Charlotte de Bourbon/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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[[Catégorie:Dictionnaire Hilarion de Coste]]

Version actuelle en date du 12 novembre 2010 à 16:26

[I,395] CHARLOTE DE BOURBON (1), COMTESSE DE NEVERS, D'EU, et de Rethel, Religieuse de l'Ordre de Font-Evraud.

LA vertu de cette grande Princesse de la Royale Maison de Bourbon, n'a pas esté cogneue seulement par nos François, mais aussi par les Etrangers, particulierement des Italiens: entre lesquels Joseph Betussi luy a consacré un Eloge dans son livre des Dames Illustres. S'ils ont loué les perfections de Charlote de Bourbon, de la Maison de Vendosme, Comtesse de Nivernois, moy à qui Dieu a fait cette grace de naistre François, je suis obligé par toutes sortes de devoirs, de publier ses actions genereuses, puis qu'elle a esté en son temps l'une des sages et des vertueuses Princesses de la Chrestienté, et la quatriesme fille d'un Prince du sang Royal de France, Jean de Bourbon II. du nom, Comte de Vendosme, et d'Isabelle de Beauvau sa femme.
Cette belle et sage Princesse estant en âge d'estre mariée, le Roy Charles VIII. luy fit épouser Engilbert de Cleves (2), Comte de Nevers, d'Eu et de Rethel, fils puisné de Jean I. du nom, second Duc de Cleves, et Comte de la Marck, et d'Isabelle de Bourgongne, fille aisnée de Jean de Bourgongne Comte de Nevers, d'Estampes et de Rethel, qui apporta en la Maison de Cleves les Comtez de Nivernois et de Rethelois. Ce fut és villes de Saint Poursain et de Gannat en Bourbonnois, les 21. et 22. jours de Fevrier, de l'an 1489. que les conventions du mariage de Charlote de Bourbon, et d'Engilbert de Cleves furent arrestées en presence du Roy Charles VIII. où se trouverent les Duc et Duchesse de Bourbon, [396] François Comte de Vendosme frere de Charlote, le Marquis de Rotelin Mareschal de Bourgongne, Guillaume de Rochefort Chancelier de France, les Seigneurs de Candale, d'Escars, de Curton, et autres (3).
Engilbert de Cleves fut heureux d'avoir pour épouse une si pieuse et si religieuse Princesse, issue du sang Royal et adorable de saint Louys: et Charlote, d'avoir pour mary le Comte Engilbert, que l'Histoire de son temps appelle pour son courage et sa generosité, preux et vaillant, qui suivit le Roy Charles VIII. en son voyage d'Italie, où selon le rapport des Ecrivains, tant François, qu'Italiens, ce magnanime Engilbert fit des merveilles pour le service de sa Majesté, contre tous les partisans de la Maison d'Arragon, et les ennemis du nom François. Il revint en France avec le Roy: et à la memorable journée de Fornoue, proche le fleuve Taro, ce brave Comte fut Capitaine general des Suisses pour Charles, où il acquit beaucoup d'honneur et de gloire, pour avoir rendu à ce furieux combat de bonnes preuves, et des marques asseurées d'une louable fidelité envers cette Couronne. Si nous voulons donner creance à quelques Ecrivains Italiens (4), ils nous diront que sans la magnanimité de ce Prince qui conduisoit l'avant-garde de nostre armée, les troupes Françoises eussent esté défaites, et que tous les ennemis de la gloire de ce jeune et incomparable Roy eussent emporté la victoire sur sa Majesté, laquelle n'eust pas peu si facilement revenir en ce Royaume comme elle fit, ayant passé par la victoire qu'elle gagna à Fornoue sur le ventre de ses ennemis.
