Anne de Bretagne/Hilarion de Coste

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[I,1] ANNE REYNE DE FRANCE, DE SICILE ET DE HIERUSALEM, Duchesse de Bretagne, et de Milan.

Ayant à écrire les vies, et les actions dignes de remarque des Dames illustres en pieté, en courage, et en sçavoir, ou en tous les trois ensemble, qui ont vécu de nostre temps, et du temps de nos Peres, selon l'ordre de leurs noms, suivant la promesse que j'ay faite en ma Preface; et de plus, ayant à expliquer pour le contentement des doctes et des curieux les devises, les emblémes, les symboles, et les hieroglifiques de la pluspart des Princesses et des Heroïnes, ausquelles je veux consacrer des Eloges en ce livre: Je commenceray par Anne de Bretagne, qui a esté, selon le fidele témoignage des Historiens François et Italiens, la plus sage, la plus belle, la plus riche, la plus liberale, et la plus accomplie Princesse de son temps. [2] Le Comte Baltazar de Chastillon, Quintian Stoa, Joseph Betussi, François Guichardin et François Augustin della Chiesa Evéque de Salusses, tous Autheurs Italiens, l'ont louée dans leurs écrits, et luy ont donné de beaux-Eloges. De verité, c'estoit une Princesse (1) humaine, affable, obligeante, courtoise, liberale, facile en ses moeurs, agreable en son maintien, ravissante en sa conversation, et d'une contenance si majestueuse et si grave, que son visage estoit digne de l'Empire et de la Royauté, le Ciel l'ayant couronnée Reyne des Vertus, avant qu'elle eût sur son chef le premier Diadéme de la Chrestienté. C'est pourquoy je veux commencer ce Livre par son Eloge, que je consacre à la memoire des Dames honnestes et vertueuses, vaillantes et sçavantes. Mais quelque obligation que luy ait l'Ordre dans lequel je me suis dedié au service de Dieu, je serois marry de luy donner de fausses louanges, et à toutes les autres Dames dont je veux louer et honorer la memoire, soit pour leur pieté, ou leur sçavoir et leur valeur. Je proteste donc dés le commencement de cet oeuvre, de dire la verité. Car les levres et les plumes des Prestres et des Religieux ne doivent pas admettre, ny la fraude, ny le mensonge, ny la duplicité: mais dire ou écrire avec simplicité et candeur leurs conceptions et leurs pensées.

Cette grande Princesse, qui a esté Duchesse et unique heritiere de la Bretagne Françoise ou Armorique, Emperiere de Constantinople; et, qui plus est, par deux fois Reyne de France, de Sicile et de Hierusalem, nâquit le 25. de Janvier de l'an 1476. Elle eut pour pere François II. du nom Duc de Bretagne, l'un des plus genereux et magnanimes Princes du Christianisme: sa mere fut Marguerite de Foix, issue des Royales Maisons d'Arragon et de Navarre, qui mourut en reputation d'estre l'une des belles Princesses du monde, et aussi accomplie en vertus, et en bonnes oeuvres, qu'aucune autre.

[3] Le Duc son pere aprés le decés de sa mere la fit nourrir et élever dés le berceau à la vertu et à la pieté; et pour l'amitié qu'il luy portoit, tenant les Etats dans sa ville de Rennes, il declara qu'elle et sa soeur puisnée Isabelle ses deux filles estoient ses heritieres au Duché de Bretagne, en cas qu'il decedât sans enfans masles procreez en loyal mariage; et à l'instant furent reconnues pour telles par les Evéques, les Barons, et autres des Etats. Isabeau estant decedée quelque temps aprés le Duc son pere, nostre Anne demeura la seule et unique heritiere de cette belle Province, que Charles huitiéme preferoit aux Païs-bas.

