Charlotte-Jeanne Béraud de La Haie : Différence entre versions

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Version du 10 juin 2013 à 16:44

Charlotte-Jeanne Béraud de La Haie
Titre(s) Marquise de Montesson
Conjoint(s) Jean-Baptiste, marquis de Montesson
Biographie
Date de naissance 1737
Date de décès 1806
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)


Notice de Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, 2008

De petite noblesse par ses parents, Charlotte-Jeanne Béraud de La Haie de Riou, née en 1737, acquiert par son mariage, en 1757, avec le vieux duc de Montesson (il la laissera veuve à 32 ans sans descendance), un titre, une fortune et des relations aristocratiques. Ainsi se fait-elle présenter chez le prince de Conti, au Temple, puis à L'Isle-Adam où elle joue la comédie. Elle pratique également sur son propre théâtre la harpe, le chant et l'art dramatique. Le duc d'Orléans l'invite dans sa résidence d'été de Villers-Cotterêts après la mort de la duchesse, alors qu'il a pour maîtresse Mlle Le Marquis, elle-même ancienne actrice. Pour éliminer sa rivale, elle devient auteure, joue ses propres pièces et chante dans les comédies à ariettes et les fêtes brillantes qu'organise pour elle son amant. Florian lui dédie sa fable de «L'Aigle et la Colombe». Son mariage morganatique avec le duc d'Orléans (le 23 août 1773) donne au salon de son nouvel hôtel de La Chaussée d'Antin une assise politique (grâce à Loménie de Brienne et aux Choiseul) et littéraire. Elle partage avec la comtesse de La Marck et Mme de Genlis, fille de sa demi-soeur, les rôles de jeunes premières et de coquettes. Le duc d'Orléans joue les paysans et les financiers comme dans ses premiers théâtres. Mlle Drouin de la Comédie Française dirige la troupe.

Mme de Montesson crée régulièrement ses pièces de 1776 à 1784: Marianne (5 février 1776), L'Heureux échange (mars 1777), Roberts Sciarts (février 1777), L'Amant romanesque (mars 1778), La Marquise de Sainville (1778), L'Aventurier(janvier 1779), L'Héritier généreux (1780), La Fausse vertu (1781), L'Homme impassible (1781), La Comtesse de Bar (4 mai 1783) et Agnès de Méranie (janvier ou février 1784), auxquelles s'ajoutent quelques pièces contemporaines célèbres. Soucieuse de reconnaissance littéraire, elle invite les personnalités en vue comme Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse et Grimm qui commente toutes les «premières» dans sa Correspondance. L'apothéose de son théâtre et de son salon se situe lors du retour à Paris de Voltaire en 1778, qu'elle invite à la représentation de deux pièces nouvelles composées cette année, L'Amant romanesque et La Marquise de Sainville. En revanche, elle risque une seule fois la scène publique pour La Comtesse de Chazelles le 6 mai 1785: c'est un échec complet. Retirée dans son hôtel particulier après la mort du duc d'Orléans en 1785, emprisonnée durant la Terreur en 1793, elle est libérée après le 9 Thermidor. Amie de Joséphine de Beauharnais, elle bénéficie de la sympathie de Napoléon qui lui restitue son douaire et lui enjoint de rouvrir son salon dès 1801. Elle se retire à la fin de sa vie à Romainville, où elle meurt le 6 février 1806: ses obsèques sont célébrées à Saint-Roch sur ordre de l'Empereur.

En tant qu'actrice et auteure, Mme de Montesson a réussi son ascension sociale et fait de son salon et de son théâtre des lieux de sociabilité incontournables, comme le montre la venue du futur tsar Paul Ier et de son épouse. Son théâtre de la rue de la Chaussé d'Antin est considéré comme le premier de Paris et s'impose par sa respectabilité à la différence des théâtres libertins du duc d'Orléans. Mme de Montesson emprunte en effet au théâtre d'éducation et aux genres moralisants une opposition très marquée entre les caractères. Les ressorts dramaturgiques (expositions, apartés, lettres, coups de théâtre, quiproquos et arrivées inopinées) préparent les scènes d'attendrissement et de reconnaissance. Les idées mises en scène, comme l'éloge de l'éducation, de la bienfaisance et des véritables vertus ou, au contraire, la critique tempérée des couvents, témoignent d'un philosophisme diffus. Son intérêt pour le théâtre la poussa d'ailleurs à racheter la bibliothèque dramatique d'Antoine de Fériol, future Collection Soleinne dont le catalogue a été dressé par P. Lacroix au XIXe siècle.