Si le Comte de Nevers fut chery et aimé de Charles VIII. aprés son voyage d'Italie, il eut aussi bonne part à la faveur de son successeur le Roy Louys XII. aussi estoit-il son cousin germain: car Louys eut pour mere de Marie de Cleves, fille d'Adolfe I. Duc de Cleves, et soeur de Jean II. Duc de Cleves, pere d'Engilbert, auquel le Comté de Nivernois estant querelé par Jean d'Albret Sire d'Orval, qui avoit épousé Charlote de Bourgongne sa tante maternelle, objectant à Engilbert qu'il estoit étranger; il luy fit response qu'il avoit l'honneur d'estre cousin germain de sa Majesté, laquelle l'an 1504. appaisa leur differend par le mariage de leurs enfans, [397] comme nous dirons en l'Eloge de Marie d'Albret Comtesse de Nevers.
Pour revenir à la pieuse et devote Princesse Charlote de Bourbon, digne épouse du genereux et magnanime Engilbert de Cleves, duquel la valeur nous a contraint de faire cette digression contre les loix des Eloges: ma faute est exemplaire, puisque Joseph Betussi Italien, et Jean Textor François en l'Eloge Latin de cette Comtesse ont fait le mesme: et ce dernier se plaint qu'on n'ait point écrit les faits de ce vaillant Prince, duquel Charlote eut 7. enfans, dont 4. sont morts en jeunesse: les 3. qui survesquirent furent 3. fils, Charles de Cleves, Comte de Nevers, Louys de Cleves Comte d'Auxerre, et François de Cleves Abbé de Tresport sur la mer en Normandie, qu'elle nourrit et esleva avec un grand soin, tant du vivant du Comte son mary, qu'aprés son decés, qui advint vers l'an 1506. au grand regret de sa chere et chaste épouse, qui passa 14. ans entiers en viduité, 10. en sa maison, et 4. dans un Monastere, où elle se retira pour mieux vaquer à la contemplation, aprés avoir donné ordre aux affaires de sa maison, et de ses enfans. Ayant toute sa vie donné des exemples de vertu et de solide pieté, tant estant fille qu'estant mariée, veuve que Religieuse; et on peut dire avec verité d'elle, ainsi qu'un Ecrivain moderne a écrit de Marguerite de Lorraine Duchesse d'Alençon, qu'elle a esté la gloire de son sexe, l'honneur des Princesses, le miroir des veuves, et l'exemple des Religieuses: et que Dieu la donna au monde, pour nous apprendre qu'un seul coeur est capable de posseder toutes les vertus, quand il se rend obeissant à ses saintes volontez.
La renommée luy fut si equitable, qu'elle publia non seulement dans le Nivernois, et ses autres terres et Seigneuries, et dans la France: mais dans l'Italie et les autres Provinces et Royaumes de la Chrestienté, ses vertus et ses merites. Joseph Betussi dit qu'elle se comporta si sagement, qu'elle n'a point cedé à aucune autre Dame de son temps, en perfections; la modestie, la douceur, la candeur des moeurs, la bonté, la charité, et l'humilité ont embelly et orné son ame. Elle fit une vie digne du Ciel, parmy les grandeurs et les honneurs de la terre, ainsi que son grand ayeul, et le sacré tige de sa [398] Maison Louys IX. qui pour sa sainte vie, et ses miracles, a esté canonisé par le Pape Boniface VIII.
Entre les vertus qui rendent Charlote de Bourbon recommandable à la posterité, c'est sa grande charité qu'elle fit paroistre, par le desir qu'elle eut d'estre utile à son prochain: s'il eust esté au pouvoir de la devote Comtesse de faire autant de bien au prochain qu'elle luy en souhaitoit, il est certain que de son temps on n'eust point veu d'incommodez ny d'affligez au monde. Elle avoit soin non seulement des pauvres et des malades qui estoient en ses terres, et aux lieux voisins où elle faisoit sa demeure: mais aussi de tous ceux qui estoient en affliction et en necessité és provinces les plus esloignées. Les veuves et les orfelins ont sur tous ressenty l'assistance de la pieuse et liberale Comtesse Charlote, car elle épousa aussi puissamment leurs interests, que si c'eussent esté les siens propres. Et quoy que la condition de telles personnes semble à la pluspart du monde estre fort peu considerable, si est-ce que sa pieté la releva autant que la malice des hommes tasche de l'abaisser. Les pauvres filles experimenterent aussi les effets de sa liberalité. Elle en marioit chaque année un assez bon nombre. Pieté que ses neveux ou petits enfans, et successeurs au Comté de Nivernois, maintenant erigé en Duché, ont pratiquée jusque là que de faire de belles et de riches fondations pour marier les pauvres filles de leurs terres nées en legitime mariage, et qui ont vescu honnestement.
