Catherine de Lorraine (1585-1618)/Hilarion de Coste

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[I,286] CATERINE DE LORRAINE DUCHESSE DE NEVERS ET DE RHETELOIS.

CATERINE Duchesse de Nivernois l'une des sages et des vertueuses Princesses de l'ancienne et de la genereuse Maison de Lorraine, est la 2. des Duchesses qui doit suivre les Reines en ces Eloges des illustres Caterines. Elle estoit fille aisnée de Charles de Lorraine Duc de Mayenne, Pair, Amiral, et Grand Chambellan de France, et de Henrie de Savoye sa femme fille d'Honorat de Savoye, Marquis de Villars, Amiral de France, et de Françoise de Foix.
Caterine de Lorraine ayant esté bien nourrie et eslevée tant pour la pieté que pour les bonnes moeurs dignes d'une Princesse de sa Maison par la Duchesse de Mayenne sa mere, elle fut mariée dans la ville de Soissons au mois de Fevrier de l'an 1599. avec Charles de Gonzague de Cleves Duc de Nevers et de Rhetelois, Pair de France, Prince souverain d'Arches, Gouverneur des Provinces de Champagne et de Brie, et depuis Duc de Mantoue et de Mont-Ferrat (1), fils unique de Ludovic de Gonzague Duc de Nivernois, Prince de Mantoue, Gouverneur pour nos Rois de Piémont et de Picardie, et d'Henriette de Cleves Duchesse de Nevers et de Rhetelois, fille aisnée de François de Cleves I. Duc de Nivernois, et de Marguerite de Bourbon.
On ne sçauroit assez louer la sage, chaste et vertueuse Caterine, sinon avouant qu'elle surpasse toute louange, et qu'elle a esté la vertu mesme: car elle a esté enrichie de toutes les vertus souhaitables en une grande Princesse. Sa prudence estoit capable de gouverner non seulement une famille, mais un Royaume. Elle a paru en la conduite de sa vie, en l'ordre de sa maison en l'administration de ses biens, en la distribution de ses bien-faits, et au maniement des grandes affaires qu'elle a eues, et pour elle, et pour sa maison, et les [287] interests du Duc son mary. La constance aux executions n'estoit pas moindre que la prudence aux resolutions: ces deux vertus se firent assez cognoistre durant les troubles et esmotions des années 1616. et 1617. durant lesquelles elle fit paroistre la force de son esprit, son courage et sa generosité.
Elle estoit tellement ornée de ces masles vertus, que la nature qui manioit son courage durant ses disgraces et ses adversitez avoit peine de la recognoistre pour femme, comme Mamurion mescognoissoit les armes qu'il avoit fait à Numa voiant qu'il s'en servoit si dextrement (2). Avec quelle resolution cette genereuse Princesse, et qui ne passoit pas seulement le commun des autres Dames en courage, mais qui avoit un ascendant de magnanimité par dessus celles que les histoires nous representent pour courageuses, aussi elle estoit fille et soeur de Princes grandement genereux et magnanimes, Charles et Henry Ducs de Mayenne, et la petite fille de François Duc de Guyse, se retira en sa ville de Nevers assise sur cette agreable et abondante riviere de Loire, avec intention de la defendre jusques à toute extremité contre l'armée Royale commandée par François de la Grange Seigneur de Montigny Mareschal de France (3). Mais comme elle estoit rudement attaquée de canonnades, et resolue aux assauts, le siege fut levé par un petit coup de pistolet tiré sur le pont du Louvre.
La Chasteté (perle de son sexe) estoit en elle en son lustre: considerez la fille et mariée, et vous verrez que tout ainsi que le bois de ciprés n'est jamais mangé par les vers à cause de son odeur; ainsi le coeur de cette Princesse ne pouvoit estre rongé par le ver d'amour illicite, qui estoit repoussé par la bonne senteur de sa pudicité.
Elle eut l'honneur d'estre choisie entre toutes les Princesses de France pour accompagner Elizabet de France soeur aisnée du Roy Louis XIII. sur les frontieres de France et d'Espagne, et là recevoir Anne Infante des Espagnes. Ce fut Caterine qui fit tous les honneurs aux eschanges de ces deux grandes Princesses, les deux premieres Reines du monde, puis qu'elles ont espousé ces deux grands Monarques, les deux yeux, les deux bras, les deux arcs-boutans, les deux [288] poles de la Chrestienté; et qui bien unis seroient capables de partager tout l'Univers.
