Anne de France/Hilarion de Coste : Différence entre versions

De SiefarWikiFr

[version vérifiée][version vérifiée]
(Import automatique)
 
Ligne 16 : Ligne 16 :
 
Toutes ces disgraces et adversitez affligerent tellement cette grande Princesse Anne de France, qui en la fleur de ses ans avoit gouverné toute la France, et avoit commandé absolument comme Regente et soeur bien-aimée d'un grand Roy, et qui estoit la mesme generosité, estant de la liberale Maison de Valois, la branche directe de laquelle faillit à Charles VIII. son frere, qu'elle en conceut un tel regret qu'il la mena au tombeau le 14. Novembre 1522. estant au chasteau de Chantelle, et non pas à Chastelleraud en Poictou, comme aucuns écrivent. Anne par son testament laissa le Duc Charles son gendre, qu'elle appelloit son fils son heritier universel, et éleut sa sepulture prés le Duc Pierre son mary au Prieuré de Souvigny en Bourbonnois, [54] qui est une des filles de l'Abbaye de Cluny, et où sont inhumez plusieurs Princes et Princesses de la Royale Maison de Bourbon, et son coeur à Nostre-Dame de Moulins.<br />
 
Toutes ces disgraces et adversitez affligerent tellement cette grande Princesse Anne de France, qui en la fleur de ses ans avoit gouverné toute la France, et avoit commandé absolument comme Regente et soeur bien-aimée d'un grand Roy, et qui estoit la mesme generosité, estant de la liberale Maison de Valois, la branche directe de laquelle faillit à Charles VIII. son frere, qu'elle en conceut un tel regret qu'il la mena au tombeau le 14. Novembre 1522. estant au chasteau de Chantelle, et non pas à Chastelleraud en Poictou, comme aucuns écrivent. Anne par son testament laissa le Duc Charles son gendre, qu'elle appelloit son fils son heritier universel, et éleut sa sepulture prés le Duc Pierre son mary au Prieuré de Souvigny en Bourbonnois, [54] qui est une des filles de l'Abbaye de Cluny, et où sont inhumez plusieurs Princes et Princesses de la Royale Maison de Bourbon, et son coeur à Nostre-Dame de Moulins.<br />
 
Cette genereuse Princesse durant sa vie donna plusieurs marques de sa pieté et liberalité envers diverses Eglises et Monasteres. Celuy des filles de sainte Claire de sa ville et Comté de Gien fut basty et orné de ses aumosnes. Elle fonda aux fauxbourgs de la méme ville un Convent de nostre Ordre des Minimes en l'honneur de la tres-sainte Trinité, et en reconnoissance qu'elle avoit obtenu lignée par les prieres et oraisons de nostre Pere et grand oncle S. François Martotille dit de Paule, que cette vertueuse Dame, fille et soeur de nos Rois, cherit et honora grandement depuis qu'elle l'eut apperceu dans le Parc du chasteau du Plessis lés Tours élevé en terre plus haut d'une picque, estant ravy en extase, et le montra au Roy Louis XI. son pere. Aprés le decés de ce bien-heureux homme elle écrivit pour sa canonization au Pape Leon X. comme fit aussi le Duc Charles son gendre. Elle fit encore durant sa vie plusieurs pieuses fondations és devotes Maisons de S. Julien et de S. Gilles à Moulins, et au Monastere de l'Annonciade de Bourges, que sa soeur la Reine Jeanne Duchesse de Berry, Dame de Chastillon sur Indre en Touraine, et de Chasteau-neuf sur Loire, avoit fondé, et où cette bonne Princesse quittant avec la Royauté toutes les vanitez du monde pour embrasser l'humilité Chrestienne, se consacra entierement à la devotion et à la pieté, et choisit le meilleur party vacquant continuellement à la meditation, pour converser avec Dieu et avec ses Anges.<br />
 
Cette genereuse Princesse durant sa vie donna plusieurs marques de sa pieté et liberalité envers diverses Eglises et Monasteres. Celuy des filles de sainte Claire de sa ville et Comté de Gien fut basty et orné de ses aumosnes. Elle fonda aux fauxbourgs de la méme ville un Convent de nostre Ordre des Minimes en l'honneur de la tres-sainte Trinité, et en reconnoissance qu'elle avoit obtenu lignée par les prieres et oraisons de nostre Pere et grand oncle S. François Martotille dit de Paule, que cette vertueuse Dame, fille et soeur de nos Rois, cherit et honora grandement depuis qu'elle l'eut apperceu dans le Parc du chasteau du Plessis lés Tours élevé en terre plus haut d'une picque, estant ravy en extase, et le montra au Roy Louis XI. son pere. Aprés le decés de ce bien-heureux homme elle écrivit pour sa canonization au Pape Leon X. comme fit aussi le Duc Charles son gendre. Elle fit encore durant sa vie plusieurs pieuses fondations és devotes Maisons de S. Julien et de S. Gilles à Moulins, et au Monastere de l'Annonciade de Bourges, que sa soeur la Reine Jeanne Duchesse de Berry, Dame de Chastillon sur Indre en Touraine, et de Chasteau-neuf sur Loire, avoit fondé, et où cette bonne Princesse quittant avec la Royauté toutes les vanitez du monde pour embrasser l'humilité Chrestienne, se consacra entierement à la devotion et à la pieté, et choisit le meilleur party vacquant continuellement à la meditation, pour converser avec Dieu et avec ses Anges.<br />