Charlote de Bourbon fit encor ces oeuvres de charité, plusieurs belles fondations en diverses Eglises et Monasteres de ce Royaume, particulierement au devot Monastere des Religieuses de l'Annonciade de Bourges, qu'elle affectionnoit grandement, tant pour leur grande pieté, et leur sainte Regle, dressée en l'honneur des dix Vertus de la Vierge; que pour l'amitié qu'elle avoit eue avec leur Institutrice et Fondatrice la Reine Jeanne de France Duchesse de Berry. Elle voulut prendre l'habit de cet Ordre sacré, mais à cause qu'on ne reçoit des veuves que rarement en cette devote Congregation, suivant les constitutions et conseils de la bienheureuse Jeanne, dont elle honoroit grandement la memoire, elle prit l'habit [399] de saint Benoist, et receut le voile de Religieuse Benedictine en l'Abbaye de Malnoue au Diocese de Paris, et de là elle se retira en celle de Font-Evraud, où Renée de Bourbon sa soeur estoit Abbesse, qui succeda à Anne d'Orleans soeur du Roy Louys XII.
Celuy (5) qui a écrit en Latin l'Eloge de cette Religieuse et pieuse Princesse, fait cette remarque, et dit qu'elle prit le voile contre le gré de tous ses parens, et que depuis elle fut à Font-Evraud où elle fit profession, le jour de la feste de la Pentecoste l'an 1516. que là cette tres-excellente Heroïne mesprisant toutes les grandeurs de la terre, et la noblesse de son sang, s'occupoit aux plus vils et abjects offices de la Maison, comme si elle eust esté une femme de bas lieu, assistoit à tout le service, tant de jour que de nuit, et estoit plus exacte que les autres Soeurs à se trouver à l'Office, à garder le silence, à vaquer à l'oraison, et à obeir à la Superieure, qu'elle a laissé des marques et des témoignages de ses vertus, tant durant sa vie qu'à l'heure de son decés.
Aprés sa mort on luy trouva un tres-rude et tres-aspre cilice, qu'elle portoit le plus souvent pour macerer son corps avec cinq clous d'argent fort pointus qu'elle mettoit sur sa poitrine. C'estoient là les meubles plus precieux de la pieuse et devote Charlote de Bourbon, laquelle estant retirée en sa cellule, envoyoit querir une des Soeurs pour recevoir la discipline qu'elle faisoit en sa presence, jusqu'à respandre son sang: ce qu'estant venu à la connoissance de la Superieure, elle luy fit defense de si mal-traiter son corps, à cause de ses foiblesses et debilitez qui enfin la menerent au tombeau, le 11. jour de Novembre de l'an 1520. que l'Eglise solennise la feste de saint Martin, auquel elle avoit une particuliere devotion.
