Eloge, ny imprimer des Oraisons funebres aprés son decés, pour satisfaire au desir et à la derniere volonté de cette Grand'Duchesse, l'amour et les delices de la Toscane, qui avoit durant sa vie mieux aymé faire des actions dignes de recommandation, que de les publier, et qu'elles fussent plustost écrites au Livre de vie, que dans ceux des mortels: Mais sa rare vertu sera tousjours admirée de la posterité, et le temps qui consomme toutes choses, ne l'effacera jamais de la memoire des hommes.
Ferdinand I. Grand Duc de Toscane, mary de cette vertueuse Heroïne, avoit pour devise un essain de mouches à miel, qui environnoient leur Roy avec respect, et luy rendoient le devoir de leur service, ayant pour ame de la devise ce mot, MAJESTATE TANTUM, c’est à dire, par la seule Majesté. Cela convenoit beaucoup mieux à la Grand’ Duchesse Christine de Lorraine, puisque ses sujets l’adoroient avec respect, l’entendant seulement nommer; et quant aux méchans il suffisoit de dire pour leur donner de la terreur, Madame le sçaura. Car son visage estoit si plein de majesté, qu’il jettoit également dans le coeur et l’amour et la crainte, celuy-cy dans les bons, et celle-là aux meschans.
(1) A. du Chesne en son Hist. de la Maison des Chasteigners.
(2) Brochard la Clielle, d’argent, à l’aigle éployée de sable, chargée en coeur d’un écusson d’or, à trois fraizes ou brocs de gueules, feuillées de sinople en pal.
(3) Monsieur d’Abain estant Ambassadeur à Rome s’opposa l’an 1579. à la reception de Paul Ucanaski, quand il presta l’obedience filiale au Pape Gregoire XIII. en qualité d’Ambassadeur d’Estiene Bathory.
(4) Memoires du Reverend Pere Charles Moro Minime, envoyez au Reverend Pere F. de la Noue, Collegue François.
Boissard
Thuanus.
(5) J. A. Thuanus.
(6) La procuration du Sieur Ruscelay est datée du 28. de Septembre 1588. Celle de Monsieur de Lenoncourt est dattée de Nancy le 4. de Fevrier 1589. Le contract est signé par le Roy Henry III. la Reine sa femme, la grand’ Duchesse Christine, les Seigneurs de Lenoncourt et de Ruscelay, et Pierre Cardinal de Gondy, et le sieur de Beaulieu Ruzé Secretaire d’Estat.
(7) Lenoncourt, d’argent, à la Croix engreslée de gueules.
(8) Rochepozay, d’or, au lyon de sinople passant. Les autres disent posé de sinople.
(9) Thuanus.
(10) Cesar de Nôtre Dame en son Histoire de Provence.
(11) J. A. Thuanus.
(12) Le President de Thou nomme le Cardinal Montalte, et les memoires que j’ay receus de Florence, disent le Cardinal Alexandrin: j’ay suivi Monsieur de Thou.
(13) Il y a deux Convents de Minimes à Florence, l’un dans la ville, dit Saint Joseph, et l’autre hors des portes, dit Saint François. Lanovius in Chronico Minimorum.

Outils personnels