Cette tres-vertueuse et tres-prudente Heroine n'est pas seulement louée par nos Historiens pour sa liberalité envers les Oratoires et Maisons de devotion, et ses aumosnes envers les necessiteux et les pauvres; mais aussi pour sa pudicité et chasteté: voicy comme en parle en termes honorables un Gentil-homme de bonne et ancienne race, Pierre de S. Julien de la noble Maison de Baleurre, Doyen de Chalon, en son Livre des Antiquitez de Mascon. ''La Reine Anne Duchesse'' ''de Bretagne, et Madame Anne de France Duchesse'' [55] ''de Bourbonnois, (cette-là deux fois Reine de France, et cette-cy fille du Roy Louis XI. et Regente en France pendant la minorité du Roy Charles VIII. son frere) avoient si vertueusement extirpé l'impudicité et planté l'honneur au coeur des Dames, Damoiselles, femmes de villes, et toutes autres sortes de femmes Françoises, que celles qu'on pouvoit sçavoir avoir offensé leur honneur, estoient si ahonties et mises hors des rangs, que les femmes de bien eussent pensé faire tort à leur reputation si elles les eussent souffertes en leur compagnie.<br />
+
Cette tres-vertueuse et tres-prudente Heroine n'est pas seulement louée par nos Historiens pour sa liberalité envers les Oratoires et Maisons de devotion, et ses aumosnes envers les necessiteux et les pauvres; mais aussi pour sa pudicité et chasteté: voicy comme en parle en termes honorables un Gentil-homme de bonne et ancienne race, Pierre de S. Julien de la noble Maison de Baleurre, Doyen de Chalon, en son Livre des Antiquitez de Mascon. ''La Reine Anne Duchesse de Bretagne, et Madame Anne de France Duchesse'' [55] ''de Bourbonnois'', (cette-là deux fois Reine de France, et cette-cy fille du Roy Louis XI. et Regente en France pendant la minorité du Roy Charles VIII. son frere) avoient si vertueusement extirpé l'impudicité et planté l'honneur au coeur des Dames, Damoiselles, femmes de villes, et toutes autres sortes de femmes Françoises, que celles qu'on pouvoit sçavoir avoir offensé leur honneur, estoient si ahonties et mises hors des rangs, que les femmes de bien eussent pensé faire tort à leur reputation si elles les eussent souffertes en leur compagnie.<br />
''Cette tres-chaste Princesse Anne de France Duchesse de Bourbonnois, et la Reine Anne de Bretagne sont dignes de toute louange, pour avoir durant leur vie par leur bon exemple, leur credit et authorité, banny et exterminé non seulement de la Cour, mais de toute la France la paillardise et la lubricité, qui est un venin, lequel perd les hommes, les villes et les Etats, comme disoit fort bien Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orleans, au Roy Charles VII. On devroit releguer d'un exil perpetuel cette lascive et infame Cypris en Paphos ou en Cypre avec les Turcs, pour jamais ne revenir chez les Francs et les Chrestiens, où elle corrompt et gaste tout aux yeux d'un chacun, tant la pluspart des hommes a peu de pudeur, de front et de vergongne. Anciennement ce vice estoit en telle horreur, et tellement fuy des Dames d'honneur, que s'il y en avoit quelqu'une soupçonnée seulement, on eut plustost fait mourir une honneste femme que de se trouver en une compagnie ou assemblée en laquelle une Subrete ou Courtizane eut paru. Les Payennes avoient aussi ce sentiment: car comme nous apprend le Pere de l'eloquence Romaine, Verres Gouverneur de la Sicile, ayant prié une femme vertueuse à un festin qu'il faisoit, si tost qu'elle fut entrée en la compagnie, et qu'elle eut veu l'une de ses Drupes prés de luy, elle fit une grande reverence et s'en alla disner en sa maison. Aussi il n'y a point de connexité entre l'olive et le lierre, le laurier et le myrthe, entre la pudicité et l'impudicité. La maison et le Palais de cette fille de France estoit l'Escole et l'Academie de la Vertu et de l'Honneur, pour le soin et la peine qu'elle prenoit à bien faire nourrir et élever les filles [56] et les Demoiselles qui estoient à sa suite, ausquelles (comme a remarqué François Billon en son Livre intitulé ''le Fort inexpugnable du sexe feminin'') pas un Gentil homme n'eut osé parler dans son Hostel que le genouil à terre, pour le soin qu'avoit cette courageuse et pudique Princesse, que l'ordre qu'elle avoit estably en sa maison fust gardé, et cette ordonnance domestique bien observée en faveur et en l'honneur de celles de son sexe.<br />