Les Bretons voyans leur jeune Princesse courageuse comme son pere, et agreable comme sa mere, s'estimerent bien-heureux et fortunez d'avoir une Dame qui estoit recherchée par les plus grands Princes de l'Europe. Or elle fut premierement accordée à Edouard Prince de Galles, fils aisné d'Edouard IV. Roy d'Angleterre, puis à Maximilien Archiduc d'Austriche éleu Roy des Romains, et Empereur I. du nom: Elle épousa l'Archiduc, mais le mariage fut tenu pour nul faute du consentement du Roy son Seigneur. Le Ciel, où les mariages se font, la destina pour femme du premier Monarque du Christianisme Charles VIII. Roy de France, lequel avant que de triompher de la Sicile de deçà le Far, dite communément le Royaume de Naples, fut nommé dans Rome Empereur de Constantinople par le Pape Alexandre VI. Ce fut au chasteau de Langés sur Loire en Touraine, que les ceremonies de ce royal mariage furent celebrées le 16. de Decembre de l'an 1491. en presence des principaux Seigneurs de France et de Bretagne. Le contract fut passé du consentement de Jean de Chalon Prince d'Orange, d'Anne de France Duchesse de Bourbon, de Louis Duc d'Orleans, de Pierre Duc de Bourbon, de Charles Comte d'Angoulesme, de Jean Comte de Foix, de François Comte de Vendosme, de Guy de Rochefort Chancelier de France, de Louis d'Amboise Evéque d'Alby, de Jean de Rely Docteur en Theologie, Confesseur du Roy, éleu Evéque d'Angers, et de plusieurs autres de la part dudit Seigneur. Le Prince d'Orange, Philippe de Montauban Chancelier de Bretagne, le [4] Sire de Guémené, le sieur de Coatquen Grand Maistre de Bretagne, et plusieurs autres de la part de ladite Dame. La Messe fut celebrée par l'éleu Evéque d'Angers et les promesses faites entre les mains de l'Evéque d'Alby.

Peu de jours aprés cette Princesse fut sacrée et couronnée à Saint Denis, avec grande solemnité.

Durant le Traité de ce mariage et les réjouissances des noces, le Roy Charles renvoya honorablement la Princesse Marguerite d'Austriche, qu'il avoit épousée, à son pere Maximilien, laquelle avoit esté neuf ans en France au chasteau d'Amboise, (au rapport de tous les Historiens tant François que Flamans, et autres Etrangers) mais à cause de sa jeunesse le mariage n'avoit pas esté consommé. Depuis elle fut mariée à Jean Infant d'Espagne et à Philebert Duc de Savoye, comme nous dirons en la vie de cette vertueuse Dame dans les Eloges des illustres Marguerites.

Le Roy Charles et nostre Reyne Anne véquirent ensemble en bonne paix et intelligence, et eurent quatre enfans, à sçavoir trois fils et une fille: les fils furent Charles Orland de France Daufin de Viennois, Charles de France aussi appellé par quelques autheurs Louis (ils gisent tous deux au milieu du choeur de l'Eglise de S. Martin de Tours, comme j'ay rapporté en leurs vies dans le livre des Eloges des Daufins de France.) Le troisiéme fut nommé François, et la fille Anne, comme sa mere.

Durant le voyage que fit le Roy Charles son époux en Italie, quand il alla conquerir le Royaume de Naples sur les Princes de la Maison d'Arragon, qui l'avoient usurpé sur ceux de la Maison Royale d'Anjou, dont il estoit heritier, cette bonne Reyne demeura à Lyon où elle fit continuellement prier Dieu pour la prosperité des affaires de ce Monarque; avec lequel (aprés qu'il fut de retour de ses voyages, et victorieux de tous les Potentats de l'Europe, dont il défit la puissante armée à Fornoue;) elle fit son entrée dans cette belle et grande ville; et fut receue des Lyonnois comme Reyne de Hierusalem et de Sicile.