La pieté (le vray ornement des Dames et des Princesses) reluisoit et paroissoit grandement en Caterine de Lorraine, laquelle parmy les grandeurs et les honneurs de la terre a mené une vie plustost de Religieuse que de Duchesse, sa conversion ordinaire estoit à son oratoire, et aux Eglises, ou plûtost au Ciel avec les Anges, comme sçavent ceux qui ont eu ce bon-heur de cognoistre son interieur et la conduire en ses exercices de devotion. Elle a rudement traité son corps portant d'ordinaire une chaisne de fer.
Le grand nombre des Eglises et des Monasteres qu'elle a bastis et fondez en divers endroits de ses terres, sont encore de bonnes marques de sa devotion et de sa pieté, et de celle du Duc de Nevers son mary, qui a esté depuis Duc de Mantoue et de Montferrat.
En la seule ville de Charle-ville bastie par ce courageux et magnanime Prince Charles de Gonzague de Cleves, on voit un College de la Compagnie de JESUS, où la jeunesse est instruite à la pieté et aux bonnes lettres. Il y a encor un Convent de Capucins, estably et basty de leurs aumosnes et liberalitez. L'Hospital de la mesme ville est encor un asseuré témoignage de leur benignité et misericorde envers les pauvres. Ces oeuvres saintes et qui ressentent la pieté de Caterine de Lorraine et du Duc son mary, sembleroient toucher seulement la moitié de leurs citoyens et bourgeois de Charle-ville, pour n'estre que des maisons et des Monasteres d'hommes, il y faut encore adjouster l'autre sexe. Ainsi l'ont-ils fait; la Duchesse donnant place en sa ville, pour la devotion qu'elle avoit à la tres-sainte Mere du Sauveur du monde, aux bonnes et saintes filles les Religieuses de nostre Dame du Mont-Carmel, tant aux Meres Carmelites de l'observance, qu'à celles qui suivent la reforme de cette grande Sainte de nos jours, la Vierge sainte Terese de JESUS, afin que les filles non seulement de leur nouvelle ville, mais aussi des lieux voisins, trouvassent le moyen dans ces deux devots Monasteres de Carmelites de consacrer et offrir leur virginité à JESUS-CHRIST. En cette mesme ville on voit le devot Monaste-[289]re du Saint Sepulchre, où la Marquise de Mouy, Comtesse de Chaligny veuve d'un Prince de la Maison de Lorraine, a servy nostre Seigneur avec une grande ferveur et pieté. Entre toutes les maisons de Religion où paroist la pieuse liberalité de Caterine de Lorraine et du Duc Charles son mary, c'est au Convent de Saint François de Paule qu'ils ont basty et fondé (4) prés de leur ville de Nevers en faveur et reconnoissance d'avoir obtenu lignée par l'intercession de ce Thaumaturgue ou Faiseur de miracles de ces derniers siecles, 9. ans aprés leur mariage, lequel Dieu a beny de 6. enfans, 3. fils et 3. filles.
L'aisné des fils François Paule de Gonzague de Cleves, Duc de Rhetel, Prince de grande esperance pour ses vertus, lequel nâquit le 17. de Juin de l'an 1607. et mourut au mois d'Octobre 1622. et fut inhumé au Convent des Minimes de Saint François de Paule lés Nevers.
Le 2. Charles de Gonzague de Cleves Duc de Rhetelois a épousé Marie de Gonzague sa cousine, fille de François Duc de Mantoue et de Mont-ferrat, et de Marguerite Infante de Savoye: de laquelle il a eu trois enfans, 2. filles et un fils unique, à sçavoir Eleonor et Marie de Gonzague, et Charles II. à present Duc de Mantoue et de Mont-ferrat sous la regence de sa mere la Princesse Marie de Mantoue.