+
Cette tres-chaste Princesse Anne de France Duchesse de Bourbonnois, et la Reine Anne de Bretagne sont dignes de toute louange, pour avoir durant leur vie par leur bon exemple, leur credit et authorité, banny et exterminé non seulement de la Cour, mais de toute la France la paillardise et la lubricité, qui est un venin, lequel perd les hommes, les villes et les Etats, comme disoit fort bien Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orleans, au Roy Charles VII. On devroit releguer d'un exil perpetuel cette lascive et infame Cypris en Paphos ou en Cypre avec les Turcs, pour jamais ne revenir chez les Francs et les Chrestiens, où elle corrompt et gaste tout aux yeux d'un chacun, tant la pluspart des hommes a peu de pudeur, de front et de vergongne. Anciennement ce vice estoit en telle horreur, et tellement fuy des Dames d'honneur, que s'il y en avoit quelqu'une soupçonnée seulement, on eut plustost fait mourir une honneste femme que de se trouver en une compagnie ou assemblée en laquelle une Subrete ou Courtizane eut paru. Les Payennes avoient aussi ce sentiment: car comme nous apprend le Pere de l'eloquence Romaine, Verres Gouverneur de la Sicile, ayant prié une femme vertueuse à un festin qu'il faisoit, si tost qu'elle fut entrée en la compagnie, et qu'elle eut veu l'une de ses Drupes prés de luy, elle fit une grande reverence et s'en alla disner en sa maison. Aussi il n'y a point de connexité entre l'olive et le lierre, le laurier et le myrthe, entre la pudicité et l'impudicité. La maison et le Palais de cette fille de France estoit l'Escole et l'Academie de la Vertu et de l'Honneur, pour le soin et la peine qu'elle prenoit à bien faire nourrir et élever les filles [56] et les Demoiselles qui estoient à sa suite, ausquelles (comme a remarqué François Billon en son Livre intitulé ''le Fort inexpugnable du sexe feminin'') pas un Gentil homme n'eut osé parler dans son Hostel que le genouil à terre, pour le soin qu'avoit cette courageuse et pudique Princesse, que l'ordre qu'elle avoit estably en sa maison fust gardé, et cette ordonnance domestique bien observée en faveur et en l'honneur de celles de son sexe.<br />
 
Anne de France Duchesse de Bourbon et d'Auvergne, Comtesse de Gien et de Forests, avoit pour devise comme le Duc Pierre son mary, qui fut un des plus sages et avisez Princes de son temps, une grande nuée d'azur de laquelle sortoient des langues de feu et de gueules, et au milieu un cerf volant d'or, et autour de son col, répandant sur ses épaules entre ses aisles, estoit une ceinture d'azur où estoit écrite en lettres d'or l'ancienne devise et le mot de la Royale Maison de Bourbon ESPERANCE. Par ce mot ces tres-genereux et tres-magnanimes Princes vouloient dire qu'un jour ils parviendroient à la Couronne tres-Chrestienne. Balde l'un des premiers Jurisconsultes d'Italie, et digne disciple de Bartole, qui n'estoit pas moins resolu que son Maistre, a écrit il y a plus de deux cens ans en son Traité des fiefs; ''Que si la Maison de Bourbon duroit jusqu'à mille ans, elle auroit droit au Royaume de France'': connoissant dés lors que les Princes de cette Maison estoient capables de succeder au Sceptre des François, non seulement comme Princes du sang de France; mais aussi pour leurs merites et leurs vertus. Le dire prophetique de ces Princes est arrivé, nonobstant toutes sortes d'obstacles et d'empeschemens suscitez par les ennemis de cette honorable Maison, dont les langues de feu sont comme les symboles, et ces Princes genereux ainsi que leur cerf volant, sont montez à cette Monarchie, de laquelle pour un honneur et remarque singuliere, on a écrit qu'elle a esté autrefois representée au Ciel par une nuée d'argent et d'azur, en laquelle fut veu un Ange couronné portant le Sceptre en sa main semé et orné de fleurs de Lis. Bon-heur qu'a eu cette Maison, que n'ont pas eu les Maisons d'Anjou, de Bourgongne, d'Alençon [57] et d'Evreux qui la precedoient, ayant esté éteintes et tombées par des femmes en d'autres maisons. Fasse le Ciel que le dernier Roy des François soit de la Maison de Bourbon, et que le dernier et souverain Monarque de l'Univers soit un Roy de France du sang adorable de Saint Louis, le plus saint Roy que vit jamais le Soleil, et sacré tige de cette Royale Maison la plus noble du monde.