Le Roy Charles estant decedé d'une mort subite, quoy que non pas impreveue, le septiéme avril 1498 nostre Rey-[5]ne Anne sa veuve suivant les conventions de son premier traité de mariage, comme marquent nos Historiens, épousa en secondes noces le Roy Louis douziéme, cousin de Charles et son successeur aux Royaumes de France, de Sicile, et de Hierusalem, lequel repudia Jeanne de France, pour les raisons que nous avons amplement déduites en la vie de cette pieuse Princesse, fille et soeur de nos Rois.

J'ay veu aussi le contract de mariage du Roy Louis XII. avec Anne de Bretagne, qui fut fait à Nantes le 7. de Janvier de l'an 1498. ou selon la supputation moderne qui semble plus exacte de l'an 1499. en presence des Cardinaux de S. Pierre aux Liens de la Maison de Rovere, (qui fut depuis Pape sous le nom de Jule II.) et d'Amboise, du sieur de Ravestein, du Prince d'Orange, du Marquis de Rotelin, des Comtes de Rohan, de Guyse, de Ligny, de Dunois, de Rieux; des Evéques d'Alby, de S. Brieu, de Luçon, de Saint Paul de Leon, de Septe, de Cornouaille, et de Bayeux; des sieurs de Gyé et de Baudricour Mareschaux de France, du Souschancelier de Bretagne, de la Tremoille, de Chaumont, de Beaumont, d'Avaugour, et de Tournon; des Abbez de Redon Vicechancelier de Bretagne; de Monti-Ramé; de Jaques de Beaune General des Finances en Languedoc; de M. Charles de Hautbois President des Enquestes; de Philippe Baudot Gouverneur de la Chancellerie de Bourgongne, et de Gabriel Miron Medecin ordinaire de leurs Majestez.

De cette seconde alliance la Reyne Anne eut quatre enfans, à sçavoir 2. fils qui decederent en jeunesse, et 2. filles, Claude l'aisnée fut Duchesse de Bretagne, et premiere femme du Roy François le Grand. L'autre fut Renée Duchesse de Ferrare. Si cette Heroïne fut cherie et aimée du Roy Charles son premier époux, elle ne receut pas moins d'honneur et d'affection du Roy Louis son 2. mary; lequel (au rapport d'un Prelat qui a écrit les faits et les vertus de ce bon Roy) depuis qu'il l'eut pour épouse, mit en elle tous ses plaisirs et ses delices, et n'a jamais esté soupçonné d'avoir violé la foy de son mariage, ny porté ses affections ailleurs. Aussi ses excellentes perfections meritoient bien d'avoir pour mary un si doux, si bon, et si affable Monarque, qui pour sa bonté et sa justice a esté appellé le Pere de son Peuple.

[6] Je n'ignore pas que quelques-uns ont écrit que ce bon Roy voyant que cette Princesse avoit une extréme passion de dominer, luy laissa gouverner paisiblement son Duché de Bretagne; et qu'ayant sceu qu'elle tramoit quelque chose contre sa volonté et son service, neantmoins il ne s'en voulut jamais vanger, disant à ceux qui l'en pressoient: Il faut donner quelque chose à la femme pudique. Ainsi il monstra le grand état qu'il faisoit en une femme mariée de sa pudicité, qui estant une fois perdue, ne se peut jamais reparer.