Mme de Montesson a longtemps peu ou mal intéressé la critique qui a privilégié des études biographiques, parfois indirectes (on l'étudiait à travers les témoignages de Collé, de Grimm ou de Mme de Genlis), la réduisant à une intrigante et à une femme de lettres sans aucun talent. Encore aujourd'hui, la réception de ses oeuvres est presqu'inexistante, hormis dans des ouvrages récents, consacrés aux théâtres de société de la fin du XVIIIe siècle. C'est oublier son rôle littéraire et social, ainsi que l'image qu'elle donne d'une certaine culture féminine et d'une parfaite sociabilité d'Ancien Régime.

Oeuvres

- 1767 : Le Ministre de Wakefield, histoire supposée écrite par lui-même, 1re éd. de la traduction française de The Vicar of Wakefield d’Olivier Goldsmith, trad. par Chalotte-Jeanne Béraud de la Haie de Riou, marquise de Montesson, Londres/Paris, Pisso/Desaint (traduction également attribuée à Rose Jean-Baptiste et Charlos).

- 1772 : Marianne ou L'Orpheline (comédie en 5 actes, en prose), sl, sn

- 1777 : L'Heureux échange (comédie en 3 actes, en prose), sl, sn (le sujet est tiré du Spectateur).

- 1777 : La Marquise de Sainville ou la femme sincère, sl, sn.

- 1777 : Roberts Sciarts (comédie en 5 actes, en prose), sl, sn.

- 1782-1785 : OEuvres anonymes, Paris, Didot l'aîné (t.1: Marianne ou L'Orpheline, La Marquise de Sainville; t.2: Roberts Sciarts, L'Heureux échange; t.3: L'Amant romanesque, L'Aventurier; t.4: L'Homme impassible, L'Héritier généreux; t.5: La Fausse vertu, Le Sourd volontaire; t.6: L'Amant mari, La Comtesse de Bar; t.7: La Comtesse de Chazelles, Agnès de Méranie; t.8: Mélanges [une nouvelle: Pauline, des poèmes: «Contes allégoriques», «Lettres de Saint-Preux à Mylord Édouard», «Les Dix-huit portes», «Rosamonde»]).

- 1785? : La Comtesse de Chazelles (comédie en 5 actes, en vers), sl, sn, sd.

Choix bibliographique

- Chaponnière, P., «Mme de Montesson et ses oeuvres anonymes», Revue des livres anciens, 1914, t.II.

- Olah, Liliane, Une Grande dame auteur dramatique et poète au XVIIIe siècle, Mme de Montesson, Paris, H. Champion, 1928.

- Plagnol-Diéval, Marie-Emmanuelle, «Réécriture romanesque sur les scènes privées: l'exemple de la Marianne de Mme de Montesson», dans Réécritures 1700-1820, Actes du colloque international d'Exeter de septembre 2000, dir. Malcolm Cook et Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, New York, Peter Lang, 2002, p.209-221.

- Plagnol-Diéval, Marie-Emmanuelle,Le Théâtre de société: un autre théâtre?, Paris, Honoré Champion, «Les Dix-huitièmes siècles», 2003.

- Turquan, J., Madame de Montesson, douairière d'Orléans (1738-1806), Paris, J.Tallandier, 1904.

Choix iconographique

- v. 1779 : Elisabeth Vigée-Lebrun, Madame de Montesson [en habit de cour], coll. part.

- v. 1780 : Carmontelle, La Société du Palais royal (aquarelle, gouache, mine de plomb et sanguine, 31 x 41 cm), coll. part. -- Les Quatre saisons de Carmontelle. Divertissement et illusions au siècle des Lumières,catalogue d’exposition, Paris/Sceaux, Somogy/Musée de l’Ile-de-France, 2008, p.8, 185-187.