 
Anne de France Duchesse de Bourbon et d'Auvergne, Comtesse de Gien et de Forests, avoit pour devise comme le Duc Pierre son mary, qui fut un des plus sages et avisez Princes de son temps, une grande nuée d'azur de laquelle sortoient des langues de feu et de gueules, et au milieu un cerf volant d'or, et autour de son col, répandant sur ses épaules entre ses aisles, estoit une ceinture d'azur où estoit écrite en lettres d'or l'ancienne devise et le mot de la Royale Maison de Bourbon ESPERANCE. Par ce mot ces tres-genereux et tres-magnanimes Princes vouloient dire qu'un jour ils parviendroient à la Couronne tres-Chrestienne. Balde l'un des premiers Jurisconsultes d'Italie, et digne disciple de Bartole, qui n'estoit pas moins resolu que son Maistre, a écrit il y a plus de deux cens ans en son Traité des fiefs; ''Que si la Maison de Bourbon duroit jusqu'à mille ans, elle auroit droit au Royaume de France'': connoissant dés lors que les Princes de cette Maison estoient capables de succeder au Sceptre des François, non seulement comme Princes du sang de France; mais aussi pour leurs merites et leurs vertus. Le dire prophetique de ces Princes est arrivé, nonobstant toutes sortes d'obstacles et d'empeschemens suscitez par les ennemis de cette honorable Maison, dont les langues de feu sont comme les symboles, et ces Princes genereux ainsi que leur cerf volant, sont montez à cette Monarchie, de laquelle pour un honneur et remarque singuliere, on a écrit qu'elle a esté autrefois representée au Ciel par une nuée d'argent et d'azur, en laquelle fut veu un Ange couronné portant le Sceptre en sa main semé et orné de fleurs de Lis. Bon-heur qu'a eu cette Maison, que n'ont pas eu les Maisons d'Anjou, de Bourgongne, d'Alençon [57] et d'Evreux qui la precedoient, ayant esté éteintes et tombées par des femmes en d'autres maisons. Fasse le Ciel que le dernier Roy des François soit de la Maison de Bourbon, et que le dernier et souverain Monarque de l'Univers soit un Roy de France du sang adorable de Saint Louis, le plus saint Roy que vit jamais le Soleil, et sacré tige de cette Royale Maison la plus noble du monde.

Version du 4 septembre 2010 à 10:39

[I,46] ANNE DE FRANCE DUCHESSE DE BOURBONNOIS et d'Auvergne.

Anne de France estoit la fille aisnée du Roy Louis XI. et de la Reine Charlote de Savoye sa femme. Elle nâquit à Genepe au Païs-bas, lors que son pere estoit encore Daufin, et depuis qu'il fut parvenu à la Couronne elle fut nourrie et élevée par la Reine sa mere, bonne et vertueuse Princesse, au chasteau d'Amboise. Estant grandelette le Roy son pere la fiança à Nicolas d'Anjou Duc de Calabre et de Lorraine, Marquis du Pont, fils de Jean d'Anjou Duc de Calabre et de Lorraine, Comte de Geronde et de Cervieres, et de Marie de Bourbon sa femme, petit fils de René Roy de Hierusalem, de l'une et de l'autre Sicile, et d'Aragon: mais ce mariage ne sortit pas son effet. Nicolas d'Anjou estant mort de peste, et ayant méme donné parole à Charles dernier Duc [47] de Bourgongne d'épouser sa fille Marie, qui estoit le plus riche party de l'Europe, au grand mécontentement de Louis, lequel indigné de cet affront, maria Anne sa fille à Pierre de Bourbon Seigneur de Beaujeu l'an 1473. qui fut la méme année que mourut le Marquis du Pont à Mousson, auquel elle avoit esté promise.
La raison principale pour laquelle Louis Prince sage et avisé, maria Anne de France sa fille aisnée à Pierre de Bourbon, frere puisné de Jean II. Duc de Bourbonnois, Connestable et grand Chambrier de France, et de Charles Cardinal de Bourbon Archevéque de Lyon, estoit que le Duc Jean de Bourbon son aisné qui estoit marié depuis 20. ans n'avoit point d'enfans, et estoit hors d'esperance d'en avoir, et que le second qui estoit Cardinal s'estant dedié au service des Autels, pourroit quitter les droits qu'il avoit sur les Duchez d'Auvergne et de Bourbonnois, et Comté de Forests, si le Duc Jean son aisné venoit à deceder; ce qui advint, comme je vous feray voir en cet Eloge de nostre illustre Heroine Anne de France, à laquelle le Roy son pere (pour luy montrer l'affection qu'il luy portoit) fit don du Comté de Gien, et de la Seigneurie et Vicomté de Chastelleraud, qui est maintenant Duché et Pairie.
Le Roy Louis XI. estant au lit de la mort, fit paroistre l'estime qu'il faisoit de cette prudente Princesse sa fille aisnée, à laquelle il donna la charge de la nourriture et du gouvernement de son Daufin et successeur le Roy Charles VIII. qui estoit en effet luy mettre en main la Regence et le gouvernement de l'Estat pendant la minorité de son fils, et il luy donna pour adjoint le Seigneur de Beaujeu son mary, preferant cette Princesse Anne à la Reine Charlote de Savoye sa femme et mere d'Anne, et mesme fit expresse defense à Charlote d'approcher le Roy Charles son fils.
