Catherine de Clèves/Hilarion de Coste

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[I,292] CATERINE DE CLEVES DUCHESSE DE GUYSE et Comtesse d'Eu, Pair de France (1).
CETTE Princesse estoit la 2. fille de François de Cleves I. Duc de Nivernois, et de sa premiere femme Marguerite de Bourbon, fille de Charles I. Duc de Vandosme, et soeur d'Antoine Roy de Navarre. Elle eut pour marraine la Reine Caterine de Medicis qui luy donna son nom, et luy a tousjours porté une affection particuliere.
Elle fut mariée par le Duc de Nevers son pere pour plusieurs grandes considerations à Antoine de Croy Prince de Porcean jeune Seigneur de grande esperance (comme je feray voir) de l'illustre Maison de Croy fertile en Heros tant en France qu'en Flandre, où ils ont laissé des marques de leur pieté, et de leur generosité, comme n'ignorent pas ceux qui ont veu les Historiens François et Flamans, et particulierement l'Histoire genealogique de cette Maison issue des [293] Rois de Hongrie (2).
Antoine estoit fils unique de Charles de Croy Comte de Porcean et de Senigan, et de Françoise d'Amboise Marquize de Renel sa femme. Charles estoit le 3. fils d'Henry Sire de Croy, Comte de Porcean, Seigneur d'Arschot et de Senigan et de Charlotte de Chasteau-briand Dame de la Baronie de Loigny au Perche. Il eut pour freres ces 4. Heros celebres et renommez dans l'Histoire, Philippe de Croy I. Duc d'Arschot, duquel sont issus les Seigneurs de la Maison de Croy qui sont au Pais-bas: Guillaume de Croy Cardinal et Archevéque de Tolede, Evéque et Duc de Cambray: Robert de Croy, Evéque et Duc de Cambray aprés son frere le Cardinal, et Charles de Croy Evéque de Tournay.
Quand Caterine de Cleves épousa Antoine de Croy Prince de Porcean elle avoit deux freres, François de Cleves Comte d'Eu, et Jaques de Cleves Marquis d'Isle, qui depuis furent successivement Ducs de Nivernois. Le contract de mariage fut passé au Chasteau de Saint Germain en Laye le 4. d'Octobre 1560. en presence de François de Cleves Duc de Nivernois, Marquis d'Isle, Comte de Retelois, de Beaufort, et d'Auxerre, Seigneur Souverain d'Arches, de Chasteau-Regnault et autres terres, de sa fille Caterine de Cleves et de feu Marguerite de Bourbon venant à l'âge de 12. ans, ainsi que ledit sieur Duc dit, et declara d'une part: et Françoise d'Amboise veuve de Charles de Croy Comte de Senighan, de Porcean, Baron de Renel, Seigneur de Blaye et autres terres, et Antoine de Croy Comte de Porcean unique fils desdits sieur feu Comte et Comtesse d'autre part: par le vouloir et bon plaisir du Roy, de la Reine sa mere; par le conseil et avis des Cardinaux de Bourbon, de Lorraine et de Guyse, de la Comtesse d'Anguien, de la Duchesse Douairiere de Guyse, de la Duchesse de Touteville et Douairiere de Saint Paul, du Duc et de la Duchesse de Guyse, du Marquis et de la Marquise d'Elbeuf, et autres Princes et grands Seigneurs proches parens et amis desdites parties; et méme en presence de ces deux Princes du sang le Duc de Montpensier et le Prince de la Roche-sur-Yon et autres.