Charlote de Bourbon, lors qu'elle estoit douairiere de Nivernois, elle fit bastir un Dortoir au Convent des Annonciades, et dix chambres pour dix Religieuses, ayant fait une fondation pour leur nourriture et entretien, et c'est la seconde Fondatrice de cette Maison (car Madame Anne de France Duchesse de Bourbon, soeur aisnée de la bienheureuse Jeanne, n'y a fait que quelques legs pieux) Charlote de Bourbon alloit souvent de sa ville de Nevers à Bourges passer les bonnes fe-[400]stes avec les filles de l'Annonciade; et pour ce sujet elle fit bastir encor deux autres chambres, l'une au mesme Dortoir où elle se retiroit, et une en bas pour ses Demoiselles. Là elle assistoit au Service divin, tant de jour que de nuit, et passoit ainsi les grandes solemnitez en silence et en solitude. C'est la coustume de ceux qui ont vogué long-temps sur la mer, de prendre terre, faire aigade, se charger de biscuit, empoisser, et gradaner leurs vaisseaux, puis démarer une autre fois, et combattre avec plus de force les orages: ainsi les belles ames, les bons et les beaux esprits qui s'employent és affaires du monde, (et sur tous, ceux qui sont dans les honneurs) ont besoin de se recueillir en quelque havre de devotion, our y reprendre leurs saines, et leurs saintes affections, fortifier leurs resolutions, et se munir des dons du Saint Esprit contre les tempestes du siecle, qui ne sont pas moindres que celles d'un Ocean courroucé, s'il est vray (comme dit saint Bernard, l'honneur de la Bourgongne, et de toute nostre France,) qu'en la mer de Marseille, de dix navires à peine s'en perd-il une; mais en la mer de ce monde, de dix ames à peine une se sauve. Charlote de Bourbon edifioit grandement durant ses retraites ces bonnes Religieuses, lesquelles tous les ans, l'onziéme de Novembre disent en son honneur et en sa memoire cet Eloge Latin, que nous mettrons icy en nostre langue.

[colonne de gauche]
La tres-illustre et tres-genereuse Charlote de Bourbon, est decedée à ce jour, laquelle a esté une Princesse douée et ornée d'insignes vertus, des graces, et des perfections de la nature. Ayant tousjours chery et aimé d'un tres-grand et tres-ardent amour nostre Seigneur, elle se donna et dedia entierement au service de la tres-pure et immaculée Vierge, et tres-sainte Mere de Dieu. Elle fit l'an 1513. une fondation pour dix filles Religieuses, qui de-[401]voient jour et nuit vaquer au service de la divine Majesté, ausquelles elle fit bastir un dortoir, et assigna quelques honnestes revenus: elle fit les voeux de Religion au Monastere de Font-Evraux, et y vesquit avec un incroyable mespris de soy-méme, une humilité exemplaire, et une austerité admirable: là elle mourut, et fut inhumée honorablement l'an de Nostre Seigneur 1521.

[colonne de droite]
Obiit inclita Carola de Bourbon, domina generosa, quae dotibus naturae insignis et virtutibus ornata, amore amplissimo semper Dominum diligens, se ipsam totam sanctissimae Matri et purissimae Virgini dedicans, decem Virgines professas in ordine intus perpetuo Domino Deo servientes diu noctúque devovit atque fundavit, anno Domini millesimo quingentesimo tertio decimo, quibus priùs intus constructo dormitorio, et annuali atque opulenta funda-[401]tione assignata, votis essentialibus Religionis in Conventu Fontis Ebraldi emissis, cum sui ajectione, et exemplari humilitate atque admirabili austeritate semper vivens. Tandem in pace obdormivit in Domino, ibidem honorificè sepulta jacet, defuncta anno Domini millesimo quingentesimo vigesimo primo.

(1) Bourbon-Vendosme, d'azur, à 3. fleurs de lys d'or, au baston de gueules pery en bande, chargé de trois lyonceaux d'argent.
(2) Cleves de gueules au rais pommeté et fleuronné d'or de huict pieces, percé d'argent. Les autres disent de gueules à un escusson, en coeur ou en abisme d'argent, au rais d'escarboucle, pommeté, fleuronné ou fleurdelisé d'or, allumé de sinople brochant sur le tout.
(3) Sainte-Marthe.
(4) I. Betussi.
(5) Ioannes Ravisius Textor in Elogio Caroletae de Borbonio.