La pieté de cette grande Reyne a paru au soin qu'elle a eu de donner et d'envoyer aux Eglises des Reliquaires d'un grand prix pour conserver les reliques des Saints, comme l'on voit en plusieurs lieux de devotion, particulierement en l'Eglise et Monastere des Religieux de l'Ordre de S. Dominique, à S. Maximin en Provence, où cette devote et liberale Princesse a fait voir sa devotion envers la fidele amante du Sauveur du Monde, et en la fondation de plusieurs Eglises et Monasteres. Durant son sejour à Lyon elle fit bastir le Convent des Cordeliers de l'Observance, hors la porte de Pierre-scize. Elle donna son ancien Hostel de Bretagne, qui estoit le vieil chasteau de Nigeon prés Challiot, à une lieue de Paris, à nôtre Patriarche et nôtre grand oncle S. François de Paule, pour y establir une Maison de son Ordre, dont l'Eglise fut commencée dés son vivant sous le titre de Nostre Dame de toutes Graces. Elle voulut, pour l'affection qu'elle portoit à ce Bon-homme (qui pour sa sainte vie et ses miracles a esté canonizé 11. ans aprés sa mort) qu'il nommât au Baptéme son fils aisné le Daufin Charles Orland, et prit le cordon de son 3. Ordre avec le Roy Charles son 1. mary. Elle est encor recommandée pour sa charité envers les pauvres, tant de ce Royaume que de son Duché de Bretagne; et pour avoir aimé et caressé les hommes doctes et vaillans, et particulierement ceux qui estoient affectionnez à l'avancement de la gloire de Dieu.

Les curieux n'ignorent pas que cette tres-liberale Princesse avoit un cabinet et une galerie pleine de diamans, de perles, de rubis, d'emeraudes, et autres pierres precieuses, dont elle faisoit des presens aux femmes des Capitaines et des Heros, qui avoient acquis de l'honneur et de la gloire dans les armées, et fidelement servy [7] aux occasions le Roi Louis XII. son mari, lequel n'estoit pas beaucoup liberal, pour la crainte qu'il avoit de fouler son pauvre peuple, dont il estoit le Pere. Elle n'a jamais esté blasmée par les ennemis de sa gloire (qui l'ont appellée dans leurs écrits femme imperieuse) sinon pour l'aversion qu'elle a eu de Pierre de Rohan Seigneur de Gié digne Mareschal de France, comme sçavent ceux qui ont leu nos Historiens. Aprés le decés du Pape Jule II. pour l'honneur qu'elle portoit au saint Siege Apostolique, elle persuada au Roi Louis XII. qu'il renonçast au pretendu Concile de Pise, et rendit l'obeïssance filiale à Leon X. son successeur, et qu'il envoiast ses Ambassadeurs au Concile de Latran. Le mesme Pape Leon aussi-tost qu'il receut les nouvelles de sa mort, écrivit des lettres de consolation au Roi Louis XII. par lesquelles il recommandoit la memoire de cette genereuse Reine pour la reputation de ses vertus, entre autres pour son zele et sa devotion, à l'honneur et au service du Roi des Rois: car elle fit donner le sacrement de Baptéme à plusieurs Juifs en divers lieux, et prit elle-mesme le soin de les faire nourrir, ou de leur donner des pensions, et fit chasser tous ceux qui ne voulurent pas embrasser nostre sainte Religion. C'est la remarque que fit le Reverend P. Guillaume Parvy Religieux de l'Ordre des Prescheurs ou Jacobins (lequel a esté Confesseur et Predicateur de nos Rois Louis XII. et François I. puis Evéque de Troyes et de Senlis) en la seconde Oraison funebre qu'il prononça dans l'Eglise de Nostre-Dame de Paris és obseques de cette grande Princesse, deux fois Reine de France: car les deux autres furent prononcées, la premiere en l'Eglise de saint Sauveur de Blois, la troisiéme et derniere à saint Denys en France par cét eloquent homme, en l'honneur d'une si chaste et si vertueuse Heroine, qui estoit, sans flaterie, la pudicité et la chasteté méme.