François de Cleves Duc de Nevers pere de Caterine de [294] Cleves, Antoine de Croy Prince de Porcean et Françoise d'Amboise sa mere desirans mettre fin aux grands procés et differends qu'ils avoient pour le Comté de Beaufort, Coulommiers et autres terres qui avoient appartenu à Germaine de Foix Reyne Douairiere d'Aragon, et pareillement à Charles d'Amboise Seigneur de Chaumont et grand Maistre de France, et pour plusieurs autres considerations firent cette alliance et mariage de Caterine de Cleves et d'Antoine de Croy, comme l'on peut apprendre de leur contract de mariage qui fut depuis plusieurs fois ratifié en presence de François de Cleves fils aisné de François I. Duc de Nivernois au nom et soy faisant fort du Duc son pere, de Caterine de Cleves, de Pierre Seguier Conseiller du Roy et President en sa Cour de Parlement à Paris, de Charles Lamoignon Conseiller du Roy en ladite Cour, de Jean Paluau Secretaire du Roy, de Martin de Gresle sieur de la Harbaudiere Secretaire et Tresorier general des Finances du Duc de Nivernois, d'une part; et Françoise d'Amboise Comtesse de Senighan et Antoine de Croy son fils Comte de Porcean, Marquis de Renel.
Antoine de Croy Prince de Porcean estoit l'un des plus accomplis Seigneurs de France; mais par le mal-heur de ce temps là, il se laissa surprendre par sa trop grande curiosité aux beaux discours de ceux qui semoient fort secretement parmy les Grands durant le regne d'Henry II. l'heresie de Calvin sous le pretexte d'une pieté apparente, et de vouloir reformer les abus qu'ils disoient estre en l'Eglise, ou par les pratiques de sa mere la Comtesse de Senighan qui ne fut pas des dernieres Dames de ce Royaume qui embrassa ces nouvelles opinions et s'y atacha avec une grande opiniastreté: Erreur qu'elle laissa comme hereditaire à ce fils unique, lequel s'estant rendu à ces nouveautez en fut l'un des plus zelez Protecteurs, comme nous aprenons de nos Historiens modernes, entre autres de ces deux Religionaires la Popeliniere et Aubigné; mais particulierement de Florimond de Remond au chapitre 16. du livre 7. de la naissance de l'heresie, où ce Conseiller du Parlement de Bordeaux remarque comme ce Prince là taschoit de faire sortir les Religieux [295] de leurs Cloistres, abandonner la vie Monastique, et rompre leurs voeux pour professer le Calvinisme, et se charger de femme au lieu de leur Chapelet et de leur Breviaire. Ceux qui ont leu cét Autheur là, sçavent que je dis la verité. Ce Prince qui a tousjours porté les armes en faveur des Religionnaires ou Protestans François (desquels il fut l'un des principaux Chefs, comme il fit paroistre en plusieurs occasions, entre autres à la bataille de Dreux, et au siege d'Orleans) ne manqua pas ayant épousé la jeune Princesse Caterine de Cleves ou de Nivernois, de luy persuader de faire profession de la nouvelle Religion, laquelle pour lors estoit en grande vogue dans la Cour, où plusieurs Princes et Princesses, Seigneurs et Dames s'estoient rendus passionnez Partizans des erreurs de Calvin (3). Mais le Prince de Porcien estant decedé à Paris d'une fiévre chaude l'an 1566. quelque temps aprés la Comtesse de Senigan sa mere, Caterine de Cleves Princesse de Porcien sa veuve abjura l'heresie et fit profession de la Religion Catholique dans la Chapelle du Chasteau de Saint Germain en Laye, à l'instance de la Reyne Caterine de Medicis sa marraine (4); puis l'an 1570 (5). elle épousa à l'Hostel de Guyse à Paris Henry de Lorraine Duc de Guyse et de Chevreuse, en presence du Roy Charles IX. de la Reyne sa mere, des Ducs d'Anjou et d'Alençon freres de sa Majesté, qui voulurent honorer de leur presence ces noces là, à cause que ce Prince et cette Princesse avoient l'honneur d'appartenir de sang et de parenté à leurs Majestez et à leurs Altesses Royales.
Caterine de Cleves a eu quinze enfans, entre autres quatre fils et cinq filles de Henry Duc de Guyse son deuxième mary, tous dignes de tirer leur naissance des Maisons de Lorraine et de Cleves; toutes deux si renommées, qu'il n'y a lieu en la terre qui n'en connoisse la gloire: et toutes deux si grandes, que l'Europe n'a point de Rois à qui l'une ou l'autre ne les fasse appartenir.