Liens électroniques

- CESAR, Calendrier Electronique des Spectacles sous l'Ancien Régime et sous la Révolution [1]

- Théâtres de société [2]

Jugements

- «Le petit théâtre de Madame de Montesson n'a pas été moins brillant cet hiver que les années précédentes. [...] Ce spectacle a toujours attiré l'assemblée la plus brillante. Monsieur de Voltaire, qui l'a vu deux fois, y a reçu presque autant d'hommages et d'applaudissements qu'à la Comédie Française. Madame de Montesson a été le recevoir dans sa loge avec Monsieur le duc d'Orléans. L'illustre vieillard s'est mis à genoux, elle l'a relevé en l'embrassant, l'a comblé de caresses et lui a dit avec beaucoup d'attendrissement: “Voilà le plus beau jour de mon heureuse vie.”» (F.M. Grimm et al., Correspondance de Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc.[avril 1778], éd. Maurice Tourneux, édition Kraus reprint, 1968 [Paris, Garnier frères, 1880-1882], t.XII, p.90-91)

- «Madame de Montesson quoique un peu gênée par son embonpoint, qui l'oblige à se serrer trop la taille, continue de rendre les rôles de jeune amoureuse avec une intelligence, une grâce et une noblesse infinies. [...] Nous croyons cependant que des ouvrages de ce genre ne sont pas susceptibles d'une analyse détaillée, et ce serait leur faire tort sans doute que d'oser l'entreprendre.» (F.M. Grimm et al., Correspondance de Grimm...[avril 1780], voir supra, t. XII, p.387-388)

- «Quant à Madame de Montesson, si on la compare à Madame de Maintenon, même infériorité dans l'esprit, dans la beauté, et jusque dans la taille. Elle aurait eu plutôt quelque ressemblance de caractère avec cette femme qui gouverna la France sous Louis XV, la marquise de Pompadour. Toutes deux avaient de la douceur et de la grâce, de la bonté, un jugement assez sain, l'amour des lettres et des arts, mais des vues courtes, et un esprit rétréci par l'habitude du manège et de l'intrigue.» (P.-M.-G., duc de Lévis,Souvenirs et portraits, 1780-1789, nouvelle éd. augmentée, Paris, L. Beaupré, 1815, p.254)

- «Elle n'aurait pas fait ses tragédies, toutes mauvaises qu'elles furent, sans le secours de M. Lefebvre.» (Mme de Genlis, Mémoires inédits de madame la comtesse de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française depuis 1756 jusqu'à nos jours, Paris, Ladvocat, 1825, t. I, p.366)

- «On exécutait souvent des ouvrages de sa façon sur ce théâtre. Monseigneur aimait lui-même à faire valoir les rôles qu'elle lui destinait; toutes ses pièces avaient du succès, cela va sans dire; mais il est juste aussi d'ajouter qu'il s'y trouvait parfois de bonnes choses, et dans ses vers (quand les pièces étaient en vers) des vers à retenir.» (Mémoires de Fleury de la Comédie française, 1757-1820, précédé d'une introduction par J.-B.-P. Lafitte, Paris, Dupont, 1836-1838, t.III, p.128-129)

- «Ceux qui ont lu dans Jean-Jacques [Confessions] la description de la première symphonie de son cru qu'il fit exécuter, auront une idée de l'effet produit par La Comtesse de Chazelles. Je n'ai vu de ma vie une représentation semblable à celle-là!» (Mémoires de Fleury..., voir supra, t.III, p.133)

- «M. le duc d'Orléans, lui-même, m'a dit avec une espèce d'enthousiasme que cette femme jouait aussi excellemment dans le sérieux que dans le comique, qu'elle était étonnante dans les pièces à ariettes; bonne musicienne, belle voix; son goût de chant était encore au-dessus.» (Ch. Collé, Journal, éd. H. Bonhomme, Paris, Didot, 1868, t.3, p.110)

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