Sa Cour et sa maison estoit mieux reglée et policée que celles des Reines et des Princesses de son temps. Elle estoit une échole de vertu, et d'honneur, et comme l'Academie de la gloire. L'on ne parloit par tous les autres [8] Roiaumes de la Chrestienté, que des merveilles de sa Cour et du bon ordre qui estoit en sa Maison. Ce qui fit que Ladislas Jagellon ou de Pologne, Roi de Hongrie et de Boheme, envoya une celebre Ambassade en France, afin de demander pour femme une des filles et Demoiselles de la Reine Anne. C'estoit Anne de Foix fille unique de Jean et de Caterine de Foix Comte et Comtesse de Candale, et soeur de Gaston de Foix deuxiéme du nom Comte de Candale, de Jean de Foix Comte de Meille et de Gurson, de Jean Archevéque de Bourdeaux, et de Pierre Seigneur du Pont, laquelle il épousa le vingt-neufiéme de Septembre l'an mil cinq cens deux, et dont il eut deux enfans, Louis dernier Roi de Hongrie de la Maison des Jagellons, et Elizabet, qui fut depuis nommée Anne, qui épousa Ferdinand d'Autriche Infant d'Espagne et Empereur premier du nom, de laquelle je publieray les vertus et les merites en l'eloge suivant.

Ferdinand V. Roi d'Espagne ou d'Arragon se voiant veuf de la vaillante et vertueuse Princesse Isabelle Reine de Castille, ne voulut point prendre de femme que de la main de cette très sage Reine, laquelle luy fit épouser une de ses Demoiselles, qui estoit aussi sa parente et la niéce de nostre bon Roi Louis XII. son mary, sçavoir Germaine de Foix, soeur du tres-genereux Gaston de Foix Duc de Nemours, et fille de Jean de Foix Comte d'Estampes et Vicomte de Narbonne, et de Marie d'Orleans ou de Valois. C'est pourquoy non seulement les premiers Seigneurs de France et de Bretagne, mais aussi des païs étrangers tenoient à grande faveur de mettre leurs filles auprés de cette grande Reine, qui comme une autre Vesta, ou une autre Diane, tenoit toutes ses Nimphes en une discipline fort étroite, et neantmoins pleine de douceur et de courtoisie. Elle estoit l'azile des pauvres, le miroir des riches, le refuge de toutes les filles vertueuses, tant elle estoit liberale et facile à recevoir celles qui se vouloient ranger dans son Louvre. Si bien qu'autour de sa Majesté et de ses deux filles Claude et Renée de France, il y avoit un grand nombre de Demoiselles, tant suivantes que servantes. Elle s'occupoit [9] avec toutes ses Dames et ses Demoiselles à travailler en broderie et en tapisserie. On voit encor de ses ouvrages qui sont gardez en des Eglises et maisons de Religion de ce Roiaume. Son plus grand soin estoit qu'elles fussent toutes occupées au travail, sçachant que la faineantise et l'oisiveté est le vray sejour de la naissance, et de la nourriture du vice, qu'elle avoit plus en horreur que la mort, ainsi qu'elle le declaroit par ses actions, et ses deportemens louables, et aussi sa belle devise, et comme sage et prudente, elle sçavoit ce proverbe veritable, Ostez l'oisiveté, adieu de Cupidon Les fleches, le carquois, et l'arc et le brandon.

Comme elle estoit tres-chaste et tres-vertueuse, aussi fit-elle tousjours estat des Dames d'honneur et de vertu; lesquelles pour honorer davantage, et reconnoistre leur merite, elle institua l'Ordre de la Cordeliere (à l'imitation des Rois et des Princes Souverains qui ont dressé des Ordres de Chevalerie) leur en faisant don, comme d'une écharpe ou collier de Chevalerie: les admonestant de vivre chastement et saintement, et avoit tousjours en memoire les cordes et les liens de Jesus-Christ: et elle mesme pour leur monstrer l'exemple, en couronna son escusson et ses armoiries qui estoient de France, parties de Bretagne, d'azur à trois fleurs de Lis d'or pour France, semé d'Hermines pour Bretagne, lesquelles armoiries on voit en plusieurs endroits avoir deux Hermines pour tenans et supports.