L'aisné des fils a esté Charles de Lorraine Duc de Guyse, Prince de Joinville, Comte d'Eu, Souverain de Chasteau-Renaud, Gouverneur et Lieutenant General pour le Roy en Provence et Amiral des mers de Levant, et par plusieurs fois Lieutenant general du Roy Louis XIII. en ses armées (6): [296] lequel est mort en Toscane le 30. de Septembre de l'an 1641. et a receu les honneurs de la sepulture dans l'Eglise de Saint Laurens de Joinville avec ses ancestres. Ce Prince a eu dix enfans de sa femme Henriette-Caterine Duchesse de Joyeuse et Comtesse du Bouchage, veuve de Henry de Bourbon Duc de Montpensier, Princesse de rare vertu; sçavoir François de Lorraine, Prince de Joinville, Prince de grande esperance et l'un des plus accomplis de son âge, mort à Florence le 17. de Novembre de l'an 1639. estant âgé de 25. ans, duquel le Pere Joseph de Morlais Predicateur de l'Ordre des Capucins a fait l'Oraison funebre, qu'il a dediée à sa soeur Françoise Renée Abbesse de Saint Pierre de Reims. Deux fils jumeaux decedez en jeunesse. Henry de Lorraine II. du nom, et V. Duc de Guyse, Prince de Joinville et Comte d'Eu, qui a donné des preuves de son courage et a dignement servy le Roy au siege de Graveline sous son Altesse Royale. Charles-Louis de Lorraine Duc de Joyeuse, Prince aussi de grande esperance, decedé à Florence le 15. de Mars 1637. fut inhumé à Joinville avec le Duc de Guyse son pere, et le Prince de Joinville son frere aisné. Louis de Lorraine Duc de Joyeuse, Grand Chambellan de France. Roger de Lorraine Chevalier de Guyse: ces deux jeunes Princes ont bien servy le Roy au siege de Graveline. Marie de Lorraine, belle et sage Princesse, digne fille d'une si digne mere; Françoise Renée de Lorraine, Abbesse de Saint Pierre de Reims, à present Coadjutrice de la Royale Abbaye de Mont-martre, et Caterine de Lorraine decedée en jeunesse.
Claude de Lorraine Duc de Chevreuse, Pair et Grand Chambellan de France, Gouverneur d'Auvergne et de Picardie, second fils de Caterine de Cleves et de Henry Duc de Guyse, qui a épousé Marie de Rohan, veuve de Charles d'Albert Duc de Luynes, Pair et Connestable de France, de laquelle il a trois filles; sçavoir, Anne, Marie, et Henriette de Lorraine. Ce Prince a fait la guerre en Hongrie contre les Infidelles.
Louis de Lorraine, Cardinal Archevéque et Duc de Reims, premier Pair de France, decedé fort Chrestiennement à Xaintes le 21. de Juin de l'an 1621. durant le siege de Saint Jean d'Angely (7), où il avoit donné des preuves de son cou-[297]rage. Il a receu les honneurs de la sepulture dans l'Eglise de Reims prés de son grand oncle Charles Cardinal de Lorraine. Le Pere André Chavyneau Minime a fait un discours sur la belle mort de ce Prince là, qu'il a adressé à sa soeur Jeanne de Lorraine, Abbesse de Jouare.
François Paris de Lorraine, posthume, Chevalier de Malte, et Lieutenant general pour le Roy Louys XIII. en Provence où il mourut de l'esclat d'un canon au Chasteau de Baux le 1. de Juin 1614. Son corps fut porté à Saint Trophime d'Arles, et son coeur à Saint Sauveur d'Aix: plusieurs excellens hommes, entre autres André Fremiot, Archevéque de Bourges: Nicolas Coeffeteau de l'Ordre de Saint Dominique, depuis Evéque de Dardanie et nommé par le Roy à l'Evéché de Marseille: et François de Malherbe ont écrit des lettres de consolation sur la mort déplorable de ce Prince, à feu Madame la Princesse de Conty sa soeur.