Louis decedé au chasteau du Plessis lés Tours le 30. Aoust 1483. Anne Dame de Beaujeu, et Pierre de Bourbon son mary prennent le timon du gouvernement du Royaume, et font sacrer le petit Roy Charles à Reims, quoy que Louis Duc d'Orleans premier Prince du Sang, Jean Duc de [48] Bourbon, Charles Comte d'Angoulesme, René Duc d'Alençon, tous Princes de la Maison de France, liguez avec le Comte de Dunois et plusieurs Seigneurs du Royaume, ausquels se joignit le Duc de Bretagne, leur fussent grandement contraires. Mais cette Princesse accorte et d'un grand entendement, sceut dextrement dissiper toutes les entreprises des Princes et des Seigneurs qui s'opposerent à leur Regence. Car les Estats generaux du Royaume convoquez à Tours ayans ordonné: qu'il n'y auroit point de Regent en France: qu'Anne auroit le gouvernement de la personne de Charles, suivant la volonté du Roy Louis XI. son pere: Que le Conseil d'Estat seroit composé de douze personnages signalez en extraction, vertu et capacité, par l'avis desquels sous le nom et l'authorité du Roy, les affaires du Royaume seroient conduites. Anne prend le bon bout de son costé, rompt au commencement les desseins des mécontens par le Traité de Baugency: lesquels s'estans reunis et ralliez par les menées du Comte de Dunois, elle fit donner un Arrest par la Cour de Parlement, contre les Ducs d'Orleans et de Bretagne, et leurs associez, ausquels le Roy Charles fit une forte guerre qui fut la ruine des mécontens et liguez. Car ils furent souvent défaits: et l'armée Royale conduite par ce fidele serviteur de nos Rois le Chevalier sans reproche, Louis de la Trimouille Vicomte de Thouars, prit sur eux plusieurs places, et défit leur armée à la journée de S. Aubin: en laquelle furent pris prisonniers le Duc d'Orleans et le Prince d'Orenge, ausquels depuis le Roy Charles qui estoit plein de generosité, donna la liberté à la priere de leurs femmes, Princesses de singuliere recommandation, tant pour leur extraction que pour leur vertu: celle du Duc d'Orleans estant soeur du Roy Charles et de nostre Anne de France; et celle du Prince d'Orenge soeur de Jean Duc de Bourbon et de Pierre Seigneur de Beaujeu mary d'Anne.
Devant que ces grands differens fussent assoupis et terminez, Jean Duc de Bourbonnois estant mort en son chasteau de Moulins le premier d'Avril de l'an 1487. ou selon l'autre supputation 1488. sans laisser des enfans legitimes, quoy qu'il eût esté marié trois fois: Charles Cardinal de [49] Bourbon estant l'aisné de la Maison aprés luy, à la persuasion de ses serviteurs, pretendit que cette grande succession des Duchez de Bourbonnois, d'Auvergne, Comtez de Forests, de l'Isle Jourdain, et autres Seigneuries, luy appartenoit au moins pour la meilleure part. Mais Anne de France par sa prudence et accortise donna ordre, que cette belle et ample succession n'avint à autre qu'à Pierre de Bourbon son mary, combien que frere puisné de Charles, et se saisit des principales places: puis estant à Moulins elle envoya vers le Cardinal son beau-frere pour faire accord avec luy, lequel estant doué d'une grande bonté (marque de tous les Princes de la Royale Maison de Bourbon) se contenta de la Seigneurie de Beaujolois sa vie durant.
Anne de France de Dame de Beaujeu estant devenue Duchesse de Bourbon et d'Auvergne, et recueilly cette riche succession, elle revint à la Cour du Roy Charles son frere, auprés duquel elle fut en credit et faveur. Ce grand Monarque faisant son voyage d'Italie l'an 1494. laissa son mary Pierre Duc de Bourbon son Lieutenant general, representant sa personne par tout son Royaume, avec un fort ample pouvoir. Ce Prince qui a tousjours fidelement servy nos Rois, deceda au chasteau de Moulins le 10. Octobre l'an 1503. au grand regret d'Anne de France sa femme, laquelle eut de ce Duc deux enfans, un fils et une fille. Le fils fut Charles de Bourbon Comte de Clermont qui mourut en jeunesse, et la fille Suzanne fut mariée à Charles de Bourbon Comte de Montpensier, qui fut Duc de Bourbonnois et d'Auvergne à cause d'elle.
Pierre II. du nom Duc de Bourbonnois et d'Auvergne, Comte de Clermont, de Forests, de Gien, et de la Marche, Vicomte de Carlart et de Murat, Seigneur de Beaujoulois, d'Annonay et de Bourbon Lanceys, Pair et Chambrier de France, Lieutenant general et Gouverneur pour le Roy au Païs de Languedoc, estant allé reposer au tombeau, fut fort regreté par tous ses sujets, tant les Ecclesiastiques que les Nobles, et le peuple de ces Provinces-là. Certes on pouvoit dire de la Cour de ce Duc Pierre de [50] Bourbon et d'Anne de France sa femme, que c'estoit un Temple où l'on ne sacrifioit qu'à la Vertu et à l'Honnesteté: jamais la Pieté n'y avoit veu tant d'autels chargez d'encens, et la Justice qui regne par intervalles dans les Provinces, y estoit assise dans le méme throsne d'ivoire, qu'elle avoit lors qu'elle s'envola dans le Ciel. Sans mentir durant leur gouvernement tousjours fleurissant, Moulins, Clermont et les autres villes des Païs et Provinces susnommées, pouvoient estre appellées de nouveaux Paradis terrestres, puisque le vice en estoit le seul fruict defendu.