Le 3. Ferdinand de Gonzague Duc de Mayenne Prince de grande esperance, Gouverneur general du Mont-ferrat, mort en jeunesse sans avoir esté marié, au grand regret de tous les amis et les serviteurs de sa Maison: car il a donné de bonnes preuves de sa generosité et de son courage, s'estant dérobé accortement des mains des Espagnols au Milanés, comme n'ignorent pas ceux qui ont leu la lettre qu'il écrivit à la Duchesse de Longueville sa tante sur ce sujet, et ayant acquis bien de l'honneur et de la gloire au memorable siege de Cazal Saint Evas, où on l'a veu porter la hotte quand on travailloit aux fortifications de cette place là, donnant luy méme l'exemple aux Seigneurs François, aux Mont-ferrains et aux habitans. Celuy qui a écrit l'histoire du Mareschal de Toiras (5) a remarqué que ce Duc là a fait de son costé ce qu'un Prince genereux doit en de pareilles occurrences, ayant par [290] son exemple animé les habitans et à souffrir, et à combatre. Il a tousjours agi courageusement (ce sont ses paroles) durant le siege, et a fait toutes les nuits sa ronde, et s'il n'eust esté retenu par les siens il eust esté à toutes les sorties meslé parmy les ennemis, aussi bien que le moindre soldat de la place. Mais sa personne qui estoit fort considerable devoit estre conservée avec plus de soin.
L'aisnée des filles Louise Marie de Gonzague ou de Mantoue l'une des belles et des sages Princesses non seulement de la France, mais aussi de la Chrestienté; comme aussi sa soeur Anne de Gonzague.
Benedicte de Gonzague Abbesse d'Avenay prés de Chaalons en Champagne, où elle fit profession de Religieuse le 4. de Juin de l'an 1633. et le lendemain receut la benediction solennelle des mains d'Henry Clausse (6) Evéque et Comte de Chaalons Pair de France, qui dist la Messe et officia avec les ceremonies accoustumées, où assistoient les Abbesses de Fare-moustier de la Maison de la Chastre (qui luy mit le voile noir de l'Ordre de Saint Benoist) de Mont-martre de la Maison de Beauvilier (7); et du Pont aux Dames de celle de Barradat (8): les Princesses Marie et Anne de Mantoue ses soeurs aisnées: le Duc et la Duchesse de Longueville: la Mareschale de Praslin de la Maison de Cazillac (9): la Marquise de Ragny de la Maison de Gondy ou de Rets, et quantité d'autres personnes. Cette Religieuse Princesse est decedée fort Chrestiennement à Paris dans l'Hostel de Nevers le Dimanche 20. Decembre 1637. et a receu les honneurs de la sepulture en la devote Chapelle de la Royale Abbaye du Val de Grace.
La Duchesse Caterine leur mere mourut à Paris en son Hostel de Nevers le 8. de Mars de l'an 1618. au grand regret de tous ceux qui l'ont honorée pour sa vertu, aprés avoir receu devotement ses Sacremens des mains du sieur Lopé Curé de Saint André des Arcs et Grand Maistre de Navarre, en presence d'Henry Duc de Mayenne son frere, de Pierre de Berulle Superieur de la Congregation de l'Oratoire (depuis Cardinal) et des Pères Charles Franger et Simon d'Escauts Minimes, qui l'assisterent à son heure derniere. Aprés sa mort la Princesse de Conty luy fut jetter de l'eau beniste, et [291] luy rendre les derniers devoirs de la part de la Reyne. Son corps fut porté à Nevers et enterré dans l'Eglise Cathedrale, au sepulchre de Ludovic de Gonzague et d'Henriette de Cleves Duc de Nivernois. Son coeur dans le Chapitre du devot Monastere de l'Incarnation, que l'on appelloit jadis Nostre Dame des Champs lés Paris, devant que les Reverendes Mères Carmelites fussent éstablies en ce premier Convent de leur Ordre en France.
Charles de Lorraine Duc de Mayenne, estant au lict de la mort fit paroistre l'estime qu'il faisoit de cette fille aisnée (10), de laquelle le Reverend Pere Jean Gontery l'un des plus celebres et renommez Predicateurs de nostre France, en l'oraison funebre qu'il prononça dans la grande Eglise de Saint Gervais de Soissons, aux obseques de ce tres-genereux et tres-magnanime Prince, dit ces belles et veritables paroles.