Marie de Lorraine decedée l'an 1582. à l'âge de 4. ans, fut inhumée en l'Eglise Parroissiale de Saint Jean en Gréve à Paris, où l'on voit son Epitaphe.
Louise Marguerite de Lorraine, Princesse de Conty, de laquelle je feray l'Eloge en ce livre.
Caterine de Lorraine Princesse douée de hautes et rares qualitez, elle est morte sans avoir esté mariée, et inhumée en l'Eglise des filles Dieu à Paris.
Renée de Lorraine Abbesse de Saint Pierre de Reims, et Jeanne de Lorraine Abbesse de Jouare, et Prieure de Proville. Ces deux Princesses s'estant faites Religieuses ont mené une vie digne du Ciel dans leurs Cloistres, et leur memoire est en veneration dans les Abbayes qu'elles ont gouvernées, où elles ont laissé des marques de leur vertu et de leur pieté.
Caterine de Cleves amena tous ces Princes et ces Princesses à l'obeissance du Roy Henry le Grand sur la fin de l'an 1594. avec les villes de Reims, de Guyse, de Joinville, de Rocroy, de Saint Disier, de Mont-cornet en Ardenne, et d'autres places, au grand bon-heur de la France, qui admira en ce temps là la generosité de Charles Duc de Guyse et la prudence de cette Princesse sa mere qui travailla au traité de paix avec Maximilien de Bethune Marquis de Rosny, et de-[298]puis Duc de Sully; laquelle eut ce contentement aprés avoir reduit ses enfans et ces villes, en l'obeissance du Roy Henry IV. que le Duc de Guyse son aisné servit très fidelement et genereusement ce grand Monarque à Fontaine Françoise, où deux des plus braves de l'armée du Connestable de Castille ayant bien eu la hardiesse de l'attaquer, n'eurent pas la force de resister à sa valeur. Tost aprés cette heureuse Journée il fut trouver à Auxonne le Mareschal de Biron, auquel ayant dit qu'il estoit venu le trouver pour estre son soldat, le Mareschal luy fit response, qu'il tiendroit à honneur d'estre le sien: mais ce Prince luy ayant protesté qu'il estoit venu là pour le suivre et luy obeir, il prit ses armes et monté sur un barbe gris se mit à la teste auprés du Mareschal qui conduisoit cinq cens maistres; mais impatient de repos s'estant desrobé pour aller chercher les ennemis, il rencontra et tailla en pieces un regiment d'Espagnols, parmy lesquels un de leurs Capitaines s'estant écarté de sa troupe, et ayant gagné le pied d'un arbre, où la pique à la main il deffioit les victorieux; ce jeune Prince l'ayant aperceu, y eut la main aussi tost que les yeux, et aprés quelque resistance, le tua d'un coup de pistolet, et luy donna le chastiment que sa presomption avoit merité.
Ceste proye ne fit qu'irriter la faim de ce lyon; lequel avec le reste de cette victorieuse troupe, s'estant avancé jusques auprés de Grey, où les forces de l'Espagnol s'estoient jettées, on vit sortir un Cavalier qui le pistolet au poing deffia le plus hardy des François, criant, A moy armes dorées. Il ne languit gueres en ce desir là: car quoy que le Duc de Guyse eust desja lasché son pistolet, il vint neantmoins fondre sur luy, et le mena si rudement, qu'il le poussa jusques au bord du fossé, qui estoit remply d'ennemis, où il l'acheva à quatre pas de la porte de cette ville du Comté de Bourgongne, et à la mercy d'une gresle de mousquetades emmena le cheval, pour luy estre témoin du traictement que le maistre avoit receu.
Le Roy Henry IV. ayant sceu cette action glorieuse l'embrassa estroitement, la porta au plus haut de toutes celles que la magnanimité peut produire, et adjousta à cette louange une parole digne d'un grand Monarque. Il faut que ceux qui trouvent des vieux exemples de vertu devant eux, les imitent et [299] les renouvellent par ceux qui viennent aprés eux.