Je ne veux point icy representer les perfections de Pierre II. Duc de Bourbonnois et d'Auvergne, sa bonté envers ceux du tiers estat, ses caresses et ses courtoisies envers sa Noblesse, son respect aux Ecclesiastiques, ses aumosnes vers les pauvres, ses liberalitez aux Eglises, sa magnificence en ses chasteaux et en ses maisons (comme l'on voit encore à Creil sur Oise et à Moulins, et aussi à la Royale Maison de Fontaine-bleau; sur tout sa grande devotion et sa foy vive vers le tres-saint et tres-auguste sacrement de l'Autel, ayant obtenu long-temps devant son trépas ce beau et rare privilege du Pape, d'avoir et tenir en repos en quelque lieu qu'il fit sa residence le corps de nostre Seigneur qu'il honoroit avec une si grande humilité, devotion et reverence, qu'il n'a jamais passé jour sans l'avoir esté adorer par deux diverses fois, s'il n'estoit incommodé de quelque grande maladie; puis que dans l'Eloge de Messieurs de sainte Marthe, au Livre XV. de l'Histoire Genealogique de la Maison de France; chez François de Belleforest; dans le Ceremonial de France; et en l'Histoire de la Vie de ce bon Prince, elles y sont depeintes au naturel, chacune dans son throsne. Il me suffit de vous ramentevoir la qualité qu'il portoit d'Epoux de cette Anne de Valois tres-chaste fille de France, pour vous faire connoistre parfaitement la grandeur de son merite: car ayant eu l'honneur de posseder cette Princesse, il pouvoit voir sans vanité au dessous de luy tout ce qui l'estoit sous le Soleil.
Toutefois, quelque grand que fut son bon-heur et son contentement, son ame qui ne respiroit que l'Eternité, n'ayant [51] esté creé que pour elle, prend enfin son dernier essor vers le Ciel, afin d'en posseder la gloire; les devotions, les aumosnes et les prieres qu'il fit durant sa maladie, qui dura depuis le 10. d'Aoust 1503. qu'il tomba malade à Cluny, jusques au 10. d'Octobre de la méme année, qu'il mourut à Moulins, luy en firent ouvrir la porte.
Mais comme sa vie avoit servy d'exemple aux plus sages, sa mort servit de méme d'instruction aux plus parfaits, faisant une exacte confession et reveue de toute sa vie avec larmes et soûpirs au Docteur Jean Copie Religieux Carme, son Confesseur et son Aumosnier; et les actes de contrition qu'il fit recevant le saint Viatique avec une grande ferveur et humilité. De sorte que de cet argument on peut tirer une consequence necessaire de sa felicité eternelle dont il jouit.
Ce fut dans cette perte où nostre grande Princesse eut besoin de toute sa generosité pour la souffrir constamment, sans se laisser aller aux plaintes et aux murmures. Elle fit paroistre en sa perte l'honneur et le respect qu'elle portoit à ce bon Prince son mary. Ceux qui ont leu le Ceremonial de France publié par le sieur Godefroy, n'ignorent pas que cette fille et soeur de nos Rois s'est tres-dignement acquitée de tous les devoirs de pieté et d'amour dont elle creut estre obligée, et pour le salut de son ame et les pompes des honneurs funebres: car Jaques de Bigue Escuyer et Valet de Chambre ordinaire des Rois Charles VIII. et Louis XII. qui a décrit exactement l'ordre observé à l'enterrement de Pierre II. Duc de Bourbon, n'a pas oublié de remarquer le grand nombre de Messes qu'Anne de France fit celebrer pour le repos de son ame à Moulins, à Bourbon, à Herisson, à Verneuil, à Monluçon, à Souvigny, et par toutes les Eglises, les Convents et les Paroisses des Païs et Terres de ce Prince. L'aumosne generale par l'espace de quinze jours à tous les pauvres venans au chasteau de Moulins, et les aumosnes secretes pour marier de pauvres filles, et autres bonnes oeuvres, dont l'argent fut mis entre les mains des bons Bourgeois et Bourgeoises de Moulins, pour fidelement s'enquerir des pauvretez et des necessitez [52] les plus secretes et les plus cachées: l'aumosne faite à douze mille cinq cens pauvres le jour des obseques et à quatorze et quinze mille le jour du quarentin, outre de grandes aumosnes secretes ordonnées en faveur des pauvres femmes, des filles, des Religieux, des Religieuses, et autres pour faire prier Dieu pour le repos de son ame. Les magnifiques honneurs et pompes funebres esquelles assisterent plusieurs Seigneurs de grande naissance et merite, et méme ces cinq Princes de la Maison de France, Charles Duc d'Alençon, Charles de Bourbon Comte de Montpensier, depuis Duc de Bourbonnois et Connestable de France, François de Bourbon son frere depuis Duc de Chastelleraud, Charles de Bourbon Comte depuis premier Duc de Vendosme, et Charles de Bourbon Seigneur de Carency et de Busquoy.
Anne ayant perdu son fils unique nourrit fort soigneusement sa fille Suzanne, tant du vivant de son mary qu'aprés le decés de ce Prince. Elle la fiança au mois de Fevrier l'an 1505. avec Charles de Valois dernier Duc d'Alençon: mais comme dit l'ancien proverbe François, tel fiance qui n'épouse pas. Charles de Bourbon Comte de Montpensier, qui fut depuis Connestable de France, estant plus agreable que le Duc d'Alençon, les promesses de mariage faites avec luy furent rompues, et aussi pour ne point transporter les biens de la Maison de Bourbon en une autre famille, et faire cesser les pretensions et le droit qu'avoit le Comte Charles aprés le decés de Louis son aisné (mort à Pouzzol au Royaume de Naples sur le tombeau de Gilbert de Bourbon son pere, marque d'une vraye pieté filiale recommandable à la posterité) lequel il estoit sur le poinct de poursuivre en Justice. Suzanne et Charles de Bourbon furent épousez au Parc lés Moulins au mois de May l'an 1505. ayant esté auparavant fiancez à Paris par ce grand Prelat George d'Amboise, aprés la dispense obtenue, à cause de la parenté qui estoit entre eux. Les solemnitez se firent au grand contentement de la Duchesse Anne, qui aimoit Charles de Bourbon à cause qu'elle estoit sa marraine.