Cette auguste Princesse et Reine tres-Chrestienne et tres-Catholique ne pouvant voir ny souffrir les personnes de mauvaise vie et scandaleuses, honoroit grandement tous ceux qui faisoient profession de la vertu et de la devotion solide. Estant à Rennes l'an 1489. elle choisit pour son Confesseur le R. P. Yve Mahyeuc Religieux de l'Ordre de saint Dominique ou des Predicateurs, lequel depuis fut éleu Evéque de Rennes contre son gré, ayant fait tous ses efforts pour n'accepter pas cette Prelature, et la conduite de ce Diocese, qu'il gouverna si saintement par l'espace de trente-six ans, que sa [10] memoire est en benediction non seulement parmy les Rennois, mais aussi parmy tous les Bretons, pour avoir esté le miroir des bons Prelats, le modele des parfaits Religieux, le pere et le support des pauvres: Aussi Dieu a fait plusieurs signalez miracles par son intercession envers ceux qui visitent devotement son sepulcre, comme remarque le R. P. Albert le Grand Religieux du méme Ordre, en la vie et eloge de ce soixante quatorziéme Evéque de Rennes, en son livre des Vies des Saints de la Bretagne Armorique.

La Reine Anne ayant vécu tres-louablement trente-sept ans, mourut fort chrestiennement en son roial Chasteau de Blois (qu'elle avoit fait bastir avec le Roi Louis XII. qui nâquit en ce lieu) aprés avoir receu avec devotion et ferveur tous ses Sacremens, que luy donna le R. P. Parvy Confesseur du Roi son mary, (duquel j'ay parlé cy-devant) cette tres-vertueuse, tres-pieuse et tres-Catholique Princesse les ayant tous demandez de son mouvement et avec instance, en l'absence de l'Evéque de Rennes son Confesseur ordinaire.