Aussi sa Majesté luy donna peu de temps aprés le Gouvernement de Provence, où il ne fut pas si tost arrivé qu'il ruina deux colosses de rebellion, que les divisions de la ligue avoient fait tirans de Marseille: et quant et quant détacha cette grande et puissante ville du joug où ils l'avoient honteusement asservie, pour la remettre plus fidelle et plus obeissante que jamais, en la main du Roy son legitime possesseur: les Castillans et les Génois ayans esté chassez par la valeur de ce Prince là glorieusement de Marseille et de la Provence, qui furent contraints de changer en une honteuse fuite la victoire dont ils chantoient desja le triomphe.
Caterine de Bourbon Marquise d'Isle et Comtesse de Beaufort fille unique d'Henry I. Prince de Condé et de Marie de Cleves sa premiere femme estant decedée sur la fin de l'an 1595. Caterine Duchesse de Guyse qui estoit sa tante maternelle luy succeda au Comté de Beaufort qu'elle vendit depuis au Roy Henry le Grand (8) pour liquider sa maison, et la sortir de procés et des grandes debtes ausquelles elle estoit entrée durant les troubles de ce Royaume, et par les despenses excessives du Duc son mary.
Durant le regne pacifique du Grand Henry et de celuy du Roy son fils elle fit bastir magnifiquement l'Hostel de Cleves à Paris, où dans une belle galerie elle a fait mettre à main droite, les vrais portraits des Heros et des Heroines de la Maison de Lorraine et de Guyse, et à la gauche ceux des Maisons de Nivernois et de Cleves. Elle a marié sa fille Louise à un Prince du sang: elle n'a jamais manqué d'assister de son pouvoir et de sa faveur tous ses vassaux de son Comté d'Eu, qui l'ont aussi tousjours cherie et honorée comme leur mere et tres-bonne maistresse. Elle a fait paroistre sa liberalité envers les Ecrivains qui luy ont dedié leurs ouvrages, et élevé aux escholes de Theologie plusieurs Docteurs tant seculiers que reguliers. Sa constance a paru en la perte de ses deux maris, de deux de ses fils et de plusieurs filles, et de ses deux soeurs. Sa devotion et sa pieté au soin qu'elle a eu de la decoration des Autels, donnant de riches chasubles et paremens à diverses Eglises, ausquels elle mesme avoit travaillé [300] de sa main encore qu'elle fust fort âgée.
Elle a aussi fondé plusieurs Eglises et Oratoires, entre autres celle des Capucins à Eu, et aussi les Ursulines de la méme ville pour instruire les jeunes filles de ce Comté là en la crainte et amour de Dieu et aux bonnes moeurs; où elles y ont heureusement reussy selon le desir de leur Fondatrice: mais il n'y a point de Maison de Religion où Caterine de Cleves ait plus fait paroistre sa liberale pieté, qu'à l'Eglise et au College de la Compagnie de Jesus qu'elle a fondé avec le Duc son mary en sa ville et Comté d'Eu, et qu'elle a eu le soin de faire achever aprés le decés de ce Prince là. Ceux qui ont passé par cette ville de la Normandie et voisine de la Picardie, ont peu lire ces mots Latins, qui sont sur un nom de JESUS porté par deux Anges au frontispice de l'Eglise de ce College là. Illustrissama Domina Catharina Clevensis, Henrici à Guisia bellicâ laude immortalitatem adepti conjux, hanc aedem suis sumptibus extructam vidit pridie Cal. August. an. M. DC. XXIV.
Et dessus le nom de JESUS.
Hoc suae pietatis monumentum in memoriam S. Ignatii Societatis Jesu Fundatoris, dedicari praesens curavit, anno aetatis suae 74.
C'est à dire:
La tres-illustre Dame Caterine de Cleves femme d'Henry de Guyse, qui a acquis par sa valeur un nom immortel, a fait bastir cette Eglise à ses despens, le dernier jour de Juillet de l'an 1624.
Elle a eu le soin en sa presence de voir dedier et consacrer ce monument de sa pieté en l'honneur de Saint Ignace Fondateur de la Compagnie de JESUS l'an 74. de son âge.