On peut dire de cette Princesse, ce qui a esté receu par certaine et constante renommée, que tant qu'elle a esté fille, et aprés avoir esté mariée, elle s'est trouvée non seulement sans aucun reproche, mais aussi sans une seule ombre de soupçon, accomplie au reste de toutes les plus rares parties d'une Dame d'honneur et de vertu, l'integrité notoire de sa vie l'ayant mise au rang des plus devotes, sages et modestes Princesses de toute la Chrestienté.
Ce grand Pape Paul V. ne parloit jamais sans eloge de cette Princesse depuis que sa Sainteté, les Cardinaux, tous les Seigneurs et Dames Romaines avoient admiré sa devotion, sa modestie, et sa prudence à la distinction des honneurs et des complimens à Rome l'an 1608. quand elle y fut trouver le Duc son mary, qui y fut envoyé Ambassadeur extraordinaire par Henry le Grand pour rendre les devoirs à ce Vicaire de Dieu en terre, de la part de sa Majesté en qualité de Roy tres-Chrestien et de fils aisné de l'Eglise: car la voyant aux Eglises avec un saint zele et une pieté sans fard, ils se representoient ces Princesses qui sont louées dans les Histoires pour leur vie sainte et digne du Ciel.
Grande Princesse issue des Maisons de Bourbon, de Valois, d'Orleans, de Lorraine, de Ferrare, de Savoye, de Lascaris et de Foix, heritiere des vertus des Princes et des Princesses de ces illustres familles, et qui tous les jours de vostre [292] vie avez eu Dieu pour object; ce qui nous fait croire que vous jouissez maintenant des delices du vray Olympe (11), et de la gloire que le Roy des Rois, et le Dominateur des Dominateurs, par lequel les Rois et les Princes regnent en terre, donne à tous ceux qui l'ont servy fidelement en cette vie; priez-le qu'il conserve le Duc vostre neveu ou petit fils en la succession et heritage des Paleologues, et des Gonzagues, et qu'il verse sur luy et sur vos enfans et leurs successeurs toutes sortes de benedictions et de prosperitez, afin qu'ils aillent un jour chercher les palmes et des lauriers en la Grece, et dans les autres Provinces qui gemissent sous la domination et la tyrannie des Ottomans ennemis capitaux du nom de JESUS-CHRIST, et qu'ils abbatent le Croissant Turquesque, pour y remettre les Aigles des Paleologues, et la Croix du Sauveur et celle des Gonzagues.

(1) Mantoue, d'argent à la croix patée de gueules, cantonée de IV. aigletes de sable becquées et membrées de gueules; sur le tout écartelé au I. et IV. de Lombardie, qui est de gueules, au lion d'or, lampassé et armé de sable. Au II. et III. de Gonzague fascé d'or et de sable de six pieces. C'est le I. quartier des armes de Charles de Gonzague estant Duc de Nivernois, mais depuis estant Duc de Mantoue et de Montferrat, il a porté de Mantoue chargé en coeur d'un escusson party et couppé de IX. Pieces, la I. du chef de l'Empire d'Orient, la II. de Lombardie, la III. de Gonzague, la IV. ou I. de la fasce, de Ierusalem; la V. d'Aragon, la VI. de Montferrat, la VII. ou I. de la pointe, de Saxe moderne, la VIII. de Barleduc; la IX. de Constantinople: qui sont blazonnez en d'autres endroits des marges de ce livre.
(2) Le Grain en la Decade de Louys le Juste.
(3) La Grange d'azur à III. ranchiers passans d'or II. et I.
(4) D'attichy. Chappet-Victon.
(5) M. Baudie, au chap. XXV. du I. II. de l'Histoire du Marechal de Toiras.
(6) Clausse, d'azur, au chevron d'or accompagné de trois testes de leopards de mesme, ayant chacun un anneau d'argent en la bouche.
(7) Beauvillier, d'argent, à trois fasces de sinople, l'argent chargé de VIII. merlettes de gueules, III. II. II. I.
(8) Barradat d'azur, à la fasce d'or accompagnée de III. roses d'argent, II. en chef et I. en pointe.
(9) Cazillac, d'or à deux lions leopardez de gueules, à la bordure de sinople chargée de VIII. besans d'argent.
(10) Nerveze en la vie de Charles Duc de Mayenne.
(11) Les Princes, et Princesses de la Maison de Gonzague ont le Mont Olympe pour devise.

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