Anne Duchesse Douairiere de Bourbonnois et d'Auver-[53]gne, ayant marié sa fille Suzanne à ce vaillant et genereux Prince Charles dernier Duc de Bourbon, receut de la joye voyant sa fille mere de trois beaux jeunes Princes: mais cette joye fut suivie d'une grande tristesse, ces Princes estans decedez dés leur tendre jeunesse, et leur mort fut suivie de celle de Suzanne Duchesse de Bourbon leur mere sa chere fille unique, qui mourut de regret et déplaisir, de ce qu'on avoit osté le Gouvernement du Duché de Milan au Duc Charles son mary, au lieu de reconnoistre sa fidelité et ses grands services. L'affliction d'Anne de France s'augmenta grandement aprés le decés de la Duchesse sa fille. Charles son gendre estant veuf de Suzanne, ayant refusé imprudemment l'alliance de Louise de Savoye Duchesse d'Angoulesme et d'Anjou, mere du Roy François I. laquelle portant impatiemment cet affront, convertit l'amour qu'elle portoit à ce beau et vaillant Prince en une haine extreme, et par le conseil du Chancelier du Prat sa creature, pretendit (pour ruiner le Duc Charles) le Duché de Bourbonnois aprés la mort de la Duchesse Suzanne, comme representant sa mere Marguerite de Bourbon, premiere femme de Philippe Comte de Baugé en Bresse et depuis Duc de Savoye. Lors ce pauvre Prince mal-avisé fonda sa revolte sur l'Arrest qui fut donné en faveur de la Duchesse d'Angoulesme. Il n'y a rien qui ébranle tant le courage des Grands, que quand ils décheent des esperances qu'ils tiennent pour certaines.
Toutes ces disgraces et adversitez affligerent tellement cette grande Princesse Anne de France, qui en la fleur de ses ans avoit gouverné toute la France, et avoit commandé absolument comme Regente et soeur bien-aimée d'un grand Roy, et qui estoit la mesme generosité, estant de la liberale Maison de Valois, la branche directe de laquelle faillit à Charles VIII. son frere, qu'elle en conceut un tel regret qu'il la mena au tombeau le 14. Novembre 1522. estant au chasteau de Chantelle, et non pas à Chastelleraud en Poictou, comme aucuns écrivent. Anne par son testament laissa le Duc Charles son gendre, qu'elle appelloit son fils son heritier universel, et éleut sa sepulture prés le Duc Pierre son mary au Prieuré de Souvigny en Bourbonnois, [54] qui est une des filles de l'Abbaye de Cluny, et où sont inhumez plusieurs Princes et Princesses de la Royale Maison de Bourbon, et son coeur à Nostre-Dame de Moulins.
Cette genereuse Princesse durant sa vie donna plusieurs marques de sa pieté et liberalité envers diverses Eglises et Monasteres. Celuy des filles de sainte Claire de sa ville et Comté de Gien fut basty et orné de ses aumosnes. Elle fonda aux fauxbourgs de la méme ville un Convent de nostre Ordre des Minimes en l'honneur de la tres-sainte Trinité, et en reconnoissance qu'elle avoit obtenu lignée par les prieres et oraisons de nostre Pere et grand oncle S. François Martotille dit de Paule, que cette vertueuse Dame, fille et soeur de nos Rois, cherit et honora grandement depuis qu'elle l'eut apperceu dans le Parc du chasteau du Plessis lés Tours élevé en terre plus haut d'une picque, estant ravy en extase, et le montra au Roy Louis XI. son pere. Aprés le decés de ce bien-heureux homme elle écrivit pour sa canonization au Pape Leon X. comme fit aussi le Duc Charles son gendre. Elle fit encore durant sa vie plusieurs pieuses fondations és devotes Maisons de S. Julien et de S. Gilles à Moulins, et au Monastere de l'Annonciade de Bourges, que sa soeur la Reine Jeanne Duchesse de Berry, Dame de Chastillon sur Indre en Touraine, et de Chasteau-neuf sur Loire, avoit fondé, et où cette bonne Princesse quittant avec la Royauté toutes les vanitez du monde pour embrasser l'humilité Chrestienne, se consacra entierement à la devotion et à la pieté, et choisit le meilleur party vacquant continuellement à la meditation, pour converser avec Dieu et avec ses Anges.