Il se voit encor un marbre noir, sur lequel sont gravées en lettres d'or, les paroles qu'on a fait mettre sur la premiere pierre de l'Eglise.
Sacrum hoc marmor devoti Sacrarii fundamentum, Jesu amore incensa et ejus charae Societatis illustrissima Catharina Clevensis conjux illustrissimi Principis Henrici à Lotharingiâ Ducis Guisiae tertii, Augi Comitissa, Praefecti urbis manu D. de Lanoy fideliss. feliciter posuit XX. Maii 1613. Lesquelles veulent dire en François:
La tres-illustres Princesse Caterine de Cleves femme de tres-illustre Prince Henry de Lorraine III. Duc de Guyse et Comtesse d'Eu enfla-[301]mée de l'amour de Jesus et de sa chere Compagnie, a fait heureusement poser par le sieur de Lanoy (9)très fidele Gouverneur de cette ville, ce sacré marbre le fondement de ce devot Edifice. C'est dans cette belle Eglise que cette Duchesse de Guyse a fait dresser du costé de l'Evangile un beau mauzolée à la memoire du Duc son mary, auquel ce Prince là est representé en posture d'un homme qui prie en haut, revestu d'un grand manteau, et au dessous couché tout armé, excepté la teste qui est nue. Cette Princesse meditant son issue de ce monde les dernieres années de sa vie, a pris le soin de faire bastir et dresser son monument et sepulchre du costé de l'Epistre, où elle est aussi representée en deux postures, en haut sur un prie-Dieu à genoux, et dessous couchée et appuyée sur le coude du bras gauche.
Elle a receu de grands honneurs durant sa vie, ayant assisté au Sacre et au Couronnement des Reynes Elizabet d'Austriche et Marie de Toscane, et à l'entrée d'Elizabet dans Paris: aux mariages des Rois Charles IX. avec Elizabet d'Austriche; d'Henry III. avec Louise de Lorraine; d'Henry le Grand avec Marie de Toscane, et de Louys XIII. avec Anne d'Espagne: et aussi aux ceremonies du Baptesme du Roy Louys XIII. et de ses soeurs Elizabet Reyne d'Espagne et Christine Reine de Cypre et Duchesse de Savoye.
Caterine III. Duchesse de Guyse mourut fort Chrestiennement dans son Hostel de Cleves à Paris l'onziesme de May de l'an 1633. estant âgée de 85. ans; on remarque qu'elle estoit la plus âgée des Princesses de son siecle et la derniere de la tres-illustre et tres-ancienne Maison de Cleves. Le 23. du méme mois l'on fit ses pompes funebres en l'Eglise de l'Annonciade des Peres Prescheurs ou Jacobins, de la rue neuve Saint Honoré, d'où son corps a esté porté à Eu dans l'Eglise du College des Peres Jesuites qu'elle a fondé et mis dans le caveau sous la Chapelle de Sainte Caterine où ces paroles sont gravées en une plaque de cuivre sur son cercueil.
Icy est le corps de defuncte tres-haute, puissante, et tres-illustre Princesse, Madame Caterine de Cleves Duchesse douairiere de Guyse, vefve de defunt tres-haut, puissant et tres-illustre Prince Monseigneur Henry de Lorraine, Duc de Guyse et de Chevreuse, Prince de Joinville, Comte d'Eu, Souverain de Chasteau Regnault, et terres [302] d'Outre-Meuse, Pair et grand Maistre de France, Gouverneur et Lieutenant general pour le Roy en Champagne et Brie, laquelle deceda le 11. jour de May 1633. en son Hostel de Cleves en la ville de Paris, aagée de quatre-vingts ans, Dieu mette son ame en repos. Et son coeur dans l'Eglise de Saint Laurens d'Eu (10), où Monsieur de Saint Estiene Abbé d'Eu a fait dresser une belle colomne de marbre noir, sur laquelle est le coeur de cette Duchesse, et luy a fait graver au bas cét Epitaphe Latin que j'ay mis en François en faveur des Dames, et de ceux qui n'ont pas la connoissance du langage Romain.