Ce fut sur les six heures du matin du neufiéme jour de Janvier de l'an mil cinq cens treize, ou mil cinq cens quatorze selon la supputation des autres, que cette tres-noble et tres-illustre Princesse Anne, deux fois Reine de France, de Hierusalem, et de Sicile, Duchesse de Bretagne, Comtesse de Montfort, de Richemont, d'Estampes, et de Vertus, quitta cette premiere Couronne de la terre pour aller jouir au Ciel, comme nous pouvons pieusement croire, de l'eternelle et bien heureuse, laissant un extréme regret aux François et aux Bretons, particulierement au Roi son époux, qui demeura plusieurs jours sans pouvoir se consoler, et bannit de la Cour tous joueurs d'instrumens, comediens, et bâteleurs: et contre la coûtume de nos Rois il prit le deuil noir, et ne permit que personne entrât en son cabinet qu'en habit de deuil. Cette Reine avoit bien merité que le Roi son second mary portast le deuil noir à sa mort, tant pour ses roiales vertus, que pour avoir esté la premiere de nos Rei-[11]nes, qui prit le deuil de drap noir au decés de Charles VIII. son premier époux: car devant elle les Reines veuves le portoient blanc: A raison de quoi elles estoient appellées, selon l'opinion de quelques Autheurs, Reines Blanches, ou suivant le sentiment des autres, en memoire de Blanche de Castille mere de saint Louis. Le Roi Louis XII. luy fit rendre les derniers devoirs à Blois et à Paris, avec une magnificence digne de la pieté d'un Roi tres-Chrestien: son coeur fut porté en son Duché de Bretagne, et mis en l'Eglise des Peres Carmes de Nantes, et son corps gist à Saint Denys avec celuy du Roi Louis XII. sous le somptueux Mausolée que le Roi François leur a fait dresser. Theodore Godefroy Avocat en la Cour de Parlement et Historiographe du Roi, qui depuis quelques années a donné au public le Ceremonial de France, n'a pas oublié d'y inserer les ceremonies qui furent faites au Convoy et Enterrement de cette Reine, la plus noble des Princesses de son siecle; puis qu'elle a esté deux fois Reine de France, femme des Rois Charles le Courtois et Louis le Pere du Peuple: où les curieux pourront avoir recours et recevoir du contentement, lors qu'ils y liront les honneurs qui ont esté rendus au corps de cette tres-vertueuse et tres-Catholique Princesse à Blois, à Orleans, à Estampes, à Paris, et à S. Denis en France; les Services et Messes qui furent celebrées pour le repos de son ame par le Cardinal de Luxembourg Evéque du Mans, et autres Prelats; les Princes et Princesses qui assisterent à ses pompes funebres ou luy rendirent les derniers devoirs, sçavoir Monsieur d'Angoulesme, (qui a esté nostre Roi François I. lequel est dans ce Ceremonial appellé Monsieur, à cause qu'il estoit lors premier Prince du Sang, et l'heritier apparent de la Couronne) le Duc d'Alençon, le Comte de Vendosme, le Prince de la Roche-sur-Yon, et le Comte de Saint Paul; les Princesses Madame de Bourbon, Madame d'Angoulesme, Madame la Duchesse d'Alençon, Madame de Vendosme, et Madame la Comtesse de Vendosme. Madame de Bourbon precedoit Mesdames d'Angoulesme et d'Alençon, et avoit sa queue plus longue que les autres, pour ce qu'elle [12] estoit fille et soeur de Roi. La liste des Archevéques, des Evéques, et des Abbez qui assisterent à ses obseques seroit trop longue et ennuyeuse au Lecteur, comme aussi celle des premiers Seigneurs de France et de Bretagne qui y assisterent, et autres belles particularitez, entre autres les ceremonies et les honneurs qui furent faits à Nantes quand son coeur fut porté depuis l'Eglise des Peres Chartreux jusques en celle des Peres Carmes, où il fut posé dans un cofre d'acier fermant à clef, prés du corps de son pere François II. du nom Duc de Bretagne, qui gist en cette Eglise avec ses deux femmes Marguerite de Bretagne, fille aisnée de François I. du nom Duc de Bretagne et d'Isabelle d'Escosse, et Marguerite de Foix fille de Gaston IV. du nom, Comte de Foix et de Leonor d'Arragon Reine de Navarre, dont il eut cette tres-noble Reine et tres-vertueuse Princesse Anne de Bretagne: qui durant sa vie avoit pris pour devise une Hermine avec le mot, A MA VIE, par lequel elle vouloit declarer, que comme ce petit animal qui est tout blanc par le corps, n'ayant que la petite extremité de la queue toute noire, et qui se trouve és quartiers du Pont-Euxin, se laisse plûtost prendre par le veneur, et aime mieux mourir que de se souiller et se salir: de mesme elle eût plutost choisi la mort, que le Philosophe appelle le terrible des terribles, que d'admettre la moindre impureté, tant elle estoit sage, chaste, honneste et pudique.

(1) Albert le Grand Religieux de l'Ordre des Prescheurs, remarque dans le Catalogue Chronologique et Historique, qu'il a fait des Evéques de la Bretagne Armorique, à la fin de la Vie des SS. de ce Duché-là, que cette vertueuse Reyne estant venue à Nostre Dame de Folcoat, l'an 1505 fut à l'Evenen S. Paul et à Morlaix, où elle fut receue avec de grandes magnificences. On admira un arbre de Jessé dressé dans le Cimetière du Convent de S. Dominique (où sa Majesté fut logée) qui representoit sa genealogie depuis Conan Meriadec, lequel y estoit representé suivy des autres Rois et des Ducs de Bretagne, et tout au haut estoit une belle fille representant sa Majesté, qui en passant luy fit une belle harangue. La ville luy fit present d'un petit navire d'or, enrichy de pierreries, et d'une Hermine apprivoisée blanche comme neige, ayant au col un collier de pierreries d'un grand prix. Ce petit animal receu de la Reyne Anne sauta de dessus son bras sur son sein, dont elle eut peur; mais le Seigneur de Rohan qui se trouva là, luy dit, Madame, que craignez vous, ce sont vos Armes.

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