Cette tres-vertueuse et tres-prudente Heroine n'est pas seulement louée par nos Historiens pour sa liberalité envers les Oratoires et Maisons de devotion, et ses aumosnes envers les necessiteux et les pauvres; mais aussi pour sa pudicité et chasteté: voicy comme en parle en termes honorables un Gentil-homme de bonne et ancienne race, Pierre de S. Julien de la noble Maison de Baleurre, Doyen de Chalon, en son Livre des Antiquitez de Mascon. La Reine Anne Duchesse de Bretagne, et Madame Anne de France Duchesse [55] de Bourbonnois, (cette-là deux fois Reine de France, et cette-cy fille du Roy Louis XI. et Regente en France pendant la minorité du Roy Charles VIII. son frere) avoient si vertueusement extirpé l'impudicité et planté l'honneur au coeur des Dames, Damoiselles, femmes de villes, et toutes autres sortes de femmes Françoises, que celles qu'on pouvoit sçavoir avoir offensé leur honneur, estoient si ahonties et mises hors des rangs, que les femmes de bien eussent pensé faire tort à leur reputation si elles les eussent souffertes en leur compagnie.
Cette tres-chaste Princesse Anne de France Duchesse de Bourbonnois, et la Reine Anne de Bretagne sont dignes de toute louange, pour avoir durant leur vie par leur bon exemple, leur credit et authorité, banny et exterminé non seulement de la Cour, mais de toute la France la paillardise et la lubricité, qui est un venin, lequel perd les hommes, les villes et les Etats, comme disoit fort bien Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orleans, au Roy Charles VII. On devroit releguer d'un exil perpetuel cette lascive et infame Cypris en Paphos ou en Cypre avec les Turcs, pour jamais ne revenir chez les Francs et les Chrestiens, où elle corrompt et gaste tout aux yeux d'un chacun, tant la pluspart des hommes a peu de pudeur, de front et de vergongne. Anciennement ce vice estoit en telle horreur, et tellement fuy des Dames d'honneur, que s'il y en avoit quelqu'une soupçonnée seulement, on eut plustost fait mourir une honneste femme que de se trouver en une compagnie ou assemblée en laquelle une Subrete ou Courtizane eut paru. Les Payennes avoient aussi ce sentiment: car comme nous apprend le Pere de l'eloquence Romaine, Verres Gouverneur de la Sicile, ayant prié une femme vertueuse à un festin qu'il faisoit, si tost qu'elle fut entrée en la compagnie, et qu'elle eut veu l'une de ses Drupes prés de luy, elle fit une grande reverence et s'en alla disner en sa maison. Aussi il n'y a point de connexité entre l'olive et le lierre, le laurier et le myrthe, entre la pudicité et l'impudicité. La maison et le Palais de cette fille de France estoit l'Escole et l'Academie de la Vertu et de l'Honneur, pour le soin et la peine qu'elle prenoit à bien faire nourrir et élever les filles [56] et les Demoiselles qui estoient à sa suite, ausquelles (comme a remarqué François Billon en son Livre intitulé le Fort inexpugnable du sexe feminin) pas un Gentil homme n'eut osé parler dans son Hostel que le genouil à terre, pour le soin qu'avoit cette courageuse et pudique Princesse, que l'ordre qu'elle avoit estably en sa maison fust gardé, et cette ordonnance domestique bien observée en faveur et en l'honneur de celles de son sexe.
Anne de France Duchesse de Bourbon et d'Auvergne, Comtesse de Gien et de Forests, avoit pour devise comme le Duc Pierre son mary, qui fut un des plus sages et avisez Princes de son temps, une grande nuée d'azur de laquelle sortoient des langues de feu et de gueules, et au milieu un cerf volant d'or, et autour de son col, répandant sur ses épaules entre ses aisles, estoit une ceinture d'azur où estoit écrite en lettres d'or l'ancienne devise et le mot de la Royale Maison de Bourbon ESPERANCE. Par ce mot ces tres-genereux et tres-magnanimes Princes vouloient dire qu'un jour ils parviendroient à la Couronne tres-Chrestienne. Balde l'un des premiers Jurisconsultes d'Italie, et digne disciple de Bartole, qui n'estoit pas moins resolu que son Maistre, a écrit il y a plus de deux cens ans en son Traité des fiefs; Que si la Maison de Bourbon duroit jusqu'à mille ans, elle auroit droit au Royaume de France: connoissant dés lors que les Princes de cette Maison estoient capables de succeder au Sceptre des François, non seulement comme Princes du sang de France; mais aussi pour leurs merites et leurs vertus. Le dire prophetique de ces Princes est arrivé, nonobstant toutes sortes d'obstacles et d'empeschemens suscitez par les ennemis de cette honorable Maison, dont les langues de feu sont comme les symboles, et ces Princes genereux ainsi que leur cerf volant, sont montez à cette Monarchie, de laquelle pour un honneur et remarque singuliere, on a écrit qu'elle a esté autrefois representée au Ciel par une nuée d'argent et d'azur, en laquelle fut veu un Ange couronné portant le Sceptre en sa main semé et orné de fleurs de Lis. Bon-heur qu'a eu cette Maison, que n'ont pas eu les Maisons d'Anjou, de Bourgongne, d'Alençon [57] et d'Evreux qui la precedoient, ayant esté éteintes et tombées par des femmes en d'autres maisons. Fasse le Ciel que le dernier Roy des François soit de la Maison de Bourbon, et que le dernier et souverain Monarque de l'Univers soit un Roy de France du sang adorable de Saint Louis, le plus saint Roy que vit jamais le Soleil, et sacré tige de cette Royale Maison la plus noble du monde.

Outils personnels