Illustrissima Princeps Catarina de Cleves hujus nominis postrema Comes Augi, Franciae Par, Henrici Ducis Guisiae Principis incomparabilis conjux et 45. annorum spatio vidua, quae Germanici Principatus nobilitati, Gallicanam matris et aliarum celsitudinem conjungens, per Artesiae, Burgundiae, Bituricensis, Alenconiae, bisque per Borboniae gentis propagines ortum à stirpe Sancti Ludovici Francorum Regis deducebat, singulari erga Deum pietate, largitionibus erga pauperes captivos et ordines mendicantium, comitate et officiis erga omnes, fundationibus et dotationibus Ecclesiarum, quantum potuit, tanti sanguinis sanctitatis auctorem imitata, versicoloris peristromatum textura, et plusquam ducentarum planetarum, quas acu depinxit et templis affixit, donariis ornata, innumerisque sacerdotum et Religiosorum, quos fouit, votis et sacrificiis innixa ad caelos evolans anno aetatis octuagesimo quarto, hîc cum majoribus cor suum requiescere, et ad quotidianam ac perpetuam corporis et sanguinis Christi Domini oblationem hanc basilicam à Guillelmo Augi primo Comite conditam, et à successoribus auctam annuo trecentarum librarum reditu dotare voluit anno millesimo sexcentesimo trigesimo tertio.
Tres-illustre Princesse Caterine la derniere du nom et de la Maison de Cleves, Comtesse d'Eu, Pair de France, femme d'Henry Duc de Guyse Prince incomparable, et qui a vescu en viduité par l'espace de 45. ans, laquelle ayant assemblé en sa personne la grandeur de Princesse d'une illustre famille d'Alemagne avec l'honneur de Princesse de la Maison de France du costé de sa mere et de ses ayeules, tirant son origine de saint Louys Roy des François par les Maisons d'Artois, de Bourgongne, de Berry, d'Alençon, et deux fois par celle de Bourbon, a imité le Chef de cette tres Auguste race par sa [303] singuliere pieté envers Dieu, sa liberalité envers toute sorte de pauvres, tant captifs que des Ordres mendians, sa douceur et sa bonté envers tous, fondant et dotant des Eglises autant qu'il luy a esté possible: Illustre par ses presens, ayant liberalement donné plus de deux cens paremens et chasubles de diverses couleurs aux lieux saints, à la pluspart desquelles elle méme avoit travaillé de l'aiguille; et aydée par les prieres et les sacrifices des Prestres et des Religieux qu'elle nourrissoit, est allée au Ciel l'an 84. de son âge, ayant ordonné que son coeur fust icy inhumé avec ses ancestres, et que tous les jours on celebre à perpetuité la sainte Messe en cette Eglise bastie par Guillaume premier Comte d'Eu, et augmentée par ses successeurs, pour raison dequoy elle l'a dotée de trois cens livres de rente l'an 1633.

(1) Cleves blazonné en l'Eloge de Charlote de Bourbon Comtesse de Nevers, et d'Henriette de Cleves Duchesse de Nivernois soeur aisnée de Caterine Duchesse de Guyse.
(2) Croy d'argent à trois fasces de gueules. Les autres disent à la fasce de gueules de III pieces. Les Seigneurs de cette Maison là écartelent de Renty qui est d'argent à III. doloires de gueules, II. en chef adossées, et l'autre en pointe.
(3) Belleforest.
(4) Myles Piguerre.
(5) Belleforest.
(6) Ce Prince a rendu de notables services à cét Estat, entre autres, quand l'an 1622. il gagna une bataille navale sur les rebelles Rochelois.
(7) Claudius Robertus in Gallia Christiana.
(8) Henry IV. a erigé le Comte de Beaufort en Duché en faveur de Gabrielle d'Estrée qu'il aymoit.
(9) Lannoy Dameraucourt, eschiqueté d'or et d'azur de 25. pieces, qui est de Vermandois.
(10) Saint Laurens evéque de Dublin est mort à